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l^V
WuuoiibMVV
4/.
t
HISTOIRE
DE LA VILLE ET DE L'ABBAYE
DE FECAMP
t
HISTOIRE
DE LA VILLE ET DE L'ABBAYE
DE FÊCAMP,
Léo» FALLUE ,
■ EHME ■>■ LA lOCIÉTÉ BEI UITtQllAHia ■■ MMMUIMS ET DE L.
ROUEN,
IMPRIMERIE DE NICÉTAS PEBliUX,
^s-j.
AVANT-PROPOS.
JJuRAWT notre court passage à Fécamp , nous
avons ëté frappé de ce qu'il y a de grand dans
l'histoire religieuse et politique de cette ville;
nous avons d'abord recueilli quelques notes , et
la moisson devenant chaque jour plus abondante,
nous avons conçu le projet deJes mettre en ordre,
en les intercalant dans un cadre historique; dès-
lors nos recherches n'ont plus eu de bornes :
nous avons extrait des historiens anglo-nor-
mands 9 des Chroniques saxonnes , du Gallia chris-
tiana , des Annales de Tordre de Saint-Benoît ,
tout ce qui pouvait se rattacher à notre sujet ;
IJ AVANT-PKOPOS.
mais y comme nous tenions principalement aux
pièces inédites , nous avons mis à contribution les
manuscrits de la Bibliothèque du Roi , les Archives
départementales de la Seine-Inférieure , et jus-
qu'aux dépôts historiques de Florence et de Rome.
Le premier nous afait connaître qu'il avait existé ,
dans la même ville , durant un long espace du
moyen-âge , une société de marchands qui se
chargeaient de faire tenir au souverain Pontife
l'argent provenant des annates et de certains
droits prélevés sur les États catholiques ; à Rome ,
nous avons trouvé , dans les archives du Vatican ,
les minutes de tous les brefs adressés , par les
Papes , aux monastères qui étaient sous leur dé-
pendance directe; et, à l'aide des obligeantes
communications du savant prélat chargé de la
conservation supérieure de ce dépôt , nous avons
acquis la certitude que l'époque de Clément VI ,
ancien abbé de Fécamp , était la plus féconde en
pièces de cette importance , pour le sujet que
nous avions à traiter.
Mais , hâtons-nous de le dire , c'est surtout le
dépôt des Archives départementales de la Seine-
Inférieure , enrichi de toutes celles du monastère
AVANT-PROPOS. llj
de Fécamp, qui nous a fourni le plus grand
nombre de matériaux , grâce à l'autorisation bien-
veillante de M. le Préfet Dupont-Delporte , Pair
de France , qui a bien voulu mettre tous ces
documents historiques à notre disposition.
Nous pouvons donc affirmer qu'il nous est
passé plus de deux mille pièces par les mains ,
sans compter les nombreux volumes de délibé-
rations capitulaires du monastère de Fécamp.
Au milieu de ces richesses entassées , on pense
bien que nous avons dû faire un choix , parce
que tous les documents qui en font partie n'oot
pas la même importance historique, et que nous
ne voulions pas donner à notre travail une dimen-
sion qui eût outrepassé les bornes que nous nous
étions imposées : la reproduction des faits prin-
cipaux, en un seul volume, à la portée du plus
grand nombre des lecteurs.
Tout ce qui nous a paru intéressant , à la pre-
mière lecture , a été mis à part , classé et inter-
calé dans ce travail. Ennemi de toute opinion
systématique , nous avons adopté celles qui nous
ont semblé les plus vraisemblables; l'éclectisme,
IV AVANT-PROPOS.
f
appliqué à l'histoire , constitue la partie la plus
essentielle de notre composition. Nous ne savons
si nos lecteurs auraient été d'accord avec nous ,
sur le choix des matériaux; mais nous sommes
convaincu que celui qui écrit l'histoire doit
obéir à ses propres impressions , qu'il n'est pas
libre de changer ou modifier à son gré , et que
son jugement est le seul guide qu'il doive suivre
dans l'appréciation des faits et des événements
que le passage des siècles a souvent rendus fort
obscurs ;. autrement, il livrerait une pensée qui
ne serait pas la sienne , il resterait renfermé dans
un ordre d'idées reçues , dans un cercle vicieux ,
tout-à-fait contraire au progrès que l'on doit at-
tendre de l'étude du passé, seul enseignement
que la Providence ait laissé à l'homme pour
éclairer sa marche , au milieu des écueils et des
incertitudes de l'avenir.
Peut-être trouvera-t-on que nous sommes entré
dans beaucoup trop de détails de localité, de
noms propres et de faits domestiques ; nous ré-
pondrons : que , si l'histoire générale se compose
du récit de batailles gagnées ou perdues, de
sièges de villes , de commotions intestines et de
V
AVAKT-PROPOS. V
la reproduction de hauts faits de certains per-
sonnages émineiits du pays, l'histoire d'une ville
est tout entière dans la \ie publique et privée
des hommes de la commune^ dans les événements
heureuK ou malheureux qui les ont atteints , et
dans la mise en scène de ceux qui ont été Tobjet
d'une distinction quelconque , pour services ren-
dus à l'État ou à leurs concitoyens. C'est ainsi
que nous comprenons l'histoire particulière :
entièrement écrite pour la localité , elle doit pré-
senter ces mille petits faits que l'histoire générale
dédaigne, et qui ont le mérite de faire connaître
la topographie antique de la cité , son gouver-
nement, ses rivalités de castes et de familles, et
de rappeler aux habitants les actes, le caractère ,
les noms, et jusqu'aux habitudes de leurs an-
cêtres.
Nous croyons , du reste , que chacun est à peu
près libre de présenter ce genre de travail comme
il le comprend ; car il n'y a eu jusqu'ici aucune
règle arrêtée , aucun modèle prescrit ; et l'histo-
rien , qui apprend le plus de faits privés , doit
avoir l'avantage sur celui qui se contente de faire
de longues amplifications sur des événements
généraux que tout le monde connaît.
VI AVANT-PROPOS.
Nous nous abstiendrons d'entrer ici dans de
plus longs développements ; nous n'avons même
écrit ce peu de lignes que pour obéir à l'usage
constamment suivi de parler de son ouvrage ;
nous le livrons avec confiance aux habitants de
<
Fécamp , qui sont nos juges naturels , bien per-
suadé d'avance qu'en évoquant le souvenir de
cette abbaye, qui fut l'orgueil de la cité, des
hauts faits et des rudes épreuves qui signalèrent
la vie de leurs ancêtres, nous aurons tout lieu
de compter sur leur sympathie , leur indulgence
et leur patriotisme.
HISTOIRE
i>f:
FÉCAMP
ÉPOQUE GAULOISE
ET GALLO-ROMAIITE.
JuA ville de Fécamp existait , sans aucun doute ,
dans l'antiquité ; mais , n'étant ni chef-lieu de peu-
plade j ni station militaire , ne se trouvant sur
aucun itinéraire j sur aucune de ces grandes lignes
qui sillonnèrent la Gaule du temps des Romains, les
géographes anciens l'ont passée sous silence , comme
beaucoup d'autres localités placées dans les mêmes
conditions d'isolement et d'insignifiante fortune.
Il y avait , du reste , peu de villes dans le nord
de la Gaule avant l'arrivée des Romains j et beau-
(O
coup de capitales de peuples , décorées de ce nom ,
n'étaient en réalité que de modestes villages ' .
La ville ou bourgage qui a pris , dans la suite , le
nom de Fécamp, était située sur le bord de TOcéan
britannique ' , dans la portion nord-ouest du terri-
toire des Calètes , aujourd'hui pays de Caux.
Cette partie de la Gaule était auti*efois comprise
dans la Belgique , séparée du territoire des Celtes
par la Seine et la Saône ^
Une nouvelle division de la Gaule ayant eu lieu
sous Auguste , le pays des Calètes fut retranché de
la Belgique^ et ajouté à la Lyonnaise qui remplaçait
la Celtique^.
Ptolémée d'Alexandrie , qui écrivait vers la
première moitié du ii® siècle , et après l'occupa-
tion de la Gaule par les. Romains , est le premier
qui fasse connaître Juliobona (Lillebonne) ^. Un
auteur du douzième siècle dit, cependant , sur la foi
de îa tradition sans doute , que cette ville était
' D*après Strabon , liv. 4 , Vienne , qite les AUobroges nommaient
leur capitale, n'était qu*un village du temps de César.
' Maintenant la Manche.
^ « Gallos à Belgis Matronà et Sequana dhidit. » — Gaes. , De Bell,
gall.f lib. 1, cap. 1.
^ (c Lugdune^sis Gallia babet Lexovios, Velocasses et Galletos. »
— Pline , tom. III , pag. 252 , édition Panckouke.
^ » Latus vero septenirionalis littorale a Sequana fluvio tenent
« Caletse , quot*ûtti ciVitas JrùUobona. »
(3)
l^anciea Caletum des Gallo-Belges ■ ; cette opinion
peut bien ne pas manquer de vraisemblance , mais
malheureusement elle n'est appuyée par aucun té-
moignage contemporain.
L'itinéraire èi Antonin ^ espèce de livre de poste
des anciens, rédigé vers la fin du iv* siècle , men^
tionne , outre la capitale des Calètes , trois autres
villes ou stations dans la même contrée : Caracoti--
num (Harfleur) , Lotum (Caudebec), et Gravinum
( Grainville-la-Teinturière ) ; la première à l'entrée
de la Seine , les autres sur les routes de Julio-
bona à Rothomagus ( Rouen ) et à Gessoriacum
( Boulogne ).
Les Calètes et les autres peuples de la Belgique
descendaient, dit César*, des races germaniques
qui , ayant passé le Rhin , à diverses époques ,
s'étaient insensiblement étendues ssur les bords de
l'océan, dont elles avaient peuplé les rives jusqu'à
l'embouchure de la Seine.
C'est de là que plusieurs bandes aventureuses ,
trop pressées par les flots de nouvelles migrations,
s'introduisirent dans l'île de Bretagne , dont elles
habitèrent les cotes situées en regard du continent '.
Ces peuples passaient pour les plus braves de la
' Orderic Vital.
> De Bell, galL , lib. 2 , cap. 1
' C«8./I>e Bell. gall. , lib. 5.
(4)
Gaule ; car , étant éloignes de la province romaine j
leur courage n'était pas amolli par le luxe et le goût
des plaisirs , attributs ordinaires de l'aisance et de
la civilisation. Ils avaient cependant perdu de leur
ancienne valeur , depuis qu'ils étaient étabKs dans
des climats moins durs que ceux du Nord et de la
Germanie. Néanmoins, ils en imposaient encore tel-
lement à leurs voisins , que les Cimbres et les
Teutons ^ chassés de leur pays par les inondations,
n'osèrent attaquer \gs Belges j et préférèrent ten-
ter la fortune du côté de l'Italie et du midi de la
Gaule.
Les Gaulois , en général, avaient un gouverne-
ment aristocratique; tous les ans, on choisissait un
gouverneur ou chef, que le peuple nommait dans ses
assemblées générales.
Les Calètes , comme les autres peuples de la
Gaule , habitaient préférableraent les vallées , les
bords de la mer et des fleuves ; ils aimaient aussi
le voisinage des fontaines , l'intérieur des bois où
ils trouvaient de l'abri en hiver , et de l'ombrage
pour les protéger contre les ardeurs du soleil.
D'après Strabon ' , leurs maisons étaient grandes,
formées de claies , de branches d'arbres entrela- ,
cées, de planches, et couvertes de paille; ils avaient
aussi des maisons rondes , de forme elliptique , dont
• Liv. 4.
(5)
l'aire était quelquefois à quatre à cinq pieds au-
dessous du sol environnant y pour obtenir un abri
que le peu de solidité de ces constructions devait
leur refuser.
Ils: pratiquaient souvent , à l'intérieur du sol y de
grands souterrains coniques, espèce de siios dans
lesquek ils renfermaient leurs provisions , et se re-
tiraient pour éviter d'être surpris par l'ennemi.
L'orifice étroit de ces excavations était couvert de
branches et de feuillages , ce qui empêchait les
étrangers de les découvrir ' .
Ces peuples belliqueux s'adonnaient très peu à
l'agriculture ; aussi ne se nourrissaient-ils que de
lait et de viandes de toute espèce , mais particu-
lièrement de cochon , tant frais que salé. Leurs
cochons restaient en pleine campagne , et l'empor-
taient sur ceux des autres pays par la taille , la force
et la vitesse , au point qu'ils étaient aussi à craindre
que les loups pour les personnes qui n'avaient pas
coutume d'en approcher*. Ce récit de Strabon ne
peut s'entendre y ce nous semble, que de cochons
sauvages ou sangliers , dont les défenses se trouvent
en quantité sur le sol et panni les décombres des
établissements gallo-belges.
» Tacite , De Mor. Germ,
* strabon y liv. 4.
• (6)
Tous ces peuples couchaient à terre , et prenaient
leurs repas assis sur des peaux '. Ceux qui habitaient
le bord de la mer se livraient à la pêche en parcou-
rant les flots sur des arbres creusés , et ces barques,
formées d'un tronc unique , portaient jusqu'à trente
hommes *.
La religion des Calètes était celle des Gaulois en
général : a Leur grand Dieu, dit César , est Mercure ,
<c dont ils multiplient les statues : ils le croient l'in-
« venteur des arts , le guide des voyageurs dans les
a chemins et dans les routes , le patron des mar-
ie chands. Après lui , les divinités les plus révérées
a sont Apollon , Mars , Jupiter et Minerve , sur
« lesquels ils ont à peu près les mêmes idées que les
« autres peuples. Us croient qu'Apollon a la vertu
a de guérir, que Minerve préside aux arts, que
a Jupiter possède l'empire du ciel, que Mars est
« l'arbitre de la guerre. La plupart du temps , ils font
ce vœu de consacrera Mars les dépouilles de l'ennemi,
« et, après la victoire , ils lui sacrifient le bétail
a dont ils se sont rendus maîtres ; le reste est déposé
«dans un lieu propre à cette destination, et Ton
« voit, dans plusieurs villes, de ces monceaux entassés
« dans des lieux consacrés^. Il arrive rarement , qu'au
' Diodore de Sicile , Hy. 5 , ch. 28.
> Plin., tom. X , pag. 153.
^ Caes. , De BelL gall, , liy. 6. « Harum rerum extructos tumulos
« locis consecratia conapirari licet. «
(7)
« mépris de la religion , quelqu'un cache le butin qu'il
ce a fait j ou ose détourner un objet quelconque de
« ce qui a été mis en dépôt ; les châtiments les plus
« cruels sont attachés à un pareil crime. »
Les Druides 9 ou prêtres gaulois ^ étaient y avec les
chevaliers , la classe qui jouissait de la plus haute
considération ; ils habitaient les bois y se retiraient
dans des grottes taillées sur la pente des monts ,
ou dans des enceiutes entourées d'une levée de
terre. Les arbres furent les premiers temples des
Gaulois; et nous avons vu les campagnes , long-temps
fidèles à la simplicité de Tancien culte , consacrer
leur plus bel arbre à la divinité'. Les lieux qu'ils
recherchaient davantage étaient les fontaines, aux-
quelles ils attribuaient des vertus topiques et des
cures merveilleuses ; enfin y les phénomènes de la
nature et jusqu'aux roches escarpées dont l'aspect
bizarre frappait leur imagination y tout était devenu
l'objet de leur culte et de leurs adorations. Les au-
tels des Druides étaient de grandes pierres mises à
plat sur trois autres qui leur servaient de support ;
c'était sur ces autels que les prêtres ouvraient le dos
d'un homme dévoué à la mort, et tiraient des prédic-
tions de )a manière dont la victime se débattait ^ ;
* PUn., tom. VIII , pa(i^29:
* Strabon ^ liv. 4.
(8)
• cérémonies barbares que les conquérants ne tar-
dèrent pas à faire disparaître.
Tel était l'état des choses sous le rapport moral j
physique et religieux sur le territoire de Fécamp ,
An 46 avant lorsque parurent les premières légions romaines. De
nombreuses cabanes ça et là dans la vallée et dans
les bois voisins ; partout des excavations souter-
raines, des parcs pour les troupeaux, fermés avec
des palissades et des branches entrelacées; des prêtres
dans certains lieux retirés , et la foule religieuse se
portant aux sacrifices , aux pierres , aux fontaines
et aux arbres consacrés ; une agglomération d'habi-
tants'[un peu plus compacte du côté de la mer que
partout ailleurs; car, avons-nous dit, les Gaulois
riverains de l'océan s'occupaient beaucoup de la
pêche , et les nombreux tas de coquilles de moules
et d'huîtres qu'on trouve sur le sol de leurs habi-
tations , prouvent que cette nourriture leur offrait de
graijides et précieuses ressources.
Bien peu de traces de ces établissements sont
arrivées jusqu'à nous; cependant , tout n'a pas entiè-
rement disparu , et Ton peut considérer, comme
appartenant à cette époque , des travaux en terrasse
dans les bois , des aires d'habitations , des excavations
coniques taillées dans l'intérieur du sol, certaines
pierres remarquables isolées , des carrières ou grottes
druidiques qui passent pour reflfermer des trésors ,
par' tradition, sans doute, des riches dépouilles
(9)
de Tennemî , que les prêtres gaulois renfermaient
dans leurs cellules , et en général tous les lieux où
il est question de revenants et d'effrayantes appari-
tions, pieux mensonges imaginés par les premiers
chrétiens pour en éloigner les peuples qu'une su-
perstitieuse croyance ramenait toujours aux erreurs
de l'ancien culte.
Le fond d'O/YVo/, situé dans la vallée de Fécamp,
près CoUeville, renferme des grottes sur lesquelles
on raconte plusieurs histoires de ce genre : on y
allait autrefois en procession y à certaine époque de
l'année , et la bannière du saint se trouvait toujours
retenue par la main invisible du démon familier dont
on voulait conjurer la puissance; l'eau bénite dont ou
inondait la grotte , et les pratiques religieuses n'ayant
aucun pouvoir sur l'ennemi y on prit le parti très
sage de le renfermer dans son antre , au moyen de
barreaux en fer et d'un mur fort épais.
Il existe , sur le versant de la côte de la Vierge ^
une énorme excavation nommée ie Trou à la mon^
noie y dans lequel une tradition , appuyée par une
vieille légende , prétend qu'il y a d'anciens trésors
enfouis. Un manuscrit ^ qu'on nous a communiqué ^
raconte des fouilles faites en ce lieft, par plusieurs
habitants du pays.
Le fond des Vcaxx , situé vers Yport ^ doit aussi
renfermer des canons remplis d'or et d'argent. On
connaît les légendes mystérieuses qui environnent
( lo)
l'hennitagede Yattechrist^ les apparitions de nains
à saint Martin , les prodiges du géant Gargantua ,
cet être surnaturel des Gaulois, qui visitait souvent
les habitants de Veulettes , et leur a légué son
tombeau.
hes noms de Fenesi^ille y Finnemerville ^ Herme-
ville ^ Hermeval ^ Theunlle^ Faudrevîlle , SLunoncent
des lieux consacrés à Vénus et à Mars , à V Hermès
ou Mercure des Celtes , au dieu suprême des Ger-
mains : Teutj fVodau. Celui de Pierrefitte indique
des roches monumentales appropriées au culte drui-
dique. On a encore vu , de mémoire d'homme y
dans le village qui porte ce nom ^ deux dolmen ,
dont l'un sert maintenant de marche au calvaire
d'Étretat.
Les mots de penn (pics), cenn (sommets), tor
(élevé), rf/mn (hauteur) , /wag* (plaine) , c?«r(eau),
ar (sur) , moir (mer) , ail (haut) , qui entrent
dans la composition de certains noms modernes ,
tirent tous leur origine de la langue gallique primi-
tive.
L'arrivée des Romains eut du retentissement dans
toute la Gaule ; des peuples guerriers et libres sup-
portent difficilement l'idée de la servitude ; aussi
se liguèrent-ils aussitôt contre l'ennemi commun.
La Gaule-Belgique pouvait mettre sur pied trois cent
mille combattants , et les Calètes fournirent plusieurs
fois à la confédération dix mille guerriers , pris seu-
( " )
lement parmi les liommes capables de porter les
armes '.
On pense bien que Fëcamp j comme les autres
points du littoral qui étaient fort peuplés , dut
prendre la plus grande part à ce patriotique arme*
ment , qui ne lé céda qu'à la tactique et à la disci-
pline des armées romaines.
A cette époque y le nord de la Gaule commen-
çait à soitir de Tétat de barbarie des premiers âges.
Marseille^ colonie phocéenne , avait apporté avec
elle tous les arts de la Grèce y et en avait fait res-
sentir l'influence à ses voisins * ; de degré en degré, la
civilisation et l'industrie arrivaient vers le nord. Les
CalèleSj qui connaissaient déjà l'art de filer la laine
et d'en faire des tissus, avaient échangé leurs vête-
ments de peaux pour des saies y espèces de tuniques,
imitant assez bien nos blouses actuelles. Le sagum
était à raies et à carreaux ras, en été, et avec son
poil en hiver ^. Ils portaient des pantalons de la
même -étoffe, et de forts souliers en forme de brode-
quins. L'agriculture n'était pas restée en arrière du
mouvement général; ces peuples avaient inventé ,
dit Pline ^, la méthode d'engraisser la terre avec la
' De Bell, galL, lib. 2.
» Strabon , liv. 4.
^ Diodore de Sicile , liv. 5 , chap. 30.
4 Plin. , tom. \y pag. 366.
( «a )
terre elle-même , en se servant de marne qu'ils allaient
chercher, au moyen de puits, à des distances très pro-
fondes dans la terre. Aussi ne doit-on pas être
étonne de trouver, dans le pays de Caux, d'ancienne»
marnières remontant à l'époque gauloise ; beaucoup
ont été rebouchées, d'autres se sont affaissées en
laissant des fosses profondes à la surface du sol.
Le pays des Calètes et les environs de Fécamp
cultivaient déjà le lin; ce que blâmait beaucoup le
même auteur, en disant : « Pardonnons aux Egyp-
« tiens de cultiver le lin pour faire des voiles et in-
« troduire dans leur pays les produits de l'Inde et de
« l'Arabie; mais les Gaules, quel avantage peu vent-
« elles s'en promettre ? entourées d'un côté par des
(c montagnes qui ferment l'accès du rivage, de l'autre,
<c par un océan qui finit le monde. Cependant , les
a Calètes cultivent le lin '. »
Le chef d'escadre des Romains était loin de pré-
voir la splendeur maritime du Havre, l'avenir de
tous les ports de la Grande-Bretagne et de la Hol-
lande, encore plus avancés vers le nord. Il ne pensait
pas que les jours de la Rome éternelle étaient
comptés, que les temps, n'étaient pas éloignés où elle
serait réduite à la plus grande nullité politique , et
à vivre , au jour le jour , des subsides de cette Gaule
' Tom. Xm, lib. 19 , pag. 156.
( ï3)
barbare dont la fortune lui paraissait si digne de
pitie.
La nourriture des Gaulois devint aussi plus re-
frherchée : c'est eux qui ont inventé la cervoise ou
bière faite avec du grain , et qui se sont servis , les
premiers y de l'écume de cette boisson^ en guise de
levain , €e qui faisait que chez eux le pain était plus
léger qu'ailleurs ^. Les Calètes et leurs voisins avaient
aussi trouvé le moyen de faire le beurre , mets ex-
quis chez les barbares ^ dit Pline , et un de ceux qui
distinguent les riches d'avec la foule.
Le langage même s'était perfectionné , et les chefs
àe peuplade qui avaient connaissance des monnaies
étrangères eurent la fantaisie d'en faire exécuter par
des artistes grecs, représentant, d'un côté, leurs
effigies, comme dans les monnaies grecques, et, de
l'autre, des biges et des quadriges imitant les mé-
daillesromainesdu temps de la république. Quelques-
unes de ces médailles possèdent des légendes gau-
loises, rendues en lettres grecques. Nous en avons
vu en or et en bronze , trouvées dans les environs
de Fécamp , auxquelles on doit assigner une époque
assez voisine de la conquête; car , antérieurement, les
Belges se servaient d'anneaux en cuivre pour mon-
naie, et, après la conquête, les Gaulois soumis aux
■ Tom. X!, pag. 234.
( i4)
Romains n'avaient plus de chefs qui eussent droit
de battre monnaie à leurs effigies..
César , ayant perdu sa flotte au retour de sa pre-
mière expédition dans l'île des Bretons , place so»
armée en quartiers d'hiver dans les ports de la Gaule-
Belgique , et ordonne à ses soldats de construire de
nouveaux navires; il part ensuite pour l'Italie. La
nouvelle flotte ayant été réunie, dès le printemps
suivant 9 à l'entrée de la Seine % il est probable qu'il y
eut beaucoup de navires contruits dans le pays des
Calètes et à Fécamp même, le port le plus voisin de
l'embouchure du fleuve. César nous apprend, ensuite,
qu'étant de retour dans la Gaule-Belgique, il visita les
lieux x»ù ses troupes avaient passé l'hiver, en félici-
tant ses soldats sur leur travail *. Nous n'avons, dans
l'histoire, aucun fait qui prouve, d'une manière plus
authentique, que ce général ait visité Fécamp et les
autres pofts de la côte; mais celui-ci paraît concluant;
il est même probable que ce fut à l'occasion de ce
grand armement , et pour quelques services rendus
par les Calètes^ que leur capitale reçut, peu après ^
le nom de Juliobowa.
On pense bien que Rétablissement des Romains
dans Iç pays, dut changer laJace des choses et donner
• Strahon , liv. 4.
> Caes. , De Bell. gall. , !ib. 5.
( >5)
une nouvelle physionomie à ces contrées presque
barbares.
Tout en respectant les croyances y les usages des
peuples qu'ils voulaient accoutumer au joug, les
Romains commençaient par leur insinuer leurs goûts
sous les formes les plus séduisantes : leurs jeux , leurs
divertissements, étaient incessamment produits de*
vaut la foule , qui , d'abord arrêtée par un motif de
curiosité , finissait par y prendre part et s'y attacher
avec fureur. Les peuples une fois ébranlés , la con-
fiance s'établissait , on construisait des places publi-
quesy des habitations commodes ^ des portiques pour
se mettre à couvert , des temples et des théâtres ; on
offrait aux vaincus des balnéaires et toutes les com-
modités de la vie , comme un effet de la civilisation ,
tandis qu'on avait pour but de les amollir par le
goût du bien-être et des frivolités ' . C'est à cette
politique que la capitale des Calètes , JuliobonUy dut
tous ses établissements publics, et le théâtre dont
on vient de découvrir les restes; théâtre immense,
en plein air, oii tout une nation pouvait prendre
place , et oublier sa servitude.
Le commerce vint aussi à l'aide des Romains aus-
sitôt qu'ils eurent subjugué la Bretagne : des cargai*
sons de blé , de bétail, d'or, d'argent, de plomb , de
* Tacite , Vie d'Jgricola.
( i6)
chiens de chasse , et d'esclaves même , arrivaient de
ce pays dans les ports du pays de Caux y d'où on les
transportait pa Italie , par la Seine ^ le Douas j la
Saône et le Rhône ^. On y joignait les denrées du
pays , comme le lin , les cuirs , la laine des troupeaux j
le cochon salé; et l'on recevait , en échange , par la
même voie ^ tous les produits d'une civilisation plus
avancée.
Le progrès même fut tel , que l'étude des langues
étrangères devint à la mode ; les contrats se rédi-
gèrent en grec 9 et les communautés des villes , dont
l'industrie augmentait les populations , entretinrent
des professeurs d'éloquence et des médecins.
De la capitale des Calètes , les connaissances ne
tardèrent pas à se propager dans toutes les vallées ou
il y avait agglomération d'habitants; l'impulsion
donnée 9 tous se mettent à l'œuvre : le Romain ,
devenu colon y se construit des établissements agri-
coles à la manière de son pays; le Gaulois aisé, de-
venu imitateur y change sa cabane en bois pour une
maison solide; il y ajoute des bergeries pour ses
troupeaux y qui, jusque là^ étaient demeurés errants
autour de son habitation y ou renfermés dans des en-
ceintes palissadées. l^a ville et la vallée de Fécamp
présentent beaucoup de traces de ces établissements.
Nous croyons ne pas sortir de notre sujet eu citant
■ Strabon, liv. 4.
( •?)
les lieux oit nous avons trouvé quelques-uns de ces
éloquents témoins de notre histoire.
£n creusant la terre j pour élever une maison
dans le quartier de la Vicomte , on a découvert ,
à lo pieds de profondeur , des murailles épaisses,
reliées de briques romaines , des fragments de vases
en poterie rouge et grise y et des ceintres de portes
encore debout.
Dans une propriété de M. Ebran , on a rencontré ,
parmi les décombres , un vase en terre grisâtre ^ à
panse arrondie et à long cou , comme les lacryma-
toires antiques.
Nous avons recueilli une meule romaine en pou-
dingue y divers instruments en cuivre provenant des
jardins de la côte de Rénéville, des médailles impé-
riales et des tuileaux antiques y trouvés sous les fon-
dations des anciennes maisons du bail.
Enfin y toute la vallée de Fécamp a eu ses villa
pendant l'époque gallo-romaine ; on en remarque de
nombreux vestiges dans le fond d'Orival et dans les
lieux voisins y où l'on nous a fait voir un reste de
four, trouvé rempli de tuiles à rebords qui n'avaient
pas subi l'action du feu , comme si des événements
subits avaient empêché les ouvriers de dolmer suite
à leur travail.
De belles urnes , en verre, ont été récemment
découvertes à Toussaint, dans la propriété de M. de
Franqueville. Ajoutons que les villages de Boudeville,
( i8)
Ganzeville, Criquebœuf et Yport, très rapprochés
de Fécamp, renferment, sur leurs territoires, de
nombreuses traces d'habitations antiques.
Pendant que ces étabUssements se consoUdaient,
les Romains entretenaient une flotte dans la Seine '.
Il y avait garnison romaine à Rouen , dans la capi-
tale des Calètes, et dans tous les ports du même pays.
Les conquérants , ayant ensuite besoin de grandes
voies pour communiquer sur tous les points de leur
vaste empire, il en fut tracé une de Rothomagus
(Rouen) à Caracotinum (Harfleur) , en passant par
Juliobona , et une autre , marquée sur l'itinéraire
d'Antonin, allant de la capitale des Calètes à Gesso-
riacum (Boulogne) , passant par Gra\finum , la ville
d'Eu, Saint-Marc-la-Cauchie , Abbeville et Etrée-
Cauchie. De Lillebonne à Grainville, on en retrouve
les traces à la Trinité-du-Mont^ à Faucille , Norman--
ville ^ Beuzeville4a-Guérard et à Grainville même,
près du Catelier, qui devait être le point mihtaire de
la station. Cette route avait des embranchements
sur toutes les grandes vallées de Tocéan. Celle d'E-
trétat s'appelle encore le chemin de Rome^ et a
donné son nom à cette petite localité : aStrata vian.
Ce chemin se divisait, aux environs de Goderville, en
deux embranchements, dont le plus septentrional
tendait vers Fécamp. Les chartes du xii* siècle font
» Notifia Dign. imp.
( '9)
mention de la chaussée allant de cette ville à Lille-
bonne '. Les vallées de Saint-Pierre , des Dalles et de
Yeulettes possédaient aussi leurs chemins de com-
munication avec la grande voie romaine.
Il existait y en outre, une autre ligne venant de
Caracotinum à Fécamp en longeant le littoral , dont
elle s'approchait ou s'éloignait selon les besoins que
Ton avait de communiquer avec les grandes vallées.
A la faveur de ce réseau de voies commodes qui
remplaçaient les sentiers et les routes cavées des
Gaulois, les Romains s'étaient procuré des moyens
prompts de se porter sur toutes les parties du ter-
ritoire soumis à leurs armes.
La paix, qui durait depuis deux cents ans environ
dans les Gaules, au rapport de Tacite, fut d'abord
troublée par les guerres civiles , et , plus tard , par les
invasions successives des peuplades germaniques , qui
franchissaient le Rhin et faisaient des excursions dans
la Gaule-Belgique. Nous n'avons pas à nous occuper
de ces dernières ; les ennemis qui portèrent le plus
grand préjudice à nos pays septentrionaux furent les
Saxons qui , venant du fond de l'Allemagne , s'étaient
fixés dans la Zélande et la Hollande, d'où ils partaient
sur de petites flottilles , pour ravager nos cotes. Ils
avaient l'habitude de stationner dans les rivières,
dans des îles et à l'embouchure des vallées ; là, plaçant
■ Neustria pia. — L'abbé Bellay.
leurs >bateaux à sec, ils s'introduisaient dans Tinte-
rieur du pays-, et mettaient tout à feu et à sang.
Pour s'opposera ces invasions devenues fréquentes,
les Romains réunirent leurs navires de la Seine*
à ceux des autres ports de la Belgique , et formèrent
à Boulogne une flotte , dont ils donnèrent le com-
mandement à Asclépiodote ji^réieX, du prétoire ; déjà
CarausiuSy Gaulois de naissance, avait commandé
une pareille expédition; et, comme elle n'avait pas
porté plus de remède au mal que ne le fera le nouvel
armement, on accusa ce général d'avoir traité pour
de l'argent avec l'ennemi qu'il aurait pu détruira.
Le mal s'aggravant de jour en jour, et les légions
romaines étant employées sur le Rhin , les pirates
se présentèrent en force dans la Seine; la ville de
Juliobona fut détruite de fond en comble, ainsi
qu'une partie des monuments publics et privés qui
existaient sur le littoral. De là , s'avançant jusqu'à
Rouen , ils renversèrent la première église cathédrale
construite par saint Nicaise , et causèrent tant de dé-
sordres et de vexations, que le siège épiscopal fut
vacant durant plusieurs années, jusqu'à l'arrivée de
saint Mellon ^.
La torche incendiaire paraît être le moyen de
destruction dont se servaient ces barbares , car toutes
' Eumen , Panegyricus , Constant.
» Gall. ck. : « Eccles, rotk. »
( =»• )
les maisons gallo-romaines ont été évidemment dé-
truites par le feu , si l'on en juge par les amas de
charbons et 4es objets brûlés de toute nature qui
existent sur leurs débris.
L'empereur Julien, pour châtier ces pirates, prend
le parti de les. attaquer dans le lieu même qui leur
servait de repaire ; il se dirige , à cet effet , dans
les environs de l'Escatit, et envoie en même temps
Séi^ère pour commander les troupes le long de la
rive maritime, depuis la Seine jusqu'à Boulogne \
Ces cotes avaient pris le nom de rive saxonique,
» ripus scLXonicum » , à cause des irruptions conti-
nuelles de ces peuples^. On réédifia en toute hâte
le château de Juliobona. Les débris des monuments
qui avaient été détruits : chapiteaux de colonnes , bas-
reUefsy pierres sépulcrales, statues mutilées, tout
fut jeté pêle-mêle pour servir de fondation à la nou-
velle muraille militaire. Le théâtre lui-même devint
une espèce de citadelle, au moyeu de légers travaux
et de la fermeture de ses issues, que nous avons
trouvées closes avec d'énormes blocs en pierre
brute* On construisit , sur l'emplacement de l'or-
chestre , un balnéaire ; on y creusa un puits profond ,
pour les besoins des hommes chargés de défendre
cette forteresse improvisée.
* Amuiian. Marccll. , liv. 27 , ch. 7.
* No t. Dign. imp.
( ^^ )
A défaut de troupes suffisantes , les Gaulois furient
organisés en milice chargée de la garde des côtés;
des tours en terre furent élevées pour protéger les
gorges et servir de corps-de-garde à leurs défenseurs;
on fit de nombreux camps retranchés sur les caps es-
carpés qui s'avançaient dans la mer, dominaient les
fleuves et les vallées. On les entoura de fossés et de
remparts gazonnés, munis de palissades '.
Tous ces travaux, établissons la direction de quel-
ques soldats romains, avaient pour but d'empêcher
les pirates de pénétrer dans l'intérieur du pays, et
d'offrir un abri sûr aux populations qui s'y reti-
raient en présence de l'ennemi , avec leurs animaux
domestiques et ce qu'elles possédaient de plus pré-
cieux. Le terrain ayant imposé ses formes capri-
cieuses à la plupart de ces camps, il a été impossible
de se conformer aux règles de la castramétation
prescrites par Higin et Fégèce; aussi doit-on consi-
dérer les travaux militaires exécutés sur la rive saxo-
nique comme des camps de nécessité.
Ces fortifications furent multipliées sur le littoral
de l'Océan, qui a pris depuis le nom de côtes de la
Manche, et sur les bords des rivières et des fleuves
qui se jettent dans (iétte mer ; on les remarque à San-
douville, Fécamp, Veulettes, Veules" , Limes , près
* Beda , Hist. Eccl, angl.
^ W est curieux de penser que les noms de f^enies et f^eulettes
(a3)
Dieppe^ Boulogne et autres lieux. Ou pourra juger de
la population du territoire de Fécamp , par Timpor-
tance des retranchements qui y furent alors exécutés.
D^abord, pour garder la gauche de la vallée , on
couronna d'un rempart le mamelon qui forme la
pointe de la côte de Béneville ; on exécuta le même
travai] à l'extrémité de la côte opposée , nommée
le cap Fagnet. Pour isoler ce cap, les Gallo-Romains
élevèrent un rempart en terre , allant du bord de la
falaise à la crête de la côte qui domine la vallée ; de
\kj pour ôter tout accès à l'ennemi , ils firent courir,
dans la déclivité de la montagne, un retranchement
prolongé jusqu'à l'endroit où elle devient abrupte '.
Ce camp était la contre-partie de celui de Yeulettes ,
connu sous le nom de Catelier.
Après avoir couvert l'entrée du port , on chercha
dans la vallée une montagne susceptible de recevoir
un camp-refuge ^. Justement, le plateau qui forme
un angle entre les vallées de Yalmont et de Ganze-
ville , se trouva réunir toutes les conditions désira-
( VetuXus , selon d'anciennes chartes ) Tiennent de ces camps ,
« cetera castra » , et celui de Limes , de mot latin a limes » , forte-
resse sar les frontières.
■ Noos Terrons plas tard ce camp occupé et fortifié par la ligue.
> Je donne cette opinion comme un fait constant, que j'ai cherché
à établir dans mon mémoire sur les monuments militaires an-
tiques situés sur les bords de la Seine et de la rÎTe saxonique ,
inséré dans le 9e volume des Mémoires de la Société des antiquaires
de Normandie.
(a4)
bles. Les cotes en sont escarpées sur toutes les faces ,
et peuvent être facilement défendues au moyen d'un
parapet; le quatrième côté, seul, tient à la cam-
pagne par un espace fort étroit. Comme c'était le
seul point accessible du camp, on le munit d'un rem-
part de trente pieds de hauteur, garni de palissades,
au pied duquel régnait un fossé dans toute sa lon-
gueur. Ce camp curieux, nommé Canada j peut-être
de « castra Danorum » , camp des Danois , ou du
temps des Danois, car les auteurs du moyen-âge
n'ont entrevu que ces peuples dans toutes les hordes
envahissantes qui avaient ravagé nos côtes ; ce camp
curieux , disons-nous , présente encore , dans son en-
ceinte, les tracés du prétoire, des lieux d'approvision-
nement, et du corps-de-garde d'entrée. Le centre,
coupé de fossés, au milieu desquels existaient des
mares, recevait, sans doute, dans ses enceintes ga-
zonnées, de la cavalerie et des animaux domestiques.
Le Canada, cette page la plus ancienne de l'his^
toire de Fécamp, faisait modestement partie, avant
la révolution y de la ferme de l'Épinai, appartenant
aux moines de l'abbaye.
Hâtons-nous de dire que tous ces préparatifs de
défense furent inutiles; les Germains faisant irrup-
tion de toutes parts dans la Gaule , l'empire romain
n'y fut bientôt plus représenté que par quelques
soldats mercenaires ou étrangers renfermés dans
leurs palissades et disséminés sur tous les points du
(a5)
sol. Les Belges virent rentrer dans leurs ports les
dernières légions qui évacuaient la Grande-Bretagne
pour essayer de défendre les passages du Rhin. Les
Calètes et les riverains d'outre-Seine , abandonnés à
leurs propres forces, voyant la destruction géné-
rale qui planait sur leurs cités, où nuls monuments
publics et privés n'étaient restés debout , prennent
le parti de traiter avec les Saxons et de leur aban-
donner des terres considérables. L'histoire a quali-
fié ce traité de ligue, ou république armoricaine *.
La majeure partie de ces pirates se fixèrent
dans la Basse-Normandie; nous en retrouvons la
trace dans les noms de Saxons de Bayeux (Sennes-
Bessins ) long-temps reproduits dans nos historiens
ecclésiastiques des premiers siècles^, dans plusieurs
actes authentiques jusqu'à l'époque de la conquête de
l'Angleterre. La ville de Caen et beaucoup d'autres lo-
calités doivent leur existence à des colonies saxonnes.
Dans le pays de Caux, nous avons Sassetotj Senne'
ville , Sanvic , « vicus ou villa Saxonum >» ; Etainheus,
^heus^ habitation, astainri de pierre, qui ont la
même origine. Les mots Harfleur (Harfleot), Hon-
■ « Propria quadam respublica constituta. » Zozim. , lib. 6. — Ar-
moriques^ en langue gallique , habitants des bords de la mer i^^ary»
sur y a mor » ou « motr » mer.
* a Sed ille {FarofAus) dolose per noctem super Saxones Bajo-
« cassinos inmens , maximam exinde partem interfecit. » — Greg.
Tur. , iib. 5.
(a6)
fleur (Honnefleu) , « Ham » , habitation , village , pro-
viennent de l'idiome du même peuple. Ce dernier se
trouve dans Oistreham^ village à l'ouest de l'em-
bouchure de l'Orne, dans Heidram (Heider-ham)^
village entouré de plaines stériles. Heur et hoc étaient
les noms donnés aux petits caps qui s'avancent dansr
la mer.
Soit défaut de chefs intelligents et forts, soit l'ar-
rivée de nouveaux conquérants, l'invasion saxonne
dans le pays de Caux ne tarda pas à s'effacer et à
se fondre parmi la population indigène; Chlotwig,
ou Clovis, à la tête des bandes germaniques, ayant
tout conquis : pouvoir, territoire et nationalité.
Pendant que toutes ces choses se passaient, que
la civilisation romaine fuyait devant la barbarie
d'outre-Rhin , le christianisme s'introduisait paisible-
ment dans les Gaules ; Rome , vaincue par le glaive
du Frank , devait à son tour vaincre le Frank pat la
persuasion. La nouvelle croyance, forte de la pro-
tection qu'elle accorde au faible, de l'égalité qu'elle
prêche à l'esclave , des récompenses qu'elle promet
a qui sait souffrir, avait jeté de profondes racines
dans l'ancienne société, car le désordre des temps
avait créé beaucoup d'esclaves , de souffrants et
de faibles. Après l'arrivée de saint Denis et de
saint Taurin dans les Gaules, une foule de pré-
dicateurs se répandirent sur tous les points où il y
avait des misères à consoler. Leur vie austère , leur
V ^7 ;
sagesse , et les grands exemples qu'ils donnaient à la
multitude, contribuèrent , sans doute, au triomphe
de la nouvelle doctrine. Le romain Bozo fiit envoyé
avec ses compagnons dans le pays des Calètes , qu'il
trouva livré à toutes les superstitions du paga-
nisme. Ces pieux missionnaires ayant fait une abon-
dante moisson de néophites, résolurent de rester
dans la province pour diriger leur jeunelroupeau qui
s'augmentait de jour en jour. Bozo jeta les yeux sur
la vallée de Fécamp, qu'il trouva belle, riche de
gras pâturages , d'eaux limpides et de bois giboyeux.
Après quelques années de séjour dans le pays, il s'y
maria à une jeune gauloise, nommée Merca^ qu'il
avait convertie ' .
£n arrivant dans un pays en ruines et presque
abandonné, le nouvel apôtre fut obligé de construire
quelques maisons dans un lieu nommé Bolera; cet
établissement , situé à une lieue de la mer ^ , fut le
premier que revit la vallée de Fécamp.
Bozo , comme tous les missionnaires de l'époque ,
eut à lutter contre l'habitude invétérée où étaient
les païens d'adresser leurs hommages, leurs prières
mêmes , aux arbres et aux fontaines , reste de véné-
ration appartenant , avons-nous vu , à la religion
druidique. En effet , l'antiquité croyait qu'une divi-
■ Lib. Fond. fisc.
' Cartulaire de Fécamp.
(a8)
nité tonique présidait aux fontaines , et donnait à
leurs eaux les vertus curatives qu'on ne pouvait ob-
tenir de la science des médecins. Avec une pai'eille
croyance 9 il était difficile d'en éloigner les hommes
accablés de souffrances ; c'était déjà cruel que de
chercher à détruire leurs illusions. Bozo , mission-
naire adroit, s'empara de ce zèle religieux, en fai-
sant renfermer un tronc d'arbre consacré sous un»
tumulus ou espèce d'autel , qu'il plaça sous l'invo-
cation de la Sainte-Trinité. Cet oratoire fut recou-
vert de planches et de branches d'arbres coupées
dans la forêt; telle fut Forigine du célèbre monas-
tère de Fécamp. Comme ce lieu était voisin de la
fontaine miraculeuse , placée plus tard sons le patro^^
nage du précieux Sang , il partagea avec elle le res-
pect et les adorations de la foule.
Chlotwig s'étant emparé du nord de la Gaule,,
la ligue armoricaine est dissoute , les garnisons ro-
maines capitulent , se rendent et remettent les placesr
que l'empire possédait encore vers la mer ^ Ainsi,
la vallée de Fécamp se trouva définitivement soumise
aux conquérants.
Les terrains abandonnés , faute de bras pour le»
cultiver, furent distribués aux chefs de l'armée vic-
torieuse ; les villa gallo-romaines , détruites par les"
* Procop. , lib. 1 : « />e Bell. Goth. »
(»9)
Saxons ^ ne se relevèrent plus ; on se servit de leurs
décombres pour bâtir de nouvelles demeures; on
glana sur les ruines, et les fresques en lambeaux, les
modillons rompus , les vases brisés , les tuiles , les
briques, les débris de murailles, tout, gisant sur de
superbes mosaïques ^ , fut recouvert de terre ; et des
arbres séculaires ont élevé leurs cimes sur les toits
antiques, sur les nobles débris de quatre siècles de
civilisation.
Les chefs franks qui eurent des terres, les reçu-
rent, d'abord, à titre de bénéfice viager, ce qui les
obligeait au service militaire; les Franks d'un ordre
inférieur obtinrent des manoirs ou viUa^ qui rele-
vaient de ceuxdeleui*s chefs; acheminement à cette
féodalité que nous verrons s'organiser et s'étendre
dans les siècles suivants.
Ici , pour éclaircir l'histoire politique de Fécamp ,
nous aurons besoin de recourir aux chroniques mona-
cales, aux traditions populaires. Je sais que le merveil-
leux dont elles sont farcies les a souvent fait rejeter au
rang des fables , par un grand nombre de critiques.
' Celle qae l'on vient de découvrir dans la forêt de Brotonne,
peut donner une idée des villa de Tëpoque , et de Part chez les
Gallo-Romains. Le centre représente Apollon jouant de la lyre. Il
est entouré de huit médaillons : ceux des angles encadrent des
bustes couronnés d'épis , et ceux des côtés , des lions lancés au
pas de course; le tout est ceint de cordons en torsades, et d'une
grecque de la pins grande élégance.
(3o)
Sans doute il y a beaucoup d'histoires apocriphes
dans ces temps reculés , où rien n'était écrit ,
où l'on était obligé , pour consigner quelques faits ,
d'avoir recours aux souvenirs toujours embellis par
l'imaginatiou ; mais il y avait un fond de vérité dans
tous ces récits, pour tout ce qui était des descrip-
tions locales, des événements et des hommes héros
de ces faits merveilleux. En rejetant tout impitoya-
blement, comment connaîtrions-nous le passé, sur-
tout dans les petites localités , dont l'existence n'est
qu'un point imperceptible dans l'histoire générale?
Nous n'aurions, à coup sûr, aucunes données. Voilà
où nous mènerait un pédant et dédaigneux scepti-
cisme , s'il nous était défendu de puiser avec discer-
nement dans les sources ouvertes au jugement et à
la critique des érudits.
Suivant la chronique de l'abbaye de Fécamp, le
territoire de cette ville, encore au berceau, fut
donné à un comte de race tudesque , nommé Ans-
kise ou Anségise ; cet étranger , qui était gouverneur
du pays de Caux , faisait ordinairement sa résidence
à Fécamp, ce qui porte à croire que cette ville, toute
gallo-franke, avait succédé à la suprématie de Julio-
bona , la romaine ' .
Vers le même temps régnait une grande ferveur
« Neustria pia ; lib. Fondât, fisc.
(3, )
religieuse dans les Gaules. Âpres avoir déttoiit tous
les moauments destinés au culte j les Franks y con-
vertis, faisant quelquefois trêve à la vie barbare,
surtout dans leur vieillesse , ou aux époques de ma-
ladies , crurent qu'ils ne pouvaient mieux faire , pour
obtenir le pardon de leurs fautes, que de construire
de nouvelles églises et doter des qionastères. La
société romaine était dispersée , et avait emporté avec
elle le dépôt précieux de toutes les connaissances
humaines. Le Frank dominait partout parla force;
le Romain, comme l'appelait son vainqueur, domi-
nait par l'intelligence et le savoir, et, lorsqu'il n'y eut
plus rien à conquérir, qu'on n'eut besoin que de sou-
mission et d'organisation sociale , le gouvernement
devint pour ainsi dire théocratique. Les peuples ha-
rassés , n'espérant plus qu'en Dieu , s'étaient jetés
dans les bras de leurs évêques, et ceux-ci dirent
aux rois franks : </ Accordez-nous protection , et nous
vous garantissons la fidélité des peuples , car notre
religion promet aide à toutes les puissances de la
terre. » L'accord ayant été fait , les hommes de
science , naguère dispersés , se réunirent ; de
grands établissements se formèrent , et les couvents
devinrent une pépinière d'hommes de talent et
d'indépendance.
Une abbaye, comme l'a fortjudicieusement remar-
qué l'abbé Fleuri , était l'ancien domaine d'un Gallo-
Romain puissant ; l'architecture de l'édifice était sur
(32)
le modèle d'une ancienne i^illa ; l'abbé était le maître,
les moines ses affranchis , qui cultivaient les arts et
les sciences. A l'abri des murailles silencieuses des
cloîtres, ces hommes, que dévorait la soif de l'étude,
pouvaient, entre eux, tout penser et tout dire,
continuer l'art grec et romain ; traiter de hautes
questions de n^rale et de philosophie ; nous trans-
mettre les découvertes , les sciences , les arts , la
littérature des anciens, trésors précieux qui auraient
disparu dans la société barbare.
« La cour théocratique , dit Chateaubriand ' ,
« donnait le mouvement à la société universelle : de
(c même que les fidèles étaient partout, l'Eglise était
<c en tous lieux. Sa hiérarchie, qui commençait à
a l'évêqfie et remontait au souverain pontife , des-
« cendait au dernier clerc de la paroisse, à travers
« le prêtre, le diacre, le sous-diacre, le curé et le
« vicaire. En dehors du clergé séculier, était le clergé
(c régulier; milice immense qui, par ses consti-
« tutions, embrassait tous les accidents et tous les
« besoins de la société laïque ; il y avait des ecclé-
(c siastiques et des moines pour toutes les espèces
<c d'enseignements et de souffrances Des commu-
(c nautés de femmes remplissaient, envers les femmes,
«les mêmes devoirs; puis venait la solitude des
' Études historiques f tom. III, p. 270.
( 33)
« cloîtres pour les grandes études et les grandes pas*
ce sions. On conçoit qu'un système religieux , ainsi
a lié à riiumanité , devait être Tordre social même. »
Clilother (Clotaire) çt sa mère Chlotilde, Hildebert,
sont cités au nombre des princes de la première race
qui se distinguèrent le plus dans ce genre de muni-
ficence toute royale. On leur doit, dans la Neustrie ,
les monastères de Saint - Ouen de Rouen , des
AnAdis , de Pentalle , Saint- Es^roult , Saint-- Vigor
et Saint-Marcouf.
Les seigneurs franks suivirent, de toutes parts,
l'exemple du chef, et Anségise, ayant découvert , en
chassant dans les bois de Fécamp, l'humble oratoire
élevé parBozOy prit la résolution de le remplacer
par un édifice plus digne du culte auquel il était
destiné. Jusqu'ici , rien de plus naturel ; mais les
légendes racontent que ce lieu lui fut indiqué par un
cerf blanc, poursuivi par ses chiens, lequel s'arrêta
près de cette chapelle, fit face aux chasseurs, sans
que ceux-ci, ni leut*s chiens, pussent s'en approcher.
Elles ajoutent qu'Anségise, surpris de cette nou-
veauté, mit pied à terre pour étudier les mouve-
ments du cerf, et que. cet animal ayant fait à petits
pas un cercle autour du lieu où il s'était arrêté,
comme pour tracer les fondements d'un édifice, dis-
parut aussitôt à tous les yeux ^
— ■ " - —- ^ - ■ ■
" (34)
Ce qui resta de tout ceci j fut le projet d'Ansë-
gise , projet que la mort l'empêcha de mettre à
exécution. Il eut à peine le temps de faire faire à la
chapelle quelques travaux, qui n'en retardèrent que
momentanément la destruction; aussi les historiens
de l'abbaye disent - Us que ce lieu fut bientôt re-
couvert de ronces, d'épines, et devint le repaire
des animaux de la forêt.
Cet état de choses dura assez long-temps , et tous
les hommages étaient revenus à la fontaine consa-
crée; on avait même perdu jusqu'au souvenir de
l'oratoire et de la vénération dont il avait été l'objet.
Nous ignorons quels furent les successeurs immé-
diats d'Anségise , dans le gouvernement du pays de
Caux ; tant qu'ils ne s'occupèrent pas de pieuses
fondations, l'histoire ecclésiastique rest£^ muette à
leur égard; ainsi se passa la fin du vi* siècle.
Vers l'an 620, naquit à Fécamp , d'une famille
illustre parmi les Franks, un comte du nom de Wàr
nenck. C'était sans doute un descendant d'Anségise ,
puisqu'il possédait les grands biens de ce dernier j
stir le territoire de Fécamp, et un château fort, situé
probablement sur le terrain occupé, plus tard, par
celui des ducs normands. Wanenck, homme de
guerre, comme tous les individus de race teâto-
nique , fut obligé de prendre part à plusieurs expé-
ditions où il se distingua , et parvint aux premiers
emplois miUtaires. Ce fut à son retour dans le pays
;(35)
des Calètes ^ qu il fit la rencontre d'Audeonus (Ouen),
et de Yandregesilus (Yandrille); Tun, gallo-romain
de naissance; l'autre, descendant , par la princesse
Dode, d'un aïeul de Karle-Martd. Tous deux
avaient été élevés à la cour de Dagobert et de
Ghlotwig II j qui accueillaient avec empressement
tous les honmies de mérite, sans distinction de race.
Oueo y Yandrille , Wanenck , hommes supérieurs y
ne tardèrent pas à se comprendre et à se lier,
dans le but commun de l'affranchissement moral
des peuples. Le premier, évéque de Rouen, fai-
sait tous ses efforts pour répandre, et affermir le
christianisme d^ins son diocèse , en favorisant la
création des monastères; le second, qui en avait
déjà établi plusieurs en Neustrie , continuait sa mis-
sion dans le pays des Calètes ^ où il désirait fonder de
nouveaux établissements ; la rencontre de Wanenck ,
seigneur frank, possesseur de grandes terres , devait
être d'un favorable augure pour la réussite de ses
projets ; aussi ne tarda-t-il pas à en recueillir les fruits.
Ërkinoald , maire du palais , venait de donner à
Yandrille sa terre de Fontenelle, voisine de la Seine;
Wanenck y- ajouta d'autres propriétés , de l'argent
et des hommes, pour y construire les bâtiments d'un
monastère; et, soit ferveur religieuse, soit dégoût
du monde , il témoigna bientôt le désir de se faire
religieux lui-même , à Fontenelle ; mais , cédant aax
conseils de ses amis, il ne persista pas dans son
(36)
projet, se maria, au contraire; eut un fils nommé
Désire^ qu'il consacra tout jeune à Dieu, dans ce
monastère, pour assurer aux cénobites les grands
biens qu'il leur avait donnés.
Malgré ses préoccupations religieuses , Wanenck,
personnage éminent , l'un des fidèles du prince , est
tenu, envers son souverain, à des devoirs qu'il ne
néglige pas; ses voyages sont fréquents , et il devient
un des conseillers intimes de la veuve de Chlother 11^
la saxonne Batliilde , qui gouvernait la Neustrie pen-
dant la minorité de son fils, Chlother III. Il est chéri
du jeune roi, et c'est à ses sages conseils que sont
dûs les actes les plus marquants de son règne.
Le prince , ne pouvant récompenser avec trop
d'éclat les services de son conseiller , lui donna le
gouvernement du pays des Calètes, mpagus cale^
tensis » , qui était une des premières charges de la
couronne. En ce temps-là , le royaume de Neustrie
« Noester-rike yij occupé par les Franks occiden-
taux, était à peine la sixième partie de 4a France
actuelle , et l'on pense bien que le pays de Caux, for-
mait une portion considérable de ce petit royaume;
c'était d'ailleurs la seule province où il y eût une
rive maritime, des ports, un fleuve et des forets;
aussi les rois franks se plaisaient-ils à la visiter.
Us y possédaient plusieurs habitations, appelées
palais selon le langage des cours, et qui n'étaient
en réalité, que de modestes maisons, des fermes
(3?)
même , qae des serviteors de la couronne faisaient
Taloir pour le compte du prince. Ces fermes , et les
abbayes naissantes, servaient de gîte à nos rois,
dont la vie aventureuse n'était alors qu'un long et
perpétuel voyage.
Le goût de la chasse et de la. pêche contribuait
beaucoup à attirer les fils de Merowig dans le pays
de Gaux;. aussi n'en n'avaient-ils ^mais confié le
gouvernement qu'à leurs plus intimes favoris.
Les peuples de la Gaule-Belgique étaient alors
eictrémement barbares,. farouches , grossiers et adon-
nés à toutes les superstitions du paganisme. Saint
Valeri, cet autre missionnn^ire romain, disciple de
Cotomban , trouve ceux des bords de la Sonune
adorant de vieux troues d'arbres qu'ils couvrent
d'images de leurs dieux. Le saint, ayant renversé
ces idoles, se soustrait avec peine à la vengeance des
habitants des campagnes. Toutes les vallées du pays
des.Csdètes étant infectées des mêmes superstitions ,
Wanencfc', pour réformer ce mal , se sert des prédi-
cations de Yandregesilus , qui vient à Fécamp et
dans tes environs. Partout la foule des uéophites se
presse sur ses pas,
A cette époque , tous les restes des maisons gallo-
romaines et des temples, disparurent du sol ^ comme
entachés de paganisme, et Wanenck, pour embellir
sa résidence , devenue la capitale du pays de Caux ,
agrandit la demeure de ses pères, et construisit.
( 38 )
clans la ville de Fécamp, pliÈrsieurs édifices et; maisons
particulières pour y loger les gens de sa suite et des
Franks de second ordre, qde la présence du chef de
la province attirait en ce lieu.
Bien qu'ayant contribué à la confection de toutes
les maisons religieuses qui s'élevaient dans le pays
des Calètes, ;Wanenck eut encore la fantaisie dé
créer, à lui seul, un établissement durable dans le
lieu qu'il habitait. On dit qu'une vision de sainte
Eulalie , à laquelle il portait une dévotion toute par-
ticulière, lui avait inspiré ce désir '. Quoicpi'il en
soit, il fit part de cette idée à saint Ouen et à sarnt
Vaudrille, qui l'approuvèrent beaucoup^ et Tteiiga-
gèrent à se présenter devant le roï pour obtenu* la
permission de construire un monastère à Fécamp; et^
pour qu'aucune indécision ne vienne ralentir son
zèle , ces deux saints lui proposent de l'accompagner
jusqu'à la cour, où ils sont parfaitement accueillis
par le roi et la reine , qui les comblent de présents ,
et leur accordent là permission qu'ils étaient 'ventïs
solliciter.
Chlother étant alors dans son palais j ou* femie
d'Arlaune (Brotonne), Wanenck ne tarda pasrà
rentrer à Fécamp; et, comme il s'occupait de choisir
le lieu où devait être construit son monastère y une
BolUmdus , chap. a.
(39)
nouvelle vision de samte EulaUe lui indiqua l'endroit
où avait existé l'oratoire d'Anségise ' .
. Nous devons faire rranarquer ici , comme nous le
démontrerons plus tard , que la légende du précieux
Sang n'existait pas alors , car, à coup sûr, au bout
d'un siècle seulement, la tradition n'en aurait pas
été tellement perdue , que Wanenck l'ignorât et ne
s'empressât pas de choisir un lieu consacré par une
relique â pieuse et si sainte.
. Sur ces entrefaites , le gouverneur du pays de
Caux fut atteint d'une maladie si grave, qu'elle le
conduisit aux portes du tombeau. Ouen et Van-
drille se rendirent à Fécamp, pour lui donner les
secours et les consolations qu'exigeait sa position '.
CUother , Jui-méme, s'empressa de venir le voir avec
quelques fid^es de sa suite, et le trouva presque
entièrement rétabli. Le roi chassa dans les bois de
Fécamp , visita le lieu destiné à recevoir les fonda-
tions de l'édifice projeté, en vérifia les plans, et dit
à Wanènck, en le quittant : « Persévérez dans votre
projet ^ , prenez des champs de mon domaine royal,
«campi fisci regalis»; ajoutez-y des vôtres, et bâ-
tissez le temple que vous voulez élever au sôuyei^ain
Sauveur de toutes choses. »
! 'M ■>
' Lib. Fond. fisc.
' jéeta samcU Audoeni.
^ LTb. Fond, flsean. , cap. 6.
( 4o )
Il est probable que Fétymologie du nom de ¥é^
camp se trouve dans ces^ mots dejîscusy campus ' ;
car cette ville, que nous avons ainsi nommée, par an-
ticipation y ne s'appelait encore que la Grande VaUée,
(c GrandifalowGrainifah^ à Vé^ocpie gallo-^romaine,
et avant Fétablis$ement du monastère ^.
Wanenck s'étant mis à l'œuvre, sa maisoiï s^ëleva
comme par enchantement, et tout se trouva bientôt
prêt pour en faire la dédicace. Le roi Chlother III
se rendit de nouveau à Fécamp , en 665 , accom-
pagné de son maire du palais , Ebroïn , de l'arche-
vêque Ouen , de l'abbé de Fontenetle ^ et la céré-
monie eut lieu avec de grandes pompes , en pré-
sence de ces redoutables Franks presque civilisés ,
d'une infinité de petit peuple, d'abbés et de liti-
gieux. L'accord le plus parfait paraissait régner dans
cette réunion de grands personnages , où toutes, les
races se trouvaient représentées. ; i ; - . . !
r I • N
. ' S>. Philibert reçoit , pour construire le monastère de.Jumî^es i
« Silyam magnam ex fisco et pastus de fisco jdominico, i* Ex rita
sanctœ Éathildis , ap. And. Duch.
«
* Linsignifiance des noms donnés à cette époque est incroyable.
Us tiraient presque toujours leur origine , ou de la configuration da
terrain , ou de la situation des localités ; ainsi tous les noms de
Fontenetle viennent d'une petite source voisine. Celui de Dudair ,
d*uu lieu élevé auprès de Teau ; Gaudebec , ^c calidum beccum » ,
d*une étuve romaine détruite; Cani, d'un gué où Ton passait la
rivière; Dieppe , signifie (^aZ/ei? j9/io/b/i(26. La va11éedePaluer(ouda
.Marais) ne porte pas encore d'autre nom que la grande vaiiéê.
(4I )
Chlother filv à la nouvdie abbaye, de riches do-
nations^ consÎBtant en vag^ précieux d'or et d'ar-
gent, et Youlut qu'<Hi y réunit de sainteà filles
consacrées au Seigneur , sous la direction de Hil-
demarche , religieuse de Bordeaux.
Sindart, moine de Fontenelle, eùî mission de
transmettre à cette pieuse abbesse les ordres du roi
firank. Elle se rendit aussitôt auprès de saint Ouen,
qui lui donna les instructions nécessaires pour la
direction de sa communauté , déjà peuplée de trois
cent soixante-six .religieuses.
Un pareil accroissement demandant une .su]>
vetllance ^^éçiale , Waaenck plaça 1 administraâon
supérieure de son monastère sous \^ direction, de
saîoit/VandriUe^^qui y faisait de fréquents voyages.
Il finit ensuite pair lui donner le monaatère lui-même^
qui 4^yint .£ânsi dépendant de celui de Fontenelle.
•: La cour franke avait à peine quitté Fécamp^
qu'une;, révolution de palais ne tarda pas à éclater.
TEhvçAàji loué d'une part pour les mpnastèves qu'il
a con^tiîuitfs , exécré de l'autre pour les crim.osrdoûjt
i^'est r0ndU' coupable , Ebroln s'empare de l'esprit
^faiblç de CMother, pour-igoMvernèr' en soi> nom*
La reine Bathilde est çibligée de se retirer dans, (le
mona$tère de ^Schelles ^ et tous tes yraii^ /servitieuirs
du roi sont exilés ou éloignés de sa persoi^i^e.
Wanenck n'éprouva personnellement aucun regret
de l'isolement dans lequel il se trouvait ; car, depuis
(4a)
qu'il s'était retiré àJPécàmp , il avait été plus occupé
de constructions, dç devoirs reli^ux^ que d'in-
trigiues de cour ; bien supérieur à la basse civili*
satîpn. du..».6ple9 ce jquji se passait était bien, de
nature à le faire persévéra dans ses goûts de retraite
la plus, absolue.
En effet , nos rois voyageurs , nos rois guerriers
et dévots^ de la première race , ne tardent pas à se
ressentir de leur origine barbare. Toujours au ber-
ceau de la civilisation , leur vie n'est qu'une suite de
faiblesses , de luttes , d'assassinats , que le christia-"
nisme ne peut encore maîtriser; la puissance des
maires du palais s'élève à côté de la puissance royale y
et finit par l'absorber tout erftière. Ce fut pendant
ces [épreuves, qu'un jour, les habitaMs de Fécamp
virententrer dans leurs murs un vieillard aux ch^veiix
blancs, aux habits déchirés et couverts de boue,
ayant lé^ lèvres et le nez coupés, fixé plutôt que
port^ sur un cheval, suivi de quelques cavalieni
qui: semblaient prendre à tâche dé Kinsultc* , - €t
i^bpposaht que ses souffrances et ta résigtfatibni
aux 'Mauvais traitëmettts qu'on lui faisait subff;
urif prêtre seul et sileilciçux , aux vêtements en dé-
Sbrdre, suivait à pied te ïugubre cortège, et sem*
Màit jireùdre part à toutes les soàfïrances de la vie*
tinie.
Ce vieillard, ainsi maltraité, était Leodegarius
(43)
(Léger), ^lE^que d'Autun % coupable de fidélité t
son roi Thëoderik , dont il avait pris le parti , lors
de la lutte de ce dernier avec Ebroîn.
Ce maire du palais s'étant réconcilié avec Théo-
deriky n'ouUia pas Léger , qiii lui avait été contraire;
l'ayant fait saisir et torthrer par ses bourreaux , il
renvoya.àFécamp.y afin que Wanenck le retint dans
une étroite prison :
ce Recevez: Leodegarius , lui écrivait le tyran , cet
homme que vous avez vu autrefois si superbe , et
inettez4^ sogs bonne garde, car dans peu il recevra
ce qu'il a justement mérité^, p
On est tout surpris de. sayoir qu'Ebroîn était
l'ami intime de saint Ouen, et de voir Wanenck se
prêtant à ses désiirs pour torturer un saint ; mai^
cela prouve tout au plus qu'EbroIn jugeait mal le
gouverneur dupays de Cau^L, ou que, dan^ sa soli-
tude, ce dernier ne connaissait pas l'injustice dont
(Ml se rendfiit coupable envers son prisonnier. PeutT
êtte encoref laf vie d'Ebroïn nous .est-elle, .^grivée,
écrite avec un peu de partialité, sous l'influence di^
parti vaincu ^ i^oissé par sa politique.
On dit qJM0 saint L^ger rfistii quelqge temps da;Qs
les prisons de Fécamp, qu'il y recevait les. soins et
les consolations de ce prêtre , nommé Yinoberf , qui
■ Le moine d'Anton , chap. 13. — Ursin., chap. 13.
* Jeta sancti Leod.^ cap. 8., 9» 10» U » 12. .
(44)
l'avait accompagné; on dit qu'il y reçut la visite
d*Eraetiaire , abbé de S.-Symphorien d'Autun , et
que , par l'entremise de ce dernier , et par l'assurance
qu'il donna que Léger était innocent , Wanenck tira
le ^aint de l'éti^oit cachot où il était j*enfermé , Fad-
mit dans son château , et l'introduisit ensuite dans
l'abbaye; on dit encore, car oh ne pouvait écrire, à
celte époque, sans consigner du merveilleux, que
Léger guérit parfaitement et recouvra l'usage de la
parole'.
Hildemarque le reçut avec les pliis grands hon-
neurs , comme un évêqué piersécuté ; Leodegarrùs se
livra à la prédication, et les habitants de Fécamp,
lés ^peuples de la contrée j' accouraient à sa voix,
étonnés de l'entendre parler avec tant de facilité
après l'indigne traitement dont il avait été l'objet.
Comme tout cet éclat et ces bons 'procédés
h'entraient pas dans les vues d'Ebroïn , Léger fut
enlevé, de nuit, par les satellites du tyran, et con-
duit dans un bois, auprès d'Arras , où il eut la tête
tranchée; ' ' ' '
La prison qui reçut sainlt Léger à Fécàmp devint
tïn lieu conisâcré et voué au respect des chrétiens;
et nous verrons plus tard lësliabitànts de cette vitte
placer, soUs son patronage, une église qu'ils élève-
ront sur le lieu le plus rapproché de sa prison.
•ém-r-
' Acta sancti Leod., cap. S, 9, 10, 11 , 12.
(45)
Sainte Ilildemarche , la première abbesse de Fé-
camp, momrut eu 675. U est fâcheux qu'on ne
connaisse pas le nom de celles qui lui ont succédé ;
l'histoire locale ne peut que perdre beaucoup de
cette malheureuse lacune '.
Waneuck , ayant tout*à-fait abandonné la cour ^
passe le reste de ses jours dans la méditation^ et
donne tous ses biens à l'abbaye de Fécamp ; lui-même
quitte son château pour se ranger parmi les servi-
teurs de la communauté ^ en se soumettant à la règle,
comme les serfs qui s'y livraient aux ouvrages les
plus vils; enfin, il mourut en 686^ et fut inhumé
dans le monastère avec les plus grands honneurs.
Au milieu de la confusion qui règne dans Thistoire
de ces temps reculés, on est heureux de rencontrer,
dans la vie de saint Vandrilie, la preuve que la ville
naissante de Fécamp avait alors une certaine impor- *
tance, possédait un château fort avec des maisons
d'habitation, des prisons; qu'elle était devenue le
séjour ordinaire des gouverneurs du pays de Caux,
et recevait souvent lu visite des fils de Merowig.
Wanenck ayant fait don du monastère de Fécamp
à celui de saint Yandrille, ce premier se trouva ainsi
placé sous la direction des religieux de Fontenelle.
Cet airangement fut supportable tant que les pieux
abbés Lambert, Hilbert , Bain^ Bénigne , Hugues et
.' Gétii. ek. , tom. U : « Mimas, fisean, »
( 46 )
Landon eurent le gouvernement dé cette abbaye, et
la rendirent florissante par l'éclat de leurs vertus.
Karle ou Charles-Martel , maire du palais , pré-
voyant la chute des rois de la première race , et les
chances que sa famille avait de monter sur le trône
des Franks , s'empressa de réunir autour de lui de
nombreux compagnons, gens de cœur et des rça-
source. Comme, à cette époque, on n'achetait
ces dévouements qu'avec les propriétés du fisc , qui
étaient données temporairement, à titre de bénéfice
militaire , Karle-Martel , ayant épuisé tout le fonds
du domaine royal, jeta les yeux sur les biens des
communautés, et, pour a'ea emparer plus sûrement,
les abbayes furent donnéesypour la première fois, à
des Franks, tous chefs de guerre qui lui étaient dé-
voués. Teutsinde, successeur de Landon, abbé de
Fontenelle, fut du nombre de ces derniers, et prit
possession du monastère avec une troupe de soldats
qui remplacèrent les moines. Teutsinde était un
homme qui ne s'occupait que de chasse, et emplissait
l'abbaye de chiens et de chevaux. Il en dissipe
en peu de temps tous les revenus , et dépouille Fon-
tenelle des trois quarts de ses propriétés , qu'il aliène
en faveur de ses parents et d'hommes de la cour; il
donne au seul comte Rhother vingt-neuf métairies ,
avec leurs dépendances ' .
' GalL ch,, tom. U : « Fontan. Mon. »
(47)
"Gui, digne successeur de Teutsinde^ suit ses
traces; vient ensuite Raingefroy, déposé pour ses
déprédations en 'j^^.
On voit en quelles mains étaient tombées les reli-
gieuses de Fécamp y et on pense bien que leurs pos-
sessions ne furent pas plus épargnées que celles de
Fontaielle, auxquelles. elles étaient annexées.
L'usurpation de Karle-Martel étant consommée ,
son fils Peppin-le-Bref lui succède en qualité de duc
des Franks,,et s'empare du pouvoir suprême. Chil-
derick est rasé et renfermé dans le monastère de
Saint-Bertin. Son fils Tliéoderik est envoyé à la
garde de Vicolaik, abbé titulaire de Fontenelle et
de Fécamp. Les mystères de ces deux cloîtres con-
naissent seuls la' vie et la fin de ce dernier descen-
dant de Mérowig.
FÉCAMP
sous LA DYNASTIE KARLOVINGIEirNE.
Pendant qi^e toutes ces choses se passaient, et
pour s'assurer tout-à-fait la soumission du clergé de
Normandie, Peppin fait nommer son frère Rémi ,
archevêque de Rouen ; il se rend ensuite dans le pays
des Calètes, visite les monastères de Junnéges, de
(48)
Fécamp et Fontenelle y prie sur le tombeau de saint
Vandrille, fait des largesses à l'abbaye de ce i^om,
pour construire la basilique de Saint-Pierre , et ob-
tient en écliange , de Fabbé Yicolaik^ de nouvelles
terres en faveur de ses fidèles.
Enfin, ce prince meurt en 768; il avait témoigné
le désir d'être enterré à Saint-Denis, la face contre
terre, en expiation des torts ^yue lui et son père
avaient faits au clergé. Voilà ^oute la satisfaction
qu'obtinrent Fécamp et Saint-Vandrille , en échange
des beaux domaines dont ils avaient été dépossédés.
On ne voit pas que le règne de Karle-le-Grand
(Charlemagne) ait eu quelque influence sur les des-
tinées de Fécamp. Cependant, cette ville dut recevoir
de son temps un certain accroissement, s'il l'on en
juge par les médailles de ce prince qui ont été trou-
vées sur plusieurs points de la ville. Karlepasse trente-
trois ans de sa vie à lutter contre les Saxons , qu'il veut
convertir, et qui préfèrent, après de nombreuses
défaites, se retirer, avec leurs familles et leurs dieux,
dans les glaces du Nord. C'est de ce point que nous
les voyons braver le grand empereur et lancer des
expéditions qui viennent attaquer les côtes occiden-
tales de ses vastes états , préludant à la rude ven-
geance qu'ils tireront un jour de ceux qui ont voulu
leur imposer leurs lois et leurs croyances.
Une flotte de Normands passe devant Fécamp
en 808 , traverse la Manche et se dirige sur les cotes
(49)
de r Aquitaine *. Karle-le-Grand prend alors la réso-
lution de fortifier tous les ports de TOcéan ; il visite ,
à cet effets ceux de la Manche, depuis Boulogne
jusqu'à la Seine*, organise les riverains en milice,
oblige les chefs franks de se mettre à leur tête pour
faire face à l'ennemi ; il place des vaisseaux armés
à Tembouchure des grands fleuves et des rivières
navigables ^ ; les côtes se couvrent de corps-de-garde
et de petits forts, dont on n'a pas encore reconnu
les vestiges.
Non content de ces dispositions, Karle nomme
plusieurs èomtes qui sont chargés de les mettre à
exécution. Il y a un comte des rives de la Manche ,
un comte de la rive britannique; toutes les mesures
militaires sont dans les attributions de ces hauts fonc-
tionnaires de l'empire ^. Voulant ensuite connaître
tout ce qui se passait, et ne pouvant tout voir parlui-
mcme, il nomme d'autres fontionnaires appelés missi
dominiciy qui sont chargés de l'inspection supérieure
des différentes parties de l'administration. Des
évêques , toujours considérés comme les hommes les
plus capables de l'époque , sont ordinairement placés
à la tête de ces missions ; et , qu'on n'en soit pas
< Vita Lud. PU.
• Honach. Sangal , lib. n, cap. 2.
^ Egin. , in Jnn. et in Fit. Caro, mag.
« Egin. , ibid.
4
l 30 )
surpris j car les ëvêques étaient souvent obligés de
ceindre Fépée pour défendre leurs possessions et les
droits des peuples confiés à leur garde. Les missi
dominici faisaient leurs tournées quand ils en rece-
vaient l'ordre du souverain , et lui adressaient direc-
tement leurs rapports.
L'archevêque de Rouen Magénard fut le nUssus
dominicus de Charlemagne j et c'est en cette qualité
qu'il visita plusieurs fois les côtes de Fécamp et les
autres points maritimes du pays de Caux.
Lodewig- (Louis) le-Débonnaire , ayant succédé à
Karle-le-Crand, son père, s'occupa beaucoup de la
réforme de l'église. Il mit à la tête du monastère de
Fontenelle Eginard, qui s'étudia , par sa bonne
administration y à réparer les maux causés par les
abbés y très peu réguliers, ses prédécesseurs.
Les pirates croisant toujours en vue des côtes,
l'archevêque de Rouen , Hilbert , fît une nouvelle
tournée de missus dominicus sur les rives mari-
times de son diocèse '. Dans la même année, An-
ségise fut appelé au gouvernement de Fontenelle ,
et, par son testament, portant la date de 83i , il
distribua ses biens aux monastères ; presque tous
ceux de la province sont cités dans cette pièce :
l'omission de Fontenelle et de Fécamp prouve que,
» Ex Cap. reg. Franc. , tom. I , coll. 641.
(5, )
de son vivant , ces maisons, qu'il dirigeait , avaient
ëté l'objet de sa sollicitude et de ses pieuses libéra-
lités.
Lodewig-le-Débonnaire , qui avait été constam-
ment en guerre avec ses fils , mourut en 84o. Karle-
le- Chauve lui succéda; il serait trop long de rap-
porter les difficultés dont la mort de Lodewig fut
la cause ou le prétexte , difficultés provenant du
désir de prééminence et des intérêts des différentes
races germaniques, que l'érection de l'empire avait
de nouveau versées sur la Gaule , et que l'on a attri-
buées à tort à la division des états de Charlemagne
entre ses petits-fils. Toujours est-il que toute la
population militaire , neustrienne , franke , bour-
guignone était sous les armes, et, qu'en 84 1 ^ ce
grand duel entre peuples se vida dans les champs
de Fontenai , près d'Auxerre , où l'élite de la race
germanique , acharnée à sa perte , fut presque en*
tièrement anéantie , aux yeux des Gallo-Romains ,
qui n'étaient peut-être pas fâchés de voir leurs vain-
queurs se détruisant les uns les autres , en présence
de trois rois attentifs à regarder de quel côté tour-
nerait la fortune.
A la suite de ces commotions et «^ la prière de
l'archevêque Rikulphe , Karle-le-Chauve , l'un des
heureux de Fontenai , confirma par une charte tous
les biens de la cathédrale de Rouen. Parmi les pro-
priétés citées dans cet acte, on trouve \es fontaines
(5«)
situées sur la rivière de Fécamp ; « Fontanas super
flui>ium Fiscannum^.n Ces fontaines ne peuvent
être que celles de l'Épinai , revenues au monastère
de Fécamp , après la conquête des Normands.
Malgré les fréquentes missions des employés du
roi y il parait que les côtes étaient dans un faible
état de défense , et que les agitations du pays n'avaient
pas permis de suivre les plans de Charlemagne; car,
un mois après la bataille de Fonteuai, à la suite
d'une nuit commencée dans le plus grand calme ,
il n'y eut pas un habitant cle Fécamp qui , eu se
réveillant , ne trouvât à sa porte un pirate danois,
la torche et le poignard à la main *.
Une flottille de barques normandes était entrée
furtivement dans le port. Tout dans la ville est mis
à feu et à sang; ceux qui parviennent à se sauver
abandonnent à l'ennemi ce qu'ils ont de plus pré-
cieux; quelques religieuses se jettent dans les bois,
emportant des reliques de saints , qu'elles regar-
dent comme leur sauvegarde la plus sûre. Celles
pour qui toute retraite est impossible , ou qu'un
excès d'amour pour le saint lieu retient à leur poste,
se disposent à faire bonne contenance. L'abbesse,
transportée d'une pieuse exaltation, raffermit leur
courage et les prépare à mourir en dignes servantes
' Apad Sammart.
• Lib. Fondai, fisc, ^ Roman de Bou.
(53)
d^ Jésus-Christ. Le danger devenant de plus en plus
imminent y ces saintes filles, tourmentées par l'idée
des outrages qui les attendent, prennent toutes le
parti de se couper le nez et les lèvres ; ce qu'elles
exécutent avec un courage sans pareil. Ainsi mutilées,
elles deviennent plutôt un objet d'horreur que de
convoitise.
Une pareille résolution porta ses fruits; car les Da-
nois , trompés dans leurs espérances , et irrités de les
trouver en cet état, les massacrèrent impitoyablement
devant les autels qu'elles embrassaient, et, tout cou-
verts de sang, ces hommes sans pitié se répan-
dirent comme un torrent jusque dans- les lieux tes
plus secrets du monastère , oii ils donnèrent cours
à leur fureur de pillage et de destruction : vases
d'or et d'argent , ornements d'église , pierres pré-
cieuses, linges, meubles, vêtements de femmes,
tout fut mis en tas , partagé par ces pillards , et
transporté à bord des chalans ou bateaux de charge
qui suivaient leurs pirogues. Ils auraient emporté
le monastère lui-même , s'ils avaient pu l'enlever
comme un reliquaire de saint. Ils se contentèrent
de l'incendier et de le renverser de fond en comble.
Ainsi , de tant de beaux çdifices qui devaient être des
monuments étemels de la piété de Wanenck , il ne
resta que de grandes et tristes ruines ; encore ne
tardèrent-elles pas à être ensevelies sous les ronces
et les herbes de la forêt.
( 54)
Quant aux religieuses qui parvinrent à prendre
la fuite , quelques-unes se rendirent en Picardie ,
et déposèrent à Ham le corps de saint Yanenck ,
qu'elles avaient soustrait au pillage de la commu-
nauté'. Le peu d'habitants de Féc,amp qui échap-
pèrent à la mort , n'osèrent plus revenir sur le lieu
oïl ils avaient été si maltraités, tant la crainte d'une
nouvelle surprise effrayait les esprits. Tous les ri-
verains s'étaient généralement retirés vers Tnitériéur,
de sorte que les bords de la mer et des. fleuves
n'étaient plus occupés que par quelques rares ha-
bitants 9 toujours sur le qui-vive , et prêts à fuir au
premier signal.
Les flottes des pirates se présentèrent de. nouveau
devant le port de Fécamp , avant d'entrer en Seine,
pendant les années 843 , 845 « 85o et 862. Dans
cette dernière invasion, le monastère de Fontenelle,
qui s'était toujours racheté à prix d'argent, fui tota-
lement incendié. Le comte Wulfrand, gouverneur
de Fécamp et du pays de Caux, réunit. à la hâte
quelques troupes pour les opposer aux Normands;
mais leurs efforts furent inutiles , et les barques de
l'ennemi, transp(H*tant les dépouilles de nôspèi}e9^|paisr
salent aussi librement que si elles fussent sorties ide
leurs ports , chargées de biens légitimement acquis*
' Manuscrit de Ham.
( 55)
11 semble qu'on veuille encore une fois redoubler
d'énergie et d'activité, car les envoyés du roi re-
çoivent l'ordre de recommencer leurs tournées, et
de visiter les lieux détruits par les Normands^
afin de les feare réparer '. Paul, archevêque de
Rouen , et l'évêque Hilmerade , accompagnés des
laïques Herlouin et Hungaire, suivent les bords de
la Seine, visitent Jumièges, la vallée où avait été
Fécamp, son château fort et «on abbaye , parcourent
les côtes du pays de Caux , du Yexin , et se rendent
ensuite dans le Talou , le Pontieu , le Yimeu et le
pays d'Amiens.
£n même temps, par son édit de Pistres, Karle
engage les habitants de la rive maritime , qui avaient
pris la fîiite, à rentrer dans leur pays, et, comme
encouragement , les exempte de payer aucun cens à
l'état. Les seigneurs franks , de leur côté, sont obli-
gés d'élever de pietites forteresses tifirmitates » sur
leiir^ terres; éeux qui négligeraient de remplir ce
devoir, seiront déférés à son tribunal par ses comtes
et ses envoyés. Enfin , pour faire face à toutes les
éventualités , à l'obligation même d'acheter la paix
des Normands, s'ils se présentaient de nouveau, il
prélève un impôt sur tous» les grands du royaume.
Chaque éomte et abbé doit fournir douze deniers ,
■ Zx Çap. reg. Franc, ^ tom. I. — GaU, chr. : « EceLràth, »
( 5r>)
les évêques et les prêtres sont assujettis à une taxe,
à raison de leurs dignités.
La réapparition subite des pirates, qui s'introdui-
sirent dans le cœur du pays, et un changement de
politique, vinrent rendre tous ces préparatifs inu-
tiles. Karle-le-Simple, ayant besoin d'alliés contre
le nouveau parti français , qui tendait à déposséder
les fils de Charlemagne , accusés de tenir de trop
près aux intérêts germaniques, prit la résolution de
s'accommoder avec les INorihands , qu'il regardait
comme de puissants auxiliaires; et, par son traité
de Saint-Clair-sur-Epte, en 912, il abandonna à
leur chef Rolf ou Rollon , à titre de fief relevant de
sa couronne, et à condition qu'il se ferait chrétien,
la partie du royaume des Franks-Neustriens, connue,
depuis cette époque, sous le nom de Normandie.
Ainsi, voilà encore une fois la capitale et tout le pays
des Calètes livrés aux barbares , et le monde romain
errant et dispersé, après avoir inutilement éclairé
des maîtres faibles et turbulents, qui ne surent seule-
ment pas le défendre au moment du danger.
Tous les historiens des Normands, leurs Saga et
les anciennes traditions, nous les représentent comme
des liommes de mer très courageux, braves jusqu'à
la témérité , et .d'une imagination vive et colorée. Le
culte anodin, transporté de l'Asie au milieu d'eux,
se prêtait merveilleusement à exalter leurs idées aven-
tureuses et guerrières , et , comme il les mettait sans
(5?)
cesse en rapport avec des esprits aériens j les appari-^
lions de fées, de géants et de nains, devaient vivement
occuper des hommes que rien ne venait distraire
dans leurs rochers, au milieu des lacs et des mon-
tagnes. Nous verrons l'influence de ce caractère se
conserver long-temps où ils séjourneront , et le chris-
tianisme aura peine à faire disparaître entièrement
certains restes de croyances à des faits surnaturels
qu'H proscrit.
Les Scandinaves croyaient à une autre vie , mais ,
chez eux, il y avait plusieurs dégrés de béatitude;
ceux qui )>érissaieQt dans le combat , étaient les mieux
partagés, et avaient seuls le privilège d'être admis
dans le paradis d'Odin : voilà ce qui les rendait si
entreprenants à la guerre et si insouciants de la vie.*
La même religion prescrivait aussi de brûler les^
morts, de déposer leurs cendres dans la terre, ou de
les jeter dans la mer; ce qui prouve que la mytho-
\ogie paeinne était parvenue dans leui*8 rochers. Car
Odin, cheK eux, n'était autre que le Jupiter des
autres nations.
Nous avons été obligé d'entrer dans ces détails,
pensant qu'il est utile de connaître les hommes tels
qu'ils sont, pour juger jusqu'à quel point l'amalgame
de races , d'habitudes différentes , change l'esprit des
aations et les conduit souvent , par des voies incon-
nues, à de grandes et belles destinées.
f 0
(M)
FÉCAMP
sous LES JDUCS DE ITORMANBIE.
De 91 3 à i2o4-
ROLF ET WILHIALM I
(eOLLON et GUILLAUME LONGUE- ^PEe).
. C'en était fait de la civilisation, si l'esprit conser-
vateur des cloîtres n'était encore venu se jeter au
milieU: des barbares , pour arrêter le mouvement de
destruction qui entraînait tout dans l'abîme. Comme
Rémi, qui avait sauvé la Gaule de la fureur des
bandas de ^Çhlotwig, Frankon , l'archevêque de
Rouen, se dévoue pour son troupeau; il trouve
l^çureusement, dans l'Attila normand, un esprit assez
élevé pour comprendre qu'un chef de pirates a
moins d'avantage ; à détruire un pays riche qu'à
L'administrer avec sf^gesse , et que le christianisme,
di^3 la voi;e duquel il est entré, n'admet pas de
gouvernement sans ordre et sans justice.
Pour donner un aliment à l'impatience , à la
cupidité de ses hommes , qui le pressaient de toute
part, Rolf leur désigna, à la hâte et verbalement.
(59)
dit Guillaume de Jumiéges, des terres sur le toi de
la Normandie. Ce partage ne fut pas aussi dffîcile
qu'on pourrait le supposer , puisque les grandes pos-
sessions, les fîefs des seigneurs franks , qu'on allait
dépouiller, formaient déjà des divisions territoriales
toutes faites. Ces domaines, il est vrai, n'étaient
pas cultivés depuis long-temps ; mais les bois exis-
taient toujours avec leurs limites naturelles , et les
démarcations des propriétés n'avaient pas été tota-
lement efTacées du sol. Aussi Rolf , sans quitter sa
capitale, eut la possibilité de faire un premier par-
tage à ses hommes , qui devinrent , selon leurs
rangs, la souche des grandes familles normandes
dont le nom s'est perpétué jusqu'à nos jours.
Ce chef, comme on le pense bien , se .fit une
lange part dans ta distribution. Fécamp , en éa qua-
lité de ville maritime et principale du pays deiCaux,
sou territoire, ses bois , ses prairies , tout fit partie
du. lot du prince, sauf quelques portions de terre,
^.petits nianoirs concédés à. ses fidèles '. ,.
Ainsi , le chef de mer Baillol eut plusieurs fermes
dans la vallée de Féca^ip.
Ëstpld , son compagnon , posséda les d^rres de
Valmont , des I^oges , et de beaucoup d'autres lieux
du pays de Caux , et devint la souche de la puis-
sante famille ffEstoutevilIe.' '
\\ ■ ■■.■'!■ ■ ■ ■ ■ " ' T
Cartulaire de FécanIpJ '
(6o)
Baldwin eut un manoir situé dans le Burgus j ou
fort romain ' , qui a depuis porté le nom de Bourgs
Baudouin.
L'aïeul de Gerald de Tancarville, se nommant
peut-être Tankar, eut une portion de bois sur le
territoire de Fécamp *.
Ganze ville devint le partage d'Odon, fils de God-
frid. ,
Kighel, parent de Rolf ^ eut une terre près de
Fécamp et quelques maisons dans la ville. Le Bec-
aux-Cauchois tomba dans le lot du pirate Tursting.
Le chef norwégien Ansgoth devint propriétaire
de la terre de Baunay.
Rodbert eut le manoir d'Ecrette ville, etGaulfrid,
celui de Cuverville.
Serlon posséda les Hogues , et Wilhialm , Saint-
Martin.
Un autre Wilhialm , surnommé Dent-Dure, «rf^/fj
duras» j eut des propriétés dans la vallée de Cany , et
ce surnom en est resté à la rivière voisine, qu'on
aippelle encore la Duredent.
Les petites colonies saxonnes de Sassetot et de
SenneviUe , échurent aussi à des ciiefs normands :
■ Les petits forts construits sar la fin de Tempire , s*appelaient
des burgi , selon Végèce. DIoclétien couvre les frontières de i*éni-
pire de castdla et de burgi. — Zozim. , in Dioclet, Vit,
* Gartolaires de Fécamp et de Saint-Georges.
(6i )
Wilhialm, surnommé Mauconduit, ^male conduc"
tus », eut Sassetot, qui ajouta à son nom celui de son
nouveau possesseur^ le pirate Godfrid^ ûls d'Odon,
s'empara du Mesnil de Senneville.
D'autres chefs secondaires eurent des parts plus
faibles : Berliard, fils deSalvanon, Godhcr, Viger,
Ours, Andgher, Rodbert, Asselin, Hilbert, Waltier,
Turmoth, Umfrild, devinrent tous propriétaires de
terres et de maisons dans Fécamp et les environs.
Le reste des pirates se classa selon son rang, ses
goûts et ses capacités; les uns continuèrent la pro-
fession des armes et s'enfermèrent dans des châteaux;
d autres devinrent cultivateurs et se répandirent dans
l'intérieur des terres ; la majeure partie, ne pouvant
abandonner la carrière aventureuse de la mer, habita
les côtes , les bords de la Seine , et , se joignant aux
Saxon$ précédemment fixés sur nos rives, forma les
populations maritimes des Dalles, de Saint-Pierre-
en-Port, de Fécamp, d'Yport, d'Etrétat, de Har-
fleur et de Quillebœuf.
Tel fut . à peu près , l'arrangement qui eut lieu aux
environs de Fécamp; on pense bien que les Gallo-
Romains dispersés, se réunissant de nouveau, après le
traité de cession , furent bien surpris , eux policés et
formés aux belles traditions de l'empire, de voir tous
ces hommes de mer, tous ces grands seigneurs en
casaques, aux noms barbares et souvent tirés de la
difformité de leurs personnes, s'établir au milieu
(6a)
d'eux y y construire des forteresses pour s'y maihte-
nir , et leur imposer le joug d'une lourde servitude.
Alors y comme toujours, la force brutale dut, à la
longue, céder à l'adresse et aux lumières, et les
Normands ne tardèrent pas à s'apercevoir qu'ils
étaient devenus les serviteurs de leurs esclaves. Le
clxristianisme vint encore une fois en aide à la civi-
lisation ; il n'était occupé qu'à renouer les fils so-
ciaux'que la barbarie rompait sans cesse.
927. Rolf , comme tous les hommes qui veulent fonder
une dynastie , prévoyant les embûches qui lui se-
raient tendues du côté de la France , résolut , après
quelques années de gouvernement, d'abdiquer le
pouvoir et de faire réconnaître son fils Wilhialm
Longue-Épée , en qualité de duc des Normands.
Transition toujours assez difficile dans un état nou-
vellement constitué.
Ce dernier, pour consolider la politique de son
père , met des garnisons dans les forteresses qui se
trouvent sur les frontières , et , sentant la nécessité
d'établir, près de la mer , une place forte , dans
le lieu le plus rapproché de sa capitale , soit pour
s'y retirer au besoin, soit pour y entretenir avec
le Danemarck des communications qui devenaient
928. chaque jour plus actives, il jette les yeux sur Fécamp',
* Lib. Fond, fiscan , cap. 10.
(63)
se rend dans cette localité , et donne l'ordre d'y
élever une forteresse ; il en choisit lui-même l'em-
placement à l'endroit où Wanenck et les gouverneurs
franks du pays de Caux avaient précédemment leur
demeure; il fait élever d abord un bâtiment de
forme rectangulaire, ayant une muraille de six à
huit pieds d'épaisseur, soutenue à l'extérieur par
des contreforts en solide maçonnerie. Aux extrémités
du bâtiment , Wilhialm place deux tours carrées :
c'est le donjon de sa forteresse , c'est le lieu qu'il se
propose d'habiter ; ensuite il fait faire une nouvelle
muraille , partant des deux tours de ce donjon , et
renfermant un terrain assez vaste pour servir de
place d'armes. Cette seconde enceinte est flanquée
de fortes tours, pour recevoir les hommes de la gar-
nison , et l'on communique de l'une à l'autre par des
galeries, ou chemins de ronde , pratiqués dans l'épais-
seur des murailles, qui devaient être crénelées. I^
tout est entouré de douves profondes , qui rece-
vaient l'eau du canal de Ganzeville, nommé la Foûte.
\jSi partie de cette forteresse , exposée au sud ,
est encore debout. On reconnaît à l'extérieur le don-
jon de Wilhialm , les tours mystérieuses qu'il habi-
tait dans ses fréquents voyages à Fécamp ; enfin ,
les ti*aces de plusieurs fenêtres ceintrées , que l'on
remiarque encore ; les murailles en pierres brutes
portant le cachet de l'époque , nous font considérer
ce qui reste de ce monument comme une des
(64)
reliques les plus précieuses du moyen-âge; car il
est probable que ce fut la première forteresse
élevée clans la Normandie par les descendants de
RoUon , lequel n'avait eu le temps, lui-même,
m
que de remettre en état celles qui avaient été dé-
truites dans les excursions des pirates qui l'avaient
précédé.
Pendant que Ton construisait cette forteresse avec
toute lactivité que stimulait la présence de Wilhialm
les ouvriers trouvèrent, à peu de distance, dans le
bois, un énorme amas de pierres taillées, recouvertes
de ronces et d'herbes sauvages. Comme il leur était
plus commode d'utiliser ces pierres que d'en aller
chercher au loin , ils s'en servaient pour avancer
leur construction , lorsqu'ils apprirent qu'elles pro-
venaient d'un monastère célèbre , détruit par
les Normands. On fit part de cette découverte à
Wilhialm, qui se porta sur les lieux, examina
tout avec intérêt, et défendit aussitôt d'employer ces
matériaux , se promettant de faire rebâtir une nou-
velle église clans F enceinte de la forteresse^. Ces
derniers mots sont assez remarquables , puisqu'ib
prouvent ce que nous venons de dire , sur le déve-
loppement primitif du château de Fécamp , opinion
corroborée par le témoignage de Baldrik , arche-
vêque de Dol , qui qualifie cette forteresse de très
noble. Castrum nobilissimum , et qu'il trouva dé-
> Lib. Fond. fisc.
(65)
fendue par un enceinte de fortes murailles ' , vers
1 1 lo , au commencement du règne de Henri I , et
bien avant que ce prince eût fait élever ou agrandir
la plupart des forteresses de la Normandie.
Wilhialm Longue-Épée n'oubliait pas , au milieu
de tant de prospérités et de grandeurs , que son
élévation portait ombrage aux anciens compagnons
de son père , qui avaient bien voulu le reconnaître
comme chef de guerre , mais qui trouvaient que la
haute position qu'il avait acquise les mettait dans
un rang bien inférieur au sien , et ne leur laissait
d'autre alternative que de vivre soumis , ou de re-
tourner d'où ils étaient venus.
Bien informé de leurs projets de révolte , dès le
temps cil il avait fait fortifier le port de Fécamp,
Wilhialm prit le parti de mettre dans cette place un
gouverneur et une garnison sûrs , et de leur confier
sa femme Sprota^ afin d'être à portée de l'embar-
quer pour le Damiemark y en cas de revers ; il
s'avança ensuite contre les révoltés, et les battit
complètement dans les environs de Rouen. Au re-
tour de son expédition , le danois Foukar, gouver-
neur du château de Fécamp , lui envoya un messager
pour lui annoncer que sa femme Sprota , qui portait
dans son sein l'espoir et la fortune de la dynastie
normande , venait de mettre au monde un fils.
* « ManitUsimis ambitum menibus. » — Neustria Pia , Litt. Bald.
(66)
Wilhialm Longue-Epée, au comble de la joie, se
rendit sur les lieux, pénétra dans la tour où reposait
son enfant, le combla de caresses , et l'envoya en toute
hâte à Bayeux , afin qu'il fût baptisé de la main de
Pévêque Henri et qu'il reçût le nom de Rikhard '.
Après cette cérémonie , on le renvoya à Fécamp ,
où il fut nourri, et passa les huit premières années
de sa vie.
Je cite ici la version de Guillaume de Jumiéges ;
d'autres prétendent que l'évêque de Bayetix se rendit
lui-même à Fécamp, et c'est l'opinion la plus pro-
bable , et adoptée par les auteurs du Gallia chris-
tiana^. <
On pense bien que Wilhialm, après avoir af-
fermi son autorité ducale , faisait de fréquents voyages
à Fécamp qui possédait des objets si chers à son
cœur; cette ville devint, sous tous les rapports,
l'objet de sa sollicitude. Les affaires de l'État lui
donnant ensuite un peu de loisir, il s'occupa de
bâtir des monastères, et de relever avec un luxe
incroyable les antiques églises de la Normandie.
On est vraiment tout surpris de voir combien il a
fallu de zèle et d'adresse pour amener si subitement
les peuples du Nord au christianisme , surtout quand
on réfléchit aux brillantes chimères de la religion
» WilL Gemet, , lib. 3 , cap. 12.
» Tom. n ; Ehroic, episc. Hugo , 1 .
(67 )
d'Odin, qu'ils aimaient jusqu'au fanatisme. Comment
a-t-on pu faire comprendre le christianisme si simple
à des hommes qui ne rêvaient que merveilles, sciences
occultes^ sortilèges et magie ? C'est ici qu'on reconnaît
le tact et la persévérance des moines , qui, sachant
plier leurs croyances au génie des peuples barbares ,
faisaient intervenir les prodiges , sous le nom de mi-
racles, pour leur prouver que le dieu des chrétiens
n'était pas moins puissant que leurs dieux.
La ferveur de Wilhialm étant à son comble, il ^
donna des ordres pour qu'on réédifiât l'église de
l'ancien monastère de Fécamp : les ouvriers se
mettent à l'œuvre ; on recherche le lieu où avait existé
l'autel de cette église, pour y placer celui de la nou-
velle; tous les habftants de la ville prennent part
à ce travail, sous les yeux de leur prince. Les mu-
railles étaient élevées, tout l'édifice était préparé
pour recevoir le toit, et il ne s'agissait que de le
confectionner , opération assez difficile pour le temps ;
on se disposait à faire la recherche de grands arbres
dans la forêt, lorsqu'une haute marée amena dans
le port de Fécamp des poutres et des sommiers
enlevés de l'île de Saint-lVIarcouf '. Ce bois, tout
travaillé, pouvant être employé à la charpente de
l'église de Fécamp , on regarda sa venue comme
' Lib. Fond, fiscan. , cap. U.
. ( 68 )
un fait prodigieux, comme un miracle enfin, el
c'est ainsi qu'on présenta cet événement à Wilhiafan ,
en lui disant que la charpente de l'église était ar-
rivée toute faite ; ce prince, au comUe de ta joie , n'en
apporta que plus de zèle pour terminer son travail.
Pendant que toutes ces choses se passaient, les
religieuses de Fécamp , réunies sur les bords de
la Somme, y avaient toujours vécu dans la plus
grande régularité , et les traditions du cloître
s'étaient perpétuées au milieu d'elles. Les anciennes
sœurs n'existaient plus , il est vrai , mais elles
avaient formé des novices , qui continuaient le mo-
nastère de Fécamp, dans Tespérance de revoir un
jour cette terre promise.
Elles n'eurent pas plutôt appris que Wilhiaîra
Longue-Epée rétablissait leur monastère, qu'elles
s'empressèrent de députer vers lui, pour lui demander
d'y être introduites. x\yant obtenu son consen-
tement, elles rentrèrent dans le nouvel établisse-
ment avec les archives , les reliques , et généralement
tout ce qui avait appartenu à l'ancienne commu-
nauté.
Ce n'était pas peu de chose que de recouvrer de
pareils trésors, car, dit Orderic Vital, au milieu des
tempêtes causées par l'arrivée des Normands , les
écrits des anciens périrent dans les incendies qui
dévorèrent les églises et les habitations. Quelque
insatiable qu'ait été la soif d'étude delà jeunesse , elle
(69)
a'a pu recouvrer ces ouvrages ; quelques-uns , qui
furent sauvés , périrent par l'insouciance de leurs
successeurs'.
Le monastère terminé, les religieuses, introduites. ,
restait à faire la dédicace de l'église; cette céré^
monie se Élisait alors avec la plus grande solennité^
en présence du prince y des évêques et des prin-
cipaux seigneurs de la province. Il y eut une as-
semblée préparatoire à Fécamp j pour savoir sous le
nom de quel saint elle serait dédiée; et, chacun
ayant émis une opinion, on était loin de s'entendre,
lorsqu'un personnage inconnu, portant une longue
barbe blanche , entre dans le sanctuaire , fait sa prière ,
dépose quelque chose sur l'autel, monte sur une
pierre, s'élève et disparaît. Ce personnage ne fut pas
plutôt sorti , qu'on s'empressa de considérer l'objet
qu'il avait déposé sur l'autel; c'était un couteau sur
lequel étaient gravés ces mots : « In nomine sanctœ
et indisfiduœ Trirdlatis ; Au nom de la sainte et in-
divisible Trinité ' . » On ne douta plus que le person-
nage mystérieux ne fût un ange chargé d une mission
du ciel. On fit part de cette nouvelle à Wilhialm ,
qui ordonna de dédier l'église en l'honneur de la
sainte Trinité.
On reconnut que le couteau avait laissé une trace
* Ord. Fital. , tom. III , Hy. 6.
• Lib. Fond, fiscan. , cap. 12.
(70)
sur la pierre d*autel où il avait été déposé. Cette
pierre et celle sur laquelle l'ange, en s'élevant ,
avait imprimé la marque de son pied, furent soi-
gneusement recueillies. Ou les conserve encore dans
l'église de Fécamp , où le prestige des traditions les
a sauvées de l'oubli , en les rendant l'objet d'une
respectueuse curiosité.
Le jeune Rikhard I était élevé au milieu de ces
travaux et de ces prodiges.
Deux ans après cette dédicace , le duc Wilhialm
Longue-Epée, toujours pressé par le même zèle,
prit une résolution qui contraria singulièrement le
clergé de Normandie ; il eut la fantaisie de se faire
religieux dans le monastère de Jumiéges , qu'il venait
de relever de ses ruines. Les abbés et les gens
d église , dont la politique était plutôt d'avoir un duc
dévot, qu'un duc moine et sans pouvoir, s'aper-
çurent qu'ils étaient allés trop loin , et engagèrent
vivement le prince à renoncer à ce projet , pré-
textant que son fils Rikhard était encore trop jeune
pour lui succéder. Malgré leurs remontrances ,
Wilhialm , dont la résolution était bien arrêtée ,
envoya chercher son fils à Fécamp , le présenta à
tous ses anciens compagnons , qui le reconnurent en
qualité de duc des Normands.
Depuis trente ans que^ les Norwégiens étaient éta-
blis dans les provinces maritimes de la Neustrie , il
ne s'était passé qu'une génération , et cependant les
(7« )
plus jeunes avaient oublié la langue de leur pays ;
ceux de Fécamp, comme les indigènes^ ne parlaient
que le dialecte roman. Wilhialm , reconnaissant la
nécessité de mettre le jeune Rikhard en état de ré-
pondre en public à ses fidèles , ainsi qu'aux étran-
gers qui arrivaient journellement en Normandie ,
l'envoya passer quelque temps à Bayeux, oii les
hommes de l'invasion étaient plus pressés que par-
tout ailleurs.
Vers la même époque, le duc des Normands ayant
été assassiné , par trahison y dans une île de la Somme ,
on ramena à la hâte Rikhard à Rouen , où il assista
aux funérailles de son père. Le roi des Franks , Lo-
dewik , surnommé d'Outremer y se rendit aussi dans
cette ville , pour y nouer quelques intrigues , et
commença par s'emparer du jeune prince, qu'il
enleva , sous prétexte de lui faire donner l'éducation
de sa cour.
FECAMP
sous Rikhard ou Richard I.
Pendant le séjour de Lodev^ig à Rouen , un sei-
gneur normand , du nom de Turmoth , qui possé-
dait une terre aux environs de Fécamp ( Turmot"
villa j Trémauville ) , peu pénétré des vérités du
( 7» )
christianisme 9 ou ayant à se plaindre de l'esprit des
moines qui dirigeaiient seuls le conseil du prince ,
à l'exclusion des hommes de sa race , prit la réso-
lution d'ëtablir en "Normandie la religion des Scan-
dinaves. Il arma quelques partisans , fît i^épandre sa
doctrine , et se disposait à la soutenir par les armes,
lorsqu'il fut arrêté dans ses projets par Lodewig
d'Outremer, qui, satisfait de trouver l'occasioa de
s'essayer contre des Normands , dispersa les partisans
de Turmoth , et dépouilla ce chef de ses propriétés,
qui revinrent de droit au fisc ducal.
Cette petite expédition ayant exalté les espéi:ances
du roi des Franks , ce prince crut que le moment
était arrivé de chasser les étrangers de la Norman-
die ; il fît approcher, à cet effet, son armée , qui s'em-
para de Rouen et d'une partie des forteresses du
' pays de Caux. La place de Fécamp devint le refuge
des Normands fidèles , et ce fut de ce port que par-
tirent, les messagers qui allèrent en Norwège deman-
der des secours , et réclamer l'intervention du roi
Harold, qui ne tarda pas à paraître avec une flotte
de soixante voiles , montée par des hommes de son
pays. Il y eut une rencontre entre ces étrangers et
l'armée des Franks ; cette dernière fut culbutée ,
Lodewig fait momentanément prisonnier , et Ri-
khard I revint à Fécamp , que sa mère Sprota venait
de quitter, pour épouser un propriétaire de grandes
terres et de mouUns , dans la vallée de la Risle.
( 73)
Les premières aimées du règne de ce prince
furent assez agitées par les factions et les querelles
que lui suscitèrent l'empereur Otho , le roi des
Fraoks et ses grands vassaux.
Thibault , comte de . Chartres , à la tête de ses
chevaliers, s'avança jusqu'à Rouen , dont il ravagea
les environs. Rikhard, irrité de cette agression non
provoquée, expédia de Fécamp de nouveaux mes-
sagers dans le Nord , pour demander du secours
aux Danois, qui arrivèrent aussitôt, et mirent tout
à feu et à sang dans les terres du comte de Chartres.
Un moment de calme ayant succédé à ces agi-
tations, Rikhard, pour se placer entre la Normandie
et ses alliés de Norwège, s'établit de nouveau avec
sa cour dans la forteresse de Fécamp. Après quel-
ques mois de séjour dans cette ville , ce prince ,
qui avait fait bâtir l'église cathédrale de Rouen et
le cloître de l'abbaye de Saint-Ouen , illustres témoi-
gnages de son zèle et de sa puissance , ayant trouvé
par trop modestes l'église et le monastère de Fé-
camp , prit le parti d'élever d'autres édifices plus en
rapport avec leur destination. Mais, avant de donner
suite à son projet , il voulut connaître en détail les
ressources du monastère ' , et demanda qu'on lui
représentât toutes les chartes, pièces, légendes, con-
' Cartulaire cité dans le Trésor de Fécamp.
(74)
cernant l'abbaye et les biens fonds qui lui avaient
été donnés par son père et ses barons.
Harroger, son aumônier, eut, à ce sujet, une
conférence avec Rotbert , l'ancien chapelain de
Wilhialm Longue-Épée , et Aykard , trésorier de
Tabbaye. Toutes les pièces furent réunies , lues en la
présence du prince; et, comme pour exciter en lui
l'amour du merveilleux , si naturel à la dynastie
normande , il se trouva , parmi ces écrits , la nar-
ration d'une histoire inconnue jusqu'alors, et n'ayant
jamais figuré dans les actes de l'abbaye : c'était la
légende du précieux Sang.
Il n'est pas difficile de reconnaître la source d'où
émanait cette pièce, et quelle main l'avait intro-
duite parmi les archives de la communauté. Nous
en donnerons ici l'analyse succincte; car la croyance
au précieux Sang , encore dans toute sa force , n'a
pas peu contribué à la grandeur et à l'illustration
du monastère de Fécamp.
<x Jésus-Christ ayant expiré sur la croix, son corps
a fut recueilli par Joseph d'Arimathie et Nicodême.
a Ce dernier remarquant beaucoup de sang figé
a autour des plaies de Jésus , le recueillit , Tenferma
« dans son gant, et le conserva avec le plus grand
a soin. Etant sur le point de mourir, et n'ayant pas
a d'héritiers auxquels il pût confier cette précieuse
a relique, il la reinitàson peveu Isaac, qui l'entoura
(75)
a de toute la vénération et de tout le respect que
« méritait un pareil trésor.
.« Dieu permit que le zèle dlsaac fût récompensé
a de biens temporels. Sa fortune s'accrut à un tel
« point, que sa femme en fut elle-même étonnée; et,
« un jour qu'elle allait le trouver pour lui demander
« la cause d'un tel accroissement de bien-être , elle
tt le trouva en adoration secrète devant sa précieuse
a relique.
ce Croyant que son mari avait recours à quelques
« pratiques superstitieuses , elle le dénonça à la
ce synagogue des Juifs , comme se livrant à l'idolâtrie;
« mais il fut renvoyé absous par les docteurs de la
a Loi, qui reconnurent qu'il n'avait pas dérogé à la
« religion de ses pères.
a La prospérité d'Isaac lui faisant journellement
« beaucoup d'ennemis , en dehors de sa famille , il
« résolut de quitter Jérusalem et de se retirer à
(c Sidon , qui était sur le bord de la mer ; il em-
« porta avec lui le précieux Sang , qui était l'objet
(( constant de ses adorations.
a Ayant eu , sur ces entrefaites , une révélation
a que Yespasien et Titus , à la tête des armées ro-
« maines, devaient venir ravager le pays qu'il habitait,
<c craignant pour le trésor dont il était possesseur, il
« avisa aux moyens de le soustraire aux profanations
« des soldats. Il le renferma, à cet effet, dans deux
« capsules en plomb , l'introduisit secrètement dans
(76)
« un tronc de figuier, qui se trouvait sur le bord de
« la mer, et Dieu permit que l'écorce du fignier se
« rejoignît sur l'ouverture qu'il avait pratiquée dans
<f le tronc.
(c Isaac continuait ses adorations secrètes près du
« figuier miraculeux^ lorsqu'il s'aperçut que la mer,
tf minant la terre au pied de ce tronc , en avait déjà
« découvert les racines. Préoccupé de ce qu'il devait
« faire pour sauver le précieux sang , et ne sachant à
a quel parti s'arrêter, il crut voir un avertissement
« du ciel dans les envahissements des eaux, et un
« effet de la Providence, qui voulait disposer, selon
« ses vues, d'une si précieuse relique; il la confia
« donc aux flots de la mer, qui l'entraînèrent à l'ex-
cc trémité des Gaules, à l'entrée de la vallée de
« Fécamp , d'où une marée extraordinaire la trans-
« porta dans l'intérieur , auprès d'une fontaine qui a
« pris le nom du précieux Sang.
« La mer s'étant ensuite retirée , le tronc demeura
« en ce lieu, et resta couvert de vase, de broussailles
« et d'herbes sauvages, jusqu'à ce qu'il fût miracu-
« leusement retrouvé par la révélation d'un ange, et
« par un cerf blanc qui marqua, en marchant circu-
« lairement sur la terre , l'endroit où l'on devait élever
« une chapelle en l'honneur de la très sainte Trinité.»
La même légende attribue la construction de cet
oratoire au duc Anségise. C'est sans doute à son zèle
pour l'introduction du christianisme dans la vallée
V 77 ;
(le Fécamp, que la découverte du précieux sang se
trouve rattachée à la mémoire de ce gouverneur
du pays de Caux.
Le duc Rikhard, émerveillé à la lecture de cette
pièce, rapportée en entier dans un ancien cartulaire
de Fécamp, appela des ouvriers de tous côtés et or-
donna de faire la recherche de la précieuse relique.
On fouilla sous Tautel, et on y trouva, comme on
devait bien s'y attendre , le tronc de figuier contenant
les deux capsules en plomb , dans lesquelles l'inesti-
mable trésor était renfermé ; le duc se fit présenter
des devis, des plans qu'il approuva, et commanda
d'élever un temple convenable à la sainte Trinité, à
l'endroit même où existait la petite église que son
père avait fait construire. Tous les matériaux étant
réunis , il ouvrit lui-même la terre, posa la première
pierre du nouvel édifice , et , comme tout devait être
extraordinaire dans ce travail, cette pierre se trouva
être un fragment de celle sur laquelle Tange avait
laissé l'impression de son pied. Rikhard , dans
les moments qu'il dérobait aux affaires, était con-
stammenl^ au milieu des ouvriers, excitant leur zèle
et ne dédaignant pas de prendre lui-même quelque-
fois part à leur travail. Le précieux sang fut secrè-
tement placé dans l'intérieur d'un pilier qui était
proche du maitre autel, dédié alors au saint Sauveur.
Les travaux terminés et tout étant prêt pour la
nouvelle consécration que devait faire l'archevêque
(78)
Rotbert , frère utérin du duc Rikhard ; les évêques,
les grands possesseurs de fiefs et beaucoup de
peuples, furent réunis pour assister à cette fête ; les
voûtes de l'église retentissaient à peine des premiers
chants religieux , qu'on entendit de tous côtés crier
miracle! Comme c'était une chose assez commune
dans ce temps-là, on n'en fut que médiocrement
surpris, et, par la raison qu'on y avait beaucoup
de foi , tous les assistants voulurent avoir des détails ;
un prêtre, nommé Isaac, célébrant la messe dans
une église distante d'une lieue environ de Fécamp,
990 envoyait dire au duc que les espèces du pain et du
vin s'étaient changées, pendant la consécration, en
véritable chair et sang de Jésus-Christ. '
Le duc, les évêques, la foule du peuple, n'eurent
rien de plus empressé que de se rendre sur les lieux,
et le miracle ayant été reconnu authentique, ils ap-
portèrent, en grande pompe, à la ville, les saints
mystères renfermés dans un calice , et les placèrent
sous l'autel de la sainte Trinité. Il semble que cet
événement surnaturel soit le complément de celui
du précieux Sang, venu tout exprès de ^Jérusalem
pour fournir une relique au monastère^de Fécamp.
Peut-être la foi de Rikhard n'avait-elle pas paru
assez vive , sa conviction assez profonde, et jugea-t-on
à propos de faire intervenir un nouveau prodige,
' Pisean. Chron. , cap. 14.
(79)
pour lever tous ses doutes et les irrésolutions de son
jugement.
Ici y pour tout homme qui n'est pas dominé par
la pensée philosophique, et qui accorde quelque
chose au temps , aux lieux et à la politique, il com-
prendra que, désormais, les ducs de Normandie sont
acquis au christianisme , à l'ordre établi par la vieille
société; et si les merveilles et les prodiges ont eu
quelque influence , c'est qu'il fallait de ces moyens
extraordinaires pour arriver au but. Fécamp a donc
eu le glorieux avantage de contribuer à ce résultat,
et d'interrompre les relations des hommes de la
conquête avec leur pays, sa religion et ses usages.
Peut-être , s'il en eût été autrement , l'invasion
continuant et se répandant sur toute la France,
serait-elle parvenue, en renversant les autels, à pro-
pager son culte et sa barbare civilisation ; car on
sait que le paganisme et l'esclavage marchaient
toujours de compagnie.
Si ce dernier miracle fut utile au monastère de
Fécamp, il ne profita pas, à coup sûr, aux reli-
gieuses, car l'importance de reliques d'un si grand
prix, fit juger à propos d'y établir une communauté
d'hommes. Les religieuses furent transférées à Mon-
tivilliers, que Rikliard venait de réédifîer; on leur
donna pour prétexte qu'à Fécamp elles étaient trop
exposées à la brutalité des pirates.
Des chanoines, qui probablement convoitaient ce
(8o)
monastère y et qui avaient contribue à ce chaqge-
menty y furent immédiatement introduits , et Rikhard,
pour assurer l'avenir et l'indépendance de la com-
munauté^ s'empressa de lui donner plusieurs grandes
propriétés. En voici le relevé, d'après la charte qui
fut alors rédigée. C'est peut-être le plus ancien
monument historique que nous ayons sur les loca-
lités qui y sont citées.
Nous trouvons en tête les églises et le village
de Monde ville , situés près de Caen.
Argences , dans le même pays , avec ses terres ,
ses bois , ses moulins et ses vignobles.
Le port de mer d'Etigues {Stigias) , jusqu'à Léré-
gant.
Le Mesnil , Gerville , Vinnemerville , Conteville,
Limpiville , avec son église et la forêt de Benerval.
L'église de Manneville avec sa terre et trois hôtes,
l'église de Paluel , les mesnils de Joinville et de Bré-
teville, Ingou ville, Saint- Valleri , avec leurs églises,
enfin l'église d'Élétot , avec sa terre et deux hôtes.
Les Normands de la cour de RilAard, prenant
exemple sur le maître, s'empressèrent d'ajouter
quelque chose aux possessions du monastère de
Fécamp.
Un de ses fidèles , le comte Rodolphe , donna l'é-
glise de Villemesnil.
Odon , fils de l'évêque Gislebert , offrit le mesnil
de Ste-Mélanie et l'église de Bolle ville.
(8i )
Un autre Normand, du même nom, et fils de
Godfrid j donna l'église de Senneville avec une ferme.
Ansgoth figure au nombre des bienfaiteurs du
monastère pour la terre de Baunay y des moulins et
tout ce qu'il possédait à Butestot et à Brametot.
Raoul donna l'église d'Ourville, et Godfrid son
manoir d'Àmblie m rilla amblida o y deux moulins et
deux acres de prairies.
Des Normandes même s'empressèrent de seconder
ce mouvement pieux : Laure j femme de Rainold ,
surnommé Yuadardus^ fît hommage à l'abbaye de
ce qu'elle possédait à Airam ; et Emelma , femme de
Hugues 9 donna sa terre de Butes ' .
A cette époque , une troupe de jongleurs existait
déjà dans la ville de Fécamp ; ces jongleurs injocula-
toreSTHy d<?rniers représentants de la musique et des
jeux scéniques des Romains y étaient une réunion de
baladins et de mimes qui commençaient à s'attacher
aux églises, à suivre les processions, et à exalter,
par leurs instruments et leurs tours de force. , l'esprit
et le cœur du peuple , qu'ils disposaient ainsi, suivant
l'opinion de l'époque, à la joie et à la prière. Les
recherches les plus laborieuses n'avaient pu faire
découvrir la trace de ces jongleurs avant le règne
de l'empereur Henri II , qui mourut en i o56. Une
charte provenant de Fécamp établit, jusqu'à l'ëvi-
' Fiscan. Cartui.
(8a)
denœ, qu'ils étaient, dans cette ville , contemporains
(Je son abbaye ' .
Leur troupe était divisée en deux classes d'acteurs;
Tune, qui réunissait le chant aux instruments de
musique, fut le point de départ des joueurs de
mystères, des frères de la passion, et par suite de
notre comédie actuelle.
Ceux de la seconde classe , qui se livraient aux
gesticulations, aux tours de force, finirent tellement
par tomber dans le burlesque , que Philippe-Auguste
les chassa de sa cour. Ils sont maintenant connus
sous le nom de bateleurs et danseurs de corde.
Il est curieux, pour Thistoire de l'art, de se rendre
compte des instruments de musique dont se servaient
alors les jongleurs de Fécamp. La charte qui en fait
mention , après avoir prononcé le nom de sympho-
nies, de diapason, cite les tambours, les psaltérions,
l'orgue , les instruments à cordes et les cythares.
D'autres jongleurs dansaient , ou portaient des vases
remplis de parfums, dans les cérémonies.
On voit que, dès le commencement du X* siècle,
on connaissait le moyen de faire entendre plusieurs
sons simultanés : en effet, le fameux chapiteau de
Saint*Georges*de-Boscherville , exécuté peu de temps
après , lious présente une réunion de huit à dix musi*
ciens, jouant chaôUn d'tlii instrument différent, pour
■ I II III I I - »■■■.>-. agJlt- - , ,^^ ,, . ^ ■! ■ I III ■_■ I
' Pièces justificatives, n® l.
(83)
*
accompagner la danse et les tours de force d'une
jongleresse (car les femmes étaient aussi admises
dans ces congrégations). L'un tient à son bras une
grande viole; une autre, sur les genoux, une espèce
de vielle; il y en a qui jouent de la cythare; un
d'eux porte à la bouche une flûte de Pan; enfin , le
dernier touche un jeu de cloches. En observant les
gestes et la manière dont on les a placés , on ne saurait
douter qu'ils sont censés jouer tous à la fois et avec
ensemble.
Le clergé de Fécamp , pour régulariser l'existence
de ces artistes de deux sexes , les réunit en confrérie
placée sous le patronage de saint Martin, dont le
siège fut, par la suite, dans la chapelle des Lépreux
de cette ville. Pour êtreyb/2g"/6?ar,ilfallaitêtrereconnu
bon chrétien, bien que de vie joyeuse et lubrique;
on participait alors à certaines immunités et bé-
néfices de l'église, provenant de messes, jeûnes,
aumônes et prières. Lorsque l'un des confrères venait
à décéder, gn en prévenait immédiatement l'abbé,
qui prononçait , au milieu de son chapitre, l'absolu-
tion du défunt, auquel les honneurs funèbres étaient
rendus comme à un religieux.
La confrérie s'assemblait solennellement deux fois
par an, et chacun des frères était obligé de verser
cinq deniers, qu'on partageait entre les moines, les
pauvres et Iç trésor de l'église.
L'existence des jongleurs fut confirmée par plu-
( 84 )
sieurs chartes émanant des premiers abbés de Fé-
camp; et, sous Badulplie, nous voyons, à leur tête ,
Henri de Gravenchon , portant le titre de maître ou
recteur delà confrérie; telle fut probablement l'ori-
gine de la célèbre musique de Fécamp.
Tout prospérait alors dans ce monastèï'e ; les
moines s'y livraient, à la prière et à tous les exer-
cices religieux qui leur étaient imposés par la règle ;
mais , trop opulents pour supporter une longue con-
trainte, leur ferveur ne tarda pas à se ralentir, et
ils finirent par mener une vie si déréglée, qu'elle ne
tenait en rien de leur profession. « Dans ce temps-là,
<c dit Orderic Vital, il régnait une grande dissolution
« dans les mœurs du clergé de Normandie, à tel
« point que , non-seulement les prêtres , mais encore
<c les prélats, usaient librement du lit des concubines,
« et faisaient parade de la nombreuse famille qu'ils
« en obtenaient. Un tel usage s'étendit beaucoup
« du temps des néopbytes, qui furent baptisés avec
« Rollon, et qui, plus instruits dans les armes que
« dans les lettres, envahirent violemment cette
« contrée. Ensuite, des prêtres d'origine danoise
« occupaient les paroisses, et, toujours aimés, dé-
a fendaient leurs fiefs laïques par un service tout
a militaire. »
Les religieux de Saint- Wandrille ne donnaient
pas un meilleur exemple de régularité. Gérard , leur
abbé , faisant tous ses efforts pour les ramener dans
( 85)
une meilleure voie, et donnant lui-même l'exemple
des plus éclatantes vertus, fut lâchement assassiné
par un moine de ce monastère '.
Rikhard , pour remédier à tous ces désordres j
écrivit à saint Majole^ supérieur de Cluny, en le
priant de lui envoyer des religieux bénédictins , et
de prendre la direction du monastère de Fécamp.
Majole f se rendant aux pressantes sollicitations
du prince, vint sur les lieux , protesta du désir
qu'il avait d'être agréable au duc des I^ormands,
et lui demanda, pour prix de sa coopération , le droit
de coutume ou de panage dans toute l'étendue de
son duché; nouvelle preuve de la suprématie de
Fécamp sur toutes les maisons religieuses de la Nor-
mandie. Le prince, ayant consulté ses barons , qui
n'avaient pas été jusqu'à ce moment sans faire de
grands. sacrifices à Téglise, tous trouvèrent que la
demande était exagérée et que le supérieur de Cluny
était par trop exigeant. La conférence fut rompue,
et tout resta provisoirement dans le même état.
Rikhard étant à Bayeux, où résidait le comte
Raoul sou frère, (ut attaqué d'une maladie subite
qui annonçait sa fin prochaine ; il se fit transporter
aussitôt à Fécamp, où il désirait mourir et être en-
Isvec. Ayant ordonné qu'on lui préparât un cer-
cueil en pierre , il le faisait, plusieurs fois par jour.
' Gall. Christ,^ Monast. Fontan.
(86)
remplir de froment pour les pauvres, et ajoutait de
Targent qu'on leur distribuait en mi^me temps.
Enfin , voyant que sa fin était proche , le pié\it
Normand se transpoila à Tëglise de la Sainte-Tri-
nité, pieds nus, vêtu d'un ciliée, appuyé sur'iin
bâton, et là, tout baigné de larmes , prosterné dë^ftnt
l'autel sur lequel il avait miâ de riches présents , il
pria Dieu avec ferveur et reçut le saint viatique.
Son frère , qui l'accompagnait , lui ayant demaiidé
où il voulait être inhumé : <x Que ce corps que j^ai
souillé de tant de péchés, dit-il, ne soit pas edséveli
dans l'intérieur de cette église , mais qu'il soit mis
à la porte , sous les égoûts de son toit.»
Rentré dans la tour de sa forteresse , il vécut
encore quelques semaines ; mais , voyant qu'il he
pouvait espérer revenir à la santé , il fit appeler j de
toutes parts , les grands de la province et les anlciens
compagnons qu'il avait commandés, et leur fit pro-
mettre fidélité au jeune Rikliard , qu'il leur présenta
comme son successeur. « Je vous recomtiiàtide,
ajouta-t-il , l'église de la Sainte-Trinité; renvoyez les
chanoines qui l'occupent, et donnez la garde de ce
saint lieu aux moines bénédictins , vrais imitateurs
des apôtres», ajoute, peut-être avec un peu dé pré-
vention , l'historien de cet ordre' , qui nous fait
connaître cette particularité.
" Trésor de Pécamp. Ms.
(87)
Les seîgpeurs normands reconnurent Rikhard H
pour leur prince. La foule du peuple, pressée aux
portes et dans les cours de la forteresse y applaudit
à la décision des grands , et Rikliard s'éteignit paisi-
lillement j au bruit des pleurs et des acclamations qui
assuraient la domination de sa race.
Ce prince , au rapport de Guillaume de Jumiéges,
était d'une taille élevée , d'une belle figiu^, et sain
de corps; il avait la barbe longue et la tête ornée
de cheveux blancs. On l'inhuma , selon son désir j
à la porte latérale de l'église , du coté du midi'.
FÉCAMP
sous Rikhard IL
L'illustration de Fécamp devait encore s'étendre
sous le successeur de Rikhard I. Rikhard II, son fils,
deni^urait alterna tiveroent dans cette ville et p Rouen,
lo^que les entreprises militaires qui signalèrent la
première période de son règne le lui permettaient.
Il commença par réprimer, aux environs de Fécamp ,
une révolte de paysans ,. dont le motif n'est pas sans
iptérét pour l'histoire. En effet , nous avons vu les
hommes de science , les artistes , les ouvriers habiles ^
» ■ « «
* Trésor de Fécamp. Mt.
(88)
obtenir des refuges et des chartes consacrant leurs
privilèges; mais cet ordre de choses n'existait que
dans les villes , et les habitants des campagnes étaient
journellement aux prises avec les châtelains normands,
qui ne cessaient de les opprimer ; les Cauchois, fati**
gués de leurs exigences^ prirent le parti de s'en
affranchir par la force , et tinrent des assemblées
où Tinsunection fut résolue. Comme ils n'étaient
ni armés ni aguerris, ils ne tardèrent pas à être
victimes de leur hasardeuse résolution. Des hommes
vêtus de fer marchèrent à leur rencontre , les disper-
sèrent, en tuèrent et prirent un grand nombre, et
cette civilisation, moitié religieuse , moitié barbare,
n'eut d'autre punition à infliger à ses prisonniers,
que de leur couper les pieds et les mains , et de les
renvoyer à leurs compagnons , qui , les voyant en
cet état , firent leur soumission , et retournèrent à
leurs charrues , ajoute froidement un écrivain ecclé-
siastique de cette époque.
Ce fut après cette expédition que RikhaA II
envoya des secours au roi de France Rolbert , ^i
était en guerre avec ses grands vassaux. La cour de
Fécamp, fixant encore une fois les destinées du
royaume des Franks, fit rentrer les révoltés dans leur
devoir, arrêta les projets de l'empereur , tant le nom
normand en imposait alors à tous les peuples.
Rikhard, voulant définitivement introduire d'au-
tres religieux dans le monastère de Fécamp , com-
(89)
mença par agrandir les bâtiments à Tusage des
moines, embellit ensuite l'église , et fit passer le
canal de la Voûte dans les cours et les jardins. Quand
tous ces travaux furent terminés , il jeta les yeux
sur Tabbé Guillaume de Dijon , pour opérer la ré-
forme qu'il projetait. Guillaume était une espèce de
missionnaire de Cluny, envoyé par saint Majole
dans les monastères de l'Allemagne et de l'Italie ,
pour y établir la règle de Saint-Benoit ; il se trouvait
alors à la tête du monastère de Dijon.
Une députation lui fut adressée, de la part du duc
des Normands , pour le prier de se rendre de suite à
Fécamp. On» pense bien qu'à cette époque , ce n'était
pas petite entreprise que de parcourir un si long
espace; et, de Fécamp à Dijon , les communications
étaient rares et difficiles. On se rappellera ce sujet,
cet autre abbé de Cluny^ qui, invité par le comte
de Paris à amener des religieux à Saint-Maur-les-
Fossés y s'excusa de faire un si long voyage dans un'
pays étranger et inconnu. L'abbé Guillaume fut
doue extrêmement surpris du message et de l'objet
qu'il avait à traiter.
En effet, il y avait à peu près soixante ans que
les Noi'wégiens de Normandie s'étaient convertis au
christianisme ; mais , depuis peu d'années seulement ,
ils rétablissaient les monastères qu'ils avaient ren-
versés ; pendant ce temps-là même , diverses expé-
ditions , venues comme auxiliaires sur nos cotes ,
(90)
s^étaient signalées par le pillage et la destruction.. Le
bruit en avait retenti au loin, «et à Dijon oo-va'était
pas au fait des 'changements qui étaient survenus.
C'était donc une mauvaise recommandation qu<g de
-se présenter à Guillaume au nom du prince das
Normands ^ aussi le fit-il bien sentir à ses envoyés.
Mais , quand ceux-ci l'eurent assuré que tout était
changé; qu'au lieu.de détruire des églises , on en
construisait tous les jours de plus belles et de, plus
commodes que les précédentes , Guillaume n'allégua
plus que la longue distance qui le séparait de Fécamp,
le manque de chevaux, de bêtes de somme , et de
moyens pour défrayer ses frères pendant la route*.
Les envoyés, de retour à Fécamp, rendirent
compte, au duc, du résultat de leur mission;
Rikhard les fit partir de nouveau avec des chevaux,
des chariots , et tout ce qui était nécessaire. Ne pou-
vant plus résister aux désirs du prince, qui mettait
tant d'instances et de procédés dans sa conduite ,
Guillaume se mit en route avec un certain nombre
de moines, parmi lesquels on distinguait Théodénk
et Jean d'Alie, et se rendit à Fécamp , où tout^.la
congrégation fut reçue., dit un ancien anpaliçte,
comme des anges envoyés du ciel; les Q^ianoineis
fureift obligés, de déguerpir. Ainsi se trcj^uv^ .însitallé
Guillaume de Dijon ,.. le premier de$ abbé^ :de
Fécamp.
Des gens qui voulaient , sans .doute ,. faire la cour
(9» )
aux nouveaux venus ^ racontèrent à Rikhard Il^que,
la nuit précédente, une troupe d'aigles s'était abattue
sur le faîte de TégUse , où ils avaient passé plusieurs
heures , signe , indiqué par le ciel , de la supériorité
des hcHumes qui avaient été introduits dans le mo-
nastère ' .
GtJlLLÀUMB DE DiJOîT, I«' Abbé.
Saint Majole , en guidant Rikhard dans son choix ^
avait réellement fait preuve de discernement. L'abbé
de Dijon , italien de naissance, homme lettré et d'un
génie supérieur , était la première capacité qui en-
trât en Normandie depuis la conquête; il ne lui
manquait que des disciples , des hommes susceptibles
de comprendre sa doctrine, des esprits élevés pour
la mettre en pratique et la propager.
Il trouva tout en Normandie, sur cette terre qui
n'avait besoin que de semence pour produire les plus
abondantes récoltes. Rikhard eut le mérite de com-
prendre la bonne acquisition qu'il venait de faire;
dès ce moment , Guillaume devient l'ame de ses
conseils, et c'est peut-être à la politique de cet abbé
qu'on devra les prodiges qui mettront le comble à
l'illustration et à la fortune des princes normands.
■ 0 1' I ■ 1 ■ ■ I I I II II I I I I i I ^m^mm^mmmmm
• Trésor; ChiH>n. M".
('9* )
 cette époque y les princes de race anglo-saxonne>
qui étaient parvenus à s'emparer du trône d'Angle-
terre, se trouvaient en butte aux incursions sans,
cesse renaissantes des Danois, qui voulaient les chasser
à leur tour. Etelrède, qui régnait alors , après avoir
acheté plusieurs fois leur départ, chercha un appui
dans le duc de Normandie. II lui denlanda , à cet
effet, sa sœur Emma en mariage, et l'obtint.
Il semblerait queRikhard voyait, avec un certain
dépit, les invasions danoises, dont les chefs étaient
sans cesse prêts à s'emparer du trône d'Angleterre»
Position élevée qui devait plutôt appartenir au duc
de Normandie, qu'au chef, peu connu , d'une petite
tribu de Norwégiens. D'un autre côté , il n'était pas
fâché de voir la puissance d'Etelrède incessamment
chancelante, espérant toujours qu'une occasion favo-
rable donnerait l'essor à son ambition. Aussi se de-
mande-t-on si ce ne fut pas plutôt comme son agent
qu'il envoya, de Fécamp en Angleterre , la normande
Emma, que pour y remplir les devoirs d'épouse et de
mère. C'est ce que les événements laissent soupçon-
ner , surtout si l'on ne perd pas de vue que l'abbé de
Focamp, l'italien Guillaume de Dijon, dirigeait alors
le conseil du chef des Normands.
En effet , il paraîtra toujours étonnant qu'aussitôt
Tarrivce d'Emma en Angleterre , le malheureux Etel-
rède soit attaqué de toutes parts par les Danois , et
qu'un Normand , de la suite de la reine , Uvre aux
( 9^ )
étrangers la place d'Ëxeter, qu'il avait mission de dé-
fendre. Etelrède n'eut-il pas quelque soupçon de
celte connivence , quand il arma contre le duc de
Normandie et fit une descente dans le Cotentin ; et
n'acquiert-elle pas un haut degré d'évidence , lors-
que nous voyons Rikhard demander un renfort aux
Danois d'Angleterre pour les opposer à son bèau-frère,
le comte de Chartres y qui voulait retenir la dot de
Mathilde? Mais n'anticipons pas sur les événements;
arrêtons-nous à la mise en scène de tous ces person-
nages, que nous ne tarderons pas à retrouver à la cour
de Fécamp.
Rikhard II, s'attachant déplus en plus à Guillaume
de Dijon , lui confia la direction supérieure des mo-
nastères de S:iint-Ourn , Jumiéges, Fontenelle et du
Mont-Sainl-Michel ; ainsi, voilà notre abbaye donnant
l'impulsion à tous ces grands foyers de civilisation
répandus sur le sol de la Normandie, et formant pour
l'avenir des hommes d'étude et de savoir. Rikhard ,
prévoyant que cette suprématie pourrait attirer , par
la suite, à Fécamp, la jalousie des évéques et des
autres monastères , eut l'idée de l'affranchir de toute
juridiction épiscopale; il convoqua, à cet effet, dans
son palais de Fécamp, Rotbert, son frère, archevêque
de Rouen , les autres évêques et les principaux sei-
gneurs de la Normandie , et leur fit signer une charte
par laquelle ils reconnaissaient le monastère exempt
de toute sujétion et droit épiscopal.
(94)
Le roi des Franks , Rotbert , étant venu à Fécamp
sur ces entrefaites, Rikhard le pria de signer la charte
ci-dessus et de là revêtir de son approbation ; ce roi
commença par faire don , lui-même , à l'abbaye , du
prieuré de Villers-Saint-Paul, situé dans ses propres
états % et confirma plusieurs concessions de Kikhard
et de ses prédécesseurs. Nous trouvons, en Ire autres,
la troisième partie des hôtes ou colons de Fécamp ,
avec les terres qur leur appartenaient.
On ne doit pas être surpris de cette dernière do-
nation; c'était seulement, selon le langage de la féo-
dalité, le tiers des habitants de Fécamp, qui, au lieu
de rester vassaux du prince, le devenaient de l'abbaye;
et leur condition n'avait pas empiré, car, dans ces
temps oïl le capuchon du moine avait plus de pou-
voir que le heaume du chevalier, on y regardait à
deux fois pour molester des gens qui vivaient sous la
protection de l'église. Par la même charte, Fécamp
devient possesseur de l'église de Saint-Paterne de
Rouen , adossée au mur de la ville et bornée par la
voie publique sur les trois autres côtés, ainsi que
dû droit de haute et moyenne justice dans toutes
les terres dépendantes de l'abbaye.
Les habitudes religieuses de Rikhard n'avaient
pas à souffrir des soins qu'il donnait au gouvernement
de la Normandie, car, tous les ans, le jour de Pâques,
* Extrait da Cartulaire> prêté à don MabiUon.
(95)
avant de s'approcher de l'autei avec son épouse
ludtthy ses enfants et toute sa cour, il se faisait pré-
céder de coriieilles remplies d'étoffes précieuses , de
vases, d'encensoirs 9 de candélabres et autres objets
qu'il offrait à Dieu et à ses saints <. Le même jour,
après la messe , avant de retourner à son palais pour
dîner avec le^ grands de sa suite, il allait, avec ses
deux fils, Rikhard et .Rotbert, au réfectoire des re-
ligieux, et là, prenant de ses propres mains les
mets qui arrivaient de la cuisine, il plaçait le premier
plat devant Tabbé, et les autres devant les frères, qui,
en échange de tant d'humilité, lui dounaient le titre
de Bon , de Pieux , et le proclamaient le Père des
moines.
Nous avons vu que Rikhard avait fait faire un titre
d'exemption pour l'abbaye de Fécamp; restait encore
à le faire approuver par le saint siège. Soit que ce fût
la véritable cause d'un voyage à Rome , ou plutôt le
désir de s'entendre avec le pape , surtout alors que
les excommunications et les interdits allaient fondre
sur l'Angleterre, Rikhard envoya Guillaume de Dijon
auprès du souverain pontife Benoît VIII, que cet
abbé avait autrefois particulièrement connu en Italie.
Où pense bien que le pape fut agréablement surpris
d'-eatendre les récits de Guillaume , et de recevoir
Taote de soumis8ton.de Rikhard, qui mettait sous sa
' Will. Pict., nta fVUL conq.
(96)
dépendance directe le premier et le plus illustre mo-
nastère de la Normandie ; il accorda avec joie tout
ce qui lui était demandé , adressa des félicitations à
Rikliard sur sa piété , et Tabbc Guillaume revint à
Fécamp, ayant obtenu , pour lui et ses successeurs ,
Tusage de la mitre, qui n'était encore portée que par
les évéques. Quant aux articles secrets du traité
passé entre le pape et Rikhard, on peut les deviner;
mais ils n'ont jamais été officiellement connus.
Au retour de l'abbé de Fécamp , le royaume d'An-
gleterre était en combustion. Etelrède, qui avait
ordonné des espèces de Vêpres siciliennes sur les Da-
nois qui habitaient ce pays , devint en horreur à ses
sujets et aux étrangers. Le roi Canut étant descendu
avec une troupe de Danois pour venger la mort de
ceux de sa nation , poursuivit Etcli'ède , qu'il renverea
du trône. La normande Emma quitta furtivement
l'Angleterre, et aborda à Fécamp avec ses fils Alfred,
Edouard et sa fille Godiove ^ Etelrède, qui s'était
sauvé dans l'île de Wiglit, s'y maintint en attendant
des nouvelles de la Normandie; et, lorsqu'il sut que
son beau-frère consentait à le recevoir , il se déter-
mina à se rendre auprès de lui avec Edmond , fils de
sa première femme , qui l'accompagnait dans sa fuite.
Ainsi , voilà la cour de Fécamp devenant le refuge
des rois détrônés, et cette vieille forteresse , dont
' Fisc. Chron. Ma.
(97)
nous Toyons encore les murs démantelés, prêtant son
abri à de royales infortimes. Les destinées d'un grand
peuple devaient s'accomplir au milieu de tous ces
exilés.
£telrède avait à peine passé une année à Fécamp,
qu'il reçut des messages de quelques seigneurs an-
glais, qui, fatigués du joug def^Angers, désiraient
rétablir la dynastie saxonne sur le trône. Ces envoyés
iîirent parfaitement accueillis par le duc Rikhard, qui
n'avait rien tant à .cœur que de voir les descendants
d'Emma rentrer dans la possession du trône paternel ,
premier pas vers la domination normande. Un conseil
fut tenu en famille; on fit un appel à tous les parti-
sans d'Ëtelrède; les bannières normandes et anglo-
saxonnes, qui devaient un jour s'entre-choquer , se
déployèrent pour la même cause. Etelrède débarqua
en Angleterre avec son fils Edmond, marcha contre
le roi Canut, le défit et l'obligea de repasser en
Dannemark.
Ce roi, renversé du trône, ne fut pas plutôt arrivé
dans le nord, qu'il assembla de nouvelles bandes d'a-
venturîers pour attaquer son compétiteur. Etelrède,
voyant l'orage qui grondait contre lui, fit un appel à
Bikhard, qui lui envoya des Normands de bonne vo-
lonté , ayant à leur tête les princes Alfred et Edouard.
La lutte recommençant, plus acharnée que jamais ,
Edmond fils d'Etelrède fut assassiné ; Etelrède , kii-
même , mourut enfermé dans le château de Londres,
7
(98)
et la cour de Fécamp apprit ce désastre par Tar^
rivée d'Emma et de ses trois enfants ^ qui vinrent de
nouveau demander l'hospitalité au duc de Nor«
mandie.
Le but de Rikhard était loin d'être atteint y mai»
un arrangement nouveau vint ^encore une fois tout
concilier. Canut, ^ilrPraignait toujours une attaque
du côté de la Normandie , épousa , avec le consen-
tement de Rikhard, la veuve d'Etelrède, en pro-
mettant le trône d'Angleterre aux enfants qui naî-
traient de cette union , au préjudice de Hérold son
fils , qu'il avait eu de sa première femme. Il est im-
possible de se méprendre sur l'idée dominante qui
conduisait une pareille intrigue et engageait Emma
à épouser l'assassin de son mari et l'usurpateur du
trône de sa famille. Alfred et Edouard étaient encore
une fois sacrifiés à la politique.
Théoderik , prieur de Fécamp , est appelé à gou-
verner l'abbaye de Jumiéges ; on conservait , dans
la bibliothèque de ce monastère , un manuscrit pré-
cieux contenant plusieurs formules. rédigées par cet.
abbé pour admettre les néophites de tout âge dans
les ordres religieux.
Une année après cette promotion, Rikhard. Q.
donna l'abbaye de Rernay à celle de Fécamp, Il
ne tarda pas à y ajouter celle de Montivilliers , dont
les rehgieuses avaient été expulsées pour faire place
à des clercs laïcs ou chanoines , à peu près aussi
(99)
réguliers que ceux, de Fécamp. Ce fut pour y réta-
blir la discipline que Bikhard 11 la remit à l'abbé
Guillaume, qui y introduisit des religieux de son ordre.
Le duc des Normands , trouvant la sépulture de
son père par trop humble, fit édifier, au-dessus,
un oratoire qu'il joignit à l'église. Ce travail donna
lieu à la division de l'ancienne chf^elle de Saint-
Taurin, et à la partie la plus reculée, dans laquelle
on a placé les fonts baptismaux. C'est là que , se dé-
robant à tous les regards , le duc de Normandie se
retirait souvent pour prier Dieu , à toute heure du
jour et de la nuit. Ses excursions nocturnes ont même
donné lieu à une anecdote que je ne peux me dispen-
ser de raconter, comme étude de mœurs, d'époque
et de localité.
Le pieux duc avait l'habitude de quitter, la nuit,
sa forteresse pour se rendre seul à l'église qui en
était tout près. Une nuit , y étant allé beaucoup
avant l'heure de matines , il trouva la porte fermée ;
l'ayant secouée avec force , il parvint à l'ouvrir et
à se placer à l'écart pour prier. Le sacristain , qui
avait été éveillé au bruit , s'étant levé précipitamment,
parcourut l'église et trouva , dans un coin , un homme
mal vêtu , qu'il prit ni plus ni moins que pour un
voleur ; il lui sauta au collet , le frappa rudement ,
et le jeta hors de l'église , sans lui dire un seul mot.
Rikhard rentra dans son palais sans être vu , et ,
au point du jour , il se rendit au chapitre , se plaignit
( ïoo )
à Tabbé du traitement indigné qu'il avait reçu , et
demanda que le sacristain lui fût livre pour en faire
justice.
L'abbë, ne pouvant résister à la volonté du
prince, lui remit son religieux, qui fut envoyé à
Argences pou^ être jugé. Le jour où Ton devait
prononcer sur le sort de ce moine étant arrivé,
Rikhard se rendit à Argences, et , au lieu de demander
la punition de l'accusé , il prit lui-même sa défense j
en disant : « Le sacristain m'a bien frappé, il est vrai ,
mais c'est un bon religieux , grand observateur de
la règle, car il n'a pas ouvert la bouche en me.jetant
à la porte du monastère, et, au lieu de le punir,
je joins à l'office de sacristain le bourg d'Argences ,
qui produit de bon vin'.»
Quelques auteurs, Dumoustier et Vincent de
Baumais, ont prétendu, je ne sais sur quelle autorité,
qu'Etelrède , pendant son séjour à Fécamp , avait été
le héros de cette historiette; mais la tradition du
cloître a rejeté bien loin cette assertion, non appli-
•cable aux habitudes peu religieuses de ce roi , et en
ont laissé tout l'honneur au duc de Normandie.
Enfin , Bikhard essuya , dans la même année , une
perte à laquelle il se montra fort sensible, celle de
«on troisième fils Guillaume, qu'il avait consacré
à Dieu dans le monastère de Fécamp ; il le fit inhu- |
— - - - — '■' ■ Bill ■ ■ ■ ■ ■ ■■^■^^—1^^^—^ , — ^g^^m^
m»
* Fisc. CarK
i
( loi )
mer auprès de son père Rikhard P'. Il avait déjà
perdu, à Fécamp, depuis plusieurs années ^ une fille
qui avait été fiancée, fort jeune^ à Alphonse, roi
de Navarre.
Rikhard sentant arriver les infirmités, et voyant
que sa santé s'affaiblissait de jour en jour, réunit,,
dans sa forteresse de Fécamp , ses trois fils : Ri-
khard m , Rotbert et l'évêque Mauger , les évêques
d'Evreux et de Bayeux , Nighel , vicomte de Fécamp,
et son chancelier Hugues ; là , en présence de ces
personnages, il fît donation à Tabbaye de grands^
biens dont voici le détail :
L'abbaye de Saint*Gervais de Rouen.
Le village de Troarn.
La forêt de Fécamp, depuis les Plantis (n fastes
plantation jusqu'à la mer; les revenus de l'octroi
du bourg de Fécamp , et plusieurs prairies situées^
dans la vallée.
La forêt appelée ce Extendala » , et , auprès du vil-
lage de Bouteilles , deux hôtes , et le tiers de la
pêche de la rivière d'Arqués, deux salines, des terres
en labour et des prairies.
A Harfleur, il donna sept hdtes et soixante me-
sures de sel , la dîme des salines d'Oudales oc Hulvc"
dalan, quatre acres de prairies , vingt-quatre acres
de terre en labour , et une partie de la forêt.
* Fisc, Cart. ^ Cette ferme se nomme encore Us Plantis^
( ^on )
Il ajouta y eules , avec son église , cinq moulins y
l'église de Blosseville et soixante acres de terre.
La moitié du revenu de l'église d'Houdetot , toute
la terre et le bois tenus par Germond.
Douze arpents de vigne dans la commune de
Longueville , les mesnils de Ste-Colombe et de Fou-
taine-Bérenger.
a Huldebodeifilla » en entier.
Les églises Saint-Etîenne-de-Portjoie , de Saint-
Saturnin , de Neuville , de Pauville , et la terre tenue
par Roger dans cette dernière commune.
Un trait de pêche et quatre étangs sur le fleuve
nommé Anthura, près d'Hasdans.
Un trait de pêche sur la Risle, auprès de Pont-
Audemer « Pons Haldemari. »
Auprès de la ville de Rouen , dans le lieu nommé
la Fosse , sept acres de prairies et deux acres du pré
nommé « Pipinus. j>
L'église de Pissi , avec deux hôtes.
L'église de Barentin avec deux hôtes , un moulin,
et le cours d'eau depuis le lieu nommé «c Gordxy-Po-
liaco » , jusqu'au hêtre de la Comtesse.
L'église d'Ecréteville avec un hôte; sur la 'Seine ,
les villages d'Aizier et de Sainte- Croix, et tout ce que
tenait à ferme Strostincus.
Herchinville-sur-Mer.
Les églises de Butes, Ulmedis, Magintrudis et de
Sainte-Marie-du-Désert .
( .o3 )
Le mesniid'Almenèchesavec son église, Argences,
son marché , sa foret, en échange d'un manoir situé
dans la ville de Rouen , sur le port de Saint-Clé-
ment.
Bikhard termina enfin par la dîme de tout son
argent monnayé et des revenus de sa chancel-
lerie.
Cette charte est signé par les grands personnages
que le duc de Normandie avait fait réunir dans son
palais, et doit porter la date de 10269 ^^^ nous trou-
vons des époques différentes sur les diverses copies
du cartulaire que nous avons consultées.
Enfin,, le 112, août de la même année, la ville de
Fécamp fut de nouveau témoin d'un événement bien
douloureux : la perte de son prince, sous le gouver-
nement duquel elle avait acquis ua haut ifégré de
prospérité. Rikhard, voyant que sa dernière heure
était proche , convoqua auprès de lui l'archevêque
Rotbert et tous les princes normands , fît appeler son
fîls Rikhard et le mit à la tête de son duché. <c Sitôt
tf que la nouvelle de sa maladie fut répandue dans
a la ville, tous les habitants furent saisis d'une
a douleur intolérable ; les moines et les clercs se
a lamentaient tristement sur le point de devenir or-
cc phelins d'un père si chéri; des bandes de pauvres,
a qui étaient ordinairement attirés dans la ville par
a les aumônes de Rikhard , remplirent les rues et se
« livrèrent à la désolation. Il expira et fut inhumé ,
( io4 )
tf selcm sa volonté , dans la chapelle qu^il avait élevée,
tf au-dessus des restes de son père '. »
FECAMP
sous LE DUC ROTBERT.
II ne se passa à Fécamp ancun fait remarquable
sous Rikhard HI, fils et successeur de Rikhard P',
ce prince étant mort empoisonné , après avoir gou-
verné à peine une année la Normandie; il laissait un
fils nommé Nicolas, qui fut contraint, par son oncle
Rotbert , de se faire religieux dans le monastère de
Fécamp^
Le gouvernement de Rotbert est marqué par
divers événements que réclame l'histoire de Fécamp.
Il y eut d'abord une ligue contre lui , formée dans sa
propre famille; ce qui ferait croire que son usurpation
n'était pas généralement approuvée. L'archevêque
de Rouen, Hugues évêque de Bayeux, Guillaume
de Bellême, et Alain duc de Bretagne , tous ses
parents, avaient soulevé contre lui une partie de la
Normandie. L'archevêque de Rouen , poursuivi à ou-
trance par Rotbert, fut obligé de se retirer auprès du
■ mu. Gemet., lib. fr, cap. 17.
( 'o5)
roi des Frânks, et, en quittant son diocèse, il frappa
d'anathèmé la Normandie , ce qui entraînait l'inter-
diction de toute cérémonie religieuse dans le duché;
les moines de Fécamp , et les églises de leur dépen-
dance, n'en continuèrent pas moins l'office divin.
C'est le premier acte d'indépendance par lequel ils
se déclarèrent en dehors de la juridiction ecclésias-
tique ordinaire ' . Pendant ce temps j les peuples ,
privés de secours religieux , arrivaient en foule à
Fécamp; heureusement que cette interdiction fut
bientôt levée , par suite des victoires remportées par
Rotbert sur ses ennemis^ qui ne tardèrent pas à se
réconcilier avec lui.
Il tourna ensuite ses armes victorieuses du coté
de la Bretagne; ayant ravagé les frontières de ce
pays, qu'il trouva sans défense, il revint à Rouen, où
d'autres projets devaient être médités et entrepris.
Depuis long-temps on voyait à sa cour, et pres-
que toujours à Fécamp , les deux fils d'Etelrède ,
Alfred et Edouard. Leur mère , Emma, était morte
sur le trône d'Angleterre , et Canut, leur beau-père,
ne s'empressait pas de les initier au gouvernement
de son royaume , tomme il en avait pris l'engage-
ment. En effet , Canut avait promis le trône aux
enfants d'Emma, et bien entendu que ceux qu'il
> Gall. Ch. , fisc. Monast. et fisc. Cart.
( »o6)
aurait d'elle devaient avoir la préférence sur ceux
d'Etelrède. Hardi-Canut, le seul qu'il avait eu de la
princesse normande , était déjà pourvu du trône de
Dannemark; restait alors, pour celui d'Angleterre,
Alfred et Edouard , qui , à la vérité , avaient pour
compétiteur Hérold , fils de Canut et d'une concu-
bine norwégienne. C'était justement ce fils que la
politique de Rotbert voulait éloigner, car ce prince,
en consolidant la monarchie anglo-danoise, eût mis
un terme aux prétentions de la dynastie normande
sur le gouvernement de l'Angleterre.
Le roi Canut n'ayant pas répondu favorablement
aux réclamations qui lui étaient adressées^ Rotbert,
animé d'une violente colère , convoqua ses barons ,
ordonna de réunir un grand nombre de nefs dans
le port de Fécamp; cette flotte, montée en majeure
partie par les mariniers de cette ville et de la côte
voisine , quitta le port , remplie d'enthousiasme et
d'espérance ; il s'agissait de rendre un trône aux
jeunes princes, qui avaient été élevés sous les yeux
de ces hommes , et que l'exil et le malheur rendaient
pour eux si intéressants.
Toutes les classes prirent une part égale au succès
de cette expédition; les chevaliers, les hommes de
mer contribuèrent de leurs personnes ; les religieux
de leurs biens et de leurs prières. Enfin ,/ tout étant
prêt pour le départ, Rotbert monta à bord de ses
navires , fit déployer les voiles , et se dirigea vers
( I07 )
rAngieterre. Ainsi fîit commencée , par ce prince ,
une entreprise qui ne devait réussir que sous le règne
de son successeur. Un événement imprévu vint dé-
ranger ses combinaisons , ses rêves de gloire et de
fortune. Sa flotte , assaillie par une furieuse tempête ,
fut jetée du côté de Jersey , et ceux qui faisaient
partie de l'expédition ne parvinrent à toucher la terre
qu'à travers les plus grands dangers.
Pendant ce temps-là , le duc des Bretons ayant
recommencé ses courses sur les frontières de la
Normandie j Botbert profita de la circonstance qui
l'avait amené dans le voisinage des côtes de Bre-
tagne j pour attaquer son ennemi j qu'il battit com-
plètement. Il revint ensuite à Fécamp avec une
partie de sa flotte j bien décidé à recommencer sa
lutte contre le roi d'Angleterre. Canut lui en épar-
gna la peine ^ en lui envoyant des messagers pour
l'assurer qu'il était toujours dans l'intention d'ap-
peler au trône les enfants d'Etelrède , comme il en
avait pris l'engagement.
L'abbé Guillaume, après avoir peuplé de ses
élèves tous les monastères de la Normandie, se
sentant courbé sous le poids des années et des infir-
mités, prit le parti d'abdiquer le gouvernement de
son monastère , pour visiter les établissements qu'il
avait fondés dans le midi de la France. Le duc Bot-
bert, ne pouvant vaincre sa résolution, exigea du
moins qu'il se désignât un successeur. Ce choix
( to8)
tombasur Jean d'Alie, son second prieur claustral ^
qu'il avait atifené avec lui de Dijon.
Jean d'Alie, second Abbé.
Ce nouvel abbé était un^ religieux fort instruit
dans les sciences divines et politiques , plus à même
que tout autre de maintenir la discipline monacale
et de propager la doctrine du maître. Il possédait,
en outre , de très grandes con naissances en méde-
cine; ce qui mettait en évidence et donnait un
certain crédit aux hommes de l'époque. Rotbert ,
satisfait de ce choix , transporta sur Jean d'Alie toute
la confiance qu'il avait en son prédécesseur; il le
fit sacrer par Hugues ^ évêque d'Avranches , ne
voulant pas avoir recours à l'archevêque de Rouen ,
qui aurait pu regarder cet acte comme un droit,
ou une preuve de suprématie sur le inonastère de
Fécamp.
. L'abbé Guillaume , après avoir fait la visite qu'il
projetait 9 ne tarda pas à revenir à Fécàmp j où il
expira presqu'aussitot , à l'âge de 70 ans ; il fiit
inhumé devant l'autel de Saint-Taurin , à présent de
Saint-Benoît, et transporté , en 1681 , dans un mau-
solée placé, contre le mur de Sainte-Marie-Madeleine.
Nous n'avons pas besoin de répéter ici ce que
nous avons dit de cet illustre abbé , le conseiller
intime de nos premiers ducs, celui qui dirigea la
( I09) r
politique normaade pendant quarante-un ans de sa
vie. Sa réputation était tellement répandue , qu'il
arrivait à Fëcamp de grands personnages pour le
consulter ou vivre sous la règle qu'il avait établie.
On cite, entr'aulres , l'évêque Osmond, dont on
voyait encore la sépulture dans le chapitre, avant la
révolution ; deux ecclésiastiques de la cour de
France, Lecolinus et Berugerius : le premier acquit
une telle réputation de science , qu'il devint abbé
dans un monastère de son pays ; le second mourut
moine à Fécamp.
On nomme encore beaucoup de personnages
illustres d'Angleterre , à la tête desquels était Clé-
mentius, issu du sang royal; comme sa naissance lui
attirait beaucoup de visites des hommes les plus dis-
tingués (ie sa patrie, et qu'il entendait trop parler du
monde qu'il voulait oublier , il se réfugia , par le conseil
de l'abbé Guillaume, dans le monastère de Dijon.
Parmi les grandes choses attribuées à cet abbé, on
pense bien qu'il doit se trouver, quelques miracles.
Nous en rapporterons deux seulement , dont nous
ne parlerons qu'avec la plus grande réserve; car,
dans l'ordre des événements surnaturels, il est diffi-
cile de se rendre compte du passé par le présent.
Nous ignorons quelles étaient alors les vues de la
Providence , le besoin d'intervention de la puissance
divine dans les choses de ce monde; et le désir de
tout expliquer, nous ferait tomber dans un scepti-
( iio )
cistne qui est loin de notre pensée; il nous en coû-
terait trop de ne pas croire aux lumières et à la
bonne foi de tant de grands hommes dont les noms
sont arrivés jusqu'à nous, entourés du respeèt et de
l'admiration des siècles.
On rapporte qu'un serviteur de l'abbaye de Dijon,
ayant été étranglé au gibet , fut ressuscité par les
prières de Guillaume. Il est à croire que ce bon abbé
n'était pas parfaitement convaincu de la culpabilité
de son serviteur.
Un autre miracle eut lieu à Fécamp , deux ans
après la mort de Guillaume de Dijon : un adolescent
fort infirme s'endormit en priant auprès de son
tombeau ; à son réveil , il était guéri.
Dans la même année, Rotbert, roi des Franks ,
étant mort, sa femme Constance voulut assurer la
couronne à son second fils, au détriment de Henri,
qui était l'aîné. Celui-ci, voyant qu'il avait à lutter
contre un fort parti, en appela à la loyauté et à l'ar-
bifrage du duc de Normandie. Les habitants de Fé-
camp le virent arriver dans leurs murs, accompagné
de douze chevaliers ; il se rendit à la cour ' , et en re-
partit bientôt avec le duc Rotbert , qui l'accompagna
jusqu'à Gisors , et un secours de Normands qui le
mirent à même de remonter sur le trône de ses pères.
' fFill. Gemet. , lib. 6 , cap. 7.
( I'» )
A. la suite decetteexpëdîtioQyCoacertéedaDs le mo-
nastère deFécamp, la Normandie s'accrut du Yexin
français.
L'abbé Jean d'Alie, gouvernant sa communauté en
digne successeur de Guillaume, sa renommée ne
tarda pas à s'étendre dans toute la province. Les
religieux du Mont-Saint-Michel lui demandèrent un
abbé ; il leur envoya le neveu de son prédécesseur ,
le moine Suppo , qui apporta avec lui une quantité
de précieux manuscrits venant d'Italie , et forma une
bibliothèque considérable dans son nouveau mo-
nastère.
Ije comte de Saint-Paul , qui venait de fonder la
communauté de Blangy^ fit la même demande à l'abbé
Jean , en lui remettant la direction supérieure de
cette maison y qui a dépendu pendant long-temps du
monastère de Fécamp.
A cette époque , un scrupule religieux s'emparait
du duc Rotbert. Ontrouve^ dans les archives deMon-
tivilliers , des lettres dans lesquelles il dit : qu'il voit
avec peine l'état d'abjection et d'abandon dans lequel
se trouve le saint lieu donné à Saint-Philibert, par
Yaratton.
Nous avons vu que des chanoines s'étaient in-
stallés dans ce monastère, et, comme ces nouveaux
religieux étaient presque tous des Danois peu soumis
à la discipline ecclésiastique , leur vie n'avait géné-
ralement rien de bien édifiant. Soit désir de rétablir
(lia)
l'ancien ordre de choses, selon le vœu du fondateur
qui y avait placé les religieuses de Fécamp , soit pour
se rendre aux pressantes sollicitations de Béatrix j$a
tante, fille naturelle de Rikhard I*% laquelle désirait
être abbesse de Montivilliers , Rotbert retira ce mo-
nastère de la dépendance de celui de Fécamp, et
donna y en échange , à ce dernier , Tabbàye de Saint-
Taurin d'Evreux. L'acte de cette donation fut sou-
scrit à Fécamp en Tan io35. On dit que Tabbé Jean
ne fut pas satisfait de cet arrangement , et qu'il ne
se rendit qu'avec peine aux désirs du duc de Nor-
mandie.
Les monastères de Bernay, de Saint-Taurin et de
Sainte-Berthe-de-Blangy, se trouvèrent ainsi sous la
dépendance de celui de Fécamp, et cette triple
possession est rappelée , dit-on , par les trois mitres
qui figurent dans les armes de ce dernier monastère.
L'année io35 est féconde en événements qui se
pressent et se succèdent. D'abord, Gilbert, moine de
Fécamp, fut appelé au gouvernement de l'abbaye de
Couches ; c'était, dit Ordéric Vital, un homme (Tune
grande sagesse et (tune grande honnêteté. Ensuite,
Rotbert contraignit son cousin Hugues III, évêque
de Bayeux, de rendre, moyennant une indemnité,
les biens d'Argences , qu'il avait usurpés sur l'abbaye
de Fécamp. Il paraît qu'à raison de sa qualité de
parent des ducs de Normandie , Té vêque de Bayeux
se croyait tout permis, car, dans la même année.
( "3)
il restitua aussi quelques biens au monastère de
Préaux, mais il ne s'en dessaisit qu'au moyen d'une
forte somme d'argent.
Vers la même époque, Rotbert fit part à ses con-
seillers d'un projet qu'il nourrissait depuis long-
temps, et dans lequel les idées du siècle, et peut-
être les reproches de sa conscience, tendaient à l'af-
fermir. Tous les jours prosterné devant les autels
de l'abbaye, il demandait à Dieu et à ses saints l'in-
spiration et le secours divin pour entreprendre un
voyage à la Terre sainte '. Quand sa résolution fut
définitive, il convoqua à Fécamp l'archevêque de
Rouen, les abbés et les grands de la province, et
leur fit part du projet qu'il avait irrévocablement
arrêté. Tous lui ayant représenté qu'il était im-
prudent à lui de quitter son pays qu'il exposait aux
malheurs de la guerre civile , s'il venait à succomber
dans le voyage, n'ayant pas d'héritier pour prendre
les rênes du gouvernement, Rotbert les tira d'in-
quiétude , en leur présentant Guillaume son fils pour
lui succéder.
Depuis quelques années on voyait, dans le palais
de Fécamp , un enfant extraordinaire , élevé avec le
plus grand soin , dont la naissance , connue d'ua très
petit nombre d'affidés, était un mystère pour la Nor-
mandie. C'était un fils de Rotbert, qu'il avait eu de
I Gall, ch. , tome U ; Appendix , col. 327.
8
( ii4 )
la fille d'un bourgeois de Falaise , et qui avait été
transporté à Fécamp aussitôt sa naissance. Les
prélats, enchantés de la bonne mine de cet enfant,
le reconnurent tous pour le successeur de Rotbert,
et il y eut de grandes réjouissances à l'occasion de
cette cérémonie.
Pendant cette réunion, de nouvelles donations
furent faites aux églises de la province : Rotbert
offrit la terre de Toutain ville au monastère de Préaux;
Hunfrid , père de Roger de Beaumont , qui avait fait
construire l'église de ce village, ajouta à cet acte de
libéralité douze livres d'or, deux manteaux et deux
cavales d'un grand prix. Ces objets furent réunis à
Fécamp sous les yeux de Rotbert , qui délégua son
fils Guillaume , pour déposer sur l'autel de Préaux
l'acte de donation de Toutainville ^ . Ce jeune prince
était accompagné de son gouverneur, de Raoul
fils de Gerald , et de Rikhard de Lillebonne.
Nous croyons devoir rapporter une circonstance
assez curieuse de cette cérémonie ;
Ilumfrid , ayant réuni à Préaux plusieurs grands
personnages , lelir donna un soufflet, en mémoire
de l'acte dont il était question. Richard , de Lille-
bonne , échanson de Rotbert , en ayant reçu un
plus fort qtie les autres , en demanda la raison à
Humfrid , celui-ci lui répondit : « parce que tu es le
» Gall. ch. , toin. II ; Instr. Ecc. Lexo. , col. 201
( "5)
plus jeune 7 que tu me survivras, et qu'il est bon
que tu gardes la mémoire de ce qui vient de se
passer. »
De retour de ce voyage, Raoul, par une charte
dans laquelle il prend le titre de chambellan de Tan-
carville, donne , pour son salut et celui de Marsilie
son épouse, à l'abbaye de Fécamp, 3o sols à perce-
voir sur les propriétés de quelques-uns de ses hom-
mes de Fécamp ' ; il y ajoute un autre revenu qu'il
possédait féodalement dans l'église de la Sainte-
Trinité.
Rotbert , prêt à partir pour la Terre-Sainte , ap-
pela , pour le remplacer , Alain , comte de Bretagne,
qui se rendit avec sa femme Judith à Fécamp. Ce fut
dans cette ville qu'il fit constamment sa résidence ,
et s'occupa des affaires de la province et de l'édu-
cation de son noble pupile.
Nous ne rappellerons pas l'éclat du pèlerinage
de Rotbert. Son voyage fut de courte durée comme
sa vie, dont le terme eut lieu à Nicée, en io35.
Cette nouvelle étant parvenue à Fécamp, Guillaume-
le-Bâtard , âgé de huit ans environ , fut immédiate-
ment proclamé duc de Normandie.
< Excerpta Cart. Fisc. Mss. de la Bibliothèque du Roi ; cartons
de Fécamp.
( "6 )
FECAMP
sous GUILLAUME-LE-CONQUÉRANT.
Les commencements du pouvoir de Guillaume
furent peut-être les plus agités de tous ceux de la
dynastie normande. Beaucoup de grands seigneurs
refusèrent d'obéir à un bâtard. Quelques-uns même
de sa propre famille, se regardèrent comme plus
aptes que lui à succéder à Rotbert. Mais générale-
ment toutes ces guerres de partis opposes, qui
finissaient par le pillage et l'assassinai , se passaient
dans la Basse-Normandie.
Alam fut enfin obligé de quitter Fécamp pour se
mettre à la tête des partisans de Guillaume. Après
quelques succès toujours disputés avec acliarnement,
ce prince mourut empoisonné , et ne revit la ville
qu'il venait de quitter que pour y trouver un cer-
cueil. Sa femme Judith fut accusée d'avoir pris part
à cet assassinat , et son épitaphe , conservée sur sa
tombe , dans le monastère de Fécamp ^, nous apprend
' Et quse dante Deo sed judice justificante ,
Primo jus subiit sed modo jura régit,
nia solo hic sociata mariti, ut jura saluta
Juditha judicio justificata jaoet.
( "7)
qu'elle se justifia de cette accusation, par l'épreuve
du fer chaud fort en usage à cette époque.
Peu de temps avant la mort d'Alain , ce Nicolas ,
fils de Rikhard III , que nous avons vu embrasser
l'état monastique à Fédamp , quitta ce monastère et
devint abbé de Saint-Ouen de Rouen , léger dédom-
magement de la haute position qu'il avait perdue
sans retour '.
Ici nous sommes naturellement amené aux affaires
d'Angleterre y interrompues par toutes les dissensions
qui désolaient la Normandie. Nous avons laissé à
Fécamp les deux princes anglo-normands , Edouard
et Alfred, vivant à la cour de Guillaume et passant
leur temps, dans la compagnie du jeune duc, à visiter
les hommes instruits qui peuplaient les cloîtres.
Edouard faisait de fréquents voyages à Saint- Wan-
drille, où un moine nommé Robert, élève deThéo-
dérik et de Guillaume de Dijon , s'était tout-à-fait
emparé de sa confiance et était devenu l'ame de ses
conseils.
Sur ces entrefaites, le roi Canut vint à mourir;
c'était le moment , pour les enfants d'Emma , de
faire valoir leurs prétentions; mais ils furent de-
vancés parles comtes d'Angleterre, à la tête desquels
se trouvaient le fameux Godwin et ses partisans, qui
élevèrent au trône llérold , fils aîné d'Etelrède..
' Gall christ. , tom: II ; Aud. Monas.
( "8)
Dans cet arrangement , Hardi Garnît restait posses-
seur du trône de Danemarck et de quelques comtés
au nord de la Tamise '.
Cette résolution renversait d'un seul coup les
projets des ducs normands, et la main qui tenait le
sceptre du duché n'était pas encore d'âge à reprendre
les plans qui avaient préoccupé ses ancêtres. Edouard
et Alfred en jugèrent ainsi, et, voyant qu'ils n'avaient
aucun secours à espérer pendant l'orageuse minorité
de Guillaume, ils formèrent le projet de tenter la
fortune, en débarquant sur les côtes d'Angleteri-e ,
et de rappeler le souvenir de la dynastie saxonne
aux peuples fatigués du joug des Danois.
Alfred s'aventura le premier dans cette carrière
si grosse de périls et de naufrages , et réunit à
Fécamp quarante navires. Tout le monde faisait
des vœux pour cette expédition , qui devait cependant
être si funeste à son auteur. A peine débarqué sur
les côtes d'Angleterre , ce jeune prince , si brave et
si plein de résolution , tomba entre les mains des
gens du comte Godwin , qui , ayant lui-même , pour
sa famille , des prétentions au trône , voyait avec dé-
plaisir l'arrivée d'un prétendant agréable à la nation.
Le malheureux prince, après avoir été témoin du
massacre de ses partisans , eut les yeux crevés , et
' Saxon. Chron.
( "9 )
fut enfermé daiis le monastère d^Eli, où il mourut
de chagrin et de désespoir.
Cette nouvelle y étant arrivée en Normandie, y
causa une consternation générale parmi le peuple ,
et surtout dans les cloîtres de Fécainp et de Saint-
Wandrille. T^ prince Edouard y inconsolable et
résigné j renonça à des projets paraissant alors im-
possibles, et qui devaient néanmoins s'accomplir par
une voie moins hérissée de difficultés et de périls ; en
effet , Hérold ne tarda pas à mourir , et Hardi-Canut
fut immédiatement investi de la double couronne de
Danemarck et d'Angleterre. Ce prince commença
par venger le meurtre d'Alfred , et appela auprès de
lui Edouard , qui partit de Fécamp pour toujours ,
ayant été proclamé lui-même roi d'Angleterre , après
la mort de Hardi- Canut qui n'occupa le trône
que deux ans. Edouard, pour affermir sa puis-
sance, épousa Egithe, fille de ce même cpmte
Godwin qui avait fait assassiner son frère Alfred.
On voit les ménagements que conseillait la politique.
Tel fut le premier anneau de la chaîne qui devait
confondre dans les mêmes destinées l'Angleterre et
la Normandie.
On pense bien que ce résultat , si heureusement
obtenu, dut causer une grande joie dans les monas-
tères de Normandie , qui avaient toujours soutenu
le parti d'Edouard. Aussi le moine Robert , élève de
Théodérik de Fécamp , et conseiller intime du jeune
( ï^c» )
roi, fut-il appelé immédiatement à la leté des églises
de Londres et de Cantorbéri; car, dans ce temps,
on ne pouvait avoir une haute position civile , si
elle n'était étayée par une dignité ecclésiastique
analogue. Une foule de moines de Fécamp, de
Saint-Waûdrille, et des principaux monastères de
Normandie, passèrent en Angleterre, où ils furent
placés à la tête des communautés. Les religieux de
Fécamp reçurent, en outre, du roi Edouard, la terre
de Staninges , comme souvenir du bon accueil qu'il
avait reçu parmi eux.
A la même époque , Radulphe de Beaumont, moine
de Fécamp sous Guillaume de Dijon et Jean d'Alie ,
fut nomme huitième abbé du Mont-Saint-Michel.
Un autre moine de Fécamp, ancien juif converti,
venait d'être attiré dans le 'monastère de Saint-
Arnould de Metz, par Warin, abbé de cette com-
munauté ^. L'abbé Jean, fâché de ce qu'un de ses
religieux s'était soustrait à sa discipline sans l'avoir
consulté, en écrivit à Warin; celui-ci, qui recon-
naissait tout le mérite du religieux de Fécamp, ré-
pondit qu'il ne faisait qu'user de représailles, puisque
Fécamp possédait un certain moine, nommé' Ber-
nard, qui avait quitté l'abbaye de Saint-Arnould
sans sa permission. Il est à croire que cette récla-
mation n'eut pas d'autres suites.
' Vetera Analecta , apud Mabill , p. 454.
( 1^' )
Cependant, Guillaume atteignait sa vingtième an-
née, et, depuis quelque temps, il était parvenu à
rétablir Tordre dans la Normandie. Ses divers succès
ayant fait juger à quel prince on aurait affaire , plu-
sieurs chefs normands s'empressèrent de se rendre
à Fécamp pour lui faire leur soumission. Dans le nom-
bre , on distinguait Guillaume , comte de Talou, petit-
fils de Rikhard 11, qui, pendant les désordres qui
venaient d'avoir lieu et auxquels il n'était pas étran-
ger, s'était emparé de plusieurs propriétés apparte-
nant aux moines de Fécamp.
Soit repentir, comme il le dit positivement et avec
beaucoup d'humilité, soit plutôt désir d'être agréable
aux religieux dont le chef avait une grande influence
sur l'esprit de Guillaume, le comte de Talou fît
rédiger , dans le château de Fécamp , en présence
de Jean d'Alie, un acte par lequel il restituait ce
que le vicomte Rainold avait autrefois donné à
l'abbaye, consistant en une grande terre, avec ses
écuyers , ses hôtes , ses prés , ses moulins , ses salines ,
ses forêts et tous ses produits. Il (Reposa lui-même
cet acte sur l'autel du Saint-Sauveur , et reprit le
chemin de ses domaines ^
Les succès de Guillaume ayant hâté chez lui l'é-
poque où l'ambition rend clairvoyant et fait souvent
* Thésaurus novus, tom. I, col. 166-168.
( '^^ )
pénétrer les secrets de ^âve^ir, il voyait que son
cousin Edouard , marié depuis six ans , n'avait pas
encore d'enfants , qu'il pourrait bien être privé d'hé-
ritiers , et que, dans ce cas, la royauté d'Angleterre
était un fleuron qui pouvait fort bien s'allier à la
couronne d'un duc de Normandie. Il eut, à ce sujet,
plusieurs conférences à Fécamp avec l'abbé Jean
d'Alie; on reconnut qu'il serait à propos d'envoyer
quelqu'un auprès du pape , pensant que l'assenti-
ment du chef de l'église et les engagements qu'on
prendrait avec lui , pourraient, pour l'avenir, aplanir
bien des difficultés. L'abbé Jean s'offrit pour conti-
nuer la mission commencée par Guillaume de Dijon'.
On sait que cet abbé arriva heureusement à Rome,
qu'il y resta plus d'un an , et que , pendant ce temps ,
il eut plusieurs conférences avec le pape. En reve-
nant , il fut pris par les Italiens , qui le retinrent
en prison pendant plus d'une année , pour se ven-
ger des Normands , qui commençaient à ravager la
Fouille, qu'ils finirent par envahir et soumettre à
leur autorité.
Les nouvelles que Guillaume avait reçues de
Rome étaient sans doute de nature à le satisfaire ,
car nous le voyons , presqu'aussitôt , entreprendre un
voyage poUtique en Angleterre ; il s'embarqua à
» Johan. y Vit. Ch. mss. Fisc.
( '^3)
Fécamp, et, sous prétexte de faire une visite à son
cousin Edouard, il parcourut tout son royaume ,
en étudia les mœurs, se fit connaître aux grands
du pays , gagna les uns par son affabilité , d'autres
par ses présents, et tous par l'espoir de récompenses ,
si la fortune ne lui était pas contraire*.
Lé comte Godwin fut le seul qui parut contrarié
du voyage de Guillaume. En effet , nous avons vu
que ce puissant Anglo-Saxon, grand sénéchal du
royaume , avait aussi , pour sa famille , des vues sur
le trône de l'Angleterre. Ayant épousé une sœur
du roi Canut , de laquelle il avait eu Harold , il
pensait que la couronne appartenait plutôt à ce fils
qu'aux ducs de Normandie.
Aussitôt après le départ de Guillaume , Godwin
commença par intriguer , ramena à lui les seigneurs
anglo-saxons , que le duc de Normandie avait mis
dans ses intérêts ; il leur dépeignait l'abaissement
de la nation , le crédit dont jouissaient déjà les Nor-
mands , qui occupaient les meilleures places de l'An-
gleterre à la cour, dans l'église et à la tête des armées.
L'archevêque Robert fut le point de mire de ses
récriminations. Ce prêtre étranger s'était emparé
de la souveraine puissance , et l'exerçait tout au profit
de ses compatriotes , qui , chaque jour , imposaient
* Chr. mss. Fisc. —John Lingard, Hist. ef EngUmd.
( ï=»4 )
au pays leurs lois, leurs mœurs, et jusqu'au scandale
de leur vie. Tous ces propos , habilement répandus ,
excitèrent partout le mécontentement de la multi-
tude, Godwin et son fils Harold se mirent à la tête
d'un mouvement , et exigèrent du roi , pour pre-
mière condition de paix , le renvoi des Normands,
et la confiscation de leurs biens. Ainsi, le monastère
de Fécamp se trouva dépouillé de sa terre de Sta-
ninges.
Guillaume , qui était loin de prévoir un pareil re-
virement de politique , fut donc bien surpris de voir
arriver à Fécamp plusieurs navires transportant
l'archevêque de Cantorbéry ' avec les moines et tous
les personnages qui , depuis plusieurs années , avaient
été se fixer en Angleterre, encouragés par le bon
accueil du roi Edouard.
Le duc de Normandie fut obligé de dissimuler,
pour le moment, tout ce qu'il ressentait de dépit
d'une telle révolution. L'archevêque Robert fut reçu
avec les plus grands honneurs, et on lui procura W
moyens de se rendre à Rome pour réclamer la pro-
tection du pape , et les foudres de l'église contre les
Saxons qui avaient méconnu l'autorité de leur pre-
mier pasteur.
Pendant que ces choses se passaient , l'abbé Jean
venait de recouvrer sa liberté. En traversant le midi
* Saxon. Chron. , pag. 233 , et seq. — Fiscan. Ch. ms.
( 125 )
de la France, il fut retenu à Lyon par l'évêque
Héliaard, qui le chargea de faire des règlements pour
quelques monastères , dont il lui confia la direction.
On voit combien la communauté de Fécamp jetait
d'éclat par toute la France. Enfin, Jean d'Alie, se
retrouvant à Fécamp avec les expulsés d'Angleterre,
pria Robert de faire l'ordination de plusieurs prêtres,
parmi lesquels était Alboldus, qui devint archidiacre
de l'abbaye. L'archevêque de Cantorbéry fit , en
même temps, la dédicace des églises de Saint-Be-
noît et de Saint- Valéry de Fécamp, en présence de
Guillaume et de toute sa cour.
Peu de temps après le départ de Robert pour
Rome, Hugues , évêque de Lisieux , vint à Fécamp,
et y reçut, dans les ordres, Tetfride , en qualité de
clerc ; Jean Le Roux , en qualité de sous-diacre ;
et comme moines , Robert de Barentin et le fameux
Odon ' , frère utérin de Guillaume-le-Bâtard , que
nous verrons évêque de Bayeux, et l'un des pre-
miers hommes de guerre qui se distingueront dans
l'expédition de l'Angleterre. C'est devant l'autel de
Fécamp que cet homme extraordinaire prononça
ses premiers vœux de pauvreté, d'humilité et de
chasteté ; lui qui fut un des plus grands fléaux de
l'Angleterre , et posséda d'immenses domaines qu'il
' Call. ch. Fisc. Monas ; in yit. Johan.
( 126)
défendait sans cesse à la tête d'hommes armés ,
commettant partout les plus grandes exactions»
L'année suivante, io53, l'abbé Jean assista à
l'ouverture du tombeau de saint Denis , dont les
restes furent recueillis et distribués à diverses églises.
Il était à peine de retour à la tête de sa commu-
nauté , qu'une peste violente éclata à Fécamp , et
se propagea sur tous les bords de la mer. La capi-
tale de la Normandie ne tarda pas elle-même à être
atteinte de ce fléau. Après avoir essayé de tous les
remèdes qui furent impuissants , on eut recours aux
reliques : celles de saint Wulfran furent tirées de
Saint-Wandrille , et portées processionnellement
dans Fécamp ' , et sur tous les points où le fléau
exerçait ses ravages. Il ne s'arrêta qu'après avoir
enlevé la moitié de la population de tous les pays
qu'il avait visités.
Il paraît qu'une réaction favorable s'était déjà
opérée dans l'esprit des anglo-saxons , et que l'opi-
nion qui avait été si défavorable aux Normands
était assoupie , car nous voyons l'abbé Jean passer
en Angleterre, pour recouvrer les biens confisqués
par Godwin et ses partisans. Ce fut probablement le
prétexte apparent de son voyage , dont les motifs
secrets étaient plutôt d'offrir un secours au roi
d'Angleterre , en cas qu'il fût de nouveau attaqué
' Gall. ch. , Mon. Font.
( >^7 )
par les Anglo-Saxons , toujours indisposés contre le
parti normand.
Jean fut parfaitement accueilli à la cour , et reçut
du roi plusieurs propriétés , qui furent ajoutées à
celle de Staninges. Nous citerons , entr'autres , les
domaines de Berie et d'Hast ings , qui renfermaient
plusieurs manoirs , des terres en labour , des bois
et des prairies '.
Après avoir vaincu le roi de France à Morlemer,
Guillaume s'aperçut que son parent Mauger, l'ar-
chevêque de Rouen , intriguait contre ses intérêts ;
profitant adroitement du scandale que donnait la
conduite privée de ce prélat , il fit assembler un
synode provincial , qui prononça sa déposition; et
Maurille , religieux de Fécamç, fut promu à cette
haute dignité ecclésiastique. Maurille était un homme
d'une haute vertu , qui a gouverné son église avec
éclat , et Guillaume put compter sur l'influence qu'il
exercerait dans une position si éminente. A la suite
de ce concile , dont l'abbé Jean fut l'ame et le conseil ,
Guillaume , évêque d'E\Teux , vint à Fécamp , où il
fit une ordination de prêtres , le samedi de Pâques ,
et le corps de saint Taurin fut apporté à Fécamp ,
d'après les ordres de l'abbé Jean , et reçu en grande
cérémonie dans l'enceinte du monastère.
< a. De rébus illis quas tempore régis Ëdwardi in Hastings habue-
runt.... concedo. » Cart. WilL conq, ; Cart.., Fisc, domesday bock.
( ia8 )
Enfin, après quatre années de guerres succes-
sives et malheureuses pour le roi de France ', ce
prince envoya à la cour de Fécamp plusieurs ambas-
sadeurs chargés de traiter de la paix avec le duc des
Normands ; ce furent Foulques , évêque d'Amiens ,
et Letzelin, évêque de Paris ^ Les deux partis étant
tombés d'accord , tout fut terminé par des fêtes et
des cérémonies religieuses. L'évêque de Paris célé-
bra la messe le jour de Pâques, et fît plusieurs ordi-
nations de prêtres. A la suite de ces cérémonies,
Durand , religieux de Fécamp , fut placé à la tête
du monastère de Troarn , en qualité de premier abbé,
et y introduisit les règlements en vigueur dans celui
qu'il Venait de quitter.
Nous ne voyons , depuis cette époque jusqu'en
1064? que la promotion de Gilbert, moine de Fé-
camp , à la tête du monastère de Fontenelle , et la
mort de Marguerite , fille unique de Herbert , comte
du Maine , inhumée dans l'égUse de notre abbaye.
Nous remarquons aussi que ce fut pendant cette pé-
riode que l'habitude de sonner la retraite, ou couvre-
feu , fut établie à Fécamp , comme dans toutes les
autres villes de Normandie. Cet usage émanant visi-
blement des cloîtres , plut aux idées d'ordre et de
despotisme de Guillaume , qui l'introduisit dans le
gouvernement civil. Ainsi, pour la première fois , on
• Gall. christ. , Fisc. Monas.
( ï^9 )
vit tout une province, obéissant comme un seul
homme , se lever et se coucher au son de la cloche,
comme dans un couvent.
Dans le même temps, deux religieux de Fécamp ,
Pierre et Dieudonné ' , étant sortis du monastère
avec la permission de l'abbé Jean, passèrent la Seine,
et arrivèrent sur le sol de Bonneville, où ils s'éta-
blirent en^ véritables anachorètes ; ayant trouvé dans
ce lieu une église abandonnée , que l'antiquité avait
dédiée à saint Martin , ils formèrent le projet de la
relever de ses ruines , et^ avec la permission du comte
de Bonneville et de Hugues , é véque de Lisieux , ils
parvinrent à la rétablir et à la faire consacrer. Le
jour de cette dédicace étant arrêté, le duc Guillaume
se rendit sur les lieux , avec sa femme et son fils
Robert , en compa^ie de l'évêque de Lisieux , de
Durand, abbé de Troarn , de Roger de Montgom-
meri , de Roger de Beaumont , et de Herluin de
Conteville. Tous ces personnages assistèrent à cette
consécration. Le duc donna à rétablissement de Bon-
ne ville , qui restait sous la dépendance de Tabbaye de
Fécamp , un domaine de Tévêché de Lisieux , situé
sur le bord de la Touques , lequel était tenu à ferme
par Robert et Eroch. Le comte de Bonneville y
ajouta Téglise de Saint-Just et un moulin situé dans
la même contrée.
» CartuL Fisc,
( i3o)
Les acquisitions succédèrent aux actes de libéra-
lité : Guillaume de Colombiers , fils de Godefroi ,
vendit à la Sainte-Trinité , à Saint-Martin et au
moine Pierre , la dîme de la terre de Godefroy ,
fils de Raimfroi , située à Langrune y et la dîme de
celle de Gonnor et d'Albérade , pour laquelle Pierre
et Dieudonné donnèrent lo livres lo sols, et un
cheval du prix de cent sols.
Nous n'entrerons pas dans le détail des biens
vendus et échangés par Godefroi Delamarre , dans
la commune de Barville ; par Roger de Beaumont ;
par Qenselin , qui donna , moyennant certaines re-
devances, le fief d'Albuet , pour le salut de son
ame et de Tame de son épouse. Nous nous conten-
terons de faire remarquer comme les grands biens
et les riches propriétés arrivaient de toutes parts au
monastère de Fécamp.
if,G6. Nous voici maintenant parvenus à Tannée 1066,
année mémorable, dont le commencement Délais-
sait pas soupçonner les merveilles qui devaient eu
couronner la fin. Guillaume réunit le clergé de
Normandie pour consacrer l'abbaye de la Sainte-
Trinité de Caen , qui venait d'être terminée. L'abbé
Jean figurait à cette cérémonie , et ce fut immédia-
tement après qu'il entrepi'it un voyage , qu'à cette
époque , les ecclésiastiques haut placés étaient dans
l'obligation de faire ; il partit pour Jérusalem , et
perdit ainsi la haute position et le grand rôle qu'il
( '3i )
était appelé à jouer clans le gouvernement civil.
L'archevêque de Rouen, Maurille, cet ancien moine
de Fécarop , prit naturellement sa place dans le
grand drame qui allait s'ouvrir.
Des messagers d'Angleterre arrivèrent presqu'aus-
sitôt à Fécamp', et annoncèrent en même temps,
et la mort du roi Edouard et l'usurpation de son
trône par Harold , fils du comte Godwin. Cette
nouvelle fut immédiatement portée à Guillaume ,
qui était à Quevilly.
Le. duc de Normandie, mécontent de ce qu'il
venait d'apprendre, dépêcha à Harold un moine
de Fécamp, pour lui rappeler qu'Edouard l'avait
reconnu , lui Guillaume, comme son successeur;
et pour le sommer de lui rendre la couronne que
tout autre ne pouvait posséder qu'à titre d'usur-
pateur.
Harold ayant rejeté bien loin les propositions de
Guillaume , un vassal du roi des Franks , le chef
d'une simple pi*ovince constituée depuis peu et remise
à peine des graves dissensions qui l'avaient si souvent
agitée, résolut de faire la conquête du puissant
royaume d'Angleterre. Dès que la résolution de
Guillaume fut connue, toutes les classes s'empres-
sèrent de Id seconder, en faisant construire et équiper
des vaisseaux pour la flotte normande. Les monas-
* Chron. nis. Fisc.
( i30
^Iwes ne Turent pas les derniers à fournir leur 'ce>n tin*
gent. Nicolas, ce moine , fils de Rikhard III , -que
nous avons 'Vu prendre possession de Tabbaye de
Saint-Ouen, en qualité d'abbé, fit^quiper, àRoùea
et à Fécamp, quarante vaisseaux. llenn,ide Fécamp,
en fournit un et vingt soldats. Le 'contingent ^e
l'abbaye, qui dut être asse^ considérable, €ke nous
est pas connu. On vit se réunir^ dans tous les ports^
des hommes armés de toutes pièces , qui se parta-
geaient déjà en espérance les biens des vaincus , et
ne prévoyaient même pas la possibilité d'un revers ;
les bannières des Nîghel, des Estod, des Malet,
des Tursting , des Bailliol , flottaient sur les nefs
de Fécamp, à bord desquelles beaucoup de moines
-de l'abbaye se confondaient avec 5es équipages,
pour prrendre part aux hasards de l'expédition.
<îuillaume , après s'être occupé des plus petits
détails de l'armement, ^e rendit de Fécamp à Bon-
ne ville, et de là sur la Dive, où il donna le signal
du départ. Les navires de la Basse-Normandie,
réunis , passèrent devant Fécamp , Saint-Valery et
Dieppe, et rallièrent ceux des différents ports du
pays de Caux. Enfin , toute la flotte partit de l'em-
bouchure de la Somme , et amva heureusement en
vue des côtes d'Angleterre. L'armée , ayant opéré
son débarquement, se disposa à combattre les Anglo-
Saxons qui s'avançaient à sa rencontre.
Avant d'en venir aux mains, Guillaume jugea à
( i33 )
propos d'envoyer uq messager à son adversaire pour
l'engager à se soumettre et à épargner le sang de
tant de braves disposés à le répandre pour leur cause;
Ce fut encore dom Hugues, moine de Fécamp, qu'il
chargea de ces conférences. Le messager s'avança
à la vue des deux armées qui frémissaient d'impa-
tience de connaître le résultat de sa mission.
Dom Hugues fit plusieurs voyages du camp de
Çuillaume à celui de Harold , et , malgré l'habileté
du négociateur 9 tout se passa en longues et inutiles
conférences y comme il arrive toujours lorsqu'un
parti ne peut offrir au parti contraire qu'abaisse-
ment et servitude. On n'avait pas encore inventé
ces tranlsactions honteuses qui déconsidèrent les na-
tions, énervent le moral des peuples y en faisant des-
cendre les hautes questions d'existence politique au
niveau des opérations les plus vulgaires.
Enfin le signal du combat fut donné; une épou-
vantable mêlée, dont l'issue paraissait incertaine ,
s'engagea parmi les combattants ; des moines retirés
à l'écart sur une haute montagne, et attentifs aux
pitogrès. des deux aFmées , ne cessaient de prier et
de donner des conseils aux Normands', qui finirent
par obtenir une supériorité marquée sur leurs enne-
mis. Harold fut tué sur le champ de bataille , et son
armée mise dans une complète déroute.
* N Quorum officiumeratpugnare prccibus etconsiliis. » Ord. vUy
( '34)
On s'aperçut alors , après les premièi^s émotions de
la victoire, d'une circonstance fort remarquable pour
le monastère de Fécamp j c'est que la destinée d'un
grand peuple venait de s'accomplir sur le champ
d'Hastings y qui avait été donné depuis peu de temps
à ce monastère, par le roi Edouard, Ce ft^t sur cette
terre que Guillaume, le duc des Normands , au milieu
des acclamations des gens d'église et des guerriers
qui l'entouraient, fut {A*oclamé roi d'Angleterre,
en attendant les cérémonies qui devaient avoir lieu
dans la métropole de Londres , pour imprimer un
caractère sacré au titi'e éminent et no^veau qu'il
venait de conquérir.
FÉCAMP
I
Sous LE GOUVERNEMENT DES DUCS NORMANDS,
DEVENUS ROIS d' ANGLETERRE.
I
f
Il ne suffisait pas à Guillaume d'avoir conquis un
trône , au prix du sang de tant de braves restés sur
le champ de bataille ; il fallait encore penser à cette
milice avide et turbulente que l'amour du butin
avait fait quitter ses tterres pour courir, avec soa
chef, les chances aventureuses de la fortune. Tous
les Normands et les étrangers qui l'avaient suivi
eurent des possessions en Angleterre ; tous les ridies
A»glo-Saxons , à peu d'exceptions près , furent im-
pitoyablement dépouillés de leurs domaines.
( i35)
Ainsi j Bailliol , de Fécamp , fut doté de plusieurs
grands fiefs , et ses descendants parvinrent à se
créer une royauté dans le nord de l'Angleterre.
Le chef normand Milon Crepin, de la baronnie du
Bec, fut élevé au rang de seigneur de Wallingford.
Giffarty de Fécamp, eut les terres de Sudrie,
Stoninghs / Roteland et Lincoles.
Nighel, de Fécamp, eut celle de Statford.
Tursting, fils de Rolf de Ganzeville, eut des do-
tations considérables dans plusieurs comtés.
Manassés Bizet, de Fécamp, reçut un domaine
dans Sommerset ; Gérard des Loges, dans Glocester ;
et Rémi, de Fécamp , qui avait fourni, comme nous
l'avons vu , un navire et vingt soldats , eut l'évêché
de Dorchester.
L'élection de ce Rémi , qui n'était , sans doute ,
qu'un clerc séculier ou peut-être un simple maître
de barques , parut très peu canonique à la cour de
Rome ; le nouvel évêque fut cité devant le saint siège ,
à l'instigation des prélats d'Angleterre. La volonté
de Guillaume sut aplanir toutes les difficultés.
Enfin , beaucoup d'autres personnages de naissance
obscure , des environs de Fécamp, reçurent de grandes
terres qui les rendirent plus riches et plus opulents
que les seigneurs dont ils relevaient en Normandie.
Vint ensuite le tour du monastère de Fécamp , qui
rentra dans ses propriétés dont les partisans de Uarold
s'étaient emparés pour la seconde fois. Cotait un
( '36)
avantage assez grand pour la communauté , mai^
la reconnaissance du roi d'Angleterre ne pouvait
rester dans ces limites. Plusieurs familles de la race
vaincue furent dépossédées et chassées de leurs do-
maines, qui devinrent la propriété des moines de
Fécamp. L'anglo-saxon Herald perdit 33 hides de
terre qu'il possédait à Arondel, dans Staoinges.
Rotbert fut obligé d'abandonner quatre manoirs
de sa terre de Hastings, et, enfin , la comtesse saxonne
Goda fut dépouillée des propriétés qu elle possédait
dans Bérie.
On dressa , quelque temps après ^ un état de ces
biens y consistant en manoirs , bois, terres , prairies
et redevances , situés dans Sudsex , Ghestelinges j
Rasmelie, Hastings , Staninges et Bérie'. Us sont
rappelés dans une charte de donation , revêtue de la
croix de Guillaume, comme c'était l'usage alors*
Cette pièce, des plus curieuses, existe en original
au dépôt des archives de la Seine-Inférieure.
Guillaume avak bien généreusement pourvu à
toutes les nécessités de ses compagnons d'armes ;
mais, en fait d'organisation sociale, tout était à créer
en Angleterre ; les seigneurs anglo-saxons , peu ci-
vilisés, passaient leur temps dans l'oisiveté et la
débauche. Les ordres religieux n'avaient pas plus
résisté à la contagion du siècle. Le clergé anglais»
* Chart. Will. Conq. , Cart, fisc. ; domesday boofc.
( ï37)
dit Orderic Vital , a a avait aucune connaissance des
« lettres; les moines étaient ignorants , grossiers j
« et s'abandonnaient à la paresse et aux plaisirs de
« la table. » Il était donc nécessaire de tout renou-
veler; aussi voyon»-nous les monastères de Nor-
mandie fournir des religieux qui furent tous placés
à la tête des évéchés et des communautés qui se
reformèrent sur tous les points de l'Angleterre. Hu-
bert, prieur de Fécarop, qui s'était embarqué avec
trente religieux , fut nommé abbé de Ramesie , et
devint , par suite , évéque de Thedford ■•
On connaît la fameuse lettre de Guillaume à Jean
d'Âlie y par laquelle il lui demande Vital , ancien
moine de Fécamp , devenu abbé de Bernay , pour
le transférer à l'abbaye de Westminster y à laquelle
ce prince portait une vénération particulière , à cause
du roi Edouard et de la reine Egitlie y qui y avaient
été inhumés. Il prie en même temps l'abbé Jean de
permettre qu'Oçbern , frère de Vital , remplace ce
dernier à la tête du monastère de Bernay^.
Les i*eligieux du Mont-Saint-Michel , la plupait
élèves de l'abbé Suppo , neveu de Guillaume de
Dijon y ne restèrent pas en arrière du mouvement qui
en|fainait tout y hommes et idées y vers l'Angleterre.
Six navires furent équipés et mis en mer, portant
' trésor de Fécamp. Mss.
' jinalect. , 460.
( i38 )
des cargaisons de moines. Tous obtinrent des béné-
fices ecclésiastiques , et quatre furent placés à la
tête de riches communautés. Roaldus , qui avait
fait profession de la vie monastique à Fécamp , gou-
verna le monastère d'Heli. Scollandus, celui de
Canlorbéry , Serlon , celui de Glocester , et (ruillaume
d'Agorne, celui de Saint-Pierre-de-CorneiHe-.
Soit que le clergé de Normandie fût appelé en An-
gleterre , ou s'y rendît volontairement pour obtenir
des bénéfices , « des ecclésiastiques qui passaient pour
(( sages, dit toujours notre vieil historien normand,
c( suivaient constamment la cour pour en obtenir ce
a qu'ils désiraient , et , par divers modes de bassesses^
M se faisaient flatteurs au grand détriment delà reli-
« gion. De même que les princes , payant une solde
« aux gens de leur milice, ainsi quelques prêtres rece^
« vaient des laïques , pour prix de leurs adulations ,
« desévêchés, des abbayes, des archidiaconats, des
« doyennés et des charges d'église. »
Sans nous arrêter aux motifs secrets qui guidèrent
les démarches des hommes de l'époque , il est positif
que le clergé normand , placé à la tête de toutes les
communautés religieuses de l'Angleterre, prenait en
même temps part aux plus hautes décisions ^ui
concernaient le gouvernement de l'Etat ^ car Guil-
laume lui-même n'entreprenait rien sans consulter
ses évêques et ses abbés *. Si l'on réfléchit mainte-
* Voir la leUre de Guillaume, à tous ses sujets du diocèse de
( '39 )
naiit que ce clei*gé avait été formé par celui de
Fécampy qui gouvernait depuis long-temps une partie
des évêchésy des maisons religieuses et des églises
de la province, on conviendra que ce dernier peut
revendiquer avec orgueil une grande part dans la
prospérité et l'avancement moral de l'Angleterre.
Nous ne nous arrêterons pas davantage à cette
idée , que notre qualité d'historien y l'amour de
notre sujet, doit nous faire aborder avec la plus
grande réserve j pour ne pas être taxé d'exagération ;
nous nous contenterons de l'indiquer et de la livrer
au jugement et à la sagacité de nos lecteurs.
La Normandie , conune on doit bien s'y attendre ,
était en émoi des conquêtes de son duc ; tant de
hauts faits étaient devenus le sujet de tous les récits ;
des chroniqueurs enthousiastes , des trouvères de
cour y l'orgueil national même , tout concourut en-
core à les exalter. On était glorieux jusque dans
les plus petits villages, qui, presque tous, avaient
fourni leur seigneur , un homme , ou leur bannière
à la conquête. Un grand royaume était subjugué;
un roi puissant, renversé du trône^ avait cédé la place
au duc victorieux des Normands ; tous étaient fiers
du nom de Guillaume , et si la fusion des deux races
Lincoln , pour leur notifier qu*il ayait jugé à propos de corriger et
rectifier , de concert avec les évéques et les abbés de son royaume ,
les anciennes lois des Anglais., (Mabil., Ana. ^ tom. 1 , pag. 210
et 220. )
( '40 )
n*eût été faite depuis long-temps j ce grand évéhe^
ment l'aurait définitivement accomplie; les maux
anciens étaient réparés, et les humiliations avaient
disparu sous des torrents de gloire.
1067. Après avoir mis ordre aux affaires de son royaume,
Guillaume revint en Normandie au mots de marsi
1067. Toutes les populations se portèrent à sa ren-
contre. «(Jamais, dit un ancien annaliste % Titus,
« entrant à Rome , ne fut accueilli avec plus de-
« joie que n'en montra la Normandie à Farrivée-
« du roi Guilhiume. Malgré le carême, le clergé
« suspendit les jeûnes et les abstinences, pour fêter
a dignement ce retour; Partout le roi faisait des
a présents d'autant fhisr précieux qu'ils étaient pris
a sur le trésor anglais, et tellement abondants en
« or et en argent qu'on aurait eu peine à en* recueillir-
c( autant dans les trois Gaules. »
Guillaume ayant traversé toute Ik Basse-Normanv
die , vint à la fin du carême k fécamp ; il fut reçu
à l'abbaye avec toute sa cour et les otages saxons
qu'il avait ramenés de l'Angleterre. Parmi ces der-
niers, on remarquait l'archevêque Stigernd:, primat
des évêques de toute la Bretagne, Adelin*, parent
du roi Edouard , les trois comtes Edwin , Morcar ,
Guallè ve , et beaucoup d'autres Saxons d'une haute
« Will. Pict.
( '4i )
noblesse y dôat il craiguait, après son départ^ la
puissance et l'inifidélité.
Il célëbra/la fête de Pâques à Fécamp. Le <;omte
Raoul y beau-père du roi des Franks, un grand
nombre de nobles de France , tout le peuple des
environs^ s'y -étaient réunis pour assister à ces céré-
monies y qui tirèrent un grand éclat de la présence
de tous ces grands personnages , des pompes reli-
gieuses, delà musique , et de l'art des jongleurs qui
fut mis à contribution dans une circonstance aussi
solennelle. Gufllaume , humblement placé dans le
chœur-des moines, au milieu d'une foule d'évéques
et d'abbés, fit étaler aux yeux de tous des vêtements
couverts et chamarrés d'or , ainsi que des vases du
même métal , dont le nombre était incroyable. Dans
un grand repas donné aux Franks , ou ne but que
dans ces vases ou dans des cornes de bœuf garnies
aux deux extrémités d'ornements en or et eu argent ;
tous les assistants étaient émerveillés de ces richesses ,
de l'air et de la tournure des jeunes Anglo-Saxons :
on remarquait la fraîcheur de leur teint, leurs épais-
ses et longues moustaches, qui les distinguaient des
Normands, dont la barbe était rasée', et les étran-
gers , en quittant Fécamp , sous l'impression de ce
qu'ils avaient admiré , répandirent partout la nou-
velle de tant de merveilles et de magnificence.
■ ' ■ I * ■ ' j I ■ ■
■ Mathieu Pârîs.
( i4^ )
Dans la même année mourut rarchevéque de
Rouen, Morille; cet ancien moine de Fécamp avait
administré les affaires religieuses pendant la conquête
et présidé à l'envoi des ecclésiastiques nonnands ,
qui passèrent en Angleterre. Il eut pour successeur
Jean , évêque d'Avranches , fils de la même Sprota ,*
que nous avons vue à Fécamp , donner le jour à
Richard I , et se remarier après la mort de Guillaume-
Longue-Épée.
Toutes les richesses de l'Angleterre passées aux
mains du clergé et des seigneurs normands , per-
mirent à ces dernière de construire un grand nombre
de châteaux et d'édifices religieux. Aussi Roger
de Montgommeri obtint-il de l'abbaye de Fécamp
la permission de relever de ses ruines le monastère
d'Almenèches, détruit par les Normands , et il plaça,
à la tête de cette maison , Adelise , qui en fut la
première abbesse.
Le comte Baldouin, attaché à la cour du roi
d'Angleterre , fit élever une chapelle dans son ma-
noir, situé sur la côte de Fécamp; elle a été érigée
depuis en prieuré, sous le lîom de Notre-Dame du
Bourg- Baudouin.
Le nouveau clergé d'Angleterre surpassait encore
beaucoup en opulence celui de Normandie. Nous
en citerons un exemple , qui n'est pas étranger à
notre sujet. On se rappelle que Rémi, de Fécamp,
avait été nnmmA évêque de Dorchester. Indigné de
( '43 )
ce que le roi Tavait placé clans une si petite localité ,
tandis qu'il avait la ville de Lincoln dans son dio-*
cèse , il acheUi "êÊÊ terres sur la croupe du mont
voisin de cette dernière ville, et fit bâtir une église
cathédrale à ses dépens , malgré l'opposition de
l'évêque d'Yorck , qui revendiquait Lincoln comme
appartenant à son diocèse ' .
Peu de temps après, le monastère de Fécamp 1075.
reçut encore Guillaume avec toute sa cour ; mais il
n'était plus question , cette fois , d'y étaler, à tous les
yeux, les fruits de la conquête: une cérémonie pins
grave et plus touchante pour le cœur du roi devait
y être célébrée ; Guillaume y offrit à Dieu sa lîlie
Cécile, qui fut admise dans les ordres religieux,
par le ministère de Jean, archevêque de Rouen.
C'est elle qui devint la seconde abbessc de la Tri-
nité de Caen, où elle succéda à sa mère, fonda-
trice de ce monastère.
Pendant tout le mouvement de la conquête ,
pendant toutes les fêtes qui avaient eu lieu à Fé-
camp, l'abbé Jean d'Alie était à Jérusalem; de là,
sans doute, l'ascendant que prit, dans les conseils
de Guillaume, un ancien religieux de l'abbaye du
Bec, le vénérable et savant Lanfranc,qui devint
d'abord abbé de Saint-Etienne de Caen , et ensuite
archevêque de Cantorbéry. L'abbé Jean d'Alie es-
,»■ ■ ■ ■ .
* Analectes, Dom Mabillon.
( i44)
suya nylle traverses pendant son pèlerinage; fait
prisonnier par les infidèles et reteiiu dans une dure
captivité , pendant plusieurs SLunétê^ il ne revint à
Fécamp qu'en 1070 , et y mourut neuf ans après
son retour. Ses restes furent déposés dans la cha-
pelle de saint Jean-Baptiste.
Guillaume DE Ros , troisième Abbé.
L'abbé Jean d'Alie fut remplacé par Guillaume
de Ros, qui avait été successivement chantre, doyen
et archidiacre de Bayeux, du temps de Tévêque
Odou. C'était un religieux dont Ordéric Vital fait
le plus grand éloge sous le rapport de la piété et de
la probité, a Comme le nard mystique, il parfuma,
« dit-il, la maison du Seigneur, par la charité, la
(c libéralité et toutes sortes de mérites. » Beaucoup
m
d'hommes illustres qui lui étaient personnellement
attachés, vinrent se fixer dans son monastère pour
ne pas se séparer de lui. Il avait un tel air de sagesse
et de modestie, que les moines le comparaient
souvent à une jeune fille , dont ils lui donnaient le
nom.
Le roi Guillaume , voyageant dans la Basse-No^i-
mandie, où il s'occupait d'administration, était ac-
compagné de son parent l'abbé Nicolas et de l'ar-
chevêque Jean. La fête de Saint-Ouen étant sur le
point d'arriver, et l'abbé se trouvant retenu près du
( >45}
roi , Tarchevêque alla seul à Rouen j avec la permis-
sion de Guillaume , pour présider aux cérémonies qui
avaient lieu tous les ans à pareille époque. Les moines
de Saint-Ouen , fâchés de voir l'archevêque s'intro-
duire dans leur monastère, pour y faire Tofiice à la
place de leur prieur, suppléant naturel de l'abhé ,
se mutinèrent. Us interrompirent les cérémonies
religieuses, firent un grand tumulte dans l'église,
sonnèrent les cloches pour appeler le peuple à leur
secours contre les gens de l'archevêque , et finirent
par emprisonner Jean , qui ne fut délivré que par
l'intervention du vicomte et des agents royaux '.
Guillaume, ayant eu connaissance de cet acte de
violence, fit punir les religieux les plus mutins.
Quatre furent relégués dans diverses abbayes : Wrne^
mare fut envoyé à Fécamp, Benoît à Fontenelle, et
Radulphe à Jumiéges.
Ce tumulte et ses suites paraissaient tout-à-fait
oubliés , lorsque l'archevêque de Rouen , faisant
une tournée dans son diocèse, vint séjourner à Fé-
camp, oh, à raison de sa dignité , il fut reçu dans
le monastère avec les gens de sa maison. On ne tarda
pas à s'apercevoir que la vieille rancune d'Wrnemare
contre l'archevêque n'avait pas favorablement dis-
posé les esprits en faveur de ce dernier , et qu'elle ne
cherchait qu'une occasion favorable pour éclater ;
' jdnn, Bemedie^ ^ lir. 64 » p. 69.
lO
( '46 )
elle ne se fit pas Tong-temps attendre. Les domes-
tiques du prélat, assez exigeants à ce qu'il paraît,
prétendirent que l'abbaye de Fécamp était obligée
de recevoir, à Pâques, l'archevêque de Rouen, et de
le défrayer , ainsi que sa suite ; et la suite de l'arche-
vêque était singulièrement exigeante et disposée à
jouir de la plénitude de ce droit. Les serfs de l'ab-
baye , irrités de pareilles prétentions , s'y opposèrent
de tout leur pouvoir; du raisonnement on en vint
aux menaces, et des menaces aux voies de fait. En-
fin , le scandale qui avait eu lieu à Bouen , se
renouvela dans le monastère de Fécamp , et les habi-
tants de la ville furent obligés d'intervenir pour réta-
blir l'ordre, qui était on ne peut plus compromis. 11
paraît que le roi Guillaume ne donna pas^ tout-à-fait
tort aux moines de Fécamp , car aucuqs ne furent
punis, et il exigea, au contraire, de l'archevêque, une
déclaration par laquelle il reconnaissait le monas-
tère exempt de sa dépendance ' . Celte pièce fut signée
par Guillaume, par Robert, comte d'Eu, par l*abbé
de Fécamp, Herbert son prieur, et par Robert,
archidiacre d'Evreux.
C'était, à ce qu'il paraît, l'époque des coi^testa-
tions, et la communauté ne tarda pas à en avoir une
assez vive avec Gilbert d'Auffai, seigneur deGanze-
ville. Comme le roi d'Angleterre intervenait jusque
■ Cart, Fisc. — Défense de rexemption de Fécamp.
r
( x47)
dans les plus petits difTërends qui concernaient le
monastère de Fëcamp , il ordonna une transaction
par laquelle Gilbert d'Auffai remettait à l'abbé Guil-
laume tous ses droits sur l'abbaye et la forêt de la
Sainte-Trinité , appelée Entre-deux-Eaiix , et située
sur le promontoire qui existe entre les rivières de
Ganzeville et de Yalmont; il ajoutait ses droits sur
une portion de terre en friche, de la même forêt,
et Téglise de Toussaint.
Dans Ganzeville, où l'abbaye de Fécamp possédait
déjà l'église et la dîme , Gilbert donnait deux acres
de terre , la dîme de ses moulins, celle du fromage
et du bétail provenant de ces établissements.
De son côté, l'abbé de Fécamp remettait en
échange à Gilbert d'AufTai : lo livres tournois, les
droits de pacage pour les hommes de sa terre , et
du bois de chaufTage en quantité suffisante , quand
lui et sa femme viendraient à Ganzeville; en pré-
v^Qiant, toutefois, l'abbé ou son prieur qui feraient
délivrer ce bois par le garde de leurs forêts.
Ces donations furent faites par l'abbé de Fécamp ,
à condition que Gilbert les tiendrait féodalement
de ladite abbaye , et qu'il serait astreint à un service
envers l'église de la Sainte-Trinité toutes les fois
qu'il en serait requis par la communauté. On voit
comme, par une simple transaction, on devenait
l'homme des abbayes , et comme elles trouvaient au
besoin des défenseurs.
( i48)
Les principaux signataires de celte transaction
Sont Lambert de Saint-Saëns, Guillaume Dent-Dure ,
Guillaume Mauconduit , Robert Malet , Bernard
Neumarché , Richard de Torcey , Yves Campion ,
Bernard de Belnai ( Baunai ) , Ernouf de Villaines ,
et Guillaume de Tournebu. Le roi Guillaume ^ se
trouvant alors à Fécamp, fit faire une charte par
laquelle il confirmait à l'abbaye tous les biens qu'elle
possédait en Angleterre, venant de lui et de ses pré-
décesseurs.
La ville et le monastère de Fécamp restèrent pai-
sibles tant que dura le règne de Guillaume-le-
Conquérant. On sait que le vainqueur de l'Angle-
terre mourut le 9 septembre 1087, à Rouen, dans
le prieuré de Saint-Gervais , qui appartenait aux
moines de Fécamp. Il voulut qu'ils reçussent sa dé-
pouille mortelle et son dernier soupir ; ce fut la der-
nière marque d'affection qu'il donna à ces religieux,
qui transportèrent son corps , par la Seine et l'Orne,
jusqu'à Caen, où on l'inhuma dans l'abbaye de Saint-
Etienne. L'abbé Guillaume de Ros était présent à
cette cérémonie.
( *49)
FÉCAMP
sous GUILLAUME-LE-ROUS: , ROBERT CoURTE-HeUZE
•* ET Henri I.
À la mort de Guillaume , il y eut partage de ses
états entre ses deux fils aînés : Guillaume-le-Roux
fiit roi d'Angleterre , Robert Courte-Heuze duc de
Normandie y et Henri, le plus jeune, eut une forte
somme d'argent, prélevée sur le trésor royal.
La séparation de la Normandie et de l'Angleterre
contraria beaucoup les seigneurs anglo-normands ^
qui avaient des propriétés dans les deux pays ; il leur
était pénible ^l'avoir deux maîtres , nouvel ordre de
choses auquel ils n'étaient pas accoutumés ; aussi
voyons-nous une suite de guerres , tendantes à réunir
le tout sous l'autorité de Guillaume ou de Robert.
La vide de Rouen , qui: s'était assez imprudemment
déclarée pour le roi d'Angleterre, fut sévèrement
châtiée par le parti contraire , et les bourgeois ap-
prirent à leurs dépens ce qu'il en coûte de se mêler
des querelles des rois.
Malgré cet échec, Guillaume-le-Roux s'empara de ,^8Si
plusieurs places qui lui furent Hvrées pac l'infidélité
des hommes du duc de Normandie ; /elles qui se
rendirent d'abord furent Fécamp ' et le château
■ ff'Vl. Gemet. , lib. 8 , cap. 3,
( «So )
(VEii , ce qui ferait croire que les religieux n'étaient
pas fâchés d'appartenir au nS d'Angleterre. L'abbé
de Ros se trouvait alors à la cour de Guillaume-le-
Roux. Afin de rentrer dans la place de Fécamp,^
dont il connaissait l'importance, Robert fit tout
ce qui était en son pouvoir pour se concilier l'esprit
des religieux. Il leur restitua plusieurs terres enle-
vées par des particuliers et par Guillaume-le-Con-
quérant lui-même , dans un mouvement de mau^vaise
humeur contre les moines; circonstance que nous
aurions eu peine à croire, si elle ne nous était révélée
par la charte authentique de Robert. Il paraît que ,
malgré leur grande influence , les religieux étaient
souvent ^xposés à perdre quelques biens, quand
on voulait les punir de leur indocilité , ou bien
quand , les ressources étant épuisées , on avait de
grandes entreprises à fi^ire , des dévouements à récom-
penser ; témoin la restitution que fait Robert X> de
propriétés enlevées aux moines de Fécamp pour les
donner aux hommes de sa milice. Ces princes en
étaient quittes pour restituer ces biens, dans un
temps plus prospère, en confessant l'énormité de
leurs fautes, qu'ils rejetaient sur les erreurs de leur
jeunesse et.les perfides insinuations de leurs con-
seillers ^ . X
-' « Quia persuadentibus mihi quibusdam consiliariis nostris non
eque Ecclesiam Dei providentibus transtuli ad militiam nostram
( «Si )
Pendant que Robert Courte-Heiize rendait d'un
côté , de Tautre il dépouillait ,. sans façon , l'église
métropolitaine de son duché , et cette incoaséquence,
naturelle au caractère de ce prince, lui attira une
affaire qui aurait pu devenir sérieuse, sans Tinter-
vention obligée des moines de Fécamp. Robert, ne
pouvant résister seul au roi d'Angleterre , appela le
roi de France Philippe à son secours, et, pour l'in-
demniser de ses frais d'armement, lui donna , n'ayant
aucune terre en propre , un manoir du nom de
Gisors , appartenant à Sainte-Marie* de Rouen '.
Robert se rappelait que l'archevêque lui avait été
contraire, et trouvait ainsi le moyen de l'en punir.
Le prélat,, indigné de cette action , jeta l'interdit
sur toutes les églises de Normandie. On sait la puis-
sance qu'avait alors un pareil acte sur l'esprit des
peuples , qui , privés de sacrements et de cérémonies
religieuses, se trouvaient en même temps déliés de
l'obéissance due au souverain.
Cet interdit fut adressé aux moines de Fécamp , 1089.
qui refusèrent de s'y conformer; l'archevêque, irrité
de cette résistance, frappa d'anathème le monastère.
L'abbé Guillaume de Ros , instruit de ce qui se pas-
quasdam possessiones moiiasterii Sauctae Trinitatiis reddo
in TiUa quœ dicitur Cathumo terram quamdam quœ appellatiir
Vuasa. . . » — Cart. Fisc,
* Cart, Fisc,
't
( «Sa )
sait j revint précipitamineat d'Angleterre , eut plu*
sieurs conférences avec Tarcbevêque, et, n'ayant pu
rien obtenir du prélat irrité, en appela au saint
siège. Le pape Urbain, fort surpris que l'archevêque
se fiit permis de violer les statuts des papes ses pré-
décesseurs, et eût été assez présomptueux ( style de
«a bulle ) , pour attenter aux droits du saint siège ,
envoya deux légats à Fécamp pour prendre con-
naissance de cette affaire ; le palUum fut oté à l'ar-
chevêque de Rouen, pendant assez long-temps, et
ne lui fut rendu qu'après un voyage que Guillaume
fut obligé de faire à Rome , et aux pressantes solli-
citations du duc Robert, qui se repentait , sans doute,
d'avoir donné lieu à toutes ces tracasseries.
109C. La majeure partie des places maritimes de la Nor-
mandie étant toujours occupées par le roi d'Angle-
terre, Robert, dégoûté de cet état de choses, qu'il
avait provoqué lui-même ', abandonna son duché
pour aller à la croisade, accompagné d'un grand
nombre de seigneurs normands, parmi lesquels on
remarquait Guillaume de Fécamp , Bailleul de Fé-
camp , CroUard de Criquebcuf , et Martel d'Anger-
ville. Guillaume de Wart, pour être du voyage,
engagea sa terre de Houldetot à l'abbé Guillaume ,
pour trois marcs d'argent*. Pendant l'absçnce de
« Florent Wigorn , Ckron,, ad ann. 1091.
' Précis des chartes de Fécamp ; Arch. dép.
( "3)
Robert, son frère , le roi d'Angleterre, se trouva in-
vesti , de droit , du gouvernement de la Normandie.
On sait que les premiers croisés retirèrent plus
de gloire que d'avantages réels de leur long et pénible
voyage à la Terre sainte ; ceux de Fécamp , comme
les autres j revinrent avec la lèpre , ce fléau du
moyen-âge, qui séparait du monde, comme des pesti-
férés , les hommes qui en étaient atteints. L'abbé
Guillaume s'empressa de construire et doter , pour
ces malheureux pèlerins , une léproserie , dont les
biens ont été affectés plus tard à l'hôpital de Fécamp.
Ainsi , de tant d'errances fondées sur le voyage
des croisés , de tant d'or dépensé pour en assurer
le succès, l'Europe ne recueillit qu'une cruelle
maladie et quelques caisses de reliques. Saint-Ouen,
Chartres , Saint-Denis et une partie des églises de
France enrichirent leurs trésors de ces pieuses dé-
pouilles. Fécamp reçut un os du bras de saint Biaise,
des vertèbres des saints Innocents , du bois de la
vraie Croix et du lait de la sainte Vierge.
Un ccHicile général ayant été réuni à Clermont ,
Tancafrd , prieur de Fécamp, y fut député pour repré-
sente]^ son abbaye. Â son retour, il fut nommé abbé
de Jumléges par l'influence de GuilIaume-le-Roux ,
qui, disposant arbitrairement des dignités ecclé-
siastiques en faveur de ses créatures , avait déjà
donné l'évêché de Lincoln à son chapelain Robert
Blouet , et celui de Bath à Jean son médecin. Orderic
( i54)
Vital dit que Tancard était féroce comme un lion
et d'une sévérité qui n'était tempérée par aucune
humanité. Les moines se révoltèrent contre ses
mauvais procédés, et il fut obligé de quitter igno*
minieusement l'abbaye,
iioi. La première année du siècle suivant vit mourir
Guillaume-le-Boux. La succession du trône d'An-
gleterre fut l'occasion et le prétexte de nouvelles
guerres entre le duc Robert, revenu àe Palestine j
et son frère Henri , qui s^était déjà fait reconnaître roi
d'Angleterre. Tout fut de nouveau mis à feu et à sang
sur le sol de la Normandie; on ne voyait que pillage,
incendies et meurtres provoqués par les seigneurs,
qui prenaient parti pour l'un ou l'autre des frères.
Il paraît que le monastère de Fécamp, placé dans
une forteresse sûre, n'eut rien à essuyer de ces
commotions intestines , puisque nous voyons Guil*
laume de Ros passer, en i io3, en Angleterre pour
y soutenir les intérêts de son monastère, au sujet
de la terre de Staninges, contre Philippe de Bray,
qui prétendait avoir des droits sur ce domanne ;
peut-être le véritable but de ce voyage étajit-fi^fkhitot
de faire sa cour et d'offrir ses services au noâveâu roi.
1106. La faiblesse de Robert le rendant inhabile au
gouvernement de son duché, on désira généralement,
en Normandie , rentrer sous le sceptre du roi d'An-
gleterre. Henri I, connaissant la disposition des
esprits, débarqua à Barfleur; et, secondé parla
( i55)
majeure partie des seigneurs nonnands , s'empara
de Bayeux y de Caen , et gagna la bataille de Tin-
chebray , dans laquelle les partisans de Robert furent
battus, et lui-même fait prisonnier. Pour donner
autorité à son usurpation , Henri fit décider du sort
de son frère par les évêques , les abbés et les barons
de Normandie , qui prononcèrent sa déchéance et
arrêtèrent qu'il serait renfermé dans un château de
l'Angleterre , où il resta jusqu'à la fin de ses jours.
L'abbé Guillaume assistait à ce congrès , sur la déli-
bération duquel il eut la plus haute influence.
Aux tempêtes politiques succédèrent des querelles
domestiques entre le monastère de Fécamp et ceux
qui étaient dans sa dépendance. Les moines de Saint-
Taurin d'Evreux tentèrent de secouer le joug de
Fécamp j au sujet de la nomination d'un nouvel
abbé , qu'ils voulurent choisir eux-mêmes parmi les
religieux de leur communauté; l'abbé Guillaume
ayant adressé à cet égard une requête à Henri I,
ce roi , après des contestations qui durèrent deux
ans y pendant lesquels le monastère de Saint-Taurin
resta sans abbé , donna gain de cause aux moines de
Fécamp , et confirma , par une charte , à leur commu-
nauté y la possession du monastère de Saint-Taurin.
Cet acte est du commencement de l'année 1107'.
» Cart. Fisc,
( «56 )
L'abbé Guillaume ayant f- it construire la nef de
Téglise de Saint-Fromond , fit consacrer rédifice
par Jean, évéque de Frascati, qui passait par Fécamp
pour se rendre en Angleterre*. L'archevêque de
Rouen et quatre autres prélats de Normandie assis-*
tèreat à cette cérémonie.
Peu de temps après , Tabbé Guillaume fut appelé
au synode tenu à Lisieux , et , à son retour , il mourut
à Fécamp , dans le courant de l'année i loS-.
Tous les historiejis ecclésiastiques se sont accordés
sur les louanges qu'ils ont données au mérite, aux
hautes connaissances et à la vertu de l'abbé Guillaume,
issu du village de Ros, près Bayeux, dont il portait
le nom. C'est à ce vénérable abbé que Yves de
Chartres adressa sa dix^neuvième et sa quatre-vingt-
neuvième épître. Sa conversation était si agréable,
dit Balderic , évêque de Dol •, sa société si douce
et sa chaiité si grande , que plusieurs religieux de
divers monastères vinrent à Fécamp se ranger sous
sa discipline. Le nombre des moines se monta à
plus de quatre cents pendant son administration,
ce qui le contraignit de refaire presque en entier
l'église construite par Richard. Il ne conserva que
les deux chapelles romanes aux ceintres surbaissés ,
' On voit que Fécamp était le port d'embarquement des voyageurs
qui allaient de France en Angleterre.
2 Neustria pia; Ecoles, fisc.
( «57)
que nous voyons à gauche du maitre^autel. L'église
fut élevée dans toutes ses parties j le chœur alongé
d'une arche , et le jubé reporté à l'endroit où il
était avant la révolution. L'abbé Guillaume fit faire
une chapelle de la Vierge à la place du maître-autel ,
qui fut transporté où nous le voyons maintenant ,
car on sait que les églises romanes n'ayant pas de
bas-côtés , le maître-autel se trouvait naturellement
placé où sont les chapelles actuelles dédiées à la
Vierge.
Cette église est remarquable comme ouvrage du
commencement du douzième siècle ; ce n'est plus
l'architecture romane pure avec ses arceaux en plein
ceintre, ses chapiteaux à volutes et à rubans entre-
lacés. C'est un style de transition j tenant de deux
époques différentes. C'est l'ogive avec les ornements
bysantins , les rouleaux, les zig-zag, les cartouches
et les modillons. Les artistes se sont même inspirés
des idées du jour, en représentant sous la toiture
des têtes à longues moustaches qui ne peuvent être
qu'une réminiscence des figures saxonnes qui avaient
vivement frappé les esprits des Normands ; peut-être
avait-on voulu représenter les Saxons de la suite dé
Guillaume , quand il vint à Fécamp après la conquête
de l'Angleterre.
L'abbé Guillaume de Ros fut inhumé devant
l'autel de la chapelle de la Vierge , qu'il venait de
faire exécuter. Hildebert , archevêque du Mans ,
( t58 )
composa son épitaphe. Nous la donnerons telle
<iu'elle fut écrite , en lettres d'or, sur son tombeau :
Pauperibus locuples , et sacri nominis abbas
Willelinus , solo corpore , cultor humi ,
Liber ab uEgipto rediens , déserta relinquit
Jamque Hierosolimath victor , ovansque tenet
€um vitiis odium , cum moribus , ille perennem
Pactus amicitiam firmus u troque fuit.
Luce gravi nimium quae sexta preibat aprilem
Redditus est patriae spiritus , ossa solo ' .
Roger d'Argewces, quatrième Abbé.
1108. Boger d'Argences remplaça Guillaume de Ros,
dont il avait été disciple; il n'était encore que diacre
lors de son élection. Il fut fait prêtre avec cent vingt
autres, le jour de saint Thomas , et on le sacra, le
lendemain , abbé de Fécamp.
Guillaume de Tancarville donna, en 1114) à
l'abbaye de Saint-Georges-de-Boscherville, la dîme
des bois de Fécamp , échus à ses ancêtres après la
conquête de la Normandie^. Le territoire de Fécamp
paraissait entièrement destiné à faire partie des biens
de l'église.
On a peine à se rendre compte de la tranquillité
' Trésor de l'église de Fécamp. Ms.
' « Decimam totius redditus forestae Fiscanni. » Cart. S. Geor.
( '59 )
des cloîtres , quand tout était eu émoi autour de
leurs enceintes silencieuses. Certes^ le gouvernement
du roi d'Angleterre et l'enlèvement de Robert , au-
raient pu rendre la paix à la Normandie, si le fils
de ce duc, Guillaume Cliton, qui voulait succéder
à son père , n'eût formé quelques entreprises secon-
dées par Hugues de Gournay, Eustache dcBreteuil ,
Etienne, comte d'Aumale , qui se liguèrent pour
rétablir le fils de leur ancien duc. Hugues deCour-
nay parcourut, en tout sens, le pays de Caux, et vint
plusieurs fois jusqu'aux portes de Fécamp. Les
vassaux de l'abbaye eurent seuls à souffrir de ces
excursions , qui n'avaient d'autre résultat que de
témoigner la haine de quelques seigneurs pour le roi
d'Angleterre , et l'attachement qu'ils portaient à la
légitimité de Guillaume Cliton. Le papeCalixte,
afQigé des maux qui désolaient la Normandie , vint
à Rouen , et rétablit momentanément la paix entre
les deux partis. Il eut plusieurs conférences avec
l'abbé Roger , et confirma de nouveau l'abbaye de
Fécamp dans la possession de ses biens. Tous ces
actes qui se succèdent prouvent que les moines étaient
toujours inquiétés par les héritiers des donataires, et
qu'ils voulaient être en mesure d'opposer des pièces
authentiques à des prétentions toujours renaissantes.
Ce fut à peu près à cette époque que Balderick ,
évêque de Dol, après avoir parcouru l'Angleterre
et la France, visité tous les monastères, vint à Fé-
( i6o)
camp y attiré par la bonae réputation et l'éloge de
cette maison, qui était dans toutes les bouches des
pèlerins.
L'arrivée de cet évêque étant connue dans le
cloître , l'abbé Roger alla à sa rencontre pour le rece-
voir et lui faire les honneurs du monastère; Baldcrick
fut accueilli avec toute la distinction due à un homme
de son rang et de son mérite , et avec la politesse ,
les égards qui prouvent que les bonnes manières,
à l'usage des hommes bien élevés, ne sont ni d'hier,
ni le produit exclusif de notre civilisation. Tous les
moines, jeunes et vieux, s'empressèrent de se faire
présenter à Balderick , et les derniers venus s'excu-
saient en l'assurant de leur empressement, et protestant
que leur retard ne tenait en rien de l'indifférence.
Balderick , après avoir visité le monastère , fut
invité à prêcher, et tous versaient des larmes de
joie en l'écoutant; ce que le grand évêque attribue
plutôt à leur foi qu'à la puissance de sa parole. Il
reconnut que l'abbé était un religieux d'un mérite
distingué, zélé pour le salut des ames^ ne tenant à
sa position que par obéissance. Ce grand homme,
dit-il, me faisait part de ses peines, et nous gémis-
sions ensemble sur les maux du siècle, dont la Pro-
vidence seule pouvait arrêter les progrès.
Le monastère comptait au moins trois cents reli-
gieux, parmi lesquels on distinguait Flavien, renommé
par ses hautes connaissances dans les sciences divi-
( i«« )
ïies ; le savant Adelhême y qui fut désigné pour servir
de guide à Balderick , et le jeune Robert, qui, à
|)eine sorti de l'adolescence , se trouvait déjà prieur
de l'abbaye, et ne tarda pas, à force de mérite , à
devenir abbé de Ramesie et évéque de Tliedford.
Balderîok nous apprend que les bâtiments de
l'abbaye étaient dignes de la munificence royale ;
l'église était très élevée et couverte en plomb. L'in-
térieur resplendissait d'or et d'argent : on y voyait
une roue, qui, mue par lin ingéuieux mécanisme,
tournait sans cesse , et rappelait , par ce mouvement ,
et l'inconstance de la fortune et la durée de l'éter-
nité. L'église possédait déjà un orgue, instrument
assez rare alors pour que Balderick témoignât son
admiration d'entendre le son de ses cordes basses ,
moyennes et élevées, et le comparât à un chœur
d'enfants , d'hommes faits et de vieillards.
Eînfîn, le même évéque nous fait la description de
l'abbaye : entourée de fprl^s murailles , possédant
des vergers, des jardins couverts d'arbres fruitiers ,
et arrosés par un ruisseau , dont les fuyants , habile-
ment répartis, produisaient le plus agréable effet. Le
monastère, ajoute-t-il, se trouvait placé entre deux
collines ; l'une était cultivée, et l'autre couverte de
bois, dont les cimes touffues offraient une masse im-
pénétrable aux rayons du soleil. Le couvent était
approvisionné de poisson venant de la mer et de la
Seine, qui en fournissait aloi's avec abondance.
II
( '6» )
A son dëpart du monastère ^ ou fit accepter à
l'illuslre voyageur une coupe en cristal , couverte
de pierres fines ^ et ménse de l'argent pour le voyage
qu'il était sur le point de faire à Rome.
Peu de temps après eut lieu le naufrage de la
Blanche^Nefj dans lequel përit le fils unique du roi
avec toute sa cour. On juge tout le chagrin que dut
ressentir le roi d'Angleterre d'une perte aussi cruelle;
il ne lui restait qu'une fille , Mathilde, veuve de l'em-
pereur d'Allemagne Henri V, et un fils naturel , le
duc de Glocester, appartenant, par sa mère , aux
Nighel de Fécamp. Henri I fit reconnaître Timpë-
ratrice Mathilde pour rhéritière de ses vastes états,
et l'unit à Geoffroy d'Anjou, surnommé Planta-
geuet.
Les années qui suivirent , jusqu'à la mort deHenril,
furent assez tranquilles ; ce roi , pendant cette pé-
riode , fît beaucoup de dons à certains monastères ,
et eu agrandit d'autres f qu'il entoura de murailles *.
Fécamp paraît n'avoir eu d'autre part aux libéralités
de ce prince, que la dîme du gibier des forêts royales
voisines, et encore les gardes forestiers de la cou-
ronne ne rendaient-ils pas à l'abbé un compte fidèle
de cette redevance.
Pour remédier à cet abus , Henri , étant à Rouen,
' Will* Gemet, , cap. ^2 et 32.
( .63 )
confirma cette donation par une charte , et y ajouta
la dîme et le patronage de toutes les églises que Ton
construirait dans la forêt de Fécamp , comme de
celles qui y étaient déjà bâties ^ savoir : les églises
de Goderville, Yillainville et autres. On voit, par là,
jusqu'où cette forêt s'étendait alors.
Enfin , ce prince vint à Fécamp avec le duc de
Olocest^^ sur lequel s'était i*eportée toute son af-r
fection paternelle; il fut reçu à Tabbaye avec de
grandes démonstrations de joie , et y approuva un
échange de biens qui eut lieu entre les moines et
Nighel, fils de Guillaume et neveu du duc de Glo-
cester.
Mighel cédait au monastère toute sa terre , ses
maisons et ses revenus de Fécamp , tels que les pos-
sédaijeat son père et son aïeul , ensuite son domaine,
situé à une iieue de cette ville , dans l'endroit nommé
Bolera , déjà cité du temps de Bozo.
Roger et son chapitre donnaient en échange , à
Nighel et à ses héritiers, la terre de Selham , à condi-
tion qu'eux et les fidèles de cette terre deviendraient
ou continueraient d'être les hommes de l'abbaye.
'Lie roi Henri I étant mort peu de temps après ^ w-A.
l'impératrice Mathilde fut appelée à lui succéder;
mais Ëtieime de Blois, petit-fils du Conquérant par
Adélaïde sa mère , se fit reconnaître pour roi d'An-
gleten^e , et parvint à entraîner la Normandie dans
son parti.
( i64 )
Geoffroy d'Anjou, mari de l'impératrice, réunit
aussitôt une armée pour faire valoir les droits de
son fils à la succession de Henri I. Il entra en Nor-
mandie et pénétra dans le cœur du pays avec ses
Angevins, qui ne respectaient rien. Les monastères
furent dévastés sur son passage. L'abbé de Saint-
Pierre-sur-Dives paya iio marcs d'argent pour se
racheter du pillage , et les moines de Fécamp lui
donnèrent une pareille somme pour qu'il épargnât
leur prieuré d'Argences '.
H£NRi DE SuiLLi , cinquième Abbé.
ii^o. Après une alternative de succès et de revers,
Etienne resta pendant quelque temps maître de la
Normandie , et profita de ce moment de pouvoir ,
pour faire élevei^ à là dignité d'abbé, à la place de
Roger d'Argences, qui venait de mourir, Henri de
Suilli , religieux du monastère de Cluni , son neveu
du côté maternel.
Deux ans après, on vit se renouveler une de ces
contestations qui ne cesseront de surgi^* tant que
le monastère de Fécamp prétendra conserver sa supré-
matie siir d'autres monastères qui ont grandi d^Hiis
leur fondation , et ont acquis une importance qui
» Orderic Vital , tom. IV , p. 486.
( i65)
demande la réforme des iastitutiaiis primitives.
Richard , moine de Fécamp , ayant été nommé abbé
de Bernay ^ oublia presqu'aussitôt les (droits et les pré-*
tentions de la maison mère , et commença par avoir
une contestation avec l'abbé de Fécamp , dont il
voulait secouer le joug. Ce litige étant porté devant
le tribunal d'Arnould , évêque de Lisieux , celui-ci
décida qu'à l'avenir les àbbés de Bernay pourraient
être également choisis parmi les religieux de cette
communauté , eu ceux du monastère de Fécamp ^
moyen terme qui devait un jour conduire à la sépa-
ration définitive de ces deux maisons.
GeofTroi d'Anjou ayant réussi à faire proclamer
duc de Normandie son fils Henri II , les moines de
Fécamp se firent, de leur coté, confirmer leurs possesr
sions par le nouveau pouvoir. Toutes les industries
s'empressèrent de- solliciter des privilèges. On con-
serve une lettre de Geoffroy , portant que les cor-
donniers et cour vois! ers ts^corvemniri (savetiers, de
la ville de Rouen ) , formeront une corporation
hoi^ de laquelle il ne sera pas possible d'exercer
lart. Cette lettre fait mention de plusieurs des plus
considérables d'entre eux , parmi lesquels figure un
certain Oin de Fécamp « Oinus de Fiscanno " ».
Enfin, le roi Etienne , ayant perdu son fils, désigna
« Ordonnances des rois de France, tome VIII , p. 53. — Ces lettres
sont confirmées par Henri II, roi d'Angleterre , et par Charles Y,
roi de France , en 1371.
( i66 )
Heiiri II pour son successeur à la couronne d'Angle-
terre. Cette disposition mit fin aux troubles qui
avaient tant de Jbis désolé les peuples et tes établis-
sements religions.
Ce fut pendant cette époque de division , chose
incroyable I que le clergé ne sachant comment conte^
nir la dévorante activité des seigneurs norinands,
leur ouvrit une carrière où ils purent donner libre
cours à leur goût de combats et d*aventures pé-
rilleuses. Une croisade fat prêchée, et tous se dé-
cidèrent à quitter leurs châteaux, pour se réunir aux
chevaliers du roi de France Louis VII , qui partait
jpour la Terre sainte. Cette époque devint égale-
ment remarquable par la recrudescence religieuse ,
excitée tant par les discours des missionnaires que par
les hauts faits des croisés , sur lesquels tous les yeux
étaient ouverts. II y eut alors une infinité d'églises
de bâties. Tout le monde s'y prêtait , les uns en four-
nissant de l'argent , les autres des matériaux ou du
travail ; le peuple , organisé en confréries , ayant des
chefs , s'atdait à des chariots j abattait les arbres, ar-
rachait la pierre auxmontagnes^ et bâtissait ces belles
cathédrales, élevait ces hautes pyramides qui devaient
faire plus tard l'admiration du monde entier. L'abbé
Henri de Suilli , profitant de ce mouvement reli-
gieux , fit exécuter de grands travaux à son monas-
tère. On refit les dortoirs , la maison abbatiale , et on
éleva plusieurs églises dans la ville de Fécamp.
( '67)
FECAMP
sous Henri H , roi d'Angleterre.
Le roi Etienne mourut peu de temps après avoir
désigné pour son successeur, le fils de Mathilde,
qui lui succéda sous le nom dUeuri II , et réunit les
deux pays sous sa domination. Ranulphe, moine de
Fécarop j fut nommé abbé de Saint-Taurin d'Evreux.
A son avènement à la couronne , le roi d'An*
gleterre , par une charte datée de son palais de
Westminster, confirma au monastère de Fécamp
le droit de haute et moyenne justice sur toutes les
terres qui se trouvaient dans la dépendance de l'ab-
baye, par suite des concessions faites par Richard et
Guillaume, dont ii at^ait compulsé les chartes avec
te plus grand soin. Il résultait de cette attribution
de compétence que le; Jiabitants de Fécamp ne de-
vaient répondre à aucune autre juridiction qu'à celle
de l'abbaye, à moins qu'ils ne fussent directement
appelés devant le roi '. Les témoins de cet acte sont
les évêques de Lisieux , de Bayeux, de Londres , et ,
ce qu'il y a de remarquable, le fameux Bequet,
grand chancelier d'Angleterre , que la postérité re-
garde comme un sujet orgueilleux et rebelle, et
' C^rt. Fisc.
( i68 )
Féglise , dont il avait soutenu les droits , comme un
martyr qu'elle invoque sous le nom de saint Thomas
de Cantorbéri.
A la suite de l'acte ci-dessus ^ nous trouvons quel-
ques concessions qui donnent une idée des entraves;
imposées y à cette époque , aux relations commer-
ciales y par les droits qui se payaient à l'entrée et à la
sortie, non-seulement de province à province , mais
d'une terre à la terre voisine. Ainsi , Robert ^ comte
de Meulan , accorde à l'abbé Henri le libre passage
sur ses domaines y soit à Mantes ou à Meulan , de tou&
navires ou bacs chargés , pour l'abbaye y de marchan-
dises quelles qu'elles fussent. Il fait cette concession
pour le salut de son ame et de i'ame de tous ses amis.
Guillaume Mal voisin , et ses frères Manassés et
Pierre , autres propriétaires de fiefs sur les bords
de la Seine y permettent aux moines de Fécamp de
transporter sur ce fleuve tous les vina nécessaires
à leur usage.
Raoul, comte de Clermont, et Jean, comte de
Moret , permettent aux mêmes religieux de faire
passer, sur leurs terres, toutes les denrées dont ils
auraient besoin , sans payer aucun droit.
Ces concessions furent suivies de transactions
privées dont nous ferons connaître les principales.
Nous trouvons un traité entre le comte de Meulan
et labbé Henri , au sujet des alluvions qui existaient
devant Aysier, et un autre qui donne à l'abbé de Fé-
' •
( '69 )
camp le droit de mettre cent porcs dans la forêt de
Brotonne y à condition de payer un denier par tête
d'animal , pour ceux qu il mettra en sus de ce nombre*
Simon , comte d'Evreux , donne à Tabbaye de
Fécamp sept arbres, soit chênes ou hêtres, pris dans
la forêt de Caudebec.
Jean , comte d'Eu , confirme la possession de la
moitié de Senneville, donnée par un de ses hommes^
Josselin Croel , à l'époque de sa mort.
Raoul Recuchon , de Fécamp y donne cinq cents
gerbes de fourrages à prendre dans la vallée.
Enfin y Guillaume Martel remet à l'abbaye la maison
qu'il possède dans le château de Fécamp^ moyen-
nant une livre de poivre , un septier de vin , et quatre
pains, qui lui seront donnés annuellement le jour
de la Nativité. Cette charte est attestée par Henri
de Graville et par Roger Sachépée'.
Henri II, se trouvant en Normandie, vint àLil-
leboune pour assister à un concile où siégeait l'abbé
de Suilli. Il se dirigea de là sur Fécamp , pour rem-
plir un devoir de piété filiale , en faisant donner
une sépulture plus convenable à ses ancêtres , les
deux Richard , qui , par humilité, avaient désiré
être inhumés dans un lieu dont la simplicité n'était
> Toutes les chartes citées ci-dessus existent au dépôt des ar-
chives du département de la Scine-Inférieure , où nous les avons
compulsées.
( \lo )
plus en harmonie avec la splendeur actuelle de leur
race. Les restes de ces princes furent retirés de la
chapelle de Saint-Thomas , renfermés dans deux
coffres de plomb, et; placés sous le grand autel de
labbaye.
Cette cérémonie eut lieu en présœce des évéques
de la |Hrovince, des ]^riiicipaux seigneurs de Nor-
mandie, et d'une foule de peuple^ que la curiosité
avait attirée sur les lieux ^« Il y eut des grâces spi-
rituelles accordées pour ceux qui^ tous les ans, le
iZ août j visitei^aient l'église de la Sainte-Trinité et
prieraient pour le salut des âmes des deux Hichards.
Henri II offrit, pour ce motif , des sauf-conduits à
tous ses sujets d'Angleterre qui voudraient se rendre
à Fécamp'. Les moines, de leur coté, reçurent
quelque chose de pins positif pour leur avenir tem-
porel; ils eurent la forêt des Hogues et tout le ter-
ritoire qui en dépendait (dit la charte de donation ) ,
depuis Vattetot jusqu'à Crichebot (Criquebœuf J,
et depuis le pommier du Mole jusqu'à la mare qui
avoisine les territoires de Heruifiçevilla , de Frober-
ville et de Malptus ( Maupertuis ) , en prenant pour
limite le fossé du parc creusé par les ordres de l'abbé
Henri de SuilU.
Cette charte fut immédiatement suivie d'une autre
i .'
' Rob. de Monte f ad ano. Itô2.
3 Extrait du Cartulaire prêté h dom Mabillon.
t
( 171 )
qui ferait croire que j dans ce temps , persomie ne
pouvait établir une garenne sans le consentement
royal : Henri II permet à l'abbé de Suilli d'en &ire
une sur un fief situé à deux milles de Fécamp;
et , comme l'abbaye tenait beaucoup à la conservatioi»
de son gibier, le roi prononça une amende de 10
livres y somme énorme pour ce temps là^ contre ceux
qui se permettraient de tuer un lièvre, ou tout autre
animal 9 sans l'autorisation de l'abbé.
Voyant que le roi paraissait bien disposé en £aiveur
de Fécamp, les habitants de cette ville , qui faisaient
un commerce assez important avec l'Angleterre,
crurent que le moment était favorable poiu* secouer
le joug de l'abbaye, et se hasardèrent à demander la
franchise de leur port. C'est la première fois que nous
voyons les bourgeois réunis adressant une pétition
collective au nom de leur communauté'. Le roi
n'eut pas égard à cette demande , et confirma , au
contraire , les droits de l'abbaye sur le port de Fé-
camp , en vertu des donations de ses prédécesseurs.
Ce port, comme nous l'avons dit, devait être
alors assez fréquenté , puisque l'on voit des agents
royaux promus, des fonctions qu'ils y exerçaient, à
d'autres plus importantes en Angleterre. La vingt-
cinquième année de son règne , à la date du 5 mai ,
le roi délivre à Albéric, clerc de Fécamp, une com-
» Cartttl. Fisc.
• -»-■ r.
('17a )
mission de collecteur au port de Londres, pour per-
cevoir les droits qu'il retirait sur l'entrée et la sortie
des marchandises. Quelques années après , sous le
règne de Henri III , ce même Albéric est élevé au
poste éminent de chancelier de l'échiquier, de la
Grande-Bretagne * .
Après avoir décidé la question concernant le port
de Fécamp , question assez grave pour l'avenir des
habitants de cette ville , le roi fut obligé d'intervenir
dans une cause qui paraîtrait maintenant futile ^ et qui
prouve combien le clergé d'alors tenait à la conser-
vation de certaines prérogatives. Un moine de Fé-
camp, résidant à £vêquemont, avait été excommunié
par l'archevêque de Rouen , pour avoir reçu , dans
son église , quelques personnes excommuniées elles-
mêmes par ledit archevêque. Ce prélat avait fait ,
en même temps, abattre les autels d'Evêquemont
pour interrompre les cérémonies religieuses , et l'abbé
de Fécamp les avait fait aussitôt relever. Henri II
décida que le moine serait absous par l'archevêque ;
que l'autel relevé serait abattu de nouveau par le
commandement de l'abbé , qui , ensuite , le ferait
relever , convoquerait l'évêque d'Evreux pour récon-
cilier ladite église , au moyen de l'eau bénite et des
cérémonies pratiquées en pareille circonstance". .
' Histor. of Exch. , pag. 52 et 782.
« Extrait du Cartulaire prêté à dom Mabillon.
-J*^.-*-
( »73)
En quittant Fécamp, le roi d'Angleterre se rendit
dans la Basse-Normandie , et visita le prieuré
d'Ârgences , où il fit plusieurs dons au monastère
du Ptessis ; la charte qui en fait mention est attestée
par Raoul de Fécamp»
Bien que les moines de Pécamp possédassent leur
prieuré d'Ârgences, où ils récoltaient le vin qui leur
était nécessaire , nous avons pu remarquer que les
vins de France leur étaient connus , et qu'ils en
consommaient assez pour désirer être affranchis des
droits de sortie que l'on payait de France en Nor-
mandie. Aussi voyons-nous l'abbé Henri obtenir
de Louis Vit le privilège de faire venir à Fécamp
tous les vins qu'il voudrait , sans payer cet impôt.
On en avait fait une assez forte consommation pen-
dant la réunion, de la cour du roi d'Angleterre y et
on avait besoin de poui*voir à son remplacements
I^ics religieux obtinrent, en même temps, la liberté de
faire bâtir un four dans te domaine qu'ils avaient
hors le château de la ville de Mantes^.
Quand on se rend compte de la grandeur et des ugs.
richesses de l'abbayç , on remarque avec surprise
qu'elle n'était pas en état de pourvoir honorablement
à l'entretien de douze clercs ; ou plutôt, les revenus
étaient affectés à des dépenses tellement spéciales,
qu'il n'y avait ^as possibilité d'en changer la destina-
' Chartet mss. — ArchiTes département, àe la Seine-InférieiiTe.
M
( 174)
tion. Le fonds attaché àrentretiea de ces douze clercs
étaat insufBsant j il ea résultait qute cesg^ns d'église,
' d'un ordre peu élevé , étaient obligés de chercher
partout leur nécessaire, et négligeaient aixi^ le service
divin. Cinq de ces clercs étant morts , l'allé de
SuiUi obtint du pape de les faire rem^cér par six
prêtres, >en conservant aux clercs survivants leur
traitement durant leur vie , ou jusqu'à ce qu'ils fussent
autrement pourvus*
L'église se trouvait alors tourmentée par uaabus
que plusieurs conciles pnt long-temps combattu avant
de pouvoir entièrement le faire disparaître ; des
prêtres mariés^, qui possédaient des églises et des
bénéfices , les transmettaient à leurs enfants comme
ua héritage. Cet usage, généralement suivi dans les
lieux dépaoïdant de l'abbaye de Fécamp ^ et; dans
cette ville même^ où le curé de Saint-Étieniie était
marié , donna lieu au bref du pape Urbain III ,
souscrit k Vérone, qui ordonne de le faire cesser,
en remplaçant immédiatement les titulaires, à moins
qu'ils ne soient reconnus aptes à continuer digne-
ment leurs fonctions sacerdotales.
Nous avons vu l'abbé de Fécamp, obéissant à
l'impulsion du siècle, augmenter les bâtiments et
dépendances de l'abbaye ; son ouvrage était à peine
terminé, que le feu se manifesta deux fois dans l'église
et détruisit une grande partie des. travaux qu'il
avait entrepris. Ce fut en faisant les réparations
(175)
nécessaires pour ef&cer les trace$ de TioGendie ^ que
Henri deSoilli découvrit, dans un pilier , la relique
du préctetUL £ang , que Richard I y avait fait secrète-
ment renfermer.
Nous retrouvons , qudques aimées après , Tabbé
Henri à Gaen , parmi les grands de la cour du roi
d'Angleterre et les évéques qui s'y étaient rendus,
pour s'occuper des affaires de l'église.
Outre tes tracasseries que causaient souvent k
Henri H les révoltes de ses quatre fils : Henri,
Geoffiroy ^ Richard et "ïean , il en eut encore une
plus grave à éprouver de la part de la cour de Rome,
à roccasîon de ia mort de Thomas Bequet, arche-
vêque de Cantorbéry , assassiné dans son église. On
sait combien ce prélat, intraitable et hautain , suscita
de peines à son roi ; on sait que ce dernier déplora
amèrement la fin tragique de l'archevêque, à laquelle
il était étranger. Le clergé ne l'ignorait nullement ,
et jeta cependant des cris accusateurs contre Henri.
Qui croirait que , malgré la reconnaissance que lés
moines de Fécamp devaient au chef de la dynastie
normande , l'esprit de parti s'empara tellement de
leurs imaginations , qu'ils voulurent avoir, des pre-
miers, des reliques de saint Tliomas , et qu'on n'at-
tendit pas même que le temps , en passant sur le
cadavre de ce prélat , en eût réduit les restes à l'état
de reliques ordinaires ; de la chair de Thomas de
Gintorbéry fut reçue à Fécamp et déposée solennel-
( *76)
lement clanis un reliquaire de bois , couvert de laméA
d'argent doré ; on lui fit l'honneur de l'associer aut
reliques de saint Jean-^Baptiste et de sainte Gene-^
viève*. Enfin y pour expier un meurtre qu'il n'avait
pas commis , Henri II fut obligé. de faire plusieurs
donations aux abbayes: des terres du domaine de
Caux, sises entre Bolbec etBonnemare^ furent cou-*
cédées à l'hôpital de Rouen j ainsi que trois mille
harengs^ fournis par les pêcheurs de Fécamp et
d'Yport».
Henri de Suilli mourut en 1 188 , et fut inhumé
dans la chapelle de Saint-Pierre, où son tombeau ne
se voit pluSk Très proche parent des ducs de Nor-
mandie j plutôt homme de cour qu'homme d'église 9
il semblerait y d'après ce que nous venons de voir^
que j de son temps j la régularité religieuse ne fut pas
généralement observée j comme sous ses prédéces-
seurs ; il n'y eut que quelques moines qui avaient
vécu sous l'ancienne discipline , qui s'y conformèrent
avec exactitude.
Raoul d'Argencés , sixième Abbé.
Raoul /surnommé d'Argences, lieu de sa naissance,
dans le diocèse de Bayeux, remplaça l'abbé Henri de
Suilli. Les premières années de son gouvernement
' Trésor de Fécamp.
* Archives départementales.
( «77 )
fareot signalées par plusieurs dons et transactioiis
particulières. Guillaume Le Moine donna à Tabbaye
«ne masure , située danâ la rue de Mer ; et Raoul
Gemet lui fieffa sa maison de la même rue, rele-
vant du fief de Taumonérie de Fécarap. A la même
époque j Aichard^ ou Richard d' Argences , neveu de
Tabbé Raoul, dirigeait les écoles de Fécamp; comme
il désirait agrandir son établissement d'une propriété
voisine ,- son oncle achetai d'un certain Roger Cannel ,
une. maison et un terrain placés près des murs du
château ^, entre la maison de l'école et l'hospice du
monastère , dans le fief de Nicolas Gernet , chevalier.
L'abbaye de Fécamp obtint encore, à cette époque,
un droit qui ne laissait pas d'être productif , et dont
rexbtencé jette un jont intéressant sur les relations
qui existaient alors entre les deux rives de la Seine.
Renauk, comte de Roulogne, lui donna le passage
d'Harfieui^ à Honfleur a Traversum vel passagium
RarefiŒii^^et celui de Vissant, dans le comté de
Boulogne*.
FECAMP
sous RlCHABD CoEUR-BE-LlON £T JeAN-SANS-TeRRE.
Après la mort de Henri II , qui avait vu , pour
* « Jaxta murum castelli » — Ârch, dép.
^ Précis d*un CartuUire ms. de la Bibliothèque du Roi.
Il
( «78 )
ainsi dire , creuser son tombeau au milieu dés conju-^
rations de ses enfants , Richard CœUr-de-Lion , qui
lui succédait, se Ht couronner à Rouen, et partit
immédiatement pour FAngleterre*
^ Il fallait que la fureur des croisades fût alors à
son apogée pour déterminer ce prince , qui arrivait
au trône , à quitter son royaume encore fort agité ,
pour aller se mêler aux aventuriers qui partaient pour
la Terre sainte. En effet, il se rendit directement à
Marseille pour rejoindre le roi de France Philippe ,
et attendre sa flotte qu'il avait fait équiper à Rouen
et à Fécamp. On connaît le sort de Ricliard en Pa-
lestine, sa captivité, au retour, dans les états du duc
d'Autriche , qui ne lui rendit la liberté qu'au moyen
d'une rançon proportionnée à la dignité du prison-
nier. Comme les exploits de Richard l'avaient élevé
au plus haut, degré dans l'esprit des peuples , tout le
monde se cotisa pour hâter sa délivrance; le monas-
tère de Fécamp fournit le quart de son revenu annuel.
Jean-sans-Terre , s'étant emparé du pouvoir pen-
dant la captivité de son frère, conclut , avec Philippe-
Auguste, im traité par lequel il abandonnait, à ce
dernier, toute la rive droite de la Seine ' , compre-
nant lés villes de Harfleur, Montivilliers , Fécamp,
et toutes les autres places du pays de Caux. Cet
« Pacta convedta Parîsiis, inter Philip, et Johan. Hist, de France^
tome XVU;
( 179 )
;sii^rangement fit jeter les. hauts cris aux pays qui
devaient être démembrés de la Normandie; on s'em-
pressa de contribuer à la d^ivrance de Richard , et
son retour , salué par les unanimes acclamations de
«es sujets, empêcha l'exécution de ce traité honteux.
Jean s'enfuit à la cour de France , d'où il suscita beau-
coup d'embarras et de tracasseries au roi d'Angleterre.
KU^Iuudy n'ayant pas fourni la totalité de sa ran-^
tçon, remit des otages pour la partie qui restait à
solder. Gatîtier de Coutances , archevêque de Rouen ,
fut du nombre de ces derniers. Comme le prince
s'occupait peu de le délivrer, l'abbaye de Fécamp
et quelcfues autres monastères furent obligés de
preB<k*e Tinitiative , et de se cotiser de nouveau pour
obtenir la liberté de leur archevêque. L'histoire se
tait sur le sort des autres otages; peut-être passèrent-
ils comme appoint sous le manteau du prélat.
A cette époque, le pape Célestin III occupait la
chaire de Saint-Pierre y et son intervention se fait
sentir dans toutes les affaires qui concernent le mo-
nastère de Fécamp. Il commence par prendre sous
sa protection tous les biens et privilèges de cette
abbaye et de celles de Saint-Taurin d'Évreux , de
Bei-nay et de Sainte-Berthe de Blangy.
Il confirme ensuite la sentence rendue en faveur
du prêtre Richard j pourvu de l'église de Barentin j
à la présentation des religieux de l'abbaye , et or-
donne à l'abbé de Fécamp d'exhorter et engager
( '8o)
tous ceux qui dépendaient de rexemption, à assister
à la procesâon , daas Tëglise du monastère ^ le jour de
la Pentecôte , ou à payer un defûer, suivaBt l'usage.
Il adresse une bulle à Tabbé de Fécamp^ par L»-
queUe 'û est défendu , à lui et à ses suceessenra^ dV
Héner ou de distraire les fo^d^ devinés à Fentretieii
de trois cierges devant le saint Sauveur ^ et permet
au même abbé de se &ire payer les dlmèt^ ea em-
plicMjraiit même tes censures ecclésiastiques.
Célestin défend, en même temps, aux archevêques
et évêques d'interdire les églises de l'abbaj^ die Fé-
camp^ qui étaient de leur dépendiance , d'en mta^dire
plusieurs à Foccasion d^une seule , ou. d'iaftevdire^ un^
église , pour la faute d'un particulier y à moins- qme^e
ne soie le seignwr du lieu , pensée démocratique qui
se développera avec plus de force , dand W aièdes
suivants.
Il accorde une bulle contre L'archidiacre de Caux,
qui , àl'occasioade L'ho^italité qu'on lui avait donnée^
prétendait imposer le droit à& visite au mcmastèfe.
Les archevêques et évêqnes, difiSérant denosnnttr
aux cures les sujets présentés par L'abbé de Fécamp*,
pour jouir plus long-temps du revenu des. bénéâces
vacants, le même pape leur déclare que, sllscattendent
à l'avenir plus de quarante jours , l'abbé de Fécamp
aura le pouvoir de nommer lui-même directement à
ces bénéfices.
Célestin accorde encore , à la demande de Fabbé
( «Si )
de Fécamp, une bulle concernant les biens, les droits
et les privilèges de l'abbaye , pour tenir lieu de pièces
qui avaient été perdues dans le naufrage d un reli-
gieux qui se rendait en Angleterre. Cette bulle a été
Tobjet d'utie critique plus violente que judicieuse
contre les moines, qu'on accusait de faire fabriquer
dés actes, en remplacement de pièces originales qui
n'avaient jamais existé ''. Enûn , le même pape dé-
clare que l'abbé de Fécamp , ses religieux, et tes mi-
nistres des églises qui leur appartiennent, ne pourront
être excommuniés par d'autres que lui ou son légat.
Le successeur de Célestin ^ Innocent III y met
sous la protection du saint siège les églises desti-
nées à l'entretien des pauvres et des lépreux de Fé- ,
camp ; ne voulant pas qu'on puisse interdire l'office
divin , pour crimes qui pourraient y avoir été commis
par d'autres que par lesdits lépreux*.
Nous nous bpmerons à ces simples extraits, qui
peignent une époque mieux que tous les coramen-
taîpes dont oa pourrait les accompagner.
Richard Cœur-de-Iion ayant été tué devant le 1199
château de Chalus, Jean-sans-Terre ne tarda pas
à s'eipparer de sa succession , au détriment de son
neveu Arthur, fils de Geoffroy, frère aîné de Ri-
chard. Il fut.couronné à Rouen duc de Normandie ,
' Mégwires de TérUse, ràA)ë.de SaÎBt-Vktor-eB-Gattx.
* Cartul. Fiscan.
( i8a )
par les mains de l'archevêque Gautier de Coutances^
qui avait à faire oublier au nouveau pouvoir tout
Fempressement qu'il avait témoigné à celui qui
n'existait plus. Le délaissement dans lequel l'avait
laissé Bichard dans les prisons du duc d^Autriche ,
ne lui rendait pas cette tâche difficile.
Jean , s'étant débarrassé de son neveu et compé^
titeur, en le faisant assassiner dans le château de
Rouen , est obligé de commencer une lutte violente
avec le roi de France , qui favori^it le parti d'Ar*
thur. Son trésor étant ' épuisé , i! a recours à toutes
sortes d'expédients pour se procurer de Targent :
il vend des charges , des faveurs, et jusqu'à son in-
tervention pour des mariages.
Hugues de Fécamp donne un marc d'or pour être
sénéchal de Féyêque de Winchester *.
Les marchandises qui avaient pu jusque là circu-
ler librement de l'Angleterre en Normandie , sont
taxées à l'entrée et à la sortie.
La deuxième année du règne de ce prince, avant
la fête de Saint-Pierre-aux-Liens , on voit que l'abbé
de Fécamp acheta, moyennant deux tonneaux de vin
d'Auxerre , la permission d'exporter un chargement
* de vin pour l'Angleterre •.
Un commerçant paya le même impôt J pour une
' Madox , Hist, of the Excheq. , page 222 , note G. ^
> Magn. rotuL, JO Job. , ibid. , note K.
( i83)
licence qui lautorisait à transporter des sels et des
cuirs, de TAngleterre dans les ports, de Normandie ;
e» voit 9 par ces passages , la nature des arrivages qui
avaient lieu dans le port de Fëcamp.
Un sac de laine payait au fisc un demi-n>arc.
Trois, cents pçaux ^^ avec leur poil , un demi-maix^^
Et une certaine niesure de cuirs , un marc.
Après les.droits sur les marchandises et la vente des i2ri3.
charges y vinrent les, confiscations sur les seigneurs
que la conduite de Jean éloignait de ses intérêts : il
drdoiina.au bailiiy de^ Caux de donner à Sturgon,
vicomle dç Fécamp^la terre de Hugues de Gournay ^
qui s.etaijt retiré de son service^ a aupd recessU À
serviliosnostro '. n,
A la suite de nombreuses visites dans tous les châ^
teaux de WNormandie^ sans avoir pris aucune me-
sure contre le roi de France , Jean-sfinsnTerre alla
passer quelques jours dans le prieuré d'Argences,
où se rendit l'abbé de Fécamp ; il y confirma plu-
sieurs donations , entre autres celle d'une maison
en pierre.^ située dans le bourg de Caen, faite à
Robert y fils de {lanulphe. Cette charte est signée
par les archevêques de Rouen et de Cautorbéry ,
par Tabbé de Fécamp et les principaux personuages
qui accompagnaient le roi ^.
" Pœdera , litterœ et acta publica,
'- *■ Metuii ckQrMrum in turre Lond. , page 70«.
( »84 )
A son retour , Raoul d*Argences s'occupa presque
exclusivement de la réédification d'une partie assez
considérable des édifices du monastère , auxquels il
mit la dernière main ; l'église principale étant trop
petite, à raison de la grande affluence des pèlerins ,
ît en fit alonger la nef de cinq arches , et fit élever
l'ancien portail avec ses deux tours ^ qui étaient déjà
fort délabrées vers le milieu du xvi» siècle, si l'on en
juge par les dessins qui furent exécutés à cette
époque*
Ce fut à peu près dans le même teirips que Raoul
d'Argences reçut dans son monastère un frère du nom
de Gaultier , qui avait quitté l'habit de Citeaux ^ vers
1 20 1 . Admis comme frère servant , vu qu'il n'avait
aucune connaissance des lettres, on ne sait par quel
motif il voulut faire le voyage de Jérusalem.' Ayant
dérobé secrètement une partie de la relique du pré-
cieux Sang et un os du bras de sainte Madeleine , il
se mit en route en compagnie de deux autres reli-
gieux de Fécanq) , l'un prêtre , l'autre diacre , et avec
eux Godard des Vaux, seigneur de Goderville, et son
fils Guillaunie, qui était clerc. Frère Gaultier avait
prédit à ses compagnons de voyage une traversée
heureuse, espoir fondé, disait-il, sur ce qu'il était
porteur de très précieuses reliques ; il arriva malheu-
reusement tout le contraire ; en effet , ils ne furent pas
plutôt embarqués, qu'ils essuyèrent une tempête des
plus violentes, qui mettait leurs jours en péril. Dans
( i85)
cette extrëoiîtë , le seigneur de Goderville l'étant rap-
pelé les aveux de frère Gaultier ^ lui demanda s'il
n'aurait pas été assez audaciejux; pour enlever quelque
relique du monastère de Fécamp , ce qui attirerait
sur le navire la colère de Dieu , et ferait que les inno-
cents seraient punis coranie le coupable. A cette in-
terpellatioo 9 le frère, ému par la crainte de la mort,
avoua la soustractioi^ qu'il ayait faite à l'église de
Fécamp , daps le desseia 4'élever à Jérusalem une
chapelle en l'honneur de ces précieuses reliques^
La mer s'étant apaisée tout-à-coup j après l'aveu
du frère Gaultier , le sire de Goderville lui remontra
l'énormité de sa faute , et l'engagea à hii faire la re-
mise du précieux Sang, pour le restituer à l'église
de Fécamp. Mais les marins qui montaient le navire,
ayant été témoins du miracle, voulurent s emparer
de force de la sainte relique , et Godard des Vaux
eut bien de la peine à les convaincre qu^il était ju^te
qu^l s'en chargeât lui-même; puisque sa terre 4tait
voisine du monastère de Fécamp , auquel il avait fait
plusieurs legs, et qu'il était plus à même que tout
autre de restituer ce précieux dépôt aux lieux d'où
il avait été soustrait. Ces raisons ayant été trouvées
valables , on lui remit les reliques. La navigation fut
heureuse, le retour prompt, quoique traversé par
ui\e foule d'incidents dont les voyageurs ne sortirent
que par miracle. Revenu d^s son pays , Godard des
Vaux , accompagné de son fils et de sa femme , mit
(i86)
Sur Tautel de la Sainte-Trinité le précieux Sang, et,
en même temps, fit donation à Fabbaye du patronage
de Godervilie et de la dtme du marché de ce bourg,
pour la rémission de ses p^hés et pour le salut de
Famé de Henri II*.
iao4. Si, d'un côté, les reliques reprenaient leur place
dans Fabbaye de Fécamp , de l'autre , le roi Jean était
sur le point d'être expulsé de la Normandie. Toujours
malheureux dans ses rencontres avec Philippe- Au-
guste , il se retira en Angleterre , laissant les peuples
de son duché se défendre seuls contre son poissant
ennemi. La ville de Rouen étant assiégée en iao49 et
ne recevant aucun siëcours de l'Angleterre , fut obli-
gée de capituler et de se soumettre au roi de France;
le château dië Fécamp et toutes les places du pays de
Caux suivirent son exemple. L'histoire rapporte tout
le déplaisir qu'éprouvèrent les Nonâands de ce nou-
vel état de choses. Les bourgeois de Rouen , surtout ,
étaient implacables dans la haine qu'ils portaient à
Philippe-Auguste », et ce ne fut qu'à force de con-
cessions et de privilèges que ce prince parvînt à
faire supporter son pouvoir. Les monastères , fondés
et comblés de bienfaits par les descendants de RoUon,
■ Cart. de la BU)lioUièque du Roi > mss.
' <« At Rothomagensis communia , corde superbo ,
Immortale gerens odium cum principe nostro. »
— Cuili, Britonis Philip, , apud Scrîp. rer, franc. , t. XVIl, p, 213^
* ( i87 )
regrettèrent aussi la dynastie normande y surtout ceux
qui craignaient pour la possession de leurs biens
d'outre-mer. Mais généralement on fit bonne conte-
nance ; on feignit d'oublier le passé ^ pour tirer
meilleur parti de Tavenir.
Le mouvement commercial de tous les ports de la
Normandie fut généralement arrêté par cette sépa-
ration^ qui fut très préjudiciable surtout au port de
Fécamp^ devenu l'entrepôt des marchandises échan- .
gées entre les deux pays. Quant à cette ville , naguère
si brillante par la pompe des cérémonies religieuses^
par le concours des princes et des étrangers qui s'y
rendaient de toutes parts ^ elle se trouva tout-à-
roup réduite à son abbaye ; et l'abbaye elle-même^
perdant l'influence qu'elle avait eue jusqu'alors sur
le sort d'un grand état , dut prendre. rang parmi les
autres établissements de la France y qui ne l'éjgalaient
pas y à beaucoup près y en richesses et en illustration.
Il est bon , maintenant^ de jelar un coup d'œil en
arrière , pour se rendre compte des résultats de l'oc-
cupation normande. Fécamp existait y avons-nous vu ^
du temps des Mérovingiens y mais seulement comme
bourgade formée de la réunion- de quelques habi-
tants, tous pêcheurs et cultivateurs; à l'exceptioa
de ceux qui composaient la su^te des gouverneurs du
paya de Caux. L'abbaye elle-même n'était, dans ces
premiers temps, qu'un établissement médiocre en
bois et en pierre, comme tpus ceux de celte époque^
( i88 ) *
et le château du comte ua manoir des plus dmples
et des plus modestes.
L'arrivée des Normands change tout-à-coup la
face des choses. Rolf ^ leur chef, jette tes yeux rar
Fécamp ; son fils Wilhialm Longue-Épée y construit
le premier château fort qui ait été élevé en Norman-
die par les hommes de sa race; s'y installe avec sa
femme et sa cour , rend le port abordable , y construit
des navires, relève l'abbaye de ses ruines, donne les
terres envirc»inantes aux hommes de sa suite , qui
les mettent ea valeur; le système féodal vient encore
ajouter à ces merveilles ^ en organisant la hiérarchie
des pouvoirs : le fief, touc-à-tour d^^ndant et suze*
rain^ s'élève de toutes parts; des maisons se con«
struisent à Fécamp , aux environs de la forteresse , à
l'entrée de la baie , dans la vallée, sur le bord de la
voie publique ce ^//lo/a publicai». U nous reste peu de
traces de ces constructions ; car, sauf les monuments
religieux et militaires , elles étaient toutes en bois et
en torchis ; mais les anciennes divisions des pro-
priétés existent encore : les enceintes de l'école,, du
champ-^loré , de la ferme de M. Roquigny, et beaU'-
coup d'autres qu'il est facile de reconnaître , étaient
d'anciens fiefs de l'époque normande.
L'intelligence hun^aine ne reste pas en arrière du
mouvement général imprimé par les conquérants;
des travaux littéraires s'élaborent dans le silence des
cloîtres; on forfne des élèves à écrire sur des tadi>lettes
( ï89)
cirées; on leur fait copier la Collecte, le Graduel,
rAntipbonter , l'ancien et le nouveau Testaffnent, les
ouvrages <hi pape Grégoire, les traités de S. Jérôme ,
^Augostiis , d'Ambroise , dlsidore , d'Euzèbe ,
d'Oroze , et tous les écrits des anciens , qui avaient
été sauvés; c'est ainsi que ces précieux travaux
nous sont parvenus. Enfin , l'abbé Jean d'Alie pro-
duit un grand nombre d'ouvrages ascétiques , et le
jeime moine Robert sa Chronique de Fécamp , le
seul travail qui nous ait fait parfaitement connaître
la suite des rois de la famille de Merowig. La popu-
btioii de la ville centuple alors, et participe aux
bienfaits de l'instruction. Une école, dirigée par des
hommes de science et de vertu, répand la lumière
parmi le peuple ; cliose remarquable alors et peu
eomimiae, même dans les plus grandes villes de
France.
Il nous reste peu de mots de la langue des Nor-
mands; car, après la conquête, le monde romain ne
tarda pas à reprendre sa suprématie. Les chroniques,
les chartes et toutes les transactions , furent écrites
en latin; il n'y a que quelques noms propres qui aient
survécu en s'alliant à certaines localités. Ainsi , les
normands Estod , Turmot, Tancar, Goder, Anger,
ajoutèrent leur nom à des villa gallo-romaines ,
qui furent désormais appelées Est«)uteville,Tréraau-
ville, TancarvilW, Goderville et Angerville.
Les lieux nommés le Torps indiquent une ferme
( i9<> )
normande; c'est le nom propre existant encore en
Norwège, pour désigner un établisseiilent. agricole.
Les mots Tôt y Thuit, si communs aux environs de
Fëcamp^ ont la même signification , et semblent être
une corruption du premier de ces noms. Le mot
Bec veut dire petite rivière ou ruisseau ; aussi avons-
nous près de Fëcamp le Bec-de-Mortagne ^ le Bec-
aux-Cauchbis , le Bec-aux-Normands ; de là aussi les
villes de Bolbec et de Caudeb'ec ^ situées dans le
pays de Caux.
Les Normands, à dater de cette époque, vont
perdre leur physionomie historique., pour prendre
une place secondaire dans l'histoire de France; tous
les monastères de Normandie, n'ayant plus d'invasion
à redouter, vont s'occuper modestement de leurs
affaires intérieures; nous n'en trouverons pas moins,
chose remarquable , pendant les deux siècles qui vont
suivre , beaucoup de faits qui rattacheront Fécàmp
à l'histoire générale du pays.
FECAMP
jusqu'en i4i9>
ÉPOQUE DE LA REPBISE DE LA NORMANDIE PAR LES ANGLAIS.
Immédiatement après la confiscation de la Nor-
mandie, Fhilippe-Auguste reconnaît les privilèges
( '9' )
'de l'abbaye de F^camp, et. la Hiaialîent dans son droit
de haute justice sur les habitants de la ville et sur
les vassaux qu'elfe avait dans les paroisses de sa
dépendance. N'oublions pas d'ajouter que la confir-
mation de ces f^rivilëges fut achetée de la perte de
quelques biens, dont le roi s'empara, à Texemple de
ses prédécesseurs , pour récompenser ses fidèles. Phi-
lippe de Béthisy, chevaUer, reçut cinquante livres
de rentes à prendre sur le fief d'Aucourt, appartenant
à l'abbaye de Fécamp. Comme c'était à peu près
tout <^e . que rapportait cette propriété , les moines
l'abandonnèrent à Philippe de Béthisy , moyennant
une rente annuelle de trois marcs d'argent.
Philippe donna ensuite à Robert , archevêque de
Rouen , l'ordre de conserver à l'abbaye de Fécamp
la possession de l'église d'Étretat ; il fit part, en outre,
d'une déclaration de Richard de Yemon , par la-
quelle ce dernier reconnaissait que la même abbaye
avait droit de faire passer, par l'eau de Vernon, toutes
sortes de denrées, sans payer aucun impôt.
Xje comte de Saint-Paul adressa , dans le même
temps , à l'abbé Raoul , une lettre par laquelle il le
priait de recevoir, dans son monastère, certains
religieux de Biangy, dont la vie était peu édifiante,
et d'envoyer , à leur place , deux ou trois religieux
de sa communauté.
Nous trouvons ensuite diverses donations, dont
' ' " .
voici les principales :
V ( '9^ )
Hugues II 9 évéque de Coutafices ^ se trouvant à
HcKien , écAu^e àrtf monastèf^ de Fécamp les deux tieiii
dé la dîhit et lé pstroiiàge de Téglise de Quettehon.
L'abbayè rendit , pôiïr son [i^rieuré de Saint-'
Cervais de Roùeti ^ quelques propriétés âse^ à Cânn
peaux, dimiônées pour quaf^ fers à cheval etdduze
deniers de rente.
Ocïon et Robert, fîk de Henri de L'Hôpital, donnent
à Gislebert de Breda ^ clere de Tabbayé, une inaisofn
et un jardin, qu'ils avaient à Fëcamp , n^e Froide,
ou quartier froid fafti^do vieo^j sur la païoissè dé
Saint-Léger*
Les biens de rhopital de Féôamp s'accroissentf
d'une propriété skuéesnrle mont du Saint-Sépulore,
faî^nt partie dti fief de Robert de TiHetil , et dé
douze deniers de rente à prendre sur le tàSitifAtâé
Gi^tte-PouIain , à Saint-Léonard , appartensOlt i
ftose, fitte de Mathilde la Gueudonesse.
Guillaume Louvel obtient de l'abbaye trois mai-
sons libres de tout droit de coutume et d'ôc^^ , etf
échange des prétentions qu'il avait sur le mai^bé de
f*écamp.
Pierre de Renouville donne à l'abbaye une maison
à Veules , et fait remise d'une indemnité à laquefté'
il avait droit, au sujet du dégorgement de la rivière
de Veulettes , qui avait inondé ses terres.
Henri Mauconduit, chevalier, fait, à l'occasion
de la rivière de Vittefleur , un accoi^d avec le mo-
( '93)
nastère de vFécamp y duquel il résulte que, depi^is
les moulins de yittefleur jusqu'aux moulins de Yeu-
lettes, la rivière sera commune et Ton en partagera
la pèche par moitié ; et au-dessous desdits moulins
de Veulettes jusqu'à la mer , la rivière appartiendra
entièrement à l'église de Fécamp.
Henri d'Argences , chevalier, déclare n'avoir
aucun droit dans les bois de l'abbaye , à Argences ,
et reconnaît que ses hommes, du fîef de Caron,
sont obligés d'aller au mouliu et au four de ladite
abbaye:
Robert de Néville donne tous les droits qu'il
pouvait prétendre sur le havre et port de Saint-
Yalery; Godard de Godarville, une maison attenante
9UX murs de la forteresse de Fécamp ; Nicolas Par-
mentier, sa terre du Yal-aux-Clercs ; Durand du
Hêtre de l'Étrain , plusieurs redevances féodales ,
si communes à cette époque , telles que : trois cents
gerbes , une fourche, une paire de gants qui lui étaient
dus chaque année sur la dîme de Troudeville ; et ,
enfin , Pierre de Criquebœuf , sa terre de Grainval
et tous les objets de naufrage, qui seraient jetés sur
les grèves d'Yport , de quelque nature qu'ils soient ,
plus le droit de coutume , qui lui appartenait féo-
dalement , comme en avait joui son père Richard ,
sur les harengs , maquereaux et autres poissons
apportés dans ce port.
Lies seigneurs qui étaient obligés de faire garderies
i3
( «94)
chemins, sur leurs terres, depuis le lever jusqu'au
coucher du soleil , prélevaient alors , à titre d'in-
demnité , certains droits sur les voyageurs. L'abbaye
de Fécamp obtient une exemption de péage sur les
domaines des comtes de Boulogne et de Beaumont;
et Guillaume de la Kese accorde , moyennant deux
mines d'orge , à prendre sur le grenier dfes moines
à Veules, le libre passage, à travers ses terres , pour
les habitants de Fécamp et tous les hommes de l'ab-
baye ' .
Nous ne pouvons nous rendre compte du motif
qui appela Raoul tl*Argences à Rome ; voyage que
nous ne trouvons consigné dans aucun catalogue
des abbés, et qui eut lieu, cependant, comme le
prouve une quittance de a huit mille florins d'or^
« de bon poids, restant dus d'une somme plus forte
« que ledit abbé avait reçue à la cour de Rome , de
(c Rainold Huguo, marchand de Florence , de la société
« dite des Epines , societas Spinarum. » Sans doute,
une partie de ces fonds avaient été remis à titre
de subvention à la cour pontificale.
C'est un fait curieux pour l'époque, que l'existence
de cette société. de marchands qui avait des succur-
sales dans les principaux royaumes de TEurope, et
se livrait à des opérations qui ont donné lieu à nos
^ Tous ces actes se trouvent aux arcliiTes départementales , car-
tons de Féeamp, et dans le Gartulaire de l'Abbaye.
( «95)
banques actuelles. Nous trouvons ^ à quelque temps
de là y la même société appelée en garantie devant
les gens de la Cour des -comptes, par l'abbé Raoul ^
avec lequel elle avait pris l'engagement d'avancer
iSyâOO florins d'or de Florence, montant de- la coti-
sation imposée à l'abbaye de Fécamp , par Pbilippe-
Augnste , pour subvenir aux besoins de l'État. '
Nous citerons maintenant quelques exemples qui
prouvent que les moines ne jouissaient pas toujours
d'une tranquillité parfaite, et que souvent de simples
particuliers se permettaient d'agir envers eux en
voisins fort incommodes. C'est ce que nous fait voir
un traité , par lequel Renauld Pellerin s'oblige
dobseiver la paix a^ec C abbaye de Fécamp , sous
peine de la perte de trente sous de rente qui lui
étaient dus sur diverses maisons situées audit Fé-
camp^ en la rue du Petit-Moulin, derrière le jardin
de l'abbaye.
Un peu auparavant, c'était un prêtre nommé
Simon, qui, voulant jeuir, malgré les moines , de la
cure d'Étretat , leur avait intenté , à ce sujet ,
divers procès qui se terminèrent par la renonciation
dudit prêtre , auquel les moines , vu sa grande misère,
s'engagèrent à faire 1 5 liv. de rente , à prendre sur
leurs moulins de Yittefleur.
Les moines de Saint-Taurin d'Evreux élevèrent,
■ f - ' - - —
' Archives départementales.
( «96 )
à cette époque y mais sans succès y la prétention d'être
appelés à l'élection des ab})és de Fécamp.
Toutes ces tracasseries furent suivies d'une ^utre
plus grave y à cause du rang de l'adven^aire , qui
était chevalier j possesseur d'un fief dans le voisi-
nage du bois des Hogues, et avait, par conséquent,
un assez grand nombre de vassaux sous sa dépen-
dance.
iai8 Guillaume.de JBeuze ville, sire.de Maupertuis,
prétendant avoir des droits sur la forêt des Hogues,
y coupait du bois à sa^ fantaisie, y mettait paître des
animaux , frappait les moines et leurs gardes lors-
qu'ils voulaient s'opposer à ses volontés. Un jour
que ces gardes étaient parvenus à saisir , dans la
forêt, des moutons appartenant audit sire deMau-
pertais , celui-ci , furieux , brisa le parc où ils étaient
renfermés, et en prit un plus grand nombre que ceux:
qui étaient à lui. Une plainte ayant été ^portée
devant l'Echiquier, et les parties s'étant présentées,
on fit paix et accord de la .manière suivante : <ç De
« ce que ledit chevalier prétendoit avoir droit €mi la
coforêt des Hogues , à cause de son manoir de Mau-
« pertuis , ledit chevalier reconnoît n'y avoir aucun
a <lroit,ni pour le passé , ni pour l'avemr,^ cause
a du pâturage des bêtes, ni pour herbage , ne à
à cause -^de couper ne faire couper pour ardoir
« (brûler).
« De ce que les dits religieux, se plaignoient de ce
( ^97 )
a que ledit chevalier a voit fait couper leur parc, et
Qc qu'il avoit (Ms, dans leur manoir des Hogues y un
« plus grand nombre de montes et bêtes à laine ^
<c qui avoient été prises en ladite forêt ^ par les gens
<c des dits religieux , et qu'ils tenoient à cause de
a forfaiture 9 ledit chevalier s'oblige à faire rétablir
a en manoir et en parc des Hogues, douze ou
a quinze moutons.
fit Sur ce que les religieux se douloient (plaignoient),
ce de ce que ledit chevalier avoit mis la main inju*
a rieusement à l'un 'des moines de l'hôtel , laquelle
« chose ledit chevalier ne confessoit pas, ne n'en
« étoit mémoratif , icelui chevalier se soumit et
« obligea , que si le dit moine veut dire ^ par la vérité,
a qu'il mit la main à lui injurieusement , icelui che«
a valîer, par révérence et honneur , et pour obéis-
« sance faire à Dieu et à sa sainte église , et pour
m avoir bonne paix avec iceux religieux , viendra à
« leur chapitre, à Fécamp, et l'amendera à l'abbé
(c et au moine qui se veult ^ »
Ainsi , une affaire commencée avec tant de vio*
lence et d'irritation , ne pouvait se terminer avec plus
de courtoisie et d'humilité.
Il semble que l'abbaye , à la suite de ces attaques
successives , veuille s'assurer de l'appui des hommes
qui lui étaient suzerainement attachés : elle, fait rer
' Archives départementales.
( 19» )
nouTcler à Roger Geraet , chevalier, possesseur de
fiefs relevant de l'église de Fécamp, un engagement
qui jette un g^and jour sur l'organisation ^ féodale
de cette époque. Nous donnerons l'extrait succinct
de ce curieux document :
« Moi, Roger Gernet,' déclare, qu'au moyen des
«objets détaillés ci-après, qui me seront donnés
a annuellement par l'abbaye de Fécamp , à moi ou
« à mes héritiers, comme elle avait l'habitude de le
« faire à mon père et à ses prédécesseurs ; savoir :
« un boisseau de froment, vingt-cinq quarts et deux
a boisseaux d'avoine, mesure du grenier de l'abbé
<c de Fécamp , livrés par le gardien de ces greniers;
« un tonneau de vin d'Argences ou de France , si le
ce premier vient à manquer , livré par le sommelier
c( de l'abbaye , à condition que ce vin soit sain et
(c potable : je rends foi et hommage à l'église de
« Fécamp, et In'oblige de lui appartenir, de défendre
« ses intérêts en toutes choses , et dé'me réunir trois
c< et quatre fois par an au:îc hommes de l'abbé, pour
« aller , au besoin, au-delà de la Seine et des mers,
a venger les injures et les torts faits à l'église de
« Fécamp. »
^oger Gernet déclare , en terminant , qu'il prend
ces engagements, à l'occasion des fiefs, relevant de
ladite abbaye , qu'il possède dans le lieu nommé
Malptus ( Maupertuis ).
Cet acte , passé à Fécamp , a cela de remar,quable ,
( »99 )
qu'il n'est plus signé par les grands seigneurs d'An-
gleterre ; ce sont tous Normands j mainteoant atta-
chés de corps et d'ame à la France y dont les noms
figurent sur cette pièce. Parmi eux on Astingue H.
d'Estoteville , Raoul de Kenouville, Rich. d'Yvetot,
W. de Tortechaine , Wîl. de Wistanval , Pierre de Cri-
kebeuf, W. Malet, Simon des Hogues, Joseph de
Thieboutoty EUist.Bellet, Aichardiemaître des écoles ,
et beaucoup d'autres.
Guillaume de Mortemer fait la même déclaration
de foi et hommage au monastère de Fécamp j et lui
jure fidélité pour la terre d'Osbert ville.
1/abbé Raoul d'Argences mourut en 12 19. Son
gouvernement fut témoin de grands événements,
qu'il fit toujours tourner au profit de son monastère ,
aussi celui-ci reçut-il de son temps de»notables aug-
mentations. Cet abbé fut inhumé dans la chapelle de
Saint-Taurin, maintenant appelée de Saint-fBenoît ,
à gauche de l'autel, sous une arche pratiquée dans
la muraille. On avait placé, sur son tombeau, une
statue en bois , couverte d'airain. Le bronze en était
déjà enlevé bien avant le xvii' siècle ^
AiCHARD d'Argences , septième Abbé.
* * •
Après la mort de Raoul , la communauté, assez
• Trésor de Fécamp.
( aoo )
emban*assée , élut , à la place d'abbé , le maître
d'école Aichard , neveu du titulaire dëfiint. On dit
qu'il était ^oux , affable et très charitable. La tra-
dition monàcsde n'a pas oublié que ce fut lui qui
augmenta d'un quart la portion de vin des religieux.
Rien d'important, du reste , ne se passa sous son gou-
vernement y qui ne dura que deux ans et demi. îl
mourut eo 1222 , et fut inhumé dans la chapelle de
Saint-Nicolas. Ce fut du temps de cet abbé que le
pape Honorius confirma à l'abbâye de Fécamp la
possession de l'hôpital de Veules «rf<? Vetolionj tel
qu'il avait été concédé par son fondateur*.
Richard , huitième Abbé.
R,ichard I^ surnommé Morin y natif (Je Paluel , au
diocèse de Rouen , fut le successeur dé l'abbé Aichard.
A l'époque de son élection , l'église de Saint-Léger
de Fécamp venait d'être terminée. Comme on vou-
lait la consacrer avec toutes Iqs pompes religieuses
usitées en pareille circonstance y on invita , pour feire
cette cérémonie, Richard, évêque d'Evreux, qui
était né à Fécamp , sur la paroisse même de Saint-
Léger. Richard avait quitté le lieu de sa naissance
pour se faire religieux au monastère du Bec, d'où
il avait été promu à l'évêché d'Evreux. Ce fut un
Archives départementales.
( ^OI )
jour de fête pour Fécamp de revoir uu de ses enfants
sous la mitre ëpiscopale , faisant la dédicace d'une
de ses églises. Plusieurs moines furent élevés au
rang d'acolytes et d'exorcistes , à la suite de cette
cérémonie.
Une croisade ayant été prêchée contre les Albi*-
geoiSy des indulgences sont accordées à ceux qui
voudraient prendre la croix. Leurs familles et leurs
biens sont mis sous la protection de l'église. Les
moines favorisent l'élan imprimé par le pape, en
abandonnant, pour cinq années, la dîme de leurs
propriétés, et en mettant de fortes sommes à la
disposition du roi de France.
L'abbé Richard , de Paluel , est qualifié d'homihe
très simple; c'est sans doute à son peu de fermeté
et à son goût pour la règle, que sont dues les dis-
sensions qui existèrent entre lui et ses religieux. Le
légat du pape , pour y mettre fin , le contraignit de
résilier son poste , après cinq ans de gouvernement.
A voir l'empressement que met la cour de Rome à
l'éloigner et à lui donner un successeur , on serait
porté à croire qu'il n'avait pas su se concilier l'affec-
tion du saint siège , ou qu'il avait mis peu de bonne
volonté à fournir sa part de subsides , dont le plus
ou moins de valeur donnait la mesure du zèle des
abbés.
( 20a )
Guillaume Vaspail, neuvième Abbé.
>337- Guillaume III, surnommé Vaspail , né dans le
village de Ros , près Caen , et prieur du monastère
de Saint-Ouen de Rouen, est appelé presqu aussitôt^
par Tinfluence du légat romain, à gouverner le
monastère de Fécamp. Cette communauté fournit,
en même temps, un abbé à celle de SaintrPierre-
sur-Dives , dans la personne du moine Jacob.
Les archevêques de Rouen , de plus en plus con-
trariés de l'exemption de Fécamp, laissent apercevoir,
d'une manière trop ostensible, le dépit qu'ils en
éprouvent. Ils se refusent à donner de saintçs huiles
aux. religieux , à consacrer leurs églises , et à recevoir
Nleurs novices aux ordres. Le pape , par une bulle
datée de Spolette, enjoint à ces archevêques de
traiter , à l'avenir, avec moins de rigueur le monastère
de Fécamp.
La même contestation eut Ueu en Angleterre, entre
les clercs de Staninges et l'évêque de Chichester; le
pape Grégoire IX, consulté, renvoie cette affaifeà
l'arbitrage de Jean de Caen et de l'évêque de Londres,
qui déclarèrent les clercs de Staninges indépendants
de toute juridiction épiscopale.
Tout le monde ne répondant pas au zèle qu'exi-
geait la cour de Rome , Grégoire IX , après avoir
excommunié l'empereur Frédéric Rarberousse, or-
donna la tenue d'un concile à Rome; plusieurs prélats
( ^o3 )
de France y furent convoqués ; dans le nombre se
trouvait Guillaume Yaspail.
Cet abbé , s'étant embarqué sur les galères de
Gênes, avec des légats et des évéques y ils furent ren-
contrés par les galères de l'empereur Frédéric , con-
duites par Henri, fils naturel de ce prince. Les Génois
ayant été vaincus dans un combat assez prolongé, les
prélats furent faits prisonniei*s et conduits à Naples ,
par ordre de remj)ereur , qui les fit traiter assez
durement. L'archevêque de Rouen fut relâché , par
snite des pressantes réclamations de saint Louis.
Guillaume Yaspail ne se dégagea que par une forte
somme d'argent, et à l'aide d'un archidiacre de Na-
ples de ses amis. Il avait pour servitem*. un certain
Jean Bethin , qui lui rendit , à ce qu'il paraît , les
plus grands services pendant sa captivité , car nous
trouvons, dans le cartulaire^ une donation de 5 liv.
de rente, à prendre sur la terre d'Heudebou ville , faite
à cet homme par le prieur et le couvent deFécamp,
en considération des services qu'il a rendus à Guil-
laume leur abbé , détenu dans la prison impériale.
A son retour , Guillaume Yaspail fit ajouter quelque
chose à l'habillement prescrit par la règle. Remar-
quant que les moines ayant continuellement la tête
nue, dans un pays humide et si rapproché de la mer,
en étaient souvent incommodés; il obtint du pape la laa^.
permission de faire usage d'une espèce de capuchon
pendant le service divin. Par une autre bulle de la
( ^o4 }
même ëpoque, le pape permet l'admission^ dans les
ordres et les charges du nKcnastère, de dix clercs ^
fils naturels, pourvu, toutefois, que leur naissance
ne fût pas le fruit d'incestes ou d'adultère^ ; les croi-
sades faisaient , à cette époque , tolérer bien des
choses contraires à l'ancienne discipline.
La même année vit terminer la querelle qui exis-
tait depuis plusieurs siècles entre les abbayes de
Fécamp et de Saint-Taurin d'Evreux; la suzeraineté
de Fécamp était devenue insupportable à cette der-
nière communauté , dont l'importance , alors , s'ac-
cordait peu avec la sujétion qui la mettait au rang
subalterne d'une église de campagne ou d'un simple
prieuré; les temps , d'ailleurs , étaient changés , et l'on
était bien loin du siècle des deux Richard. Des com-
missaires du pape, auxquels cette affaire fut déférée,
déclarèrent l'indépendance de l'abbaye de Saint-Tau-
rin , qui , à partir de cette époque, put nommer ses
abbés sans l'intervention des i^eligieux de Fécamp. .
Nous sommes arrivés à l'époque de la grande
féodalité, où tout le pouvoir hiérarchique était attaché
à la terre, sous le nom de fief; tous ceux qui en
possédaient étaient obligés de prendre part au ser-
vice militaire. Ainsi, le grand fief, ou fief suzerain,
devait un certain nombre d'hommes armés, à raison
des fiefs subalternes qui étaient dans sa dépendance,
et ces hommes, montés et équipés , avaient ordre de
se trouver , à la réquisition du roi , sur les points qui
leur étaient assignés. Les conmiunautés , à raison
de leurs fiefs ^ n'étaient pas plus exemptes du service
militaire que les autres seigneuries. L'abbé devait
se trouver dans toutes les réunions , à la tête de ses
hommes d'armes ; sa présenee encourageait le zèle ,
entretenait la discipline et l'ardedr.
Dans un dénombrement qui a pour titre Feoda
Normajmiœ ^ on voit que l'abbaye de Fécamp était
tenue de fournir y pour le service de l'armée, une mi-
lice plus ou moins nombreuse , prise parmi ses
hommes et ses vassaux. '
L'abbé de Fécamp eàt toujours porté sur les rôles
du ban et de l'arrière-ban ; et , dans le nombre des
chevaliers portant bannière , au combat de Bouvines,
nous trouvons tous les abbés de Normandie ; l'abbé
de Fécamp combattait auprès des D'Estouteville, des
Guillaume Q^epin et des Robert Malet*.
Dans un rôle de la chambre des comptes, parmi
ceux qui furent admonestés à Saint-G^rmain-en-
Laye, nous remarquons cinq évêques de la Norman-
die et l'abbé de Fécamp. Nous voyons encore le nom
de ce dernier parmi ceux qui dowent semons à Chi-
non , pour aller sur le comté de la Marche.
A l'occasion des guerres qu'il soutenait dans la
Saiotonge, avec le comte de la Marche, Louis IX
(saint Louis ) s'aperçut que beaucoup de seigneurs
* La Roque, Feoda Normannias,
( 2o6 )
normands se trouvaient clans une fausse position vis-^
à-vis du roi d'Angleterre, auquel ils devaient aussi
foi et hommage , à cause des fiefs qu'ils possédaient
dans son royaume. Soit défiance , ou désir de faire
cesser un ordre de choses qui blessait les idées
consciencieuses de saint Louis , ce roi manda à Paris
tous Tes seigneurs qui se trouvaient dans cette caté-
gorie, et leur représenta que j ne pouvant servir deux
maîtres avec fidélité , ils eussent à choisir le pays
qu'ils voulaient définitivement adopter*
Le roi d'Angleterre, par politique, et pour con-
server des relations avec la Normandie, avait ipain-
tenu les Normands, ses anciens sujets, dans la pos-
session de leurs biens d'outre-mer, particularité qui
n'a pas été assez remarquée par quelques écrivains
modernes , qui n'ont vu que confiscations après le
renvoi de Jean-sans-Terre. Le roi d'Angleterre , di-
sons-nous , voyant le parli que prenait Louis IX,
l'appliqua à ceux de ses sujets qui possédaient des
fiefs en Normandie^ Ainsi, il y eut un échange de
personnes entre les deux pays. Les monastères seuls
furent exceptés de la règle générale.
ia55. Le zèle des croisés ayant amené la conversion
volontaire ou forcée de beaucoup de juifs, les mo-
nastères furent chargés de remettre aux évêques de
l'argent pour l'entretien des juifs convertis. JPécamp
' Mathieu Paris, ad ann. 1244.
( ao? )
I
fut exempté de cette contribution par le pape , vu
qu'il avait déjà fourni plus de 60 livres tournois pour
cet objet , et à raison des subsides annuellement payés
par ce monastère à la cour de Rome et aux légats.
Le même pape accorde à l'abbé Guillaume le pou-
voir de donner au peuple la bénédiction solennelle
pendant les cérémonies religieuses , et il affranchit
la communauté de sa part de contribution pour l'en-
tretien de l'évêque du Mont-Tbabor, qui , après la
destruction de son église par le sultan de Babylône,
était venu chercher un refuge en Normandie. C'est
toujours à raison des * subsides fournis à la cour
de Rome , que ces exemptions sont accordées. On
voit oïl passaient, à.cettft époque y les grands revenus
du monastère de Fécamp.
Guillaume Yaspail assiste, en i^Sq, au sacre de
Rapul Grosparmi , évêque d'Evreux , qui eut lieu
dans l'église de Saint-Taurin , en présence de saint
Louis, de ses deux fils , des évéques de la province,
et de Simon de Montfort. Un mois après, Guillaume
envoie à l'évêque Raoul la chapelle' que l'abbaye
de Fécamp devait aux évêques d'Evreux nouvelle?»
ment élus , à cause des fréquents voyages qu'ils
faisaient pour l'ordination des moines de ce monas-
tère, p'est, nous croyons, le dernier acte de l'ad-
■ On appelait chapelle , dans ce sens , les ornements et les Tases
sacerdotaux nécessaires an prêtre pour le sacrifice de la Messe.
( 3o8 )
ministratioû de Guillaume Yaspail , qui mourut en
1 260 y et fut inhumé dans la chapelle de la Yierge ,
auprès de quelques-uns de ses prédécesseurs.
B.ICHARD DE Trégos, dixième Abbé.
laGo. Richard de Trégos, natif du diocèse de Coutances,
succéda à l'abbé Guillaume, en 1 260. Ce nouvel abbé
fut très agréable à la communauté, et sut lui concilier
l'intérêt de plusieurs prélats et grands seigneurs, qui
lui firent de nombreuses libéralités.
Dans la même année, Gabriel , moine de Fécamp,
fut élu abbé d'Ivry. Avant d'entrer dans l'ordre mo-
nastique, il avait fait de brillantes études à l'Acadé-
ndie de Paris, et était venu seVanger, à Fécamp, sous
la discipline de Guillaume de Ros. Un village , atte-
nant à Fécamp , eut aussi l'honneur de fournir un
abbé au monastère de Sainte-Catherine-du-Mont,
dans la personne de Richard de Ganseville.
Richard de Trégos fit élever plusieurs bâtiments
dans les dépendances de l'abbaye ; c'est à lui que
IJon attribue Thôtel de ville actuel de Fécamp,
dont la construction rappelle évidemment le style
du XIII* siècle.
Les habitants de Veuléttes s'obligèrent, à la niême
époque, envers le monastère, à construire un havre
audit lieu , à condition de la remise des droits de
pêche , de vente , et autres redevances auxquelles ik
étaient 'tenus envers l'église de Fécamp.
( 209 )
L'abbé de Trégos acheta ^ dans le même temps ^ de i iCS.
Nicolas de Hottot , sieur d*Anglesqueville-les-Murs,
toute la vallée de Veulettes , de Palluel et Vitte-
fleur, pour créer un port à l'endroit où la rivière de
Palluel se jette dans la mer ; il fit construire , à cet
effet y une digue pour abriter du vent du nord les
bateaux qui tenteraient d'aborder le rivage. On se
fait difficilement une idée de la quantité prodigieuse
de pierres , de mortiers et de pilotis qui durent être
apportés sur ce point; mais, comme Fart n'avait
pas encore trouvé les moyens de lutter avec avan-
tage conti*e les flots de la mer, ce travail neput jamais
être terminé, et, bien que, depuis 600 ans , ces fon-
dations soient sans cesse battues par les vagues , il est
encore assez resté de cet œuvre de géants , pour faire
croire aux personnes qui n'en connaissent pas l'ori-
gine y que le port de Claquedent , comme on l'appelle ,
était un ouvrage des Gallo-Romains.
On fit aussi , au port de Fécamp , vers la même
époque , beaucoup de travaux qui eurent plus de
succès que ceux dont nous venons de parler.
Toutes ces constructions et les subsides nombreux
envoyés à l'étranger, n'enrichissaient ni les moines
ni les populations du pays de Caux ; et l'abbaye ne
tarda pas à s'apercevoir de la difficulté qu'elle éprou-
ArchÎTes dépArt«fnenîaIf*5 ; cartons de Feeamp.
'4
( aïo )
vait à recevoir les dîmes et à faire rentrer certains
revenus qui avaient été détournés de manière à ne
laisser aucune trace. Pour découvrir les détenteurs
de tous ces biens , on eut recours aux moyens usités
en pareille circonstance : des brefs du pape , des mo-
nitoires furent lancés dans tous les lieux dépendants
de l'abbaye. Urbain IV prescrivit, à l'abbé de Val-
mont y de faire publier dans ses églises que les habi-
tants eussent à restituer ce qu'ils retenaient au mo-
nastère de Fécamp , dans un délai fixé , passé lequel
on devrait prononcer l'excommunication contre les
détenteurs secrets, qui n'auraient pas tenu compte
de ces avertissements'.
Les évêques d'Evreux et d'Avranches , le doyen
de Lisieux , l'abbé de Saint-Etienne de Caen , le
prieur du Mont-aux-Malades , reçoivent des bulles
dans le même sens ; et l'abbé de Jumièges est invité
à publier des monitoires contre ceux qui retiennent
les biens , les vases sacrés , les ornements et lés char-
tes de l'abbaye de Fécamp.
Si l'on n'avait pas ces pièces sous les yeux, on
aurait peine à se rendre compte d'un pareil désordre
motivé par les besoins des croisés-, qui ne se faisaient
pas scrupule d'user des revenus de l'église pour le
service de l'église elle-même ; persuadés qu'ils la ser-
» Bulle d'Urbain IV. — Otrt. FUr.
(an )
valent plus utilement dans leurs rudes pèlerinages ^
que les moines passant leur temps dans l'inaction et
Tabondance de toutes choses.
Ces idées y qui prévalaient alors, ont souvent porté
ceux qui avaient des contestations avec l'abbaye de
Fécamp, à commettre toutes sortes d'excès, à saisir
ses biens , ses animaux , et jusqu'aux religieux mêmes ,
ce qui donna lieu à la bulle que publia Martin lY ,
pour mettre un terme à de pareils abus.
Les seigneui^ suzerains des terres voisines , ne
respectant pas plus les droits féodaux que les biens
de Tabbaye de Fécamp ; Guillaume Crépin , de la
baronnie du Bec , prétendait que ses hommes ne de-
vaient pas les droits de coutume que payaient les
autres individus, lorsqu'ils venaient aux marchés,
foires , et dans les ports de ladite abbaye , et les en-
courageait à s'en affranchir. Un arrêt du parlement
de Paris, sous Philippe-le-Hardi , fit justice de cette
prétention, en donnant gain de cause aux religieux'.
Des hommes d'armes furent mandés dans le même is7s«
temps pour occuper le comté de Toulouse, qui reve-
nait à la couronne de France , après le décès d'Al-
phonse , comte de Poitou , mort sans postérité.
On remarque, au nombre de chevaliers qui de-
vaient service au roi , et qui vinrent en Yost de foi :
» Archives dëpartementAleti.
( ^»2 }
>
Henri de Grandcour, qui se présenta pour Jean
de Rovre , pour Guillaume de Fécamp et pour Ri-
card d'Yvetot , lesquels chevaliers devaient , à eux
trois, un écuyer pendant quarante jours, pour les
fiefs qu'ils possédaient'.
Guillaume de Briencon et Robert de Bondeville .
pour Jean et Henri de Fécamp, qui devaient ser-
vice pour quarante jours.
Léon de Fécamp , Guillaume de Montpoignant et
Robert d'Esson , se préseVitèrent pour Jean de Tour-
nebu , qui devait trois chevaliers à raison de ses fiefs
du pays de Caux.
Enfin, parmi les noms des chevaliers qui avaient
reçu l'ordre de se trouver à Tours l'amiée suivante,
on trouve l'abbé de Fécamp, avec les Godard de
Goderville, Henri de Craménil, Lôuvel de Trémau^
ville , Nicolas Bellet , de Fécamp , Mathieu de Moy,
Richard de Houdetot , Jehan Malet , Richard de
Criquebœuf et D'Estouteville , grands noms nor-
mands qu'on rencontrait sur tous les champs de ba-
taille, et dont le souvenir se lie à l'illustration et à la
gloire des siècles féodaux.
Malgré la mort de saint Louis et les défaites mul-
tipliées de la croisade, le zèle ne paraît pas encore se
ralentir; le pape Grégoire X passe les monts , vient à
' La Roque.
(a.3)
Lyon j'oii il convoque un concile composé tie Ions
les prélats et abbés de France. L'abbé de Trégos, qui
en faisait partie , fait vœu de prendre la croix , et
souscrit l'engagement de se joindre au premier dé-
part qui aura lieu pour Jérusalem.
Le pape Jean XXI annonce , par une bulle sou-
scrite à Viterbe , qu'il met tous les biens du monas-
tère de Fécamp sous la protection de l'église , et
nomme Jean de Paris, chanoine de Boulogne , pour
les administrer pendant le pèlerinage de l'abbé de
Trégos.
Nous ne retrouvons cet abbé qu'en 1286 , à l'é-
poque de sa mort ; il fut inhumé dans la chapelle
de la Vierge de l'église de Fécamp, auprès de son
prédécesseur.
Guillaume de Putot, onzième Abbé.
Guillaume de Putot fut appelé, dans la même laSS.
année, au gouvernement de l'abbaye; il commença'
par acheter à Paris , où il faisait de fréquents voya-
ges, une vaste maison située rue Serpente, et con-
nue depuis sous le nom d^ hôtel de Fécamp, Il fit
ensuite quelques réparations au monastère et au ca-
nal de la Voûte, qui alimente aujourd'hui plusieurs
usines dans son cours.
Le royaume d'Aragon ayant été mis en inteinlit,
à la suite des Vêpres siciliennes , ou massacre de
( •^•4 )
tous les Français établis en Sicile , Philîppe-le-Bel
obtint du pape de lever des décimes sur les biens des
ecclésiastiques. Cet impôt fut l'objet d'une récla-
mation de la part du monastère de Fécamp , dont
l'exemption fut reconnue valable après de longs dé-
bats entre Guillaume, évêque d'Auxerre , commis-
saire du roi , et maître Jean Loët , porteur de la pro-
curation de l'abbé Guillaume".
A cette époque , Robert d'Estouteville vendit à l'ab-
baye, moyennant 700 livres, ce qu'il possédait dans
les dix paroisses de Fécamp, à l'exception de. son
manoir, d'un fief et d'un millier de harengs. D'un
autre côté , Jean de Fécamp , chevalier, donna au
monastère les droits qu'il avait dans la prairie de
cette ville , entre le pont par où l'on va à Baudouin*
bourg et le perrey de la mer. Il est évident , par ce
passage , que la chaussée du port n'existait pas à cette
époque , et qu'on ne traversait la vallée qu'au petit
pont actuel de la prairie.
Gilbert Ridel abandonna aux moines ta dîme de la
pêche des navires et de ses hommes de Veules ; Hu-
gues de Vinnemerville reniit une rente de deux truites
de deux pieds et demi de longueur, que cette abbaye
devait audit chevalier ; et le monastère de Saint-Denis
se désista, moyennant 100 livres, du droit qu'il
' Fisc. CartiiL
(a.5)
prétendait lui éti^ dû sur les vins qui passaient sous
le pont de Mantes, à destination de Fécamp'.,
L'abbé Guillaume de Putot mourut en 1297, et
fut inhumé dans la chapelle de Saint-André. La
chronique de l'abbaye le loue beaucoup pour le bien
qu'il a fait au monastèrç : le célèbre évêque d'Avran-
ches , Huet , le traite avec beaucoup de sévérité , lui
ainsi que quelques-uns de ses successeurs^.
Thomas 9 douzième Abbé.
Thomas , dit de Saint-Benoît, natif du diocèse de
Coutances , succéda à Guillaume de Putot.
Nous avons vu la Normandie tranquille depuis la
conquête de Philippe-Auguste , heureuse même sous
les règnes glorieux de saint Louis et de Philippe-le-
Hardi. Nous avons vu le monastère de Fécamp jouir
d'un certain repos qui lui permettait de se livrer à
des travaux de construction et d'administration in-
térieure. Tout changera de face dès le commence-
ment du siècle suivant. Si les Anglais ont perdu le
souvenir humiliant de la conquête, ils n'ont pas ou-
blié que la Normandie avait été long-temps démem-
brée du royaume des Francs , et toutes leurs pen-
sées , leurs rêves de grandeurs, sont pour le rétablis-
■ Archives départementales ; cartons de Fécamp,
^ Origines de Çaen , chap. 24.
(a.6)
sèment de Tancien ordi:e de choses. Beaucoup de
familles normandes elles-mêmes désiraient ce rap-
prochement , et peut-être nos grands monastères le
regardaient-ils comme un moyen de ressaisir leur in-
fluencé perdue. Ainsi donc : amour-propre national
blessé, intérêt, rivalité , goût d'entreprises aventu-
reuses, tout concourait à attirer et fixer les regards
des Anglais sur le continent.
1298. Philippe-le-Bel transporte le théâtre de la guerre
dans la Guyenne, et, après s'être emparé de cette
province , il la remet presque aussitôt comme dot dé sa
fille Is|ibelle, qu'il fait épouser au jeune Edouard, fils
du roi d'Angleterre ; union d'où sortira Edouard III ,
ce fléau de la Normandie , qui voudra faire recon-
naître ses droits au trône de France, par le pillage,
le meurtre et les incendies.
On s'aperçut, dans la même année, qu'une assez
forte émission de pièces fausses , à l'effigie du roi de
France , avait eu lieu dans le pays de Caux. Tout le
monde étant intéressé à découvrir d'où elles prove-
naient , on ne tarda pas à être sur la voie des faus-
saires. Deux juifs de Fécamp , faisant partie de cette
foule d'israélites que les croisades avaient jetés près
des égouls de toutes .nos villes, furent soupçonnés
et convaincus par le bailli de Caux, qui s'en empara;
il se disposait à leur faire subir un jugement, quand
ils furent réclamés par la haute-justice de Fécamp,
qui n'entendait pas raison quand on voulait empiéter
( ^I? )
sur ses droits y surtout lorsque les condamnations
devaient entraîner la confiscation du bien des cou-
pables. Il y eut une requête adressée au roi Philippe,
qui ordonna au bailli de Gaux de rendre les justi-
ciables à la communauté'. La rue, habitée par ces
£aux-monnayeurs y a toujours conservé, depuis- cette
époque, le nom de rue aux Juifs.
Boniface VIII, ayant de graves contestations avec
la famille de Colonne, fait plusieurs prélèvements
d'argent sur les biens ecclésiastiques ; il taxe le mo-
nastère de Fécanipà dix mille florins. Nous trouvons ,
dans les archives de Tabbaye de Fécamp , une quit-
tance de quati^ mille florins, reçus parle camérier du
pape , et une autre de cent quatre-vingts marcs d'ar-
gent , donnée à la société des Arnannatorum , qui
avait sans doute fait l'avance de pareille somme au
saint Père.
Qui croirait que le pape , qui faisait sortir tant de
numéraire des principaux états de l'Europe , fit en
même temps une bulle par laquelle il défendait
aux ecclésiastiques de payer aucun subside aux
princes. Philippe-le-Bel , indigné , prohiba le trans-
port dles espèces d'or et d'argent hors de France.
Edouard, roi d'Angleterre, alla plusf loin que lui;
il fît saisir la majeure partie des biens ecclé-
siastiques de son royaume ; le monastère de Fé-
' Arcbives départementales.
(a,8)
camp se trouva, par suite de cette mesure, too-
mentanëment privé de toutes ses propriétés d'An-
gleterre.
Uabbé Thomas de Saint-Benoît mourut en iSog.
Ce fut lui qui fît élever les chapelles et le tour du
chœur du côté droit de l'église abbatiale , lequel
avait auparavant deux voûtes superposées comme la
partie qui est en face'. Les deux têtes de roi et de
reine de France , que l'on remarque dans les fetiêlres
ogivées de l'une de ces chapelles , portant autrefois
le nom de Satnt-Jean , ne peuvent être que celles de
saint Louis et de Blanche de Castille , sa mère , pres-
que contemporains de ces constructions. C'est dans
la même chapelle que fut inhumé l'abbé Thomas.
i
Robert de Putot, treizième Abbé»
iW Robert de Putot, natif du diocèse de Bayeux,
reçoit , aussitôt son installation , un bref du pape
Clément V. , souscrit à Avignon , par lequel il de-
mande de l'argent pour l'extirpation des schismes.
Le saint Père annonce que les revenus de la chan-
cellerie apostolique sont fort réduits, et c^'il ne
peut suffire auj^ charges qui lui sont imposées , si les
églises catholiques ne viennent à son secours ^.
* Trésor de Fécamp.
* Fisc. Car t.
( 2'9 )
*
Il paraît que l'offrande de Tabbé de Fëcamp fut
de nature à satisfaire la cour de Rome, et, en même
temps y accompagnée de remontrances sur la position
pécuniaire de la communauté, car le pape écrivit
immédiatement une lettre pressante au nouveau roi
d'Angleterre , pour l'engager à rendre au monastère
de Fécamp les propriétés qu'il avait possédées dans
ses états, ce qu'Edouard II fit sans trop de difficulté,
après avoir reçu le serment de fidélité de Robert de
Putot» .
L'argent des monastères ne sulHisant pas aux dé-
penses de Rome et de la France , Philippe-le-Bel ,
d'accord avec le pape Clément V, imagina un moyen
de remédier à cet état de choses, en supprimant
l'ordre des Templiers et en s'emparant de leurs biens.
Le pape et les églises eurent une bonne part de cette
spoliation. Le monastère de Fécamp entra, par suite
de cette mesure, en possession de quelques propriétés
situées à Harfleur , et fut à même de racheter plu-
sieurs dîmes et patronages qui avaient été aliénés.
Robert de Putot donna , dans le même temps ,
une place aux habitants d'Harfieur, pour agrandir
leur hôpital ; il s'en réserva seulement le patronage
et le droit, de haute-justice. Il partit ensuite pour
assister au synode qui fut tenu à Rome en i3i i .
* Rymer , Fœdera^ Litterœ e( Àcta puhlica.
( aao )
*
Phiiippe-le-Bel étant mort en i3i49 Qous verrons
arriver successivement au trône ses trois fils, Louis X,
Philippe-le-Long et Charies-le-Bel , qui meurent
sans laisser d'héritiers susceptibles de leur succéder.
Louis X seul a une fille, Jeanne , à laquelle revenait
le royaume de Navarre, du chef de sa mère. Cette
princesse épouse Philippe , comte d'Evreux, qui prend
immédiatement le titre de roi de Navarre ; c*est. de
cette union que sortira Charles, surnommé le Mauvais,
que nous verrons , durant toute sa vie , s'entendre
avec les ennemis de la France, attirer les plus grands
maux sur la Normandie , par ses ligues continuelles
avec Edouard III, fils de la princesse Isabelle de
France ; mais n'anticipons pas sur les événements.
Tant que dura le règne des trois fils de ^^hilippe-
le-Bel, il ne se passa rien de remarquable à Fécamp;
seulement, à l'occasion de la guerre portée par
Charles de Valois en Guyenne , où il prit plusieurs
villes aux Anglais , le monastère perdit ses propriétés
d'Angleterre, qui furent de nouveau confisquées.
Ainsi, pendant deux siècles, nous verrons ces biens
changer de maître , et subir l'influence de toutes les
haines et de tous les caprices qui souffleront la
guerre entre la France et l'Angleterre.
Robert de Putot fut appelé aux conciles du Pont-
de-l' Arche en 1 3 1 7 , et à celui de Pont-Audemer
en iS^i. Cinq ans après, il mourut, et fut inhumé
dans la chapelle de Saint-Jean-Baptiste , de l'église
de Fécamp.
( ^^ï )
Pierre Roger , quatorzième Abbe.
Pierre Roger , natif de Limoges , fut le successeur i3a6.
de Tabbé Robert. Ija chronique de Fécamp nous
apprend qu'il avait été d'abord religieux profès de
l'abbaye de la Chaise-Dieu en Auvergne ; elle ajoute
que c'était un personnage doué d'une grande sagesse,
libéral , modeste et affable à tous , célèbre prédica-
teur et docteur de Sorbonne.
Au commencement de l'administration de Pierre
Roger j Charles-le-Bel fait un règlement touchant
la répartition de Timpot établi pour les réparations
du port de Fécamp et de ceux de la dépendance de
l'abbaye '. Ce. fut un des derniers actes de la vie de
ce roi 9 qui mourut en iSay y sans laisser d'héritiers.
Ici commence le malheureux règne des Valois :
rappelons-nous , pour un moment j que les trois
grands personnages qui vont être en scène sont :
Philippe de Valois , Edouard III , roi d'Angleterre ,
et le roi de Navarre , espèce de fou politique , qui ,
placé dans son comté d'Evreux , entre la France et
l'Angleterre , se jouera pendant toute sa vie du repos
des peuples et des deux rois chargés de leurs des-
tinées.
Edouard III, pour se créer des partisans en ÎFrance,
» ArchÎTcs départementales ; cartons de Fécamp.
( aaa )
dont il voulait occuper le trône ^ commença par
rendre au monastère de Fécamp toutes ses propriétés
d'Angleterre. Les autres communautés de Nor-
mandie rentrèrent aussi dans leurs possessions ' , ce
qui ne rendit pas plus légitimes les droits d'Edouard
auprès des Etats , qui rejetèrent ses prétentions',
comme contraires à la loi salique.
Les moines ne furent pas plutôt rentrés dans la
jouissance de ces biens , sur lesquels ils comptaient
peu , qu'ils envoyèrent en Angleterre frère Pierre-
Marie Baillif, et Etienne Albrandi, chanoine et
doyen de Clermont , pour vendre des bois et des
terres jusqu'à la concurrence de Sooo liv. sterling*
La procuration délivrée à ces religieux porte que
les fonds provenant de cette vente serviront à payer
les dettes et les obligations contractées par la corn-»
munauté , spécialement envers la cour de Rome ^ et
pour solder les frais d'installation du nouvel abbé^.
Dans le même temps , Philippe de Valois envoya
l'abbé de Fécamp en mission auprès d'Edouard III ,
pour l'engager à venir luirendre, en personne, l'hom-
mage qu'il lui devait pour son duché d'Aquitaine.
Le roi d'Angleterre, déjà très indisposé contre Phi-
lippe , reçut fort mal son envoyé, et le congédia à
la hâte , sans lui faire de réponse ; tel fut le signal
* Fœdera , Litterœ et Jeta publicd.
^ Procuration , aux Archives départementales.
( ^-^3 )
de la nouvelle guerre qui éclata entre les deux na-
tions , guerre provoquée par l'imprudente mission
de Tabbé de Fécamp.
Pierre Roger réussit beaucoup mieux auprès du
roi de France et du pape , qu'auprès du roi d'An-
gleterre, car, pour lui faire oublier les mortifications
.qu'il avait éprouvées, il fut nommé, peu de temps
après, évéque dMrras; il devint ensuite, successi-
vement, archevêque de Sens et de Rouen , fut promu
au cardinalat par le pape Benoît , et devint lui-même
pape, sous le nom de Clément VI , illustration nou-
velle pour le monastère de Fécamp.
Philippe de Bourgogne , quinzième Abbé.
Philippe, dit de Bourgogne, fut le successeur de iSag.
l'abbé Roger ; il était prieur de Longueville , lors-
qu'il fut appelé, par l'autorité» apostolique, au gou-
vernement de l'abbaye. Il mourut au bout de trois
moi», et fut inhumé dans la chapelle de Saint-Taurin.
Son nom ne figure même pas sur quelques catalogues
manuscrits.
Robert de Breschy, seizième Abbé.
Robert de Breschy était religieux profès de Fé-
camp, lorsqu'il fut élu seizième abbé. Il mourut en
i33a, deux ans neuf mois après son élection; son
corps fut déposé dans la chapelle de Saint-Taurin.
( îi24 )
A cette époque -, il se passait des choses assez
extraordinaires dans les églises , et surtout dans les
cimetières deFécamp, tellement que le pape Nicolas IV
fut obligé d'intervenir et d'ordonner que , dans le
cas où ces lieux consacrés seraient souillés par effu-
sion de sang , favelseminisn^ ils devraient être immé-
diatement purifiés par Teau et par la bénédiction
d'un évêque'. C'était une idée philosophique et
religieuse au niveau de cette époque de zèle plus
ardent qu'éclairé , qui portait les hommes à défier
la mort jusque dans son sanctuaire , en réunissant
dans, le même lieu ces deux phases opposées de
l'existence humaine.
Guillaume Bourget, dix-septième Abbé.
Guillaume Bourget ne gouverna le monastère que
deux ans y et mourut en i334; il repose à côté de
son prédécesseur.
Guillaume Ghouquet, dix-huitième Abbé.
Guillaume Ghouquet, natif de Bayeux, était un
homme très sage et très vertueux , honnête en ses
mœurs et fort zélé pour la régularité , disent quelques
catalogues manuscrits, rédigés par des moines de
l'abbaye.
' Fixcan. Cart.
( 225 )
Il se passa y de son temps , quelques événements
que l'histoire a recueillis. Le pape, à ce qu'il paraît,
n'avait pas moins besoin de subsides que par le passé,
car l'abbé Guillaume envoie, à la chambre apos-
tolique , mille florins d'or pour lui et son prédéces-
seur', ce dernier n'ayant pas eu le temps de payer
les droits dus à chaque promotion d'un nouvel abbé.
Nous ne savons si l'ordre donné par les moines
de Fécamp, de vendre des bois et quelques biens
d'Angleterre , plut beaucoup au roi Edouard ; car
nous le voyons immédiatement écrire au bailli de
Fécamp, pour le prévenir qu'il prohibe toutes sorties
quelconques d'argent et de marchandises, de son
royaume , et qu'il fera punir sévèrement ceux qui
contreviendraient à ses ordonnances^.
Philippe de Valois, s'étant emparé de la Guyenne,
se porte dans les Flandres pour prévenir le roi d'An-
gleterre , et fait , en même temps, équiper une flotte
pour attaquer les Anglais sur mer. Fécamp et Etretat
sont cités paimi les ports qui fournirent un certain
nombre de navires à cet armement ^ . Le comte d'Hou-
detot, qui commandait la flotte, dispense l'abbé de
Fécamp et les autres ecclésiastiques de l'accompa-
' Quittance de Tarchev. d'Arles ; Ârch. dép.
* Fotdera , Litterœ et Acta publica. Fisc.
^ Compte rendu par François de L'Hôpital , clerc des albalétriers.
Ms. de M. Pinel , cité par M. l'abbé Cochet.
i5
( 226 )
gner dans rexpédition; maiSj porte l'ordonnance de
l'amiral, ceux qui demeureront dans les villes seront
tenus au ser\>ice militmre comme les séculiers '.
Pendant que Philippe obtenait quelques succès
sur terre , sa flotte fut battue et dispersée au combat
de l'Ecluse, et les navires qui purent se sauver ren-
trèrent dans leurs ports. L'Angleterre préludait déjà
à sa supériorité maritime sur les puissances du con-
tinent.
Ce fut en 134^ que l'abbé de Fécamp, Pierre
Roger, parvint à la papauté, sous le nom de Clé-
ment VI ; il fit, à son arrivée au pouvoir, beaucoup
de réserves deprélatures et d'abbayes, comptant pouk*
nulles les élections des chapitres et des communautés.
Comme on lui représentait que ses prédécesseurs
n'avaient pas fait de telles réserves : nos prédéces'
seursy répondit-il, ne suivaient pas être papes^,
La première année de son avènement ne se passa pas
sans qu'il s'occupât du monastère qu'il avait gou-
verné, étant dans un rang moins élevé, « cuiolim^ dum
status nos haberet inferior prœfuimus, w II fait rédi-
ger deux chartes , souscrites à Avignon , par lesquelles
il confirme les privilèges du monastère de Fécamp'.
1343. L'abbé Guillaume mourut sur ces entrefaites, et
' La Roque.
= Histoire Eccles. , ad ann. 1342.
^ Fisc. Cart,
( ^^7 )
(ht inhumé devant l'autel où se disait alors la pre-
mière messe.
Nicolas de Verneuil , dix-neuvième Abbé.
Clément VI, exerçant dans toute sa plénitude le
Iroit qu'il s'était arrogé de nommer directement
itix abbayes, pl^Çsi Nicolas de Verneuil , ou de
Ëauteuil j abbé de Saint-M édard de Soissons j à la
tête du monastère de Fécamp. L'abbé Nicolas était
iine des créatures du pape ; aussi ses rapports avec
d cour d'Avignon furent-ils fréquents , et les mon-
naies de ce pape devinrent-elles communes à Fé-
^mp : il vient tout récemment d'en être trouvé une,
m fouillant la terre sur l'emplacement de l'ancienne
église de Saint-Léger.
JL'abbé Nicolas, fort de l'appui qu'il tenait du
Mipe , ne tarda pas à montrer une sévérité peu clia-
iteible envers ses religieux , qu'il s'étudiait à tour-
nenter de la manière là plus révoltante. Les vassaux
le l'abbaye n'étant pas mieux traités que les moines,
ous se révoltèrent contre son autorité; il eût
nême inévitablement perdu la vie , si les plus pru-
lents n'eusseqt préféré s'adresser au pape pour en
>btenir justice.
Le saint siège, ne pouvant rester sourd aux récla-
nations des religieux et des habitants de Fécamp ,
léputa , vers le monastère , Jean , évêque d'Avran-
( aaS )
elles , Pierre , abbé du Val-Richer , et Pierre , abbé
(le Corneville, qui parvinrent h réconcilier, pour
un temps, l'abbé Nicolas avec la communauté; mais,
aussitôt que les commissaires du pape furent partis,
l'abbé , qui s'était soumis par contrainte , ne tarda
pas à être emporté par son caractère dur et hautain.
De nouvelles plaintes furent adressées au pape,
qui , cette fois , bien informé de quel coté se trou-
vaient les torts , interdit l'abbé Nicolas , et le fit
remplacer par des vicaires, qui administrèrent le
monastère de Fécamp^.
A la même époque, comme si la France n'eût pas
eu assez à souffrir des maux qui l'accablaient de
toutes parts, la peste vint ajouter ses ravages au
fléau de la guerre, et dévora le tiers des habi-
tants de l'Europe. Les pèlerins redoublaient alors
de ferveur; il en venait, à Fécamp, de l'Alle-
magne , de la Flandre et des pays les plus éloignés.
Quand ils arrivaient tard devant le fort, et que
les portes en étaient fermées, ils se retiraient sur
les montagnes voisines , et particulièrement sur
celles du Bourg-Baudouin et du Saint-Sépulcre , où
existaient des chapelles; ils y passaient la nuit ea
oraison , et il était bien rare que de pieuses visions
ne vinssent frapper l'imagination de ces âmes à la fo^
si vive. Un matin, pendant que les religieux
' GalUa Chris., tom. XI. — Eccles. use.
( ^^9 )
rendaient aux matines ^ les bons pèlerins virent des-
cendre du ciel une lumière éblouissante y qui s'étendit,
comme un grand chemin y sur le toit de l'église, en
éclairant les montagnes et les vallées. Tous con-
clurent de ce prodige que Dieu était présent dans
Téglise de Fécamp , et que les bienheureux cénobites
qui lliabitaient étaient en communication directe
avec le ciel'.
Olivier de Clisson ayant signé un accord avec le
roi d'Angleterre, Philippe de Valois le fait décapiter;
ce châtiment, sévère et mérité, devint le prétexte
de nouvelles guerres ; plusieurs seigneurs , mécon-
tents et excités en secret par le roi de Navarre ,
forment une hgue à la tête de laquelle on voit Geof-
fix)y d'Harcourt, qui préside lui-même au débarque-
ment des troupes ennemies. L'armée anglaise s'em-
pare de toutes les places de la Basse-Normandie
qu'elle rencontre sur son passage , se dirige sur
Louviers et Vernon , de là sur la Somme , et défait ,
sur les hauteurs de Créci, l'armée française, qui
s'était portée à sa rencontre.
La perte de cette bataille fut suivie du siège de
Calais, qui, pendant onze mois, opposa la plus vi-
goureuse résistance à l'ennemi. Ce fut pendant ce
siège , le 1 8 avril 1 347? ^® '^ ^^^ d'Angleterre donna
au monastère de Fécamp le manoir de Novemby et
' Trésor de Fécamp. ^
( 23o )
la chapelle de Notre-Dame de Lincoln', ce qui por-
terait à croire que Tabbé Nicolas était dans les
f ptérêts du roi d'Aogleterre. On ne saurait autrement
expliquer cette donation.
Philippe de Valois étant mort, Jean son fils
n^onte sur le trône en iSoo. Prévoyanj; les maux
qui allaient fondre sur la France , et voulant mettre
son armée sur un pied respectable , il mande au mo-
nastère de Féca^iip et aux grands possesseurs de
fiefs des environs, qu'ils ^ient à réunir le plus grand
ï^pmbre possible d'hommes et de chevaux, tous
couyi^rts de mailles , pour marcher en aprière^ban
contre le roi d'Angleterre. Pour subvenir aux frais
d'une guerre çouf:e^se, i} convoque, à Paris, les
prélats , les barons et autres no|)les ^ ainsi que les
communautés des bonnes ville^s de Normandie.
Tous accordent un impôt, qui ne pouvait être refuse
sijins péril pour la chose publiqujB.
Après cette couveutipu , qu'il appelle un tçaité j
le roi rei^voya les députés vers leurs commet|:ants^
« ad parles suas », pour le faire approuver; i| délégua,
en même temps , deux de ses copseillers dajois le
duché de Normandie , en les chargeant de convoquer
à Pont-Audemer les barons et autres nobles , et les
communes de tout le duché ; ces deux consejUei^
étaient Robert , évêque d'Evreux, et Simon de Bpssi,
- - - I ,1 , , , ■ Il I I I 1 I f I !■■ I 1^— _l
• Archives dcp. ; cartons de Fécamp.
(^3. )
chevalier; «et^le dimaache 2t2 mars, se présentèrent
devant eux une grande quantité de gens de la ville
de Rouen et des autres bonnes villes de Normandie. »
La ville de Fécamp eul aussi son représentant dans
la personne de Hélie du Bust. Le secours demandé
fut accordé sans opposition ^.
Ce curieux passage fait connaître comment s'exer-
çait alors la représentation nationale , et par quel
moyen on obtenait le vote des impôts extraordinai-
res ; on voit que la commune de Fécamp était déjà
constituée et indépendante de l'autorité religieuse.
Philippe de TJavarre, frère de Charles-le-Mauvais,
irrité contre le roi Jean , qui avait fait décapiter le
cornue d'£u, appelle les Anglais à son secours et
leur facilite les moyens de débarquer à Cherbourg.
Un autre corps d'Anglais, ayant à sa tête le prince
de Galles , fait le roi de France prisonnier , à la
bataille de Poitiers ; dans ce moment de trouble et
d'agitation 9 Charles-le-Mauvais trouve le moyen de
sortir de sa prison , et donne un libre cours au pen-
chant qui l'entraînait vers le crime et les intrigues. La
consternation est au comble sur les deux rives de la
Seine ; on organise partout des moyens de défense
dans les villes , dans les châteaux et jusque dans les
monastères. Pierre d'Harcourt, gouverneur de la Nor-
mandie, qui préside à ces travaux, ordonne de ren-
■bS^VV'^^UH
' Ordonn, des Bois de France ; tome U , p. 404.
( ^3^ )
verser l'église du Bec , qui nuisait à la défense de
Tabbaye. Grâce à sa forteresse, Fécamp n'eut à
déplorer la perte d'aucuns de ses édifices.
L'année suivante mourut l'abbé Nicolas de Ver-
neuil , qui s'était retiré à Avignon , après son renvoi
de Fécamp.
Jean de la Grange, vingtième Abbé.
Charles de Navarre profita de l'autorité qu'il avait
usurpée, pour faire remplacer l'abbé Nicolas par
Jean de la Grange , un de ses anciens conseillers.
Ce prince croyait ainsi s'être assuré de la place de
Fécamp; la suite lui prouva qu'il s'était grandement
trompé , car, dans sa lutte avec le roi Jean, qui était
sorti de prison, Charles-le-Mauvais étant venu dans
cette ville pour demander à l'abbé la remise de sa
forteresse, celui-ci, qui connaissait, sans doute, le
méchant caractère et les mauvais sentiments du roi
de Navarre , refusa net d'accéder à sa proposition.
Charles , furieux , réunit une troupe de partisans
que son éloquence populaire lui faisait trouver par-
tout où il s'arrêtait en Normandie. Il se présenta
devant la forteresse de Fécamp , qu'il investit de
tous côtés, bien qu'elle fût pourvue de quelques
hommes d'armes, à la tête desquels se trouvait
Quinnart de Breuil , neveu de l'abbé ; les remparts
délabrés ne pouvant opposer une longue résistances
elle fut obligée d'ouvrir ses portes. Jean de la Grange
et son neveu furent faits prisonniers , enlevés et
conduits dans la forteresse de Lune. Les Navarrais ,
entrés en furieux dans Fécamp , mirent le feu à plu-
sieurs maisons de la ville, pillèrent le monastère ,
firent souffrir mille mauvais traitements aux moines
et aux hommes de la commune, dont quelques-uns
furent pendus, et d'autres assassinés à coups de
dagues. Eofin , pour se racheter , la ville et l'abbaye
furent obligés de fournir plus de j 0,000 florins de
contributions '.
En quittant Fécamp, où elles laissent une garnisor ,
les bandes du roi de Navarre , prenant la voie qiâ
looge le bord de la mer , traversent comme un flo'
les villages de Senneville et d'Elétot, et viennent
camper sur les hauteurs de Saint-Pierre-en-Port. Ce
village, dont le seigneur tenait pour le roi de France,
est renversé de fond en comble. La tradition de ce
désastre s'est perpétuée parmi les habitants du pays,
et le nom de camp des Nai^arrais est resté à la mon-
tagne sur laquelle s'établirent les hordes pillardes
et indisciplinées de Charles-le-Mauvais^.
Le roi Jean étant mort dans le voyage qu'il fit
à. Londres, en i364, Charles V, son fils, fut immé-
diatement proclamé roi de France , malgré l'oppo-
' Trésor des chartes ; Fisc. — Gallia christ.
" Ancien registre terrier d'Elétot.
( a34 )
sltipn de Charles de Navarre qui voulait, s'emparer
du trône. Duguesclin marcha coatre ce prince tur-
bulent j le défit dans la plaine de Cpçhefel , et le
força de remettre au roi, Fécamp et les autres
places occupées par ses partisans.
L'abbé Jean, fatigué 4e l'étroite prison dans la-*
quelle il était retenu, s'en fit ouvrir les portes à prix
d'argent ; Quinnart , au contraire • qui s'était sauy^
au moyen d'une corde attachée à sa fenêtre , fut rçpriS)
et subit une détention plus rigoureuse que jamais.
Le premier soin de Jean de la Grange, après son
retour à Fécamp , fut de réparer , autant qu'il était
ea son pouvoir, les maux occasionnés par (a pi:é-
sence des Navarrais ; il aida à la reconstruction des
maisons qui avaient été détruites , augmenta les
logements des moines, et, pour mettre la forteresse
désormais à l'abri d'un coup de main , il fit ajouter
plusieurs tours aux murs d'enceinte; le roi , voulant
contribuer à cette dépense, l'autorise à toucher
loo liv. à la caisse de Thomas du Godet, receveur
des aides de la vicomte de Montivilliers *.
Plusieurs officiers de l'abbaye sont renouvelles à
la même époque; en tête se trouve le bailli de Fé-
camp ; Pierre Salvert , religieux , est nommé rece-
veur des biens que la communauté possédait en An*-
gleterre.
' Quittance à la Chambre des Comptes. — BihL roy. , Mss.
( 235 )
Charles V , ayant remporté quelques succès sur
les étrangers et sur ses sujets révoltés, résolut, pour
douoer un peu de repos à ses peuple^, de porter
le théâtre de la guerre chez les Anglais ; il vint à
Harfleur, en i369, pour hâter l'armement d'une
flotte dont les navires se construisaient dans tous les
ports de Normandie. Fécamp était chargé , pour sa
part , de fournir dix vaisseaux à trois rangs de rames.
Les Anglais, pour détourner le coup qui les menaçait,
firent partir, pour Calais , une expédition qui devait
pénétrer dans l'intérieur de la France. Charles V fut
alors obligé d'abandonner son projet de grand arme-
ment, et les trirèmes de Fécamp furent laissées aux
ordres de Jean de la Grange , qui eut charge d'en
prendre le commandement, pour aller chercher en
Lombardie le pape qui désirait revenir à Avignon ,
dans le but de conclure un traité de paix entre la
France et l'Angleterre^. C'était encore une mission
diplomatique confiée à un abbé de Fécamp , et ,
dans ce temps , Rome était la cour avec laquelle les
transactions exigeaient les hommes les plus dévoués
et les plus capables.
Ce que le roi de France avait prévu et voulait
éviter, ne tarda pas à se réaliser. Le duc de Lancaster,
qui conimandait l'armée anglaise débarquée à Calais,
pa.ssa la Somme, pénétra en Normandie, et, lais-
' Oall. christ. , tom. XI. — Eccles. flscap.
( 236 )
snnt sur sa droite les places fortifiées de Dieppe et
de Fécamp y ravagea le pays de Caux , et alla camper
devant Harfleur; son projet était de surprendre
cette place; mais, la trouvant sur ses gardes j il ne
resta que trois jours devant ses murs et rétrograda
sur Yalmont j qui appartenait au seigneur d^Estou-
teville, qae les anglais nommaient pas , dit Frois-
sard'. Aussi ravagèrent-ils totalement ses terres.
Quelques éclaireurs descendirent la vallée jusqu'aux
portes de Fécamp ; mais , ayant vu que les habitants
faisaient le guet sur les remparts, et craignant d'être
pressés par l'armée que réunissait le roi de France,
les Anglais prirent le parti de se retirer dans le Pon-
thieu , en commettant partout les mêmes exactions.
Les services de Tabbé de la Grange furent égale-
ment agréables au pape et à Charles V , car j au re-
tour de sa mission de Lombardie , il fut immédiate-
ment appelé dans les conseils du roi, avec le titre
de ministre d'état et de surintendant de ses finances.
Le 6 janvier îS^o, le roi Charles déclare qu'étant
obligé d'envoyer de nouveau Jean de là Grange
en mission auprès du pape , à Avignon , pour cer-
taines grosses besognes , touchant [honneur et le
profit de nous et de notre royaume , il lui abcorde ,
à cause du péril du chemin et de la cherté des vivres
à Avignon , vingt sols d'or par jour au-dessus de ses
» Liv. 1", 2™* partie.
( ^37 )
làges. Nous retrouvons ensuite cet abbé visitant
a Basse-Normandie y et allant en Flandre , avec le
x)mte de Sarrebruck, toujours pour certaines grosses
^sognes^.
A la date du 28 mai 1372, dans un mandement
le Charles Y^ pour faire une nouvelle fabrication
l'espèces , on remarque labbë de Fécamp parmi
ceux qui siégeaient au conseil.
Le i3 novembre de la même année, le roi fait
an autre règlement sur les finances provenant des
aides ; le premier paragraphe porte que le receveur
général ne pourra donner quittance aux receveurs
ordinaires que dans le cas où ils auraient employé
leurs deniers^ par rordonruince de l'abbé de Fécamp'.
Jean de la Grange est immédiatement promu à
l'évéché d'Amiens et au cardinalat.
Philippe du Fosse , vingt-unième Abbé.
PbiUppe du Fossé , second du nom y abbé de Saint- ,
Riquier , fut appelé à la tête du monastère de Fé-
camp y en remplacement de Jean de la Grange.
Les réparations de la forteresse de Fécamp pa-
raissent avoir spécialement occupé Philippe du Fossé j
pendant les neuf ans qu'il a gouverné le monastère.
' Quitt. de la Chambre des Comptes. — Mss. de la Bibl. royale.
» Ordonn. des Rois de France ; tome V , p. 482 , et tom. IV , p. 317.
( a38 )
t
Nous donnet^ons, à ce sujet , u&e ordonnance du roi
de France Charles V , à la date de 1372 :
« Charles , par la grâce de Dieu, etc...:, savoir
c< faisons que , par considération des pertes et dom-
<c mages que Tabbë de Fécamp , les religieux de ladite
a église , et aussi If^s habitants de la ville de Fécàmp
ic ont soutenu par le fait de nos guerres, et afin
ce que la forteresse de ladite ville , laquelle est assise
« en port de mer , soit mieux gardée , réparée et
f( fortifiée, mise et maintenue en état d'être défendue
(c contre nos ennemis , nous leur avons donné et
(( octroyé, donnons et octroyons qu'ils aient et pren-
« nent de et sur tout ce qui a été et sera levé derim-
« position, 12 deniers pour livre en ladite ville de
« Fécamp , etc. »
Par suite de cette ordonnance , on trouve , dans
les archives de la chambre des comptes de Paris,
plusieurs quittances de Philippe du Fossé , aux dates
de 1373 , 1374 j et la dernière de 1076, par laquelle
il reconnaît avoir reçu de Jean de Limoges, receveur
à Fécamp, des aides , pour la guerre , la somme accor-
dée par le roi , pour la réparation des fortifications
de la forteresse de Fécamp^.
On fit ensuite, au havre de Fécamp, des traviaux
non moins importants, pour lesquels on imposa /(?x
vins , cervoises et autres breuvages.
' Mss. de la Bibl. du Roi ; cartons de Fécamp.
( '^39 )
cr On payait un franc pour chaque tonnel de vin ,
a et huit deniers pour chacun baril de cervoise ' . »»
Ce fut y sans doute j à la sollicitation de l'abbé ,
que Charles V rendit une nouvelle ordonnance qui
fait connaître combien les populations du pays de
Caux étaient tourmentées par les gens de la fisca*
lité.
Ce roi étant à Montargis, le 21 novembre i^'jg^
décide , sur le fait des aides et de la gabelle , que ,
pour restreindre les exortions , prises et excès dont
des esieux , receveurs , grainetiers , se rendaient
coupables envers le peuple , le meilleur moyen était
d'en diminuer les auteurs. Aussi l'ordonnance a-t-elle
pour but de réduire le nombre des officiers dont
nous venons de parler, et trouve-t-on, art. i4,
qu'il n'y aura qu'un élu pour les trois recettes de
Arques , Fécampet Monlivilliers, lequel aura sa rési-
dence à Fécamp, pour ce que cest en my mar-
clie^.
Les abbés de Fécamp avaient l'habitude , à cette
époque , de faire de fréquentes apparitions dans leur
manoir de Fontaine-le-Bourg, Nous trouvons une
quittance datée de cette résidence , le 6 juin 1379 >
par laquelle Philippe du Fossé reconnaît avoir reçu
du receveur de l'abbaye , « la somme de 200 francs
* Archives départementales.
^ Ordonn. des Rois de France ; toni. VI , pa^çe 245.
( a4o )
« d'or ; c'est assavoir , cent francs de France y et
« cent francs en moutons ^ »
Un serviteur du roi de France aussi zélé que l'abbé
du Fossé y ne devait pas êlre agréable aux Anglais;
aussi une partie des biens de l'abbaye , situés en
Angleterre j furent-ils de nouveau confisqués , sous
prétexte de la guerre qui existait entre les deux na-
tions. Edouard III donna , à Simon de Burlée,
l'usufruit du manoir de Cheltelham , dans le comté
de Glocester, lequel faisait partie du bailliage de
Worminghurst , appartenant au monastère de Fé-
camp^.
L'abbé Pierre du Fossé mourut en i38i , et fut
inhumé, suivant le catalogue du père Labbé, sur
la droite de la nef , devant l'autel où l'on célébrait
la messe du matin.
Pierre Cervoise , vingt-deuxième Abbé.
Pierre II , surnommé de Cervoise , était natif du
village de Riville, à trois lieues de Fécamp; àe
simple religieux dans ce monastère , il fut béni à
Avignon , par le pape Clément VII , et prêta serment
au roi dans l'abbaye de Saint-Denis. Pendant son
gouvernement , Fécamp fournit quelques navires a
* Archives départementales ; cartons de Fécamp,
^ Fcedera, Litierœ et Acta publica.
( 24l )
la flotte qui défit celle de l'Angleterre à l'entrée de
la Seine. On sait que les vaisseaux.normands y car ,
en ce tetnpsJà , il n'y avait pas encore de marine
royale j coulèrent bas presque tous les bâtiments en-
nemby et s'emparèrent de l'amiral , qui fut conduit
captif dans le château de Rouen.
Des lettres royaux de Charles YI , à la date de
1383) adressées à Pierre Cervoise, nous font con-
naître que les habitants de Criquetot-le-Mauconduit ,
Ouainville , Bertreville , Barville , Epré ville , Toc-
queville , Daubœuf-le-Sec , et du Bec-de-Mortagne j
tous relevant de l'abbaye de Fécamp, étaient obliges
de venir y faire le guet, comme les autres hommes du
monastère, et se trouvaient, par conséquent, indé-
pendants de la juridiction des seigneurs de Yalmont,
qui les réclamaient pour le service de leur forteresse.
D'autres lettres défendent aux sergents royaux
de faire aucunes entreprises, ni actes dans les ba«
ronnies dépendantes de la haute , moyenne et basse
justice de Fécamp.
Le même roi délivre un passeport à Guillaume
Lenfant, allant en Angleterre pour les affaires de
la communauté ; ce qui prouve qu'Edouard III n'a-
vait pas encore confisqué tous les biens qu'elle pos-
sédait dans son rovaume ' .
* Pièces des Archives ddpart. ; cartons de Fécamp.
.A
( îi4^ )
L'année 1387 vit la fia de la détectable carrière
de Charles-le-Afauvais y qui avait causé ta&t de
dommages à Fécamp» Epuisé de crimes et de d&WJh
ches j son corps était privé de clialeur et de mott"
vement; les médecins le firent envelopper dans 4cB
langes imbibés d'une préparation spiritueuse. Celai
qui emmaillottait le malade y s'avisa de couper le fil
d'une bandelette au £eu d'une bougie. Le feu se
communiqua si vivement aux langes , qu'on ne put
l'éteindre , et ce monstre , dévoré par la flamme ^
expira dans des tortures horribles , juste pumtion
de ses forfaits.
L'abbé Pierre de Cervoise mourut en iSgo^ et
fut inhumé dans la chapelle de Saint-Pierre.
ËSTOD d'£stout£VIll£ , vingt-troisiràie Abbé.
D'Estoute ville , d'une ancienne famille normande ,
était frère de Thomas , évêque de Beauvais , et de
Guillaume 9 évêque de Lisieux. Ayant fait profession
de la vie monastique à Fécamp , il était passé de là
au gouvernement des abbayes de Cerisy et du Bec.
Les historiens de ce dernier monastère lui reprochent
de s'y être introduit par force et sans l'intervention
des religieux y d'avoir dilapidé l'argent économisé
pour les réparations des propriétés de l'abbaye ,
détruites par les Anglais ; d'avoir ruiné le monastère
par sa dépense personnelle et par les fréquentes ré-
( a43 )
ceplions de ses frèi*es , qui étaient prélats et militaires ;
enfin , d'avoir enlevé avec lui les ornements sacrés,
les^ Tases d'or et d'argent , les livres , la partie la
plus précieuse du mobilier de Tabbaye, et d'avoir
tout transporté à Fécamp^. Les chroniqueurs de
c^te dernière abbaye, peu d'accord avec ceux du
BeC) en font, au contraire, le plus grand éloge, et
l*cni conçoit qu'ils n'avaient pas les mêmes récrimi-
Qi^tions k exercer contre lui; ils le dépeignent comme
un homme d'une grande érudition, d'un esprit délié
et très versé dans la connaissance des lettres sacrées
et profanes. C'est lui qui fut le fondateur de^ messes
diantées par des choristes , et de la célèbre musique
de Fécamp, qui l'emportait sur celle de la plupart
de nos grandes cathédrales. Elle se composait d'un
maître , d'un sous-maitre , de six clercs et de vingt
musiciens. Cette fondation eut lieu pour se libérer
de l'obligation dans laquelle était le monastère
d'élever et d'instruire cinq gentilshommes , depuis
l'âge de neuf à dix ans , jusqu'à celui de quinze à
seize.
A la même époque , il y avait , à Fécamp , un
DDK>ine nommé Guillaume , surnommé Etienne ; sa
connaissance dans le droit canonique était si répan-
due, qu'elle lui valut d'être appelé à la tête du mo-
nastère de Saint-Georges-de-Boscherville.
* Galt. christ., tom. XI. — Ecoles, beccen.
( î»44 )
Estod^ ayant appris que l'archevêque de Rouen ,'
avec quelques-uns de ses suffragants^ avait propose ,
dans un concile provincial , de traiter de l'exemption
djLi monastère de Fécanip j moyennant une somme
d'argent j dont une partie serait affectée au traite-
ment de certains officiers de l'église , et l'autre à h
propagation de l'unité catholique / il refuse de se
prêter à cet arrangement contraire au privilège de
sa commimauté j et fait dresser acte de ses motifs
par le ministère de Pierre Barillet , notaire public
et juré de la cour épiscopale. Cette pièce est sou-
scrite à Paris , dans le manoir de Fécamp , rue
Serpente."
Tja demande de l'archevêque et la protestation
d'Estod avaient exalté j de part et d'autre j les esprits
et porté à des actes qu'on eût désavoués dans toute
autre circonstance. Ainsi, il fut fait défense, de la
part de l'abbé et des religieux de Fécamp , à Guil-
laume de Vienne , archevêque de Rouen , de porter
sa croix et de donner sa bénédiction dans l'église
de Saint-Gervais et sur les terres qui en dépendaient.
Le Parlement fut obligé d'intervenir dans cette
querelle , et rendit un arrêt qui donna gain de cause
à l'archevêque^, et mit fin à de nombreux abus.
En effet , une partie de la ville de Rouen était
* Fisc. Cart,
^ Far in , Histoire de Rouen,
!■■ FI-
.-Iw
( 245 )
alors couverte de juridictions particulières; celle de
Saint-Geryais , seule , s'étendait sur un territoire
infini. L'abbé de Fécamp avait son vicaire , son offi-
ciai f dans la même exemption ; son promoteur , son
greffier, son appariteur, ses prisons et d'autres élé-
ments de juridiction , tant sur le faubourg et la
baronnie de Saint-Gervais, que sur les chapelles qui
étaient bâties dans fétendue de la paroisse , telles que
celles de Saint-Maur, de l'Hôtel-Dicu, des hôpitaux
,de Saint-Louis et de Saint-Roch.
Si l'on se rend compte d'une pareille organisation ,
on comprendra qu'en admettant les prétentions des
religieux de Fécamp et des autres monastères qui
avaient des droits analogues, la suprématie épisco-
pale aurait été totalement annihilée dans sa métro-
pole.
Estod ne pouvant assister lui-même au concile 1409^
de Pise , où il était mandé , s'y fit représenter par un
procureur, qui contribua à l'élection d'Alexandre V.
Le même abbé ne tarda pas à remarquer le dé-
sordre qui régnait dans l'administration des revenus
du monastère de Fécamp. Beaucoup d'objets avaient
été enlevés lors du passage des Navarrais , auxquels
s'étaient joints tous les vagabonds du pays , ignoble
milice, toujours prête à guider les étrangers , dont
elle partage les rapines , à défaut de la gloire. Les
particuliers , ruinés par la guerre civile et par les
fréquentes apparitions des Anglais , s'étaient sou-
( a46 )
«
straits à leurs obligations envers le monastère , et la
trace des débiteurs était tellement perdue, qu'Estod
fut pbligé d'avoir recours à l'intervention du pape.
Alexandre V enjoignit , à ce sujet, à tous les mo-
nastères du pays de Caux , de faire des recheitsbes
dans les lieux où s'étendait leur juridiction , pour
découvrir les biens que des fils d^niquité K^meià
pris, contre toute justice, au monastère de Fëcanlp,
Ces objets consistaient en dîmes , cens , revenus,
prémices, legs, maisons, terres, prairies, pâturage»,
étangs, bois, moulins, châteaux, instruments pu-
blicSj lettres authentiques ^ calices, croix, livres,
ornements d'églises , vases d'or et d'argent , chevaux,
bœufs , moutons , porcs , sommes d'argent et autres
biens • .
De toutes ces soustractions, qui accusent un grand
désordre , il n'y a que la disparition des chartes au-
thentiques qui intéresse notre âge ; il paraît qu'elle
fut presque complète , et c'est la seconde fois que
le monastère perd des pièces si précieuses, sous le
rapport liistoriquc.
D'Estouteville obtint ensuite de Richard II la
jouissance de la moitié des revenus de l'abbaye,
situés en Angleterre *, avec promesse de rentrer dans
la totalité aussitôt après le rétablissement de la paix ;
■ Fiscan. Cartul.
* Charte de Hichard; Arch. dép.
(■ 2/i7 )
il s'occupa dans le même temps de réparations ur-
gentes à faire au port et à la f(H*teresse de Fëcamp, et
fîit autorisé j pour cause de bien public , à lever un
nouveau subside sur les bières y cervoises , et vins
consommés dans les lieux de la dépendance de l'ab-
baye* Guillaume Dubosc prit à ferme cet impôt,
moyennant 369 liv. par an, payables à l'abbé'.
Pour donner une marche régulière au cours de
la justice 9 Estod établit un procureur fiscal et pro-
moteur , qui remplit les fonctions de bailli et d'offî-
dal. La première sentence portée par ce tribunal ,
est une peine d'excommunication contre une femme
qui avait proféré des paroles injurieuses contre une
autre ; elle est en outre condamnée à 4o liv. d'amende,
la moitié pour la partie lésée , l'autre moitié pour
le procureur fiscal •. Cette dernière peine , inter-
dite , depuis 9 par le concile de Bourges , en 1 583 ,
n'était pas alors contraire aux usages de l'époque.
D'Estouteville obtient la confirmation du droit ,
conféré par les seigneurs de Mantes, de faire venir
du vin par la Seine, pour approvisionner Fécamp.
C'est Jean , de Dieppedale , qui le transporte dans
ses bateaux , et qui a la permission de passer frari"
chcment sous le pont de Mantes^.
* Archives dép. ; cartons de Fécamp,
* Défense de l'Exemption de Fécamp , par dom Fiîlastre.
^ Archives dép. ; cartons de Fécamp.
( 248 )
Jean de Boissey et de Maistûères, bailli deCaux f
était alors capitaine de la forteresse de Fécamp; il
avait deux fils, l'un qui fut, en 14089 évêque de
Bayeux, et l'autre, Robert, qui devint la tige dea
barons de Maisnières. Le capitaine de Fécamp avait,
sous ses ordres , un officier portant le titi*e de conné-
table, comme le constate une quittance de 4oliv.
tournois qu'il délivre à Martin de Mery, receveur de
l'abbaye, tant pour ses propres gages, que pour ceux
du connétable dudit Fécamp.
La fin du siècle précédent avait été marquée par
la démence de Charles VI , et par la faction des Bour-
guignons , ayant à sa tête le duc de Bourgogne, oncle
du roi , et par celle des Armagnacs , qui reconnais-
saient pour chef le duc d'Orléans, frère de Charles VI.
Les prétentions de ces deux partis au gouvernement
de la France , vont replonger la Normandie dans tous
les maux qui l'ont accablée depuis un siècle , et
dont elle est à peine rétablie. Les Bourguignons
font d'abord alliance avec les Anglais contre la cour,
qui soutient les Armagnacs. L'assassinat du duc
d'Orléans vient encore ajouter à l'embarras des af-
faires et à l'irritation des partis.
Les Anglais, voyant avec satisfaction des troubles
qui devaient encore une fois leur ouvrir les portes
de la France, équipent une flotte composée de nom-
breux vaisseaux ; Henri V se met à la tête d'une
armée de six mille bassinets , vingt-quatre mille
( ^49 )
archers j sans compter les canonrùers usant de flon-
délies , débarque à l'entrée de la Seine j met le
$iëge devant Harfleur, et place son quartier-général
dans le prieuré de Graville ' .
Partout, où un Anglais ose fouler la terre de Nor-
mandie j partout il trouve un D'Estouteville pour
lui barrer le chemin. La place d'Harfleur était dé-
fendue par le frère de l'abbé de Fécamp , le brave
Estod, qui, avec quatre cents hommes , tient tête
aux, forces du roi d'Angleterre. Tous les moyens de
résistance sont employés; la chaussée de Montivilliers
est détruite pour rendre plus difficile l'approche de
la place ; rien ne coûte aux assiégés , qui sont résolus
de faire acheter cher à l'ennemi la possession de leurs
remparts.
La belle défense d'Harfleur avait électrisé les
habitants de Fécamp. Estod, sous la robe d'abbé,
ne veut pas le céder à son frère en courage et en
fidélité. Une milice, composée des habitants de la
ville et des campagnes , de la juridiction de l'abbaye ,
est organisée; des hommes d'armes sont réunis, les
vieillcis murailles sont mises en état de défense ; Jean
de Boissey , lé capitaine , les fait garnir d'armes et
de combattants ; des ouvriers taillent la pierre pour
en faire des boulets, qu'ils entassent au pied des
' Froissard, ann. 1415.
( aSo)
remparts ' ; les moines sont partout , dirigent les
efforts des travailleurs^le zèle et l'ardeur patriotique
des guerriers et des honunes de la commune ; tou»
sont prêts à s'ensevelir sous leurs remparts.
Après un mois de résistance héroïque y le com-
mandant d'Harfleur est obligé de capituler , faute
de vivres et de munitions; la nouvelle en est presque
aussitôt répandue par quelques malheureux habitants
de cette ville , par des prêtres et gens d'émise , dé-
pouillés de leurs biens , chassés de leurs foyers et
obligés de chercher des refuges clandestins pour
éviter d'aller à Calais, où le roi d'Angleterre exige
qu'ils se rendent prisonniers. L'inquiétude des ha-
bitants de Fécamp est au comble. En effet , on signale
bientôt les avant-postes de l'armée anglaise ; la ville
est investie de toutes parts. Les Anglais , pour dé-
masquer les murs de la forteresse, mettent le feu aux
maisons voisines , s'établissent en regard de la porte
du Bail j et sur les hauteurs qui dominent la place.
Là ils établissent leurs machines de guerre, leurs
engins et leurs bombardes , qui commencent un ter-
rible feu, pour rompre la muraille et abattre les
portes. Il y eut un échange de projectiles, qui mirent ,
de part et d'autre, beaucoup d'hommes hors de
' La partie basse d'une tour , voisine de la-porte des Hallettes , tt
démolie au commencement de notre siècle , a été trouvée pleine de
CCS projectiles.
(a5. )
combat ; mais les énormes globes en pierre lancés
par les macbines de l'ennemi , ne tardèrent pas à
rendre la brèdie praticable , et l'ôfi fut forcé d'ou-
vrir les portes pour éviter de plus grands malheurs.
Le monaslère en fîit quitte pour de fortes contri-
butions» et la ville , en partie détruite j pour recevoir
une garnison étrangère, qui n^y fît qu'un séjour de
courte durée'.
Les Anglais partant peu de jours après pour la
Picardie , traversent la Somme , rencontrent l'armée
firançaise, et gagnent la célèbre et funeste bataille
d'Azintourt.
Henri Y ne perdit pas le souvenir de la mémorable
défense de Fécamp, et de la part qu'Ëstod et ses
religieux y avaient prise; il s'en vengea sur leurs biens
d'Angleterre. Les possessions du monastère , en
Sussex et généralement sur tous les points du royau-
me y furent accordées, par une charte y dont l'original
se voit dans la tour de Londres , à Thomas ^ évêque
de Durham*. Ainsi, l'abbaye se trouva encore une
fois dépouillée des biens qu'elle tenait de la libéralité
de ses ducs , devenus rois d'Angleterre.
Les succès inespérés obtenus par Henri Y, lui 1418.
ayant fait juger que le moment était venu de ressaisir
l'héritage de ses pères , il se mit à la tête d'une nou-
velle expédition , débarqua en Basse-Normandie ,
* Notes manuscrites sur Fëcainp. — GalL christ.
*' Rôles normands f page 252.
( a5a )
dont il emporta toutes les places. Il vint ensuite
assiéger la ville de Rouen, qui, après une résistance
héroïque j privée de munitions et dé secours ^ fut
obligée de se ren^ 1^ '9 janvier i4 ^9*
La capitulation de Rouen entraîna celle de toutes
les places du pays de Caux , au nombre desquelles
se trouvaient Yalmont y Montivilliers, Tancarville,
Orcher , le Bec-Crepin et Ganzeville. D'Estouteville,
jugeant que toute résistance était désormais înipos-
sible, et n'aurait pour résultat que la destruction
entière de Fécamp et de ses établissements, prend
le parti désespéré de traiter de la reddition de cette
place. Le chef anglais Jehan Falstolf reçoit la remise
des forts , qui arborent aussitôt Tétendart de TAn-
gleterre. C'est ainsi que notre Normandie se trouva
rattachée, de nouveau, au pays auquel elle avait
donné des maîtres.
FÉCAMP
sous LA DOMmATION ANGLAISE ,
De i4<9 À i45o.
i{i9. On pense bien qu'après la conquête , les nouveaux
possesseurs de la Normandie durent se partager les
dépouilles des seigneurs restés fidèles à la France.
Ce n'était partout que confiscations aux environs
de Fécamp.
( ^53 )
Les terres de Jelian d'Estouteville y de Yalmont ,
l'ancien commandant d'Harfleur, furent données
au chef anglais Williams Héron.
Pierre Tingry eut les propriétés de Jehan Doullé^
situées dans le bailliage de Fccamp.
Hugues Spenser reçut en partage les fiefs de Tré-
mauville , de Yinnemerville et toutes les armes de
guerre qui existaient dans le donjon de Fécamp ,
dont il fut nommé gouverneur.
Le Bourg-Baudouin « Terra et dominium 9 devint
propriété anglaise.
Jehan Falstolf ^ chambellan du roi d'Angleterre ,
le même qui avait traité de l'occupation des forts de
Fécamp, reçut les seigneuries et terres du Bec-
Grepin, d'Aurîcher, Ganzeville, Criquetot-rEsneval,
dont les propriétaires Guillaume de Magni , Jacob
d'Auricher, Guillaume de Lion etPerceval d'Esneval
furent couséquemment dépouillés'.
Ainsi y les noms anglais de Hugues Spenser, Un-
dervode, Haiden, Stopindon , Barnebi, Nitetton,
remplacèrent , autour de Fécamp et dans la ville
même , ceux de Jehan Hotot , Erquembaut , Gautier-
Duval , Pien*e Duhamel et De la Croix.
Les nouveaux propriétaires n'étaient tenus qu'à
de simples redevances honorifiques et féodales : ainsi ,
' Collection Bréquigny , ms. de la Bibliothèque royale.
(a54 )
Hugues Spenser faisait hommage 'd*un fer de lance
à la ville d'Harfleur.
L'anglais Jehan Billing, pour son hôtel de Fécamp,
envoyait un chapelet de violette , tous les ans, le
i""^ mai , au château de Rouen.
D'autres offraient une épée de combat j une dague
à la ville d'Harfleur ; un faisceau de flèches , et une
livre de poivre , par an y à la ville et au château de
Rouen ; enfin , la majeure partie étaient obliges de
faire le guet pendant une ou deux nuits dans ta for-
teresse de Fécamp , ou dans les châteaux voisins de
leurs fiefs ■ •
Pendant toutes ces nouvelles prises de possession ,
Tabbé d'Estouteville recevait un sauf-conduit pour
se présenter à Rouen , devant le roi d'Angleterre et
lui faire sa soun^ission. Ayant refusé de prêter le
serment de fidélité au nouveau pouvoir, il se retira
dans son manoir de Fontaine-le-Bourg , et la garde
du temporel de l'abbaye fut confiée au prieur et aux
religieux, pendant son absence ; un français, Jehan
Cuillerier , de Rouen, fut nommé receveur des de-
niers du monastère»
On pourvut aussi à la nomination de diverses
places militaires et administratives.
Xi'anglais Jehan Falstolf fut nommé capitaine de
la forteresse de Fécamp , occupée par environ deux
* Collection Bréquigny , ms. de la Bibliothèque royale.
( a55 )
cents Anglais qu'il avait sous ses ordres ; tous étaient
nourris et soldés sur les revenus de Tabbaye.
Toutes les places de quelque importance qui
mettaient en relief , ou donnaient une certaine auto-
rité y étaient occupées par des Anglais. Les emplois
peu rétribués et subalternes furent taxés et vendus ,
au profit du trésor royal, à des Français peu scrupu-
leuX| ou peut-être convaincus que , dans les moments
de crises 9 tous devaient le concours de leur zèle et
de leurs lumières à la chose publique.
Raoul BiennenS) anglais, fut nonuné lieutenant
du bailli de Fécamp ;
Pierre Maniel y sénéchal ;
Robin du Coudrai , lieutenant du sénéchal ;
Jehan Hermen, dit Montataies , sergent de Tépée ;
Regnault Beaufik, célérier de l'abbaye ^ était , par
sa charge ^ vicomte du port et havre de Fécamp , et
jugeait toutes les contestations ayant trait à la mer ' .
Il fidlut aussi pourvoir à la perception des droits
du rm^ sur les marchandises qui entreraient dans
le port : Guillaume d'Alington fut nommé contrôleur
<c conirû rotularis» des gabelles , et Jehan le Grand
vérificateur ou mesureur amensunUor^. »
On pourvut, dans le même temps ^ à quelques
bénéfices ecclésiastiques; quelques prêtres ne dé-
■ GoiBples de Jehan Gaillerier ; Arch. départ.
^ Bâles normands , page 323.
( ^o6 )
daignèrent pas de faire leur cour au roi d'Angleterre,
pour en obtenir des faveurs. Antoine de lisle de^nt
chapelain du Saint-Sépulcre de Fécamp ; les cures
du Mesnillet , de Saint-Eloi , de M aupertuis , furent
pourvues de nouveaux titulaires.
Cette organisation , rationnelle et calme en appa-
rence , cachait au fond bien des misères y car on a
peine à se rendre compte de la désolation qui régnait
dans nos villes et nos campagnes , à la suite de toutes
ces guerres y et sous un ordre de choses ^ qui^ sans
être la guerre elle-même ^ en faisait néanmoins sup-
porter toutes les charges et les calamités.
Nous avons cherché partout , dans les archives du
monastère de Fécamp , quelques documents sur cette
époque que la tradition locale n'a pas entièrement
oubliée ; nous n'avons pu trouver que les comptes
du receveur de l'abbaye ^ , qui , parlant de dépenses
relatives à certains faits , jette un jour jusqu'alors
' inconnu sur la situation générale du pays. Le rédac-
teur de ce précieux recueil n'avait pas soupçonné ,
en groupant ses chiffres, que ses petites digressions ,
jetées comme les hors-d'œuvre d'un splendide repas,
seraient un jour recueillies par l'histoire, qu'elles
sauveraient son nom de l'oubli ; noble dédommage-
ment de ses travaux et de ses veilles.
i4ao Pour faire rentrer de l'argent dans ses coffres, le
' Archives départementales.
(aS; )
roi d'Angleterre commença par altérer la monnaie :
la livre tournois, qui valait vingt-cinq sous, était
tombée à quatre sous deux deniers , et le montant
des contributions était exigé d'après ce nouveau
tarif. Cette mesure , qui quintuplait le prix des fer-
mages, ruinait tellement les cultivateurs, que tous
avaient abandonné leurs terres , qui restaient sans
culture ; l'abbaye fut obligée de faire à ses fermiers
la remise du quart de leurs arrérages % ce parce qu'ils
a étoient moult grandement perdants en icelles fer-
ce mes, dont plusieurs d'iceux n'a voient de quoi payer,
« attendu même qu'à l'époque de leurs baux , il n'était
a fait mention que de monnoies de quarante-huit gros
« par livre , qui avoient cours. »
Tout le monde était obligé d'aller à l'hôtel de la
monnaie , ou aux caisses publiques , pour changer
son numéraire contre l'argent de mauvais aloi , fa-
briqué par les Anglais ; l'aumonier et le célérier de
l'abbaye , qui se trouvaient à Rouen , au temps que
r argent de France fut crié non avoir cours , ayant
enleur possession deux cent douze gros, les portèrent
à. la monnaie, et perdirent douze livres cinq sous
sur le change. Pour circuler librement, même dans
les campagnes voisines du lieu qu'on habitait , il
fallait être muni de cartes de sûreté , pour lesquelles
on payait quatre sous, au profit du trésor royal;
■ Pièces justificatives , n* 2.
«7
( ^58 )
nous en avons vu j portant la signature de Jehan
Falstolf y capitaine de Fécamp.
Les campagnes qui environnaient cette ville étaient
désertes ; « celles où il y avoit ordinairement un grand
(c nombre de gens y demeurant , n'avoiént plus que
<c deux ou trois ménages;')^ ville elle-même avoit été
(c ravagée, et il n'y avoit j pour ainsi dire, debout , que
a les maisons de Tabbaye, la majeure partie de celles
a des habitants ayant été a/y^j (brûlées.)»
Dans cet état de choses, Fabbaye était privée de
receveur ordinaire , et n'avait trouvé personne qui
voulût se charger de percevoir ses revenus , <c tant
a par l'absence de l'abbé qu'à cause des guerres, et
a chacun en avait pris, à son plaisir, ce qu'il avait
(C pu recevoir , sans en rendre aucune déclaration ou
« compte, et, pour cette cause, le nouveau receveur
« est obligé de prendre ce qu'il peut avoir pour le
« temps passé, vu qu'il n'y a aucuns vestiges de
a comptes et qu'on n'a pu obtenir aucuns renseigne-
« ments de l'abbé. »
Le receveur Jehan Cuillerier exerçait donc des
fonctions hérissées de difficultés, chargé de défendre
l'intérêt des religieux , qui étaient froissés sans cesse
par lexigence des Anglais.
Le capitaine Jehan Falstolf , avec ses soudojrersj
représentait assez bien l'abbé et ses moines. Installés
dans les plus beaux logements des forts et du mo-
nastère , là ils vivaient à l'aise , et consommaient la
( 259 )
meilleure partie des revenus de la communauté;
contraignant les bourgeois de les garder , en faisant
le guet sur leurs remparts.
Les Anglais commencent par réparer , sous la sur-
YHÎllance de Robert Lanceau, lieutenant du capitaine,
la partie des murs qui avait été détruite , et ils font
étaUtXiv plusieurs guérites en bois sur les remparts j
pour la sûreté dicelle forteresse. Les bois servant
à ces constructions sont pris à Senneville et à Elétot.
Quelques travaux sont aussi faits à la même époque ,
à l'hôtel de Yittefleur. <c Nous trouvons une dépense ,
« pour réparations despont-levis et pont-dormant^ qui
cr étaient rompus^ et l'achat de cinq perches de pal ,
a pour les fortifications dudit hôtel, ainsi que Ta trouvé
a nécessaire Guillaume le Parmentier, lieutenant-
ce général de Pierre Maniel , sénéchal de Fécamp. i>
Jehan Cuillerier avait ordre de payer, tous les trois
mois, le capitaine et les soudoyers, et ce n'était pas
une des moindres charges imposées au monastère ;
on a de la peine à se figurer toutes les difficultés qu'é-
prouve le receveur pour se procurer des fonds ; il
est obligé d'écrire dans toutes les baronnies, qui, elles
aussi, sont ruinées par l'occupation étrangère. Les An-
glais ont changé en caserne le manoir et les granges de
Quettehou , et imposent les plus grands sacrifices aux
habitants. Cuillerier fait de nombreux voyages , qui
n'aboutissent souvent à aucun résultat , tant le nu-
méraire est rare sur tous les points de la Normandie.
( îi6o ).
Le premier trimestre de sa gestion, il paie à mes-
sire Jehan Falstolf, 200 liv., faisant , en forte monnaie,
26 liv.
« Et aux soudoyers d'icelle forteresse > dont les
« noms sont mis sur un rôle , par l'ordre verbal dt
a monseigneur le chancelier, en forte monnaie,
« ^8 liv. 6 s. 5 d. »
Le tabellion de Goderville venait ordinairement
assister à ces paiements , dont il rédigeait la quit-
tance, et recevait dix sols pour son salaire.
L'abbaye payait aussi les gages du sénéchal , du
lieutenant général du bailli , du procureur général
de l'église , de Jehan Vincent , anglais , commis-adjoint
au receveur du monastère , et donnait une gratifi-
cation de cinquante sols à Jehan Stopindon , secré-
taire du roi d'Angleterre.
Outre les gages payés au capitaine , ce dernier ne
se gênait pas pour user des biens de l'âbbaye en na-
ture , et comme il l'entendait ; car nous trouvons ,
dans les comptes du receveur, beaucoup d'articles
semblables à ceux-ci :
« Le revenu de hi péquerie (pêche) de Fécamp,
« néant j parce que messire Jehan Falstolf , chevalier
a capitaine dudit lieu de Fécamp , Ca tenue et re-
in cueillie en sa main, sans en rendre aucune chose.»
La ferme d'Ingouville était louée au prix de trente
boisseaux dé blé froment, mesure de Vittefleur,
( ^6i )
a lequel avait été mis par Jehan Falstolf au*dessas
« de ses gages. »
Dans les autres contrées , les propriëtës de Tab-
baye étaient pareillement au premier occupant ; ainsi ,
k revenu de la prairie de Yittefleur ëtait considéré
comme nul , « parce que les foins j cueillis et fauchés
a en la main de Téglise , et mis dans les greniers de
« l'hôtel de Vittefleur , avaient été consommés par
(c le bailli de Caux et ses gens et autres plusieurs
ce personnes allant et séjournant , tant officiers du
<c roi que de l'église. »
Les prés de la baronnie du Jardin , près Dieppe ,
appartenant au monastère , étaient loués à condition
« que j en cas que lesditsprés seraient pris et emportés
fc par les gens d'armes ou autres usant de puissance ^
a ledit fermier n'en serait tenu aucune chose payer ;
«c lesquelles prairies ont été, par eux , cueillies et em-
« portées les années précédentes , par les Anglais
oc des garnisons de Dieppe et d'Arqués. »
Le désordre était tel , dans les campagnes , que
les denrées se vendaient toujours rendues à la ville.
Les dîmes et les champarts d'Ingouville y loués dix
muids de blé et cinq muids d'orge, devaient parvenir
à Fécamp, aux périls et dangers du fermier de ces
redevances. Il en était de même pour les revenus
de Saint- Valéry.
On payait des hommes pour garder les récoltes
dans lea champs et pour les faire enlever de suite^ car ,
( a62 )
si elles fussent demeurées , « elles auroient été en
(c danger d'être perdues et prises par les gens d'armes,
et étant lors es garnisons du pays, n
On faisait aussi garder les lieux où les récoltes
étaient entassées; ainsi voyons-nous Jacques d'Orival,
écuyer , et quatre personnes de sa compagnie , gar-
dant l'hôtel de Vittefleu , « pour le double des bri'^
« gands qui couraient en pays , afin qu'ils ne se
« logeassent en quel hôtel, o
Le danger étant permanent pour cette petite for-
teresse ; Jehan Le Prévost en fut nommé capitaine,
au traitement de loo liv. par an , pris sur les revenus
de l'abbaye.
Il n'y avait non plus aucune sûreté pour les particu-
liers qui se mettaient en voyage; aussi ne pouvait-on
faire un pas hors la ville sans escorte ; le régisseur
de l'abbaye, dans ses courses à Yittefleur, à Saint^
Valéry et à Dieppe , était toujours accompagné
d'archers français ou anglais. « Nous le trouvons
(K souvent en compagnie de Douchet de Herbou-
« ville, écuyer, de Colin deBaunay, d'un var-
(c let et de quatre sergents ; d une autre fois, de
Guillaume Mahieu et Michaud Falaise, de Fécamp,
(c parce qu'on n'osoit passer par le double des bri-
« gands. » On est tout surpris de voir des gen-
tilshommes descendant aux fonctions de simples
archers, pour escorter un régisseur d'abbaye, ce
qui nous fait comprendre la misère et l'état précaire
C ^63 )
dans lequel se trouvaient toutes les conditions de
la société.
Jehan Cuillerier se fait encore accompagner ^ dans
un voyage qu'il entreprend du côté d'Argences , par
les anglais Kyghley et Jehan Ferrow; et, dans un
autre qu'il fait à Caudebec, par Guillaume Mahieu ^
Cardot Delamare, Michaud Falaise j Guillaume
Baillache, tous archers, et habitants de Fécamp.
On peut juger, d'après ces précautions, que la
puissance anglaise avait peu de vitalité en Norman-
die , puisqu'elle ne pouvait pourvoir au maintien de
l'ordre , ce premier besoin des sociétés.
La misère était tellement grande parmi le peuple ,
que toutes . les transactions particulières restaient
sans effet , et que personne ne pouvait rempHr ses
engagements. Les Anglais, qui ne toléraient aucun
retard dans le paiement des impôts et de leurs gages ^
étaient impitoyables envers les retardataires , qu'on
amenait à Fécamp et renfermait dans les cachots
de la forteresse et dans la tour nommée de Babjrlone.
C'était encore Douchet d'Herbouville, écuyer^ et
plusieurs Anglais, en la compagnie du sergent de
Fécamp , qui parcouraient les campagnes et étaient
chargés de mettre ces ordres de rigueur à exécution .
Avec le système d'exaction que les Anglais avaient
introduit, le malaise du peuple ne pouvait que
s'accroître sur tous les points ; ils vinrent encore y
mettre le comble à Fécamp , en établissant un
(^64) .
impôt du] dixième sur tous les biens de - la comniu-
nauté.
Ici t^ecommencent les tribulations de Jeaii Cuille-
rîer , qui , après des efforts inouïs , des voyages mul-
tipliés, ne pouvant fournir de suite une pareille
somme , est mandé à Rouen devant le chancelier. Il a
soin de se munir d'un fort à-compte , qu'il verse au
lieutenant du capitaine de Rouen , Jehan Hompeley ;
mais, loin qu'on lui sache gré de son empressement ^
il est arrêté sans pitié et détenu prisonnier au Dieux
châtely « duquel voyage ledit receveur, son clerc et
a deux chevaux , vacquèrent pendant l'espace de
« vingt-un jours. »
Les comptes relatifs à la dépense qu'occasionna
cette détention portent plusieurs articles ' ainsi
conçus : «Pour le geotage dudit receveur, payé au
ic maître portier du châtel , avec lequel il fut logé tout
ce le temps qu'il fut en prison , uii écu d'or.
c< D'autres sommes sont allouées: au portier du
« châtel, pour laisser entrer et passer le clerc dudit
« receveur, et ceux qui le visitaient en prison, et
f( pour des messagers envoyés de Rouen à Heudebou-
« ville et à Fécamp, pour mander que ledit receveur
a était en prison , et hâter l'envoi des deniers. »
Il paraît qu'ils ne se firent pas trop attendre,
puisque Jean Cuillerier ne resta prisonnier que
pendant vingt-un jours; l'impôt fut versé en totalité;
nous en trouvons aux archives la quittance , signée
( a65 )
patrie prieur de Saiat-Lo , et par messire Guillaume
Le Febvre , curé de Saint-Denis de Rouen.
Les revenus indirects de l'abbaye ne rendaient
pas plus que les autres produits : ainsi ^ celui de la
saison du hareng, ou harangaison^ comme on l'ap-*
pelait alors ) ne fournissait aucun avoir ^ parce que
(c ledit hable (havre ) de Fëcamp coûtait plus à main-
ce tenir et à garder que le revenu ne valait. »
Ce produit , qui était du dixième de la vente du
poisson^ servait eucore à payer les dépenses suivantes:
a Â^dom Regnault Beaufils , célerier du couvent et
a vicomte du port et hâble de Fécamp, pour la peine
« d'avoir gouverné la dite vicomte, i61iv. i3 s. 4^- »
« Pour l'hôtel de la vicomte , depuis le quatrième
« jour de novembre jusqu'au premier janvier, pendant
a quel temps de la vente , il était occupé par divers
oc gens , tant mariniers que autres , avec le célerier ,
a son clerc Jehan Desfrenis , Dondel , Caron et autres
« clercs vendeurs. Pourpain,cervoise (bière), chair,
fit bost (bois) à feu, chandelle, poisson et autres
n nécessités , 1 2 liv. »
L'hôtel de la vicomte était alors le long et ancien
bâtiment qui existe sur le quai de Fécamp, au sud-
ouest du port, et qui doit disparaître par suite des
travaux projetés sur ce point.
'Quelqu'argent fut aussi dépensé pour retenir l'eau
et nettoyer le port pendant les basses marées, «jus-
te qu'à ce que le canal eût recommencé à besoigner. 0
( a66 )
Les droits de la harangaison de Saint-Valery se
percevaient de même au profit du monastère de
Fécamp , et montaient à ao liv. environ , année
commune. Ce port ne possédait , dans ce temps,
que cinq maîtres de nefs ( bateaux) : Philipot Bon-
nard , Jehan Bénard , Michel d'Aoust , Robert Le-
tellier, et Jehan d'Argences, <x qui devaient une cer-
<c taine portion de harengs , à cause de leurs équi-
<c pages. »
Les mêmes dépenses qu'à Fécamp , se faisaient à
l'hôtel de la vicomte de Saint-Valery, « pour le vicomte,
ce son clerc , plusieurs allant et survenant; pour pain,
ce cervoise , chair , poisson , chandelle , moutarde ,
ce sel blanc 9 bostàfeu, et autres choses nécessaires.)»
Il fut aussi payé une certaine somme, dans le
même port , a pour avoir renforcé et alongé l'épi ,
« et pour trois charretées de bois destinées à faire un
a épi plus d'aval que n'était l'autre. »
Les autres produits étaient si minimes , qu'ils
n'offraient que de bien faibles ressources : celui des
sceaux et écritures était assigné au luminaire de
l'église 9 et suffisait à peine. L'émolument du greffe
de la j ustice temporelle , tant à Fécamp qu'à Vittefleur,
se montait à 17 liv. i4 s. 7 den.
Le tabellionnage de Fécamp était donné pour ses
gages 9 à Ricard Noflet, greffier de la juridiction,
a pour faire les écritures touchant l'église , et fournir
« le parchemin. »
( »67 )
Les exploits et amendes de la juridiction spirituelle
avaient produit^ en 14^0, 3o liv. faibles, en forte
monnaie 75 sols, somme que le sergent de l'épée
avait charge de recueillir, pour faire entrer dans les
coffres de l'abbaye.
Nous donnerons maintenant certains détails sur
quelques parties du domaine non fieffé; détails qui
intéresseront surtout les habitants de Fécamp , tant
à cause des propriétés bien connues qui y sont
mentionnées, que des noms de familles qui figurent
dans la pièce d'où nous les extrayons.
La prévôté de Fécamp était louée à Gautier Ga-
lopin, au prix de 1 10 sols par an.
Les moulins à blé de cette ville étaient baillés
à Jehan de la Marre et à Colin Hurel ; les moulins à
son à Guillaume Goetren , ainsi que la cote de Mer
et celle de la Vigne.
Thomas Duvent occupait la ferme de Bondeville.
La franche nef dEtreiat était louée 1 1 Uv. par
Jehan Galopin. Colin Beuzebost occupait la ferme
du Quénoy.
La ferme de la Haye d'Etigues était louée à Jehan
Blondel , au prix de 4 liv. par an ; celle de Ganze-
ville à John Postel.
Celle du Pommier-de-la-Meule , à Pierre de Vatte-
mare , 1 3 liv.
La ferme d'Etretat, par Robin du Mesnil, dit
Barbelotin, 10 liv.
'(a68)
Et celle ^é Trémauville aux Aloinds, à Martin
* Vassal , 17 liv.
Nous ne prolongerons pas davantage ce genre de
citations.
Les rapports de Jehan Falstolf avec les moines,
étaient établis , de son côté , sur le pied de la plus
•haute supériorité ; jamais il ne traitait avec eux di-
rectement aucune affaire d'intérêt ou de police;
c'était toujours par l'intermédiaire de l'anglais Guil-
laume Bourtheney , espèce de majordome attaché à
sa personne y qu'avaient lieu toutes les communica-
tions relatives à la rentrée des impôts, soit en nu-
méraire, sbit en nature; et nul ne soutenait, avec plus
de rigueur , les intérêts de son patron que Guillaume
Bourtheney. Aussi les moines étaient tellement exas-
pérés contre lui, qu'il était devenu l'objet de leur
haine ; il en était de même du receveur , qu'ils accu-
saient , bien à tort , de mauvaise gestion , tandis
qu'ils ne devaient s'en prendre qu'aux exigences
des Anglais.
i4aa. Dans cette situation si déplorable, ils adressèrent
au roi d'Angleterre , une requête présentée par Jehan
d'Orival, Dom Richard, religieux, et Pierre Maniel,
sénéchal ; ils y exposaient que les charges du mo-
nastère de Fécamp étaient tellement excessives,
qu'elles dépassaient , pour l'année 14^05 les recettes
de 4000 liv., « comme il appert par les quittances
« représentées, et parce que Jehan Falstolf ^eapitaine
( t»69 )
a de Fécamp , prétendait que les retenus de t église
« étaient suffisants pour supporter toutes les char- •
ce ges y lesdits envoyés ont ordre de prouver le con-
« traire, et de dire et exposer à sa Majesté, que,
ce pour la bonne administration de Tcglise de Fé-
(c camp, il serait plus utile d'avoir un religieux qu'un
c( séculier , lequel ne serait pas différent d'habit de
a profession et de culte, qui connaîtrait, mieux qu'un
« étranger, les mœurs et le langage des moines , les
<K besoins et les ressources de la communauté ^ »
Us exposaient en même temps qu'ils avaient jeté
leurs vues sur dom Philippe de Plumetot, un de
leurs confrères, ami de Gui le Bouteiller, seigneur
de la Roche-Guyon, et fort mal vu de leur abbé,
à cause de cette liaison.
C'était un moyen de faire leur cour au roi d'An-
gleterre et d'en obtenir ce qu'ils demandaient , car
on sait que Gui le Bouteiller, ancien commandant
de Rouen, était accusé d'avoir vendu cette ville
aux Anglais , et il ne pouvait y avoir rien de commun
entre D'Estouteville et les protégés de ce transfuge.
Avant de se prononcer, le roi d'Angleterre en-
voya à Fécamp le chancelier de Normandie , Louis .
de Luxembourg , avec l'abbé de Saint-Pierre , pour
prendre connaissance des sujets de plainte des reli^
gieux , des ressources de la communauté , et des
, ■ '
■ Archives départementales ; cartons de Fécamp.
( ^7o^
abus qu'il y avait à réformer. Cette vérification fut
immédiatement suivie d'une ordonnance de Henri V',
relative au receveur et à ses comptes , qu'il avait mis
du retard à fournir. Le roi nommait Roger Mutel,
vicomte de l'eau à Rouen, et Jacques d'Orléans ,
pour vérifier le tableau des recettes et dépenses pré-
senté par ledit receveur, lequel se rendit , à cet effet,
à Rouen , dans l'hôtel dudit Roger Mutet. Cette
vérification eut lieu en présence de Jehan Bouesque,
aumônier de l'abbaye , de Guillaume Etienne, chantre,
et de Adam Onfroy, prieur de Saint-Gervais , tous
religieux délégués par la communauté.
Il résulta de cette ordonnance le compte qui nous
a fourni des matériaux si pittoresques , pour cette
époque de l'histoire de Féçamp et du pays de Caux.
L'enquête dont nous venons de parler ne valut
aucune diminution de charges au monastère de
Fécamp ; mais il fut admis à passer , avec l'évéque de
Durham , qui détenait une partie des biens de la
communauté en Angleterre , un traité par lequel on
l'indemnisa d'une minime portion de ses pertes. Jean,
évêque de Chester , fut désigné en qualité de vicaire
apostolique, pour diriger cette transaction*.
Il y eut , dans le même temps , une ordination de
moines, qui aurait passé inaperçue, sans un événe-
' Pièces justiflcatiyes , n° 3.
* Arch. départ. ; cartons de Fécamp.
( ^7' )
ment qui peint bien le désordre de Tëpoque. On
attendait^ pour faire cette cérémonie , Tévêque
d'Evreux , lorsqu'on reçut la nouvelle qu'il venait
d'être tué à Paris^ dans une sédition j soupçonné de
tenir le parti des Armagnacs '. On fut obligé d'avoir
recours au ministère de l'archevêque de Rouen.
L'abbé d'Estouleville, en dehors de toute intrigue
politique, ne put jamais être gagné au parti anglais.
On voulut le tenter par l'offre des riches revenus
de son abbaye ; il ne reçut jamais que 1 5o liv. en
trois fois difTérentes , et encore les appliqua-t-il aux
besoins de certains employés de son église. Il s'était
retiré à Paris , oîi il fonda , avec son frère l'évêque
d'Evreux, le collège de Lisieux, situé près de la
montagne Sainte-Geneviève. Les moines du Bec
prétendent qu'il y fit transporter les objets précieux
enlevés par lui de leur monastère , lorsqu'il fut placé
à la tête de celui de Fécamp.
Ce fut peu de temps après qu'eut lieu la mort de
cet abbé. Son corps fut apporté à Fécamp et inhumé
dans la nef de l'église abbatiale. Certes, si jamais
cette ville recherchait, dans le passé, les grands
hommes dont elle peut s'enorgueillir, les noms d'Es-
touteville et de Boissey devraient tenir une place
honorable dans ses fastes; ils rappellent, en même
> Gall. Christiana, tom. II.
( 27^ )
temps y la haine de l'étranger , la scieace , le patrio-
tisme et la gloire.
Gilles de Duremoitt, vingt-quatrième Abbé.
. Gilles de Duremont , d'abord abbé de Beaupré ,
ensuite de fiellebec y succéda à l'abbé d'Ëstouteville.
Ce fut le premier abbé nommé sous l'influence an-
glaise; son élection souffrit quelques difficultés
qu'il parvint à aplanir. Il prêta foi et hommage au
roi d'Angleterre, à Paris, entre les mains du duc
de Betford , régent du royaume , pendant la minorité
de Henri VI , enfant que les Anglais avaient fait
proclamer roi de France.
Le premier acte d'administration ecclésiastique
de Gilles de Duremont , fut la confirmation des
statuts de la confrérie de Saint-Farcy , établie dans
l'église d'Eletot. Il fit exécuter ensuite quelques
travaux d'embellissement dans l'intérieur de la basi-
lique , et enfermer , dans un tabernacle en pierre ,
le grès sur lequel on remarque l'empreinte du pied de
l'ange, qui dut apparaître dans l'église lors de sa fon-
dation. Ce petit monument gothique , placé d'abord
derrière le grand autel , est maintenant à droite de
la chapelle du trépassement de la Vierge ■ .
Nous trouvons ici une pièce d'autant plus curieuse,
* Trésor de Fécamp , ms.
( ^73 )
pour la localité , qu'elle fait connaître la qualité des
offices qui existaient, à cette époque, à Fécamp; c'est
une adjudication faite à Gosse, boucher, d'une place
(Tétat^ vide, au Vieux-Marché des Hallettes, pour
i4s. 6 d. , au profit de la pitancerie et pieds d'héri-
tage , tenus par Jehan Toutain , lieutenant du bcùlU
de Fécamp , après les criées faites' par Jehan le Vas-
seur, sergent dépée^ suivant la délibération du
révérend père en Dieu , mons maître Gilles , abbé
du moustier de Fécamp , et du consentement de
damp Jehan de la Haulle,/?ftfa/ic/^r, Robin du Cou-
drai, procureur général^ Jehan Durand et Raoul
Biennens, a\focats et conseillers de ladite église'.
Tout le monde connaît le jugement inique porté ■4^1*
contre Jeanne d'Arc, surnommée la Pucelle d'Or-
léans : cette jeune et noble fille , à peine âgée de
dix-huit ans , indignée de la conduite des Anglais ,
marche à la tête de quelques compagnies , dont elle
exalte le courage par sa valeur et sa résolution , et
contribue à la victoire remportée devant Oriéans,
sur les ennemis de la France.
Ayant été faite prisonnière au siège de Compiègne,
elle fut livrée , par le duc de Betford, à un tribunal
ecclésiastique, et ensuite brûlée comme magicienne,
hérétique et schisma tique.
Gilles de Duremont fut un des juges de cet infâme
* ArchiTes départementales ; cartons de Fécamp,
i8
( 274)
tribunal qui condamna Jeanne d'Arc ; cependant ,
une circonstance de ce procès nous porte à croire
que , s'il céda par faiblesse ou par ambition , il n'é-
tait pas du nombre de ces juges sans pudeur , qui
se faisaient un jeu d'insulter à la victime. En effet ,
Nicolas de Houppe ville, un des assesseurs, ayant
élevé haut eriient la voix en faveur de l'accusée, en
réclamant le renvoi de cette affaire à l'officialité de
Rouen , dont elle relevait , les Anglais , qui remplis-
saient l'auditoire, voulurent l'enlever pour le trans-
férer en Angleterre , et il ne dut son salut qu'à l'in-
tervention de l'abbé de Fécamp , qui parvint, non
sans peine , à le soustraire au danger.
Néanmoins , la malheureuse condescendance que
Gilles de Duremont avait montrée aux volontés de
ses protecteurs , lui valut de nombreuses faveurs qui
arrivèrent presque aussitôt. Personnage important ,
par son génie d'intrigue et son dévoûment aux An-
glais , il fut nommé du conseil de Louis de Luxem-
bourg , archevêque de Rouen , et nous le voyons
faire un voyage de Rouen à Paris, après le juge-
ment de Jeanne d'Arc , en compagnie du roi d'An-
gleterre et du duc de Betford '.
Nous rencontrons ici quelques documents qui
nous mettent au fait de la manière dont la haute
' Quittance de la Chambre des Comptes ; ms. de la BiblioUièqae
du Roi.
(^75)
justice était exercée , tant à Fécamp que dans les
communes de sa dépendance : elle se divisait en deux
juridictions, l'une spirituelle, dirigée par un officier
de l'église , portant le nom de promoteur , l'autre
temporelle, présidée par le lieutenant du bailli, ou
le sénéchal.
Nous avons parcouru le registre des arrêts de
l'offîcialité de Fécamp , pendant l'occupation an-
glaise; les nombreuses lacunes qu'il présente, la ré-
daction négligée et incohérente des actes qu'il relate ,
portent évidemment le cachet de cette époque de
troubles et d'indécision gouvernementale. La majeure
partie des arrêts sont relatifs à des dispenses de
mariage ; d'autres sont les contrats de mariage eux-
mêmes , dans lesquels on stipule les droits et jusqu'à
l'apport des époux , consistant quelquefois en douze
sols de numéraire, deux ou trois moutons et des
effets mobiliers de peu de valeur, qu'ils se laissent
au dernier survivant.
Sur d'autres feuilles , on trouve des individus cités
à comparaître devant des curés de la juridiction,
par suite de querelles ou de rixes dans lesquelles ils
figurent comme acteurs ou témoins. Ainsi, Isambart
Etienne, et Robert Petit, de la paroisse de Blosse-
ville , s'étant battus, sont semons devant M. le
curé de Veules. 11 en est de même à l'égard de
Philippe Dyel, dit Grumet, écuyer de la paroisse
du Mesnil , qui avait battu et féru sur la tête
(a76)
Prosper de la Rue , de la paroisse de Saint-Martin
de Veules.
Ce registre fait aussi mention des personnes trou-
vées mortes sur les grèves : rofficialité décide que
Joly Dumouchel, recueilli sur le hdble de Fécamp,
et n'ayant contre lui aucune sentence d'excommuni-
cation, sera inhumé à Saint-Nicolas , et mis en lerre
bénite.
Les testaments faits à l'église de Fécamp sont
aussi enregistrés dans le même recueil ; nous citerons ,
entr'autres, celui de Robin Drouot, qui lègue au
monastère i6 sols de rente , déduction faite des droits
du fisc. On remarque , presqu'à la suite de cette
pièce j un mémoire de réparations faites aux plan-
chers et aux bancs de la cohue ^
Les sentences de TofScialité sont brèves et expé-
ditives , et presque toutes calquées sur cette formule :
a Telle cause ayant été portée devant l'officialité
« de Fécamp , le promoteur de la Cour , après en
« avoir pris connaissance , condamne la partie citée
a à payer telle somme. « 11 y a de nombreuses affaires
qui entraînent la peine d'excommunication , surtout
contre des clercs et des gens d'église.
Les crimes ou délits qui avaient quelque gravité
appartenaient à la juridiction temporelle et se trou-
* On appelait Cohue la salle d'audience ; elle portait ce nom à
cause du bruit qu'y faisaient les plaideurs.
( ^77 )
vaient dévolus au jugement du bailli ou du sénéchal.
C'était pour les réprimer que s élevait l'échafaud sur
les places publiques.
L'échafaud du moyen-âge se voyait, à Fécamp,
dans l'enceinte du marché actuel , et portait le nom
de pilori. Le pilori était une grosse masse de bois
qui tournait sur un des bouts de Téchafaud ; on y
attachait les criminels par les pieds et par les mains ,
et on leur faisait faire un certain nombre de tours ,
pour les montrer au peuple y que ce spectacle a tou-
jours eu le privilège d'attirer. Cette punition était
infamante, comme l'est, de nos jours, l'exposition
sur la place publique.
Lorsque le crime commis entraînait la peine capi-
tale , le patient était conduit du pilori à la potence ,
dressée sous la côte de Fécamp , près de la source
qui porte encore à présent le nom de Fontaine du
Gibet. Dans quelques circonstances même , quand
on avait besoin d'effrayer la multitude par un spec-
tacle qui frappât son imagination , la tête du cou-
pable était séparée du tronc , et placée sur un étem"
perche y à la porte du marché, et l'on cramponnait
son corps à un crochet de fer, dans l'endroit le plus
fréquenté de la ville.
Le pilori paraît avoir joué un grand rôle sous la
domination anglaise. L'ancienne machine étant tom-
bée de vétusté , on fut obligé de la faire relever , et
nous trouvons, sur les comptes de l'abbaye, une
( ^78 }
somtile accordée (c pour la réparation du pilori de
« Fécamp, qui cheu étoit; lequel, par ordonnance
<c de justice, fut réparé et mis susj pour tourner et
ce mettre deux femmes j qui , pour leurs démérites ,
ce y furent condamnées , es assises dudit lieu de
« Fécamp. »
Raoul De la Marre , forestier , délivre le bois né-
cessaire à cette réparation , et le prend dans la foret
des Hogues.
« A Jehan Houel , maréchal , pour la peine d'avoir
(c fait le piton de l'arbre dudit pilori , l'enej (l'anneau)
<c de la platine dudit piton, et l'enclume sur quoi il
« tourne.
a Pour vin donné aux ouvriers et aux gens qui
« aidèrent à redresser ledit pilori , par force , où
« étoit présent le maître des œuvres de carpenterie
« de l'abbaye. »
Le maître des œuvres , ou bourreau de la haute
justice de Fécamp , était alors maître Rogon ; il lui
est alloué, dans le même compte, 12 s. 6 d., pour
avoir tourné icelles femmes , par un jour de marché^
au pilori^ et les autres gens de justice touchent 3 s.
I den. pour ladite exécution.
Jehan Le Febvre , sergent de l'épée, à Vittefleur,
reçoit aussi une gratification de i s s. Ô d. , pour sa
ce peine et salaire d'avoir poursuy deux femmes à
« Saint- Valery^ès-Plains, qui pour larrechins étoient
(f accusées, et icelles avoir anfenées dudit lieu es pri-
( ^79 )
et sons de Fécamp , en quoy il vacqua par deux
« jours j lui troisième en sa compagnie. •
Jehan Le Febvre et maître Rogon eurent des
fonctions fort actives pendant cette époque où les
brigands , comme le pouvoir d'alors les appelait ,
parcouraient en tout sens les campagnes. Ce nom
seul eut le privilège de faire bien des victimes , car
nous savons que les oppresseurs de la Normandie
le donnaient à tous les Français de cœur et d*indé-*
pendance , qui préféraient mourir les armes à la
main , en défendant leur pays, que de se soumettre
au joug abhorré des conquérants.
Les juridictions diverses qui couvraient la France
donnaient journellement lieu à une foule de discus-*
sionSy dont l'attribution de compétence était Tobjet.
Ainsi y comme nous l'avons remarqué , il fallut
une décision royale pour faire rendre , à l'offiicialité
de Fécamp y des faux monnayeurs de sa juridiction ,
que retenait le bailli de Caux.
Les clercs de Montivilliers avaient mis en prison
un clerc de Fécamp, accusé d'avoir proféré des in-
jures ; son procès ne pouvait être fait que par l'of-
ficial dont il dépendait. Les élus de Montivilliers
ne voulant pas rendre leur prisonnier , l'abbé de
Fécamp s'adressa au roi et obtint des lettres patentes
par lesquelles cette restitution fut ordonnée ., pour
consewer intacts les droites , usages , libertés et
franchises du monastère de Fécamp^
( aSo )
Des difficultés plus graves étaient souvent remises
au jugement de l'autorité supérieure , lorsque les
casuistes intervenaient avec leur code et réclamaient,
pour leur tribunal, des prévenus que la loi civile
atteignait. Ce code était , du reste, à Tusage des deux
autorités , selon qu'il servait leur haine , leurs pas-
sions ou leur politique.
Voici un exemple de ces positions embarrassantes
dont on ne sortit que par l'entremise dç Tabbé
de Fécamp , en sa qualité de membre du conseil de
Farchevêque de Rouen.
Un nommé Jehan Dandin , épicier à Rouen , avait
été mis dans les prisons de cette ville pour avoir fait
chevaucher V âne , c'est-à-dire pour s'être promené
assis, à reculons , sur un âne, et avoir ainsi ameuté
la foule devant la porte d'une de ses voisines , accu-
sée, dans le quartier, de battre habituellement son
mari.
La plaisanterie de Jehan Dandin avait , certes , un
but très moral; mais les Anglais, qui craignaient
toujours des soulèvements, et ne souffraient, sous
aucun prétexte, qu'on s'avisât d'ameuter la foule,
commencèrent par le mettre en prison.
Le tribunal ecclésiastique somma tout aussitôt le
procureur du roi de lai rendre ledit Dandin , pré-
tendant qu'il était clerc, portant habit et tonsure.
Les Anglais, qui voulaient la punition du cou-
pable , et ne pouvaient rien opposer à cet argument
(a8i )
conforme aux lois de l'époque, trouvèrent, dans
le Code ecclésiastique même , un prétexte pour le
retenir.
< Nonobstant , disait leur sénéchal , que icelui
<x Dandin ait eu couronne, et que, au temps de sa
a prise, fut en habit et tonsuré, il ne devoit jouir du
« privilège de clerc , car il étoit bigame , vu qu'il
« étoit marié à une femme , laquelle avoit été cor-
« rompue au devant dudit mariage , et , dans brief
« temps après, avoit eu un enfant d'autre personne
a que de son dit mari , qui en avoit eu connoissance
« et avoit pris argent pour la défloration d'icelle. »
En effet, cette circonstance, prévue par les ca-
suistes , porte le nom de bigamie dans leurs codes.
« Bigame ! s'écriait le promoteur de l'église , Jehan
(I Dandin n'est pas bigame ; car sa femme étoit une
ic jeune fille qui, oncques, n'avoit été mariée qu'au
ce dit Dandin, qui l'avoit prise créant, comme il dit,
ce qu'elle fust bonne et vraie pucelle ; et si, après ledit
(c mariage, elle avoit eu enfant au devant du temps
a dû , ce n'étoit chose qui dut empêcher la restitution
ce dudit Dandin, portant habit et tonsure '. »
Le crédit de l'abbé de Fécamp auprès des Anglais,
et son intervention , comme nous l'avons dit , ter-
minèrent ces graves et singuliers débats : on convint
de mettre Dandin en liberté, vu sa longue captivité,
* Arch. départ. ; cartons de VOff. de Rouen.
( a8a )
sans préjudice des droits de Fune et l'autre juri*
diction.
Les années i434 ^t i435 furent marquées par
des luttes continuelles entre les partisans du roi de
France et ceux du roi d'Angleterre. Le maréchal
de Rieux commença par s'emparer de Dieppe, ce
qui consterna les Anglais , dont les forces allaient
en diminuant dans le pays de Caux. L'armée du ma-,
réchal^au contraire , se recruta de vaillants hommes
d'armes, tels que Chabannes, Blanchefort, La Hyre,
d'Estouteville , et le célèbre Dumarets de Dieppe.
Quatre mille paysans du pays de Caux, de ceux
auxquels les Anglais donnaient le nom de brigands,
fatigués du joug tyrannique de l'étranger , se réuni-
rent sous le commandement d'un chef qu'ils avaient
élu , et vinrent aussi se joindre aux vainquent^ de
Dieppe '. Tous promirent au maréchal de le seconder
de tout leur pouvoir , s'il voulait marcher contre
les Anglais. La résolution fut unanime , et l'armée
française vint camper sur les hauteurs de Fécamp.
En présence d'une force si imposante et surtout
si animée par la vengeance, il y eut une déUbération,
présidée par le seigneur de Malleville , qui avait
remplacé Jehan Falstolf , en qualité de capitaine
de Fécamp; on convint de remettre la place; et,
comme l'abbé de Duremont avait mille motifs de
Il i« — ^-^— ^— — ^—^^^
* Monstrelet , Chron.
( 283 )
craindre le ressentiment des Français, il insista [>our
faire ajouter à la capitulation que les vainqueurs
demeureraient paisibles dans la ville j et respecteraient
les biens du monastère. La place fut aussitôt remise ,
etValmont, les Loges , Montivilliers^Harfleury Gra-
ville , le Bec-Crépin j Tancarville , ouvrirent leurs
portes aux victorieux paysans du maréchal de Rieux.
, Les Français s'emparèrent j dans Fécamp ^ de
quelques navires anglais j et permirent aux étrangers
non militaires y de se retirer où bon leur semblerait;
quant aux gens d'armes et soudoyers, il existe des
lettres du roi d'Angleterre. faisant une restitution
d'argent pour le rachat des personnes qui avaient
été prises gardant les forts et Tabbaye de Fécamp '•
Jehan d'Estouteville fut nommé gouverneur de la
place; elle ne pouvait tomber en des mains plus
fidèles M
Les succès de Farmée française , dans le pays de 1437.
Gaux, furent de courte durée , car les Anglais re-
vinrent en force mettre le siège devant la forteresse
de Fécamp, qui fut obligée de se rendre après trois
mois de blocus et d'attaques successives^.
L'armée ennemie remporta aussi d'autres avan-
tages aux environs de Rouen , sur un parti de Fran-
' Archives départementales ; cartons de Fécamp.
^ Monstrelet , toI. H de ses Chroniques.
^ Monstrelet , vokimc UI , page 15 B.
( 284 )
çais ; mais la joie qu'elle en éprouva fut. tempérée
par une nouvelle qui lui était contraire. Fécamp
venait d'être repris par la garnison qui en avait été
expulsée. D'Estouteville avait paru se diriger sur
Dieppe , et , par une habile contre-marche , était
venu de nuit se cacher dans les bois de Yalmont.
Lorsque le gros de Tannée anglaise fut parti , il tomba
sur la faible garnison qui gardait les forts de Fécamp ,
et qui se trouva surprise, car elle était sans crainte
et sans défiance. Ainsi, les habitants de la ville , qui
s'étaient couchés le soir soumis au roi d'Angleterre,
se réveillèrent, à leur grand étonnement, sujets du
roi de France.
A la même époque , Charles Vil faisait son entrée
à Paris après en avoir chassé les Anglais, dont le
pouvoir était tout-à-fait sur son déclin. Us avaient
tellement eux-mêmes le sentiment de leur impuis-
sance, qu'ils provoquèrent plusieurs réunions pour
traiter de la paix. L'abbé de Fécamp , et d'autres
conseillers du Roi, sont mandés à Bayeux pour la
tenue des états où doivent s'agiter de grandes ques-
tions concernant les intérêts de l'Angleterre ; il
existe des quittances provenant de la Chambre des
comptes , qui établissent que Gilles de Duremont
touchait six livres par jour à titre d'indemnité pen-
dant ce voyage. L'année suivante , le roi d'Angle-
terre , prenant toujours le titre de roi de France,
fait savoir à Thomas Leblond , trésorier des finances
( 285 )
de Normandie , qu'il accorde à Gilles de Durement
son conseiller 9 une pension de 800 livres par an,
pour ses bons et loyaux services.
Les états tenus à Bayeux n'avancèrent pas beau^
coup^ à ce qu'il paraît, les affaires du roi d'Angle-
terre , car l'abbé de Fécamp fait immédiatement un
voyage à Calais , a pour être et assister à la conven-
« tion qui est ordonnée, es marches dudit lieu,
« pour le bien de la paix générale. » Nous croyons
devoir donner l'itinéraire de ce voyage , qui a duré
33 jours, et y joindre la note des dépenses qu'il a
occasionnées.
« Payé, dit Gilles deDuremont, i5 liv. 11 sous
« 6 den. , à un guide pour nous avoir convoyé au-
« dit lieu de Calais, depuis Giberoy jusqu'à Poix. »
« 16 liv. 6 den. , à deux poursuivants de M. le
« comte de Ligni , qui nous convoyèrent de Rouen
« jusqu'à Séquigny. »
« 39 liv. , à deux poursuivants d'Abbeville , qui
« nous convoyèrent, à notre retour, dudit lieu
« d'Abbeville jusqu'à Neufchâtel-de-Lincourt. »
« 7 liv. 10 sous, à trois hommes d'armes et à
« dix archers, de la garnison de Neufchâtel, qui
« nous convoyèrent jusqu'à Rouen '. »
On voit quelle était, à cette époque, la manière
Ms. delà Bibliothèque du Roi. Fœdera, Conventiofùs , Litterœ,
( a86 )
de voyager, daas le cœur de la France j d'un ministre
plénipotentiaire et conseiller d'état.
L'abbé de Fécamp reçut, l'année suivante, une
preuve de haute confiance de la part de Louis de
Luxembourg, qui le nomma son exécuteur testa-
mentaire. Gilles de Duremont et Tévêque de Meaux
furent chargés de distribuer, à leur volonté, les
biens dont le prélat n'aurait pas disposé à sa mort;
il est probable qu'il en revint quelque chose au mo-
nastère de Fécamp. L'église de Rouen, elle, ne re-
cueillit qu'un bréviaire de la succession de son ar-
chevêque.
En remettant son testament à Gilles de Duremont,
Louis de Luxembourg y joignit la nomination de cet
abbé au poste d'évêque de Coutances, qu'il venait
d'obtenir du roi d'Angleterre. Philibert de Montjeu,
son prédécesseur, était un des juges de Jeanne d'Arc,
qui avaient hautement désapprouvé sa condamna-
tion; il avait quitté son siège, depuis quelques
années, pour se retirer à Prague, où il venait de
mourir. Gilles de Duremont, plus souple et plus
dévoué à l'Angleterrre , devait remplacer l'évêque,
qui n'avait pas montré la même condescendance à
l'étranger.
L'armée anglaise, conduite par le duc de Som-
merset, se présenta de nouveau devant Harfleur,
en 1 44o ; la ville fut obligée de se rendre, n'ayant pas
été suffisamment secourue ; il est probable que Fé-
( a87 )
camp subit le même sort , puisque nous le trouvons
occupé, à la même époque, par les Anglais.
Ieâjx de la Haulle y vingt-cinquième abbé.
Jean de la Haulle, troisième du nom, est élu a5*
abbé de Fécarap, en remplacement de Gilles de
Duremont.
La ville de Fécamp, avons-nous dit, devait être
occupée de nouveau par les Anglais , et peut-être
est-ce à cet état de chose que le monastère dut sa
conservation; plus heureux que beaucoup d'autres
qui servaient continuellement de refuge et de lieu
d'étape aux hommes de guerre et à leurs chevaux ,
et qui avaient fini par être abandonnés; car les re-
ligieux ne pouvaient suffire à la dépense et au pillage,,
suites naturelles d'un pareil désordre.
Lorsque l'abbé Pierre le Boucher revint, en i44if
à son monastère de Saint-Martin près Pontoise, après
neuf ans de captivité que lui avaient fait subir les An-
glais, il n'y trouva « ne denier, ne maille, ne pain,
• ne vin , ne quelque chose au monde pour vivre ,
« ne pour gens , ne pour bête , ains trouva pleins de
« Cens l'église et le cloître. »
Le mauvais état des affaires du roi d'Angleterre
amenant journellement des défections dans son parti,
phisieurs habitants de Fécamp quittèrent furtive-
ment leurs foyers, pour rejoindre les troupes du roi
( a88 )
de France. Trois d'entr'eux furent pris par un déta-
chement d'archers anglais, et conduits à Gaudebec,
où ils furent mis en jugement et pendus; le maître
des hautes œuvres de cette juridiction, reçut, pour
son salaire, i8 sous 6 den., par ordonnance du
bailli de Caux, à raison de 5 sous par homme et de
3 sous 6 den., pour les cordes et les gants qui
avaient servi pour faire l'éxecution *. L'autorité an-
glaise fit vendre les maisons et fiefs des fugitifs de
Fécamp, et les acquéreurs furent tenus de payer les
redevances dont ces biens étaient grevés , au profit
du monastère.
Durant cette période du régime anglais , l'état ma-
tériel des campagnes ne s'était pas, à coup sûr,
amélioré ; la culture était dans un tel état d'abandon,
que les religieux se trouvaient dans la nécessité
de faire valoir eux-mêmes leurs terres, et encore
manquaient-ils de moyens pour recueillir un peu de
fruit de leur travail. La race des bestiaux avait
presqu'entièrement disparu des environs de Fécamp;
il était même difficile de s'y procurer quelques bêtes
de travail , si l'on en juge d'après la lettre ou cédule
suivante , adressée par l'abbé Jean , à Raoul le Da-
nois , prêtre et receveur des deniers de Quétehou :
« Cher et bon aipi , nous vous mandons expressé-
« ment que vous envoyez, par Jehan Sommerset,
* Mss. de la Bibl. roy. ; cartons de Caudebec,
« anglais, porteur de cette cédule, cinq bons ani-
« maulx pour tirer à la cherrue, de trois ans ou de
« trois à quatre ans le plus vieux , et de telle sorte,
« comme le dit Sommerset les saura bien choisir y
< et si délivrer, au dit Sommerset, 20 sous tour-
« nois pour faire ses dépends, et par nous rendant
« cette présente cédule avec quittance dudit Som-
« merset, passée devant un tabellion, nous vous
« allouerons ce que les animaulx aurons cousté,
« avec les vingt sous de susdit, et que en ce n'ait
« point de faute, et vous recebvoir ce que les ani-
« maulx, de susdit, auront cousté , sur écrit quit-
ta tancé de vous ' . »
L'occupation anglaise dura encore plusieurs an-
nées à Fécamp , et tout porte à croire qu'elle com-
mençait à peser aux habitants, car les soudoyers
qui gardaient la forteresse étant en petit nombre,
on en donna secrètement avis aux Français de la gar-
nison de Dieppe; ceux-ci firent marcher aussitôt, sous
la conduite du célèbre Dumarets , cinq compagnies
bourgeoises qui s'emparèrent , par escalade , des forts
de Fécamp , firent prisonniers les Anglais qui avaient
mission de les garder. Peu d'heures après cette sur-
prise , on vit entrer dans le port un fort navire , ve-
nant d'Angleterre, et portant quatre-vingt-dix-sept
> Archives dëp. ; carions de Fécamp,
( ago )
Anglais envoyés pour renforcer la garnison de .Fé-
camp. Comme ces nouveaux venus ignoraient com-
plètement ce qui venait d'arriver, les habitants se
gardèrent bien de les instruire, et les laissèrent
librement débarquer et entrer dans la forteresse.
Qu'on juge de leur étonnement, quand ils ne re-
trouvèrent plus leurs compatriotes 9 et qu'ils sévirent,
au contraire , prisonniers des Français !
Toutes les villes fortifiées de la Basse-Normandie
furent successivement reprises à cette époque. Rouen
même fut obligé de capituler, et la chute de cette
place entraîna la reddition de Caudebec, Tancar^
ville et Montivilliers. La garnison d'Harfleur, seule,
ne voulait pas se rendre; Charles VII fit avancer
son armée devant cette ville, et profita de quelques
jours de loisirs pour visiter Montivilliers, Fécamp et
Valmont , et pourvoir à la nomination de comman-
dants pour ces trois places.
Ainsi se termina ce drame de trente années , fruit
amer des discordes civiles de nos pères; il n'y a pas,
dans le pays de Caux et dans toute la Normandie ,
un habitant des campagnes qui ne vous rapporte un
fait appartenant à l'époque anglaise; on ne rencontre
pas un campabondonné, une vieille tour, un retran-
chement quelconque, qu'il ne l'attribue aiix Anglais,
tant les maux que rappellent ces restes sont encore
présents à l'imagination de tous.
Ce fut une erreur de croire à la possibilité de réu-
( ^9ï )
nir ces deux races dans un intérêt commun ; aucun
-Normand de quelque valeur ne put jamais s'habi-
tuer à voir s'établir à son foyer, à titre de conqué-
rant, les fils de ces anciens Anglo-Saxons que ses
pères avaient vaincus et dépouillés; et ceux-ci, s'aper-
cevant de la haine qu'on leur portait, la rendaient
de tout cœur aux Normands; c'était une inimitié ré-
ciproque que le temps n'a pas adoucie, et qui , pro-
bablement, n'aura d'autre terme que le terme du
monde.
Les Anglais tentèrent quelques améliorations ad-
ministratives, et rien ne leur réussit, parce qu'ils
étaient étrangers, et qu'à ce titre leurs actes n'ins-
piraient que défiance et mépris. Ils ne furent pas
plus heureux du coté de l'agriculture, qui était
presqu'entièrement négligée et subvenait à peine
aux besoins du moment; ils implantèrent, cependant,
sur beaucoup de points de la Normandie, une grande
quantité de vignes , qu'ils firent venir de l'Aquitaine,
et le petit vin blanc d'Argences, connu sous le nom
de vin Huetj dont les moines de Fécamp faisaient
une abondante récolte, n'avait pas une autre origine.
On vit donc, avec la plus grande joie, les étran-
gers quitter nos villes et nos campagnes; le peuple
resta impassible et froid , et ne se porta ^ contr'eux ,
à aucun excès; mais sa malédiction les accompagna
jusque sur leurs vaisseaux ; et , de cette attitude éner-
gique et calme , les Anglais durent tirer la conséquence
( ^9^ )
que c'ea était fait de leur domination en Norman-
die, et qu'aucun d'eux n'en foulerait désormais le
^o\ , que comme hôte ou prisonnier.
■ ■MW
FEGAMP
jusqu'aux premiers troubles pour la. religion.
Immédiatement après l'expulsion des étrangers ,
Jehan de la Haulle fut appelé à Rouen , pour prêter
serment de fidélité à Charles VII ; il obtint de ce
prince , par un acte daté du Montbason , du sel en
franchise pour les habitants de Fécamp, à raison
des maux que la guerre avait occasionnés à leur
ville ; il en fut accordé deux muids par an pour
l'usage du monastère ' .
1453. I^es églises de Fécamp et des environs y ayant
beaucoup souffert de la présence des Anglais, le
pape ordonna une levée de décimes pour les faire
réparer. Des particuliers s'empressèrent de concourir
à cette œuvre de piété , aussitôt que les temps
furent devenus meilleurs : maître Jehan Bénard ,
prêtre , donna à l'église de Sainte-Croix, une partie
du clos de la Couture , assis sur les paroisses de
Sainte-Croix et de Saint-Etienne ; et Jérôme Gosse
CoUection Brequigni , ms. de la Bibliothèque du Roi.
offrît, à réglise dé Saint-Ouen, une maison et un
jardin , situés dans cette paroisse , le long du cours
de la Voûte.
D'un autre côté, l'abbé acheta, moyennant vingt
sols de rente , une masure située sur les fossés du
fort, laquelle appartenait auT^ sieur de Bérigny, au
droit de sa femme, fille de Nicolas Maufils, qui en
avait précédemment fait l'acquisition ^
Guillaume d'Estoute ville , fils de l'ancien gouver-
neur de Fécamp , fut nommé cardinal et archevêque
de Rouen ; c'est en cette dernière qualité qu'il vint à
Fécamp, et qu'il fut reçu avec distinction dans cette
place , défendue par ses ancêtres avec tant de
gloire et de persévérance; en quittant ce monas-
tère, il remit aux moines un acte par lequel il les
reconnaissait exempts de sa juridiction.
Un événement imprévu vint de nouveau porter 1460.
la désolation parmi les religieux : au moment où
ils s'occupaient de remédier aux désastres passés ,
un orage , formé dans le nord-ouest * , traversa la
mer, s'étendit sur Fécamp, et la foudre, éclatant
sur le clocher de l'abbaye , le mit tout en feu. La
tour , à cette époque , était surmontée d'une flèche
en bois , qui s'embrasa tellement, que les cloches en
furent fondues et réduites en un bloc de métal.
' Arch. départ. ; cartons de Pécamp,
* Chron. de Monstrelet ; Trésor de Pécamp , ms
( a94 )
Des troubles survinrent l'année suivante en An-
gleterre , entre les partisans de Henri VI et du
prince Edouard y qui prétendait au trône ; Charles Vil
permit aux Anglais y du parti de Henri , de s'établir
en France. Op revit , alors y à Fécamp , plusieurs
familles étran^res qui avaient habité cette ville du-
rant Foccupation.
Charles VII mourut en i46i , et Louis XI J qui
lui succédait j appela presque immédiatement Jehan
de la HauUe dans ses conseils. Cet abbé , après avoir
assisté aux funérailles du roi défunt , revint à Fé*
camp, où il s'occupa de la reconstruction du clo-
cher de l'abbaye et de diverses réparations indis-
pensables.
Le gouvernement des Anglais ayant été tout-à-
fait militaire y le despotisme avait remplacé les formes
de la justice , dont le sanctuaire même avait été
envahi : la grande pièce où se tenait la Cohue , ou
Tribunal de l'abbé , ayant servi d'écurie , sous le
régime de la conquête , les bancs, la table , et
jusqu'au siège du juge, tout avait été irrévéren-
cieusement arsy sans respect pour vénérable et
discrète personne messire Heldos, officiai de Fé-
camp.
Un jour de l'année 1462, il fut publié à son de
trompe , dans toutes les rues de la ville , que mon-
seigneur l'abbé avait une communication essentielle
à faire aux habitants , manants , et à tous les justi-
(»95)
ciables du monastère ; le peuple se réunit dans ta
grande salle où se tenaient les plaids , et maître
Robert Heldos j officiai , entra en séance , accom-
pagné de maître Nicolas Pintel y prieur claustral ,
de maître Richard Hobe , curé d'Argences , de
Jehan Désert , chantre , et autres personnages , prê-
tres ^ notaires, tabellions , témoins publics, sommés
d'être présents.
Là, en présence d'un nombreux auditoire, et
après avoir réclamé le plus profond silence , maître
Robert Heldos fit lecture d'un règlement concer-
nant les formes à suivre dans les procédures. I^'ana-
lyse de cette pièce donnera une idée des abus qui
régnaient alors dans la haute justice abbatiale de
Fécamp.
D'abord, dans son préambule, l'abbé se plaint
des entraves que les avocats apportent dans les
affaires , pour les prolonger au-delà des bonies ; il
se propose , à ce sujet , d'imposer un frein salu-
taire à la fureur des procès , souvent éternisés par
l'incurie des postulants et la rapacité de leurs conseils.
Les citations seront remises en ville et dans la
banlieue, par l'appariteur de la cour, et, au-delà
de la banlieue , par les curés des villages soumis à
la juridiction de l'abbaye. ^
Les citations devront être remises , à la personne
appelée, sept heures avant le jugement, si elle de-
meure en ville ; on aura deux jours ,81 elle est éloi-
(!»96)
giiée de cinq lieues; quatre jours, pour dix lieues;
ainsi de suite , selon les distances.
A neuf heures du matin, l'official doit être sur
son siège ; et , si les personnes citées sont absentes ,
elles seront réputées contumaces.
Si ces contumaces sont des clercs , leur nom sera
inscrit sur le registre des excommunications , à dix
heures du matin; et, s'ils ne paraissent pas , ils seront
condamnés à l'amende et excommuniés.
Personne ne pourra être relevé de l'excommuni-
cation, s'il ne paie l'amende et s'il ne demande hum-
blement l'absolution.
Si quelqu'un des avocats , des procureurs , des
notaires ou des plaideurs s'emportait en injures contre
le juge, il paierait 5 sous pour la première fois,
losous pour la seconde, i5 pour la troisième; le
tout applicable à l'achat d'un luminaire pour l'église.
Si ce sont des clercs qui troublent la juridiction
ecclésiastique, ils subiront les peines de droit, et
l'official pourra les faire retenir dans les prisons de
l'abbaye.
Les assistants écoutèrent ce qui précède avec un
intérêt qui ne fit que s'accroître, lorsqu'on arriva
au chapitre concernant les procureurs , les notaires
et les avocats, qui, à ce qu'il parait, n'étaient pas
en butte à moins de préventions, dans ce temps-là,
qu'ils ne le sont de nos jours ; on en jugera par les
articles suivants :
( ^97 )
Le juge devra , autant que possible, abréger les
procédures , en repoussant les incidents , les appel-
lations , les débats sans fin des avocats , des procu-
reurs et des notaires , et diminuer la multitude des
témoins.
Il paraît qu'au détriment des plaideurs qui gagnaient
leurs procès, des avocats de la cour trafiquaient de
faux arrêts , et délivraient des expéditions donnant
gain de cause à qui les payait davantage ; pour remé-
dier à cet abus , il est établi, près la cour, un notaire
juré, ayant la confiance des parties , lequel transcrira
tous les actes relatifs aux jugements.
Comme on avait aussi à se défier des hommes de
loi , qui se faisaient payer des honoraires excessifs ,
le même règlement décide que les avocats , tant pour
leur salaire que pour leur signature apposée aux
actes, ne pourront élever leurs taxations au-delà
de i8 deniers tournois.
Le procureur aura 9 deniers par jour, et le notaire
moitié des émoluments produits par le sceau du
tribunal.
Enfin, pour recevoir un avocat à la haute cour
ecclésiastique de Fécamp, on exigera que le postulant
prête serment d'exécuter fidèlement les règlements ;
qu'il les étudie pendant deux mois , avant de subir
l'examen de l'official ; et il ne sera admis que s'il
fait preuve de connaissances suffisantes.
Après la lecture de ce nouveau mode de procédure ,
(^98)
dont nous omettons la majeure partie des articles
qui figureraient avec distinction dans nos Codes
actuels , l'oflBcial déclara la séance levée ; les assis-
tants se retirèrent pleins d'espoir dans la justice de
l'abbé y et en lançant plus d'une épigranime contre
les gens de loi.
Marins Dauphin , clerc de Séez, maître es arts,
bachelier es lettres j licencié en droit canonique j
notaire de l'autorité apostolique y secrétaire de l'abbé
Jehan, eut soin de faire faire plusieurs copies de
ce nouveau Code y qui furent affichées dans les lieux
dépendants de la juridiction du nionastère '.
L'abbé Jehan de la HauUe avait , ce semble> une
vocation décidée pour les règlements; car, ïe- i6
mai i463, nous le voyons, conjointement avec Tévê-
que Thomas Bazin , fondateur du collège de Lisieux,
à Paris, s'occuper de statuts pour l'administration
de ce nouvel établissement.
Enfin , cet abbé , profitant de la haute position
qu'il occupe près du monarque, adresse à Louis XI,
tant en son nom qu'en celui de ses religieux, une
requête pour lui demander l'amortissement d'une
propriété de son monastère , sise à Rouen , compre-
nant une maison et deux acres de jardins, bornés
d'un coté par les murs de la ville , et par la rue qui
mène de Saint-Pierre-le-Portier aux Jacobins; d'un
' Cartulaire de Fécamp.
( ^99 )
autre , par l'enceinte des Jacobins , et par le cime-
tière de Saint-Pierre-le-Portier. Louis XI accorde
cette faveur pour « subvenir , dit-il , et aider les
« moines en leurs affaires^ et afin qu'ils soient toujours
« plus enclins à prier Dieu pour le salut et prospérité
n de nous et de nos successeurs '. »
Robert d'Estouleville et de Valmont , prévôt de 1465.
Paris du temps de Charles VII, destitué à l'avé-
nement de Louis XI , est réintégré dans ses fonctions
par l'entremise de Jehan de la Haulle. C'est un des
personnages importants du roman de M. Victor
Hugo , sur Notre-Dame de Paris. On est fâché de
voir Robert d'Estouteville occuper un emploi qui le
soumettait entièrement aux caprices de Louis XI,
et le rendait l'instrument involontaire des implacables
vengeances de ce roi.
L'abbé Jehan dç la Haulle décéda dans le mois de
novembre 1467, et fut inhumé à Fécamp, devant
le crucifix de la nef.
Jean Balue , vingt-sixième Abbé.
Jean Balue , é vêque d'Evreux et cardinal, succéda
à l'abbé De la Haulle; et, dans le même temps,
Jean Delaitre , moine de Fécamp , fut appelé au gou-
Trésor des Chartes , reg. 202 , pièce 109.
( 3oo )
vernement de l'abbaye de Sainte- Catherine -du->
Mont.
Jean Balue, fils d'un tailleur de Poitiers , était
d'une ignorance peu commune , mais d'une impu-
dence et d'une audace à tout entreprendre ; il s'était
élevé aux premières dignités de l'église j à force de
souplesses et de fourberies. Nous le voyons succes-
sivement confident, aumônier de Louis XI, inten-
dant de ses finances « membre de son conseil secret.
Mous le trouvons plusieurs fois à l'hôtel de ville,
transmettant les ordres du roi^, et se faisant ad-
mettre , avec ce dernier , dans la confrérie des bour-
geois de Paris ; à l'armée , il passe des revues de
troupes , en rochet et en camail , ce qui fait dire, par
le comte de Dammartin , à Louis XI: «Permettez,
« Sire , que j'aille à Evreux faire l'examen des clercs
« et donner des ordres, car voilà l'évêque qui est
« occupé à passer en revue des gens de guerre. » Il
devint ensuite l'adversaire le plus prononcé de la
pra^gmatique-sanction, mesure prise par Charles VII
pour retenir l'argent de France , qui passait en abon-
dance dans les mains du pape.
Les services rendus à la cour de Borne, par Jean
Balue , lui valurent d'être nommé successivement
aux évêché? d'Evreux et d'Amiens , de parvenir au
* Chron, de Monstrelet , anu. 1464.
( Soi )
cardinalat, et enfin d'être placé à la tête du monastère
de Fécamp j qu'il fit administrer , tant au spirituel
qu'au temporel, par un vicaire général, du nom de
frère Nicolas , prêtre et maître en théologie.
L'esprit brouillon et intrigant de Jean Balue l'ayant
porté à trahir son maître, il fut arrêté, en 1469 , et
retenu prisonnier d'État. Ses biens furent confisqués
au profit du roi, et son mobilier distribué à des gens
de la cour.
ce Sa vaisselle d'argent fut vendue , et l'argent baillé
a au trésorier des guerres pour les affaires du roi ;
oc sa tapisserie fut donnée à Tanneguy Duchâtel ,
«t gouverneur de Roussillon , et sa librairie à maître
a Pierre d'Oriolles, et un beau drap d'or, tout entier,
a contenant vingt-quatre aunes et un quart , qui bien
ce valoit douze cents écus, et certaines quantités de
(c martres zibelines , et une pièce d'écarlate de
a Florence, furent baillées et délivrées à M. de Crus-
ce sol; et ses robes et uil peu de ménage furent vendus
<c pour payer les frais des officiers et commissaires
a qui avoient vaqué à faire ledit inventaire. »
. Il est à remarquer que ceuK qui se partageaient
ainsi les dépouilles de Jean Balue, étaient précisé-
ment les commissaires désignés par le roi pour
instruire son procès.
Le monastère de Fécamp était toujours administré
par un simple prêtre, au nom de son abbé titulaire ,
lorsque Louis XI conçut le projet de le faire gou-
(3oa)
verner par un ecclésiastique d'un rang plus élevé.
Il proposa 9 à cet effet, au pape, Jean de Gronzalès,
archevêque de Séville. Sixte IV , qui avait désap-
prouvé l'airestation du cardinal-abbé , ne se pressant
pas d'accéder aux vœux du roi , celui-ci écrivit
jusqu'à trois fois , et reçut enfin le bref qu'il désirait,
en faveur de son protégé^.
Pierre Gonzalès prit possession du monastère
qu'on venait de lui remettre, en i4x6, et s'obligea
de faire une pension à l'abbé Jean , sur les revenus
de l'église de Siguenza. Louis XI , passant par
Fécamp , pour se rendre à Dieppe , se trouva à l'in-
stallation du nouvel abbé; et, pour donner suite au
plan qu'il avait formé d'affaiblir le pouvoir féodal
en France , en lui ôtant tous ses refuges et moyens
de résistance , il défendit aux moines de réparer les
murs de leur forteresse. Pareille défense fut adressée,
de sa part, par l'évêque de Bayeux,^aux habitants
de Montivilliers ' .
Les moines, profitant de cette royale politique
qui leur permettait d'agrandir leur enceinte aux
dépens de la forteresse , commencèrent par s'étendre
du côté du Nord ; ils s'emparèrent presqu'aussitôt
des fossés du château , firent exécuter de grands
mouvements de terre , tracèrent des jardins qu'ils
' Gallia christ, , tom. II.
* Gall. christ. , ibid.
( 3o3 )
entourèrent d'un nouveau mur d'enceinte ^ muni
de créneaux; cette muraille existe encore dans toutes
ses parties , du côté de Saint-Etienne.
En i^'jSy la lèpre faisait toujours ses ravages
dans le pays de Caux , car nous voyons Tofficial de
Fécamp faire admettre un homme atteint de cette
maladie y dans la léproserie du monastère.
Le roi Charles VIII venait de monter sur le trône
de France , à la place de Louis XI ; ce prince, voulant
tenir ses frontières en garde contre les attaques des
Anglais, donna commission à son chambellan et
maître d'hôtel , de visiter et faire réparer les for-
tifications situées sur le bord de la mer^ dans le
pays de Caux , et de faire contribuer à cette dé-
pense tous les habitants, jusqu'à trois lieues du
rivage; il en excepta cependant les gens d'église,
sauf t abbaye de Fécamp , qui avait des droits le
long des côtes, et qui devait, par conséquent, con-
tribuer à raison des domaines et des places qu'elle
possédait sur la rive. Charles suivait une marche
plus prévoyante que son père, vis-à-vis de l'étran-
ger ; par suite des ordres positifs de ce roi , la for-
teresse de Fécamp fut réparée et mise m état de
défense.
Le service militaire fut , de nouveau , exigé des
hommes de l'abbaye , avec beaucoup d'exactitude et
de sévérité : ainsi, voyons-nous plusieurs habitants
de Fécamp , qui , pour avoir refusé de faire le guet
1490.
( 3o4 )
aux portes des forts «t du monastère , sont condam-
nés , par l'official , à payer six deniers d'amende, sur
k réquisition de Nicolas Thibout, sergent^ des bour^
geois*.
L'abbé Jean Balue sortit de prison en 1 48 1 ^ et
rentra dans la possession des biens de son monastère;
il se retira en Italie , où il acquit , par de nouvelles
intrigues , beaucoup de crédit auprès du saint Siège.
Le pape Sixte IV lui donna plusieurs missions qui
lui procurèrent l'occasion de revoir la France et son
abbaye. Nommé ensuite évêque d'Albano et de Pre-
nestre, par Innocent VIII, il mourut à Ancône en
1491.
Antoine de la Haye, vingt-septième Abbé.
Antoine , fils de Louis de Mortagne et de Marie
d'Orléans, se trouvait être proche parent de Louis
XII; il prêta serment à Charles VIII, à Lyon, en
1492, étant déjà abbé commendataire de Saint-Cor-
neille de Compiègne.
Ce fut pendant son administration que s'éleva
une querelle de préséance entre les monastères de
Fécamp et de Saint-Ouen de Rouen. Celui-ci pré-
tendait l'emporter en illustration sur son compéti-
teur^ à cause de son ancienneté et du rang de son
-^^■^^^^^~~—— - ■■ ■ - - _- - - ■ I II ■ Il I L. ■ ■ M -I. -I- _ _■ ^r
* Archives dép. ; cartons de Fécamp,
( 3o5 )
fondateur, qui était ua roi des Francs. L'autre fai-
sait valoir sa dépendance directe du Saint-Siège, et
la précieuse relique quMl avait en sa possession. Il y
eut de savants mémoires publiés de part et d'autre,
et l'Echiquier de Normandie décida, en i497j que
l'abbé de Saint-Ouen prendrait place au-dessus de
celui de Fécamp, à raison de la localité et de l'an-
cienneté du siège '.
Cet arrêt avait indisposé la communauté de Fé-
camp , et elle ne laissait passer aucune occasion de le
faire apercevoir à sa rivale; en voici une qui trouve
naturellement sa place ici : c'était l'époque oîi l'on
élevait, avec beaucoup de travaux, l'église actuelle
de Saint-Ouen; le pape avait ordonné des indul-
gences générales pour ceux qui contribueraient, de
leur fortune , à cet effort gigantesque de la foi du
moyen-âge ; l'Echiquier de Normandie lui-même ,
pour ménager les ressources, avait prohibé toute
autre publication d'indulgences dans la ville de
Rouen.
Malgré cette défense, Jehan Bourgeans, officiai
de Saint-Gervais , permit à des émissaires de l'ab-
baye de Loches de s'établir dans sa paroisse et de
distribuer des indulgences pour le compte de leur
monastère , où se faisaient aussi de grands travaux.
• Neustria Pia, — Copie de cet arrêt existe aux Archives dép.
20
( 3o6 )
Les moines de Saint-Ouen , instruits de ce fait et
irrités contre le prieur de Fécamp, déléguèrent , en-
vers les religieux étrangers, Robert Le Ber, sergent
à masse 9 qui les trouva logés à rhôtellerie du Signol,
près la porte Grand-Pont. Ce sergent les cita à comr
paraître devant le bailli de Rouen j fit arrêt sur un
cheval , de poil gris, appartenant à Tun d'eux , nom-
mé Bernard Jouhault, et sur les autres biens qu'ils
pouvaient avoir dans ladite hôtellerie '.
Il y eut dans le même temps un contrat d'échange
fait entre l'abbé du Valasse et celui de Fécamp : le
premier donnait son hôtel assis sur la paroisse de
Saint-Léger de cette ville, en échange d'un autre
situé à Saint-Benoît, et nommé l'hôtel aux Gosselins,
en exemption de dîme et de champart. Le manoir
du Valasse , qui touchait aux fossés de la forteresse,
devint la maison du maître des écoles ; elle servait
encore au même usage à l'époque de la révolution de
1789, et la rue voisine a toujours conservé le nom
de rue de l'École.
Nous remarquons que les grandes terres voisines
de Fécamp avaient déjà passé dans beaucoup de
mains depuis la conquête : une information des rêve*
nus de la succession du comte de Dunois, mentionne,
entre autres biens qui en faisaient partie :
' Archives dép. ; cartons de Saint-Ouen.
( 3o7 )
La terre et seigueurie de Gaoze ville, valant , pai*
an, tant en domaine fieffé que non fieffé, 27 liv. 10 s.
^ Le moulin dudit lieu de Ganze ville, valant, par
an, 16 liv.
Un quart de fief à Criquetot-le-Mauconduit, tenu
par le sieur de Blosseville.
Un demi-fief, situé à Ancretteville et à Saint*
Martin-aux-Buneaux , tenu par Messire Loys de Fé-*
camp^
Le duc d'Orléans, parvenu au trône, sous le
nom de Louis XII, en i^gS , appela presqu'aussitot
dans ses conseils, son cousin, Antoine de la Haye;
cet abbé prit part à toutes les grandes décisions qui
en émanèrent , jusqu'à l'époque de sa mort qui eut
lieu en ïSoS. Il venait d'obtenir l'abbaye de Saint-
Denis, et les chroniques de ce monastère disent que
c'était un personnage d'un très-grand mérite et d'une
éloquence remarquable.
AinomE BoTER, vingt-huitième Abbé.
Antoine Boyer, abbé de Saint-Ouen en i^g^y
de Saint-Georges-de-Bocherville , en i^g^j obtint
l'abbaye de Fécamp en i5o5. C'était dans ce dernier
monastère qu'il avait fait profession de l'ordre mo--
nastique.
■ -■!■ 'Il II ■■ ■ ... , „
»
' Histoire de Tancan'ille , par M. A. Devtlle; Pièces jnstific.
1498.
( 3o8 )
Cet abbé , parent du cardinal Duprat , eut à lutter,
lors de son élection , avec un concurrent qui lui dis-
puta sa nouvelle dignité avec beaucoup de persévé-
rance. Les moines, voulant faire acte d'autorité,
avaient élu, pour leur abbé , à l'unanimité des voix,
moins une, Antoine Le Roux, qui remplissait au-
près d'eux les fonctions d'aumônier, et ils s'oppo-
saient de tout leur pouvoir à l'admission de l'abbé
Boyer, Télu de la cour. Les deux prétendants por-
tèrent leurs réclamations auprès du souverain pontife,
et Antoine Le Roux s'adressa, en même temps, à
l'Echiquier de Normandie; ses prétentions furent
rejetées par l'une et l'autre de ces juridictions,
et Antoine Boyer obtint définitivement ses bulles du
pape, au commencement de Tannée i5o6.
Ce ne fut cependant pas sans une compensation
pour Antoine Le Roux, car l'abbé Boyer se démit,
en sa faveur, de l'abbatiat de Saint-Georges. Fut-ce
la réparation d'une injustice, le résultat d'une tran-
saction? on pourrait le présumer, en voyant la ma-
nière dont se termina ce différent.
Du reste, l'abbé de Fécamp consacra son temps
à de grands et utiles travaux , qui ont rendu son
nom célèbre dans les annales du monastère.
Ce fut lui qui fit réédifier, en entier, la chapelle
de la Vierge , et qui la mit dans l'état où nous la
voyons maintenant.
On lui doit aussi le maître autel en marbre blanc,
( 3o9 )
couvert de reliefs ^ représentant saint Taurin et sainte
Suzanne.
Il fit faire , à ses dépens , par des artistes d'Italie j
rélégant tabernacle en marbre dans lequel est ren-
fermée la relique du précieux sang, et fit ceindre le
chœur et fermer les chapelles avec des balustrades
en pierres sculptées.
On pava, par ses ordres, une partie de l'église;
on refit la chaire à prêcher, et le pupitre auquel on
donna la forme d'un aigle; il fit orner, avec élégance,
les églises de Sainte-Croix, de Saint-Léonard et de
Saint-Nicolas, et commença à réédifier l'église de
Saint-Etienne, que son départ empêcha de terminer,
d*après les plans qu'il avait arrêtés. Il n'y eut de fi-
ni que la tour, les deux branches latérales de la
croix et l'élégante façade , au style transitoire du go-
thique à la renaissance , que l'on remarque en face
de la place du marché.
Enfin, l'abbé de Fécamp construisit, contre les
murailles du palais ducal, une maison abbatiale,
qui s'écroula à la fin du même siècle ou au com-
mencement du suivant. Qui croirait qu'au milieu de
tant dé travaux , l'abbé Boyer dirigeait encore ceux
de l'église de Saint-Ouen de Rouen ?
Aussi bon diplomate qu'administrateur intelligent
et zélé, nous le voyons employé à diverses missions ,
toutes couronnées du plus grand succès. Ce fut lui
qui négocia le traité de paix de 1 5 1 o , entre la France
( 3io )
et l^\.ngleterre , par lequel il est stipulé que les deux
peuples pourront commercer librement entre eux;
il s'occupe 9 en même temps, du sort des alliés de la
France, et fait comprendre, dans la même conven- -
tion, les marchands de Florence et de Venise qui
fréquentaient nos villes maritimes. On voit, par ce
traité, que les forteresses de Calais, de Ham et de
Guignes appartenaient au roi d'Angleterre, et que
ce dernier s'obligeait de ne faire aucun armement
contre la France, dans ces places, ni dans toutes
celles qui étaient soumises à sa domination '.
A la suite de cette convention, Antoine Boyer
fut nommé archevêque de Bordeaux, à la sollicita-
tion de Louise de Savoye, mère de François I*"^.
Avant de partir, il loua, à forfait, les revenus de
l'abbaye; et le fameux Angot, cet armateur de
Dieppe, que ses richesses et ses flottes ont rendu si
célèbre, devint le fermier général des biens du mo-
nastère de Fécamp.
Il fut aussi l'auteur de la transaction qui eut lieu
entre Tabbaye de Fécamp et celle de Saint-Ouen de
Bouen , au sujet des prétentions respectives de ces
deux communautés , sur les droits de vente du pois-
son qui abordait au havre de Veulettes; ce revenu
fut cédé à l'abbaye de Fécamp, moyennant deux
' Ryiner , Fœdera , Litterœ et Acta puhlica,
(3,, )
barils de harengs caques et deux mille harengs saurs ,
au prix de 12 liv. de rente '.
L'abbé Antoine , regardé par Fa postérité comme
un des plus grands hommes qui gouvernèrent le
monastère de Fécamp, mourut à Bourges , en i Siq^
et fut inhumé dans Téglise métropolitaine de cette
ville. Voici l'épitaphe qui fut alors placée sur son
tombeau.
Antonius jacet hic Boherius origine quondam
Averna, eloquiovir, meritisq ne gravis.
A puero monachus claustris cum pluribus abbas
Dignus , et hac celebri prœsul in urbe fuit.
Tempore non muho plures sorlibus honores.
Cardinio tandem schemate clavus obit *.
Adrieit Gouffier de Boissy , vingt-neuvième Abbé.
Adrien Gouffier était frère de Bonnivet, grand
amiral de France, et de Artur de Gouffier, gouver-
neur de François I".
Adrien, n'étant encore qu'évêque de Coutances,
fut chargé, par le roi, de se rendre au concile de
Boulogne, pour traiter, avec Léon X, de l'affaire
des élections ecclésiastiques , qui furent entièrement
remises au roi. Il revint de sa mission avec la
■ Archives dép. ; cartons de Saint'Ouen.
' Archives dép. ; Ckron. mss, des Antiq. de Vabb, deSt'Ouen.
( 3l2 )
pourpre du cardinalat, assista au mariage de Fran-
çois II et de Marie Stuart , et devint , dans la même
année, évêque d'Albi, grand aumônier de France,
et abbé de Fécamp.
François I" lui accorda , le 27 juin i Sa i , des lettres
par lesquelles il prenait l'abbaye de Fécamp sous sa
sauve-garde et protection , avec f attribution de ses
causes aux requêtes du palais. Ce fut cet abbé qui,
le premier, fit imprimer le bréviaire des religieux,
ce qui diminua considérablement le travail des co-
pistes ' .
£n 1622, Michel le Long, moine de Fécamp,
fut nommé abbé de Bellosane , et. Tannée suivante,
Tabbé cardinal de Boissy, mourut et fut inhumé à
Villendreu.
Jean, cardinal de Lorraine, trentième abbé.
Aussitôt après la mort d'Adrien Gouffier, le car-
dinal Jean de Lorraine est élu, par François I®*",
abbé commendataire Ae Fécamp.
Nous ne trouverons désormais aucun acte de
haute justice, dans l'officialité de cette ville; depuis
le règne de Louis XI, les grands criminels étaient
envoyés à Caudebec, quand ils devaient subir le
supplice de la potence , et à Rouen , si le crime en-
• GaU. christ. ^ tom. IL
(3i3)
traînait la peine du feu ou de la roue; il ne restait
à Fécamp que les punitions à infliger pour simples
vols ou délits qui seraient , de nos jours , du ressort
de la police correctionelle.
En 1 534 y 1 officiai de Fécamp condamna Jehanne
Fiquet a être exposée et fustigée powr avoir robe
(volé).
L'ancien pilori avait disparu de la place du mar-
ché, et était remplacé par une masse de maçonnerie
élevée seulement de 4 à 5 pieds à la surface du soi ;
cet échafaud était placé dans une certaine partie de
l'enceinte, et tout le monde, à Fécamp, se souvient
encore d'en avoir vu les restes ; on l'avait surmonté
de. plusieut*s poutres , contre lesquelles étaient fixés
les individus qu'on y exposait pendant quelques
heures. Jehanne fut placée contre l'une de ces
poutres , les mains attachées et la tête nue , et on
lui passa autour du cou un carcan ou collier de fer,
qui était large sur le devant , et contraignait ainsi
le patient à tenir la tête élevée en regard du public.
Après deux heures de honteuse et gênante expo-
sition , l'exécuteur des arrêts de la haute justice de
monseigneur Fabbé monta sur l'échafaud, et fus-
tigea avec de longues verdeltes ( baguettes ) la con-
damnée , qui fut ensuite remise en liberté.
La note des frais occasionnés par ce procès
existait encore , avant la révolution , dans les archives
de l'abbaye; elle est citée par dom Guillaume Fil-
(3i4)
liastre , dans sa Défense de F Exemption du monas*
tère de Fécamp.
Les vols avaient été d'abord assez fréquents dans
le marché de cette ville ; on trouva moyen d'y ap-
porter remède , au moyen de hautes murailles dont
il fut entouré < aussitôt qu'un vol avait été commis,
on en prévenait les collecteurs de la coutume, qui
fermaient immédiatement les portes de l'enceinte :
tout le monde , sans exception , était visité à sa
sortie ; ainsi , les voleurs n'ayant d'autres chances
que d'être découverts ou d'abandonner leurs lar-
cins , cessèrent tout-à-fait un genre d'industrie qui
ne pouvait que leur être funeste ^.
Nous rappellerons ici une procédure qui eut lieu
contre le nommé La Grenet, pour arrérages d'un
chapon de rente, dû à l'infirmerie, à cause de sa
maison nommée k Triperie , sise en la paroisse de
Saint-Léger *.
L'année suivante , l'official de Bouen fit un acte
de juridiction dans la paroisse de Saint-Gervais , dont
le curé et le vicaire étaient accusés d'avoir fait des
mariages contrairement aux canons de l'église. Les
religieux de Fécamp protestèrent contre cet empié-
tement d'autorité ; l'official de l'archevêché, revenant
■ Notes mss. sur Fécarap.
• ArchÎTes dép. ; cartons de Fécamp.
( 3i5)
à la charge , fit mettre en prison le vicaire de Saint-
Gervaîs, et fulmina des censures contre l'ofBcial
même de ce prieuré. Le cardinal de Lorraine fut
obligé d'intervenir y en faisant reconnaître les droits
et les privilèges de son monastère '.
François P' ayant perdu toutes ses ressources à
Pavie , résolut de mettre sur pied un corps d'infan-
terie , qu'il forma sur le modèle des légions romaines;
il commença par organiser ce corps en Normandie ,
s'y rendit, à cet effet, en i534 , et visita les places
de Fécamp , de Yalmont et de Dieppe. A Fécamp , il
logea au monastère avec toute sa cour; à Yalmont,
il assista au mariage de François de Bourbon ,
comte de Saint-Paul y avec Adrienne d'Estoule ville ,
seule héritière des grands biens de son illustre fa-
mille. On venait de reconstruire dans ce château la
belle galerie , en style de la renaissance, à laquelle
on donna le nom de François P' , à l'occasion de la
présence du roi. La cour se rendit de là à Dieppe ,
où François P' logea chez le célèbre armateur Angot ,
le même qui était fermier général des biens du mo-
nastère de Fécamp.
Pendant son séjour à Dieppe , le roi donna suite à
ses projets d'organisation militaire ; et comme il eut
dans le même tçmps à traiter quelques affaires rela-
* Défense de l'Exemption de Fécamp , par dora Filliasti*e«
( 3.6 )
tives au duché de Milan j il envoya en . mission , à
Rome, l'abbé de Fécamp, dont il connaissait le
caractère généreux et le grand crédit auprès de la
cour pontificale. Pendant que ces choses se pas-
saient , le roi d'Angleterre , Henri VIII, s'emparait
du port de Boulogne,
François P' répondit à cette attaque , non provo-
quée , par une expédition placée sous les ordres de
l'amiral d'Annebaut ; il fit réunir à cet effet , comme
auxiliaires, tous les navires normands qui existaient
dans les ports de Dieppe, Fécamp, le Havre et Har-
fleur, et cette flotte se dirigea immédiatement sur
les côtes de l'Angleterre. On voit que la marine
royale était encore peu considérable à cette époque.
1549. Henri II, parvenu au trône après la mort de Fran-
çois I , s'empressa de faire un voyage en Normandie.
Il visita Rouen , Dieppe , Fécamp , et fut reçu, dans
cette dernière ville, par le cardinal de Lorraine,
qui lui fit remarquer que les habitants en étaient gé-
néralement pauvres. Le roi leur accorda le privilège
dejrancsaléy consistant en dix muids de sel, qui
devaient être distribués annuellement par les officiers
des greniers royaux, moyennant la somme de 87 liv.
10 s. pour tous droits de gabelles '.
Le même privilège accordait aux pêcheurs autant
de sel qu'ils en auraient besoin , pour leurs salaisons
' Notes sur Fécamp, i;nss. de 1735
(3.7)
de harengs, maquereaux, morues et autres pois-
sons, avec liberté de le faire venir des marais de la
Rochelle et de Brouage ; mais il y eut immédiate-
ment , entre les fermiers royaux et les bourgeois de
Fécamp , un accord par lequel les premiers s'obli-
gèrent de fournir aux autres , en temps de paix , le
sel dont ils auraient besoin, à 90 liv. le muid, et en
temps de guerre , à 210 liv.
L'avenir de Fécamp , comme port de pèche, était
tout dans cette ordonnance de Henri II. Il n'y avait
encore , dans cette partie de la Manche, que la ville
de Dieppe qui fût en possession de cette faveur ,
et elle ne vit pas d'un œil indifférent ce privilège
accordé à une ville voisine , qui, grâce à ses intré-
pides marins, pouvait l'atteindre et la surpasser même
dans ce genre d'industrie.
Les habitants de Fécamp s'obligèrent, lors du
privilège , de fournir la moitié des fonds nécessaires
pour l'entretien de leur port et de sa jetée, qui était
en bois , à cette époque '.
"Nous trouvons ici un acte passé devant Laurent
Le Baube , tabellion de la baronnie et haute justice
de Fécamp. Etienne Halingues vend h Jehan de Cau-
quigny , seigneur de Theuville , capitaine et gou-
verneur de Fécamp , une maison voisine de la Sente-
» Notes sur Fécamp, rass. de 1735.
( 3.8)
aux-Malades j et du chemin allant de Saint*Léger
au Sépulcre. Le seul témoin , cité dans cet acte ,
est Pierre du Thuit, procureur du roi au grenier
et magasin à sel de Fécamp.
55q. Le cardinal Jean de Lorraine mourut en i55o,
et fut inhumé dans le couvent des Franciscains dé
Nanci.
L'abbaye de Fécamp lui était redevable de plu-
sieurs riches offrandes : d'abord, des cloches de
l'horloge et du feu; puis, d'une autre, qui pesait
ia,ooo livres, et qui avait été fondue par Antoine
Le Roux , abbé de Saint-Georges , ancien aumônier
de Fécamp, et théologal du cardinal de Lorraine.
Il donna , en outre, au trésor, douze chappes de
velours violet , deux de satin rouge , chargées de
croix de Lorraine, avec ses armes au chaperon; il
fit encore d'autres libéralités dont nous nous dis-
penserons de donner le détail '.
C'est lui qui, le premier, en sa qualité d'abbé
commendataire ^ fit, avec ses religieux, pour le par-
tage des biens de la communauté, un concordat
qui a eu force de loi , jusqu'aux derniers temps de
l'abbaye.
C'est ici qu'il convient de faire remarquer combien
les anciennes institutions , souvent excellentes pour
» Trésor de Fécamp , ms.
( 3.9 )
l'époque où elles ont été créées , ont besoin de ré-
formes , en s'avançant avec les siècles. Certes , les
monastères furent de grandes et nobles créations
dans un temps de bouleversement et de barbarie ;
ce fut dans leurs murs que les sciences et les arts ,
oubliés et méprisés , trouvèrent un refuge jusqu'au
moment où la nécessité et le besoin ardent de
s'instruire les fît rappeler de leur exil. Le clergé
l'égulier possédait , il est vrai , d'immenses domaines;
mais toutes les terres étaient en non valeur, quand
elles lui furent remises , et c'est à la sueur de son
front qu'il les a défrichées et forcées à produire ;
les revenus mêmes qu'il en retirait étaient employés
aux nécessités de l'Etat, à la création des établisse-
ments de charité et en subsides pour toutes les
guerres du moyen-âge , qu'on n'entreprenait jamais
sans son assentiment ou sa participation.
Plus tard, le gouvernement civil étant devenu
indépendant de l'église, on a eu besoin de solde pour
entretenir des armées nationales , de traitements
pour les hommes qui occupaient les grandes charges
de la monarchie. Le trésor royal ne pouvant faire
face à toutes ces dépenses , on a jeté les yeux sur
les biens des monastères qu'on a trouvés hors de
proportion avec les besoins de quelques moines livrés
au culte des lettres et aux pratiques de la religion.
Mais , comme on ne pouvait porter atteinte à ces
biens sans le consentement de la cour de Rome ,
( 3ao )
François I sentit la nécessité de transiger avec elle,
en partageant les dépouilles des abbayes. Tel avait
été le but de la mission de l'abbé Gouffier : par la
convention de Boulogne , on accordait au pape cer-
tains revenus qu'il devait prélever sur les maisons
religieuses , ou le rétablissement des annates , paya-
bles à chaque mutation des abbés ^ et on obtenait ^
en échange , du souverain pontife , le droit de nommer
aux abbayes ; convention bizarre j dit un auteur
ecclésiastique , qui remettait le temporel aux papes
et le spirituel aux rois.
Dès ce moment commençait la destruction des
maisons religieuses; les abbayes devinrent le salaire
des fonctionnaires de tous les ordres de l'Etat : mi-
litaires, ambassadeurs, chargés d'affaires et gouver-
neurs ; tellement que, dans les remontrances qui
furent faites , plus tard , à Henri III , par le clergé
de France , on voit que les évêchés , les abbayes et
les églises collégiales étaient entre les mains des
officiers d'armée ; qu'on entendait souvent ces mots
sortir de leurs bouches : mon évêché, mon abbaye,
mes prêtres , mes moines ; que, dans près de huit cents
abbayes auxquelles le roi nommait , il n'y avait pas
cent véritables abbés , et encore ceux-ci prétaient-ils
souvent leur nom à d'autres, qui, en effet, jouissaient
du revenu des bénéfices. Les églises étaient sans
pasteurs , les monastères sans religieux , et les reli-
gieux sans discipline. C'est dans cet état que nous
( 3ai )
verrons Tabbaye de Fécamp , durant le xvi* siècle ,
sous ses abbés commendataires : princes puissants
ou grands dignitaires ecclésiastiques, dont elle sera le
supplément de solde , pour les services éminents
qu'ils étaient censés rendre à l'État.
A cette époque arriva l'hérésie de Calvin. Quand
on vit que les bénéfices ecclésiastiques étaient devenus
la proie de tout le monde, tous voulurent y arriver,
et ceux que ne servit pas la fortune , se jetèrent
naturellement dans la réforme , qui était l'opposition
de l'époque. De là deux partis , dont les principaux
mobiles furent- l'intérêt , l'amour de la nouveauté
et le désir de s'affranchir de tout frein religieux ,
passions ardentes qui, s'emparant ''de l'humanité,
préparèrent un des siècles les plus agités et les plus
sanglants de notre histoire.
FECAMP
PEITDANT LES GUERRES DE RELIGION.
Charles , cardinal de Lorraine , trente - unième
Abbé.
La maison de Guise ayant pris un nouvel ascen- iSGo.
daut , après l'expulsion des Anglais de Boulogne ,
Charles, cardinal de Lorraine, hérita des titres et
bénéfices de son oncle Jean ; c'était une «conséquence
nécessaire du nouvel ordre de choses; Charles était
un prince distingué par son érudition et sa fastueuse
éloquence.
Nous avouerons que, pour écrire la période dans
laquelle nous allons entrer, nous n'avions d*abord
aucune donnée , aucun fait qui se rattachât parti-
culièrement à la ville de Fécamp ; nous l'avions même
traitée d'une manière assez succincte , bien qu'à
notre grand regret , lorsque le hasard nous a fait
découvrir les registres capitulaires de l'abbaye , re-
gistres destinés à recevoir les mystérieuses décisions
du cloître, à vieillir dans la poussièt*e denses ar-
chives, en dehors de tout contact extérieur; re-
cueil inconnu, même aux savants Bénédictins qui
ont écrit leurs annales , et qu'un bouleversement
seul de l'ordre social a pu faire arriver jusqu'en nos
mains inexpérimentées et profanes.
Nous avons extrait , de cette immense collection ,
les faits qui nous ont paru se rattacher à l'histoire
politique de Fécamp, aux événements qui ont atteint
nos devanciers jusque dansleurs intérêts les pluschers;
utile enseignement destiné à faire connaître qu'il y a,
pour tous les âges, une fatalité qu'aucune puissance
humaine, qu'aucun enseignement de l'histoire ne
peuvent conjurer , et qu'en admettant la possibilité
d'améliorations et de bien-être inconnus , aucun de
nous ne voudrait, cependant, passer par les rudes
( 323 )
épreuves qui hérissèrent la vie de nos pères de
tant de difficultés et de périls.
Nous apprenons , par les registres du chapitre de
Fécamp , que la communauté se composait alors de
soixante religieux y d'un grand nombre de novices ,
et que tous étaient sous la direction d'un grand
prieur qui représentait l'abbé.
Venaient ensuite d'autres dignitaires ou chefs
â'ordre, ainsi nommés : hôtellier^ célerier, pitan*
cier, chambrier, chantre, sous-chantre , pannetier,
jardinier, aumônier, réfecturier et sacristain.
Tous ces dignitaires, auxquels on adjoignait quel-
ques anciens religieux, composaient le chapitre,
sous la présidence du prieur ou d'un sous-prieur.
Chaque chef d'ordre , comme l'indique son nom ,
avait une partie de service à diriger, et un fonds
spécial pour les dépenses de son office ; s'il négligeait
de fournir les choses nécessaires , on en faisait rap-
port au chapitre, qui prenait aussitôt des mesures,
souvent très sévères, à son égard. Ainsi, dans une
plainte portée contre dom RoncheroUes , célérier ,
qui ne pouvait fournir le vin de Tordinaire , nous
voyons que ce religieux fut cité , « une fois , deux
tf fois , trois fois , sous peine d'enfreindre la disci-
tf pline canonique , de verser , sous dix jours , Tar-
ât gent qu'il devait au couvent pour la nutrition des
« religieux.» *
Dom RoncheroUes répondit : « Qu'il lui était- dû.
( 3a4 )
par monseigneur et son couvent, plus d'argent qu'il
n'en devait lui-même ; que , n'en ayant pas pour
payer ce qu'on lui demandait, il consentait que
l'on vendit ses meubles , et qu'on arrêtât sa portion ^
jusqu'à la concurrence de la somme réclamée. »
L'argenterie du couvent, et même la vaisselle
d'étain , étaient réunies dans un coffre et laissées
à la garde du trésorier; lorsqu'on en délivrait quel-
ques pièces pour les besoins de la communauté , on
les retirait du cotTre , en présence de témoins , et
les chefs d'ordre donnaient, en les recevant, un
récépissé qui était transcrit sur les registres du
chapitre. Ainsi, nous trouvons une distribution dont
il est fait mention en ces termes : « A dom Robert
« Gtodefroy, réfecturier, quatre chandeliers d'étain,
u six saUères rondes, deux esguières, six grands
«plats, douze écuelles; le tout d'étain. A dom
« Philippe de Sarbonnelle , chroniquier , une dou-
« zaine et demie de chopinettes , pour mettre le vin
• et l'eau pour dire la messe. Et à maître Roger ,
« clerc du cellérier, deux pots et deux chopinettes. •
L'abbé Charles de Lorraine vint à Fécamp , peu
de temps après avoir été appelé au gouvernement
de ce monastère ; sa présence fut signalée par di-
verses nominations à des emplois vacants : il délivra
des commissions de bailli et de sénéchal , pour le
bourg d'Argences , nomma Colin Rémond , barrij'er
et pionnier dix havre de Fécamp , espèce d'emploi
( 3a5 )
i^essembiant assez à celui de nos officiers de port j
et promut Michel Guérout à la place de sergent de
la vicomte de la mer ; il s'occupa aussi de l'organi-
sation intérieure du monastère, et proposa à ses
religieux de les nommer tous chanoines , distinction
qu'ils ne paraissent pas avoir beaucoup ambitionnée;
car ils lui répondirent : « Qu'ils étaient les très
« humbles et très obéissants serviteurs de monsei-
• gneur, et qu'ils se soumettraient totalement à son
« bon vouloir et plaisir , fût de les faire chanoines
« ou de les laisser moines * . ««
D'autres commissions furent délivrées, dans le
même temps , par le grand prieur de l'abbaye :
Joseph Bridelle et Pierre Chapelain , devinrent por-
tiers du fort, en remplacement de Briant et de
Brument , déçédés , et l'emploi de sergent des bois
de la côte de Notre-Dame-du-Bourg-Baudouin fut
donné à François Lenègre, pour l'exercer tant
qu'il plairait à monseigneur et à ses vicaires.
Le grand prieur donnait aussi des permissions
pour se livrer à la pêche : nous en trouvons une
conférée à Jehan Lefebvre et à Guillaume Barré ,
pour pécher et tirer la sène^ au havre de Fécamp
et aii bord de la mer. .
Le séjour du cardinal de Lorraine, dans cette
* Registres çapitulaircs.
( 3a6 )
ville, nous fait connaître un usage féodal qui exis-
tait alors dans une commune voisine. Cet abbé
étant allé à Senneville , y fut reçu par le seigneur
Puchot de Gerponville , qui , au droit de son fief
d'HabievilIe , avait le privilège de faire le service
de la coupe auprès de Tabbé , et de conserver le
verre dans lequel monseigneur avait bu.
On se ressentait encore dans le cloître ^es dé-
sastres occasionnés par l'occupation anglaise , et les
abbés commendataires n'étaient pas destinés à y
ramener le bien-être et l'abondance des anciens
temps ; aussi était-on continuellement aux expé-
dients , et obligé de recourir même à l'argenterie
du coffre pour se procurer 'de l'argent. « L^ i8
juin i556, dom Guillaume Rocque , trésorier,
remit une certaine quantité de vases et de couverts
d'argent , pesés par Guillaume Leport , apothicaire ,
à Marin Fontaine , receveur de l'abbaye , pour
être vendus et appliqués aux affaires de ladite
maison. »
Plusieurs décisions capitulaires donneraient aussi
à penser qu'il y avait un grand relâchement dans la
discipline religieuse; on en jugera par les recomman-
dations souvent adressées aux moines, d'assister aux
offices. Leur indifférence à ce sujet était tellement
connue , qu'elle avait donné lieu à cette plaisanterie
de Rabelais : « A quel usage , fait-il dire à Gargan-
« tua , ces belles Heures ? — A l'usage de Fécamp ,
« répond le moine, à trois psaumes, à trois leçons,
« ou rien du tout qui ne veut ^ »
En revanche , on voit que les religieux étaient
adonnés à tous les exercices des séculiers , et sur-
tout au plaisir de la chasse , et que , malgré les dé-
fenses de leurs supérieurs, ils s'y livraient même
avant que les récoltes fussent enlevées. Des prêtres
de la juridiction de Tabbaye montraient le même
goût que les moines pour cet exercice; car on re-
marque des permissions délivrées par le vicaire
général, à Raoul Chapel et à Clément Paumier ,
prêtres d'Ëlétot , « de tendre aux allouettes et aux
« corneilles , en défendant tous autres oiseaux dont
« la chasse était prohibée. »
On rencontrait aussi les religieux beaucoup plus
souvent dans les rues de la ville et sur les places
publiques que dans le monastère , et leurs noms se
trouvaient assez -indiscrètement mêlés à toutes les
futilités et médisances de la vie mondaine ; nous ci-
terons, pour exemple, une plainte portée par le grai-
netier du roi , au prieur, contre un de ses religieux,
• qui prétendait faire information sur sa vie, et
« disait plusieurs paroles injurieuses dudit grainetier,
« préjudiciant à son honneur , pour laquelle chose
* Les religieux de Fécamp avaient étendu leurs privilèges jusqu'à
se dispenser de dire leurs Heures , ou du moins de les dire toutes.
{ Note du Ctow*»""'^''"'"* ^^ Rabelais , liv. I , chap. 25. )
( 3a8 )
u le prieur lui demande une plainte écrite, pour faire
« punir son religieux selon l'exigence du cas. »
Il y avait y à cette époque, à Fécamp, un jardin
botanique , où des hommes de l'art cultivaient les
plantes nécessaires à la guérison des malades ; ceux
qui s'occupaient de ce soin adressèrent la pièce sui-
vante aux religieux : « Supplient humblement vos
humbles serviteurs et apothicaires Nicolas Gomes
et Guillaume Leport , son gendre , comme ainsi
soit que de tout temps ledit Gomes se soit exposé ,
lui et sa famille, à vous servir aux maladies affluentes,
de jour en jour , à vos dits religieux , en a quasi
consommé la plus grande partie de son temps en
jeunesse à y vaquer de jour et de nuit. Pour sub-
venir auxquelles maladies et être muni d'herbes
médicinales , il a par ci-devant loué de M. l'infir-
mier, un jardin, jouxte, d'un côté, les murs du
manoir du Yalasse , d'un bout, les fossés de la for-
teresse, et d'autre bout, le chemin tendant de Saint-
Léger à Notre-Dame-de-Grâce. Ces choses consi-
dérées et afin que lesdits suppliants puissent garder
en famille, de jour en jour , le temps futur , et soient
plus obligés à vos personnes , il vous plaise leur fieffer
ledit jardin , pour à la fin dessus dite ; en faisant pour
chacun an douze sous six deniers tournois de rente à
l'office d'infirmier , à la pitancerie deux pots de vin ,
et à la chambre de M. l'abbé , un chapon * . »
' Registres des Délibérations capitulaires de Fécamp.
( 3a9 )
Ija cour s'étant retirée à Blois, le cardinal de
Lorraine , qui l'accompagnait , fit confirmer le pri-
vilège concédé pat* Henri II , à la ville de Fécamp ,
au sujet du sel accordé en franchise aux habitants ,
tant pour leur usage personnel que pour les besoins
de la pêche. Nous voyons ensuite cet abbé, en qua-*
lité d'archevêque de Rheims, sacrer François II,
obtenir Tadministration des finances , et se rendre
au colloque de Poissy , pour porter la parole , au
nom des catholiques , contre Théodore de Bèze , qui
représentait le parti protestant dans cette réunion.
Les nouveautés religieuses avaient depuis long-
temps le privilège d'exalter les esprits , et journel-
lement des délits se commettaient envers l'abbaye
et les hommes de sa dépendance; leurs biens étaient
enviés, et les vols se multipliaient tellement, que les
monitoires et les excommunications se succédaient
et ne produisaient aucun effet , comme tous les
remèdes dont on abuse.
L'intérieur du couvent n'était pas moins agité ;
les nouvelles idées étaient l'arme des hommes qui
ne voulaient subir aucun frein religieux, et elles
entretenaient, parmi les moines, une fermentation
tout-à-fait contraire à la discipline.
Les premiers troubles un peu sérieux commen-
cèrent après le massacre de Vassi , et les protestants ,
en armes, s'emparèrent des principales villes de
Normandie. Rouen , le Havre, Fécamp, furent en-
( 33o )
levées par un coup de main , et à l'aide des nouveaux
sectaires , qui se multipliaient dans toutes ces villes.
Les moines de Fécamp ne furent à Tabri, qu'en te-
nant soigneusement fermées les portes de leur for-
teresse, dont ils étaient les seuls défenseurs.
Tous les jours , les livres de Calvin se répandaient
dans Fécamp , et ils trouvaient le moyen de s'intro-
duire jusque dans l'abbaye , par l'entremise des moines
novateurs. Les registres capitulaires sont remplis de
défenses ainsi conçues: «Le prieur interdit , sous
« peine d'inobédience , à tous les religieux , de com-
« muniquer avec ceux qui sont appelés huguenots
« ou grimauts ; il leur est également défendu de
« lire les libelles vulgairement appelés catéchisme
« de Calvin * , ou autres livres censurés,, prohibés
« ou interdits; ils devront, sous peine d'excommu-
« nication , dénoncer leurs confrères qui seraient
i< imbus de faux dogmes contre la doctrine catho-
u lique , ou qui répugneraient à croire les décisions
« des Conciles et des Pères. « Défense leur était
faite en même temps de se promener sur les rem-
parts, où leur présence excitait d'humiliantes et dan-
gereuses provocations.
i56a. Malgré toutes ces précautions , les esprits étaient
arrivés à un tel point d'irritation , que ce n'était ,
* <i Catechisnius de Calvin , ac alios quos vis libros censura
Dotatos. »
( 33i )
aux environs de Fécamp, que pillage et incendies,
sur toutes les propriétés appartenant à l'église. La
ferme des Plantis, située sur la côte voisine de
cette ville , fut exposée la première à la fureur de
ces bandes : « Le fermier fait savoir à la communauté,
tf qu'une foule d'hommes armés se sont introduits
" dans son domicile , ont outragé et maltraité ses
• serviteurs , pillé et emporté beaucoup de ses biens,
« meubles, toiles et laines; de quoi il est grande-
« ment incommodé , vu que ses serviteurs ne veulent
« plus rester à son service , et prie les religieux de
« prendre ladite ferme entre leurs mains. »>
Ces premiers actes furent suivis d'autres beaucoup
plus graves : une troupe de grimauts , à laquelle
s'étaient joints tous les mauvais sujets des environs,
se ruèrent sur les églises de Fécamp ; celle de Saint-
Etienne fut entièrement dépouillée de ses meubles
et objets servant au culte; presque toutes les autres
subirent le même sort , et Fécamp vit se renouveler,
par les mains de ses enfants, les profanations qui
avaient surpris de la part des hommes du Nord. Pas
une vitre ne resta entière à la plupart de ces églises ;
des hommes revêtus d'habits sacerdotaux , qu'ils
avaient pillés , parcouraient les rues de la ville , en
proférant des cris de fureur , entraient dans les tri-
pots, où ils s'enivraient, et payaient leur dépense
avec l'or arraché aux ornements sacrés , fruits de
leurs audacieuses et sacrilèges déprédations.
( 33a )
Le désordre aurait encore continué long-temps ,
si un gentilhomme de la ville , M. de Grandmont ,
n'eût assemblé une partie des bourgeois , qui s'ar-
mèrent à la hâte, pour en imposer aux perturbateurs
et garantir du pillage et Fabbaye et les maisons des
particuliers '. Pendant ce temps , les moines , armés
d'arquebuses et de pistolets , faisaient le guet sur les
remparts , prêts à repousser ceux qui auraient été
tentés d'attaquer leur maison.
Cette troupe y dissipée pour un moment, ne ces-
sait d'être menaçante , à cause des ramifications
qu'elle avait en ville , et jusque dans le monastère ;
d^s moines peu religieux profitèrent de cet état de
crise pour faire défection à leur ordre, et les novices
Octave Desiles et Richard de Recusson , furent les
premiers qui déclarèrent vouloir renoncer à l'état
ecclésiastique. «Pourquoi , demandait-on , dans le
chapitre , à ce dernier , voulez-vous maintenant
quitter le monastère , et ne l'avez pas fait avant
d'avoir prononcé vos vœux? — Parce que, répondait-il,
' « M. de Graudmont requit , quelque temps après , les religieux
de lui donner des lettres pour M. Pabbé , lui faisant entendre les
bons services qu'il a^ait rendus à l'abbaye pendant les troubles.
Ces messieurs lui répondirent qu'ils reconnaissaient ses services ,
mais , craignant d'importuner monseigneur , auquel ils avaient
naguère écrit pour les habitants de ce lieu , sur quoi ils n'avaient
pas encore de réponse , qu'il attendît Farrivée de monseigneur. »
( Registres capitulaires. ]
( 333 )
la vie régulière ne me convient pas , que j'ai em-
brassé cet état par suite des obsessions de ma famille ,
et que mon père étant mort, je veux rentrer dans
la vie séculière , plus conforme à mes goûts , et plus
favorable à ma santé. » Le monastère perdit, dans le
même temps, et pour différents motifs, près de la
moitié de ses religieux.
I^ crainte continuelle d'une surprise fît prendre
au prieur diverses mesures de sûreté , concernant
les objets précieux et l'argent que renfermait le tré-
sor; ce fut de les en extraire, et de les donner en
garde aux moines et à leurs familles; et l'on est
tout surpris de voir, pendant les quatre h cinq an-
nées qui vont suivre, des sommations faites sans
cesse et sans résultat pour faire rentrer ces richesses
au trésor.
Dans le même temps , l'abbé Charles de Lorraine
faisait réunir , par son représentant , une quantité
de riches reliquaires, couverts de pierres précieuses,
une image de la Trinité, deux grands chandeliers,
deux croix , une coupe couverte , une crosse , un
bénitier et l'aspersoir, deux encensoirs et une na-
vette en argent , et ordonnait de tout transporter à
l'hôtel de Cluni , à Paris , pour le remettre à son
bijoutier , qui fondit ces riches dépouilles, dont le
poids s'éleva à aie marcs 6 onces.
« Ceci, ajoute, avec un sentiment d'indignation
« visible, le bénédictin de Fécamp qui nous a fait
( 334)
« connaître cette particularité , ceci est couché sur
«le mémoire dudit orfèvre, signé dudit seigneur
« abbé , comme je Tai vu ; il dit , à la suite de son
V signe, avoir employé le reçu de ces argenteries à
« payer la taxe faite par le clei^é sur l'abbaye de
«Fécamp'.w
Ce prélèvement forcé et le sacrifice d'objets si
précieux n'empêchèrent pas de vendre la maison de
Paris , située rue Serpente , pour satisfaire à la même
cotisation.
La Cour y apprenant les désoMres qui régnaient
en Normandie , envoya une armée ,' qui s'empara de
Rouen , et le duc d'Aumale, chargé de faire respecter
l'autorité du roi dans les villes du pays de Caux ,
vint à Fécamp^le 12 juin i562.
La soumission de Rouen fut bientôt suivie de
celle du Havre , dans lequel la reine Elisabeth , qui
protégeait la réforme, avait jeté trois mille Anglais,
sous les ordres de Warwick. L'armée royale, com-
mandée par Brissac , alla camper devant le Havre ,
et, pendant qu'on s'occupait des travaux du siège,
Catherine de Médicis vint passer quelques jours à
Fécamp. Ce furent les religieux de ce monastère
qui fournirent les tapisseries et les teutiires néces-
saires pour meubler le manoir de Yitanval^ oc-
■ Trésor de Fécamp , mss.
( 335 )
cupé par la reine et son fils, pendant la durée du
siège'.
Aussitôt que cette ville fut prise , Charles ÏX
vint avec sa mère à Fécamp , où on lui fit une ré-
ception aussi brillante que les temps malheureux le
permettaient. Deux canons, placés sur la plate-
forme de la tour de Saint-Etienne, firent de nom-
breuses décharges, et communiquèrent le feu à la
charpente voisine'*. On ne tarda pas à s'en rendre
maître, et c'est une erreur de dire que l'incendie
fut cause de la ruine de cette église, tandis que tout
prouve, au contraire, qu'elle n'a jamais été ter-
minée.
Il y eut à Fécamp une courte période , qu'on pour-
rait appeler tranquille, si on la comparait aux an-
nées précédentes ; mais là , comme partout ailleurs ,
les esprits ne pouvaient rester statiounaires sur la
voie de la prétendue réforme, dont on reconnais-
sait les progrès à la fermentation qu'elle excitait de
toutes parts : chaque jour les attaques et les vols
recommençaient sur les propriétés de l'église et
jusque dans le monastère lui-même. Nicole Debras,
vicaire-général du cardinal de Lorraine , annonce
au chapitre qu'on s'est introduit dans sa maison ,
par les> jardins , qu'on a enlevé tous ses meubles, et
■ Castelnau et Da^ila , Histoire des Guerres civiles,
^ Note manuscrite aux archives de la mairie de Fécamp.
( 336 )
jusqu'aux animaux de sa basse-cour < , lesquels
étaient en grande quantité. Des meublés , des ma-
telas disparaissaient (du dortoir ^ et, eu faisant
l'inspection de la relique du précieux Sang, on
s'aperçut que les ailes en argent des deux anges du
petit reliquaire avaient été enlevées.
La plupart de ces désordres tenaient sans doute
aux fâcheuses relations de quelques moines avec des
hommes du dehors, et les précautions prises an-
noncent l'état d'anxiété dans lequel se trouvaient
les esprits. Un jour, « le prieur est averti qu'on veut
(c surprendre la maison ; il défend , en conséquence ,
« à messieurs les religieux de hanter ceux de la
tf religion nouvelle , ni de les introduire à boire et
« manger dans leurs chambres , ni de les recevoir
(c dans leurs lits , à moins qu'ils ne les connaissent
« bien et qu'ils puissent en répondre. »
On recommande au geôlier de fermer les portes
de la forteresse , après Vespres dites , « et de
« n'ouvrir l'huys à personne qu'il ne connaisse , et
« s'il vient quelques gens auxdites Vespres , ou
a autres armés , qu'il leur demande à qui ils ont
(C affaire , et leur fasse oter leurs armes avant de
« les introduire. »
On recommande aussi au clerc de l'hôtellier,
Nicolas Vinot , de fermer, sitôt la Messe dite,
Gallinap et galli Indoruin. {Reg, cap. de Pécamp,)
(337)
les portes et l'huys de dessous le pupitre , et aux
officiers du couvent de faire boucher les portes
de leurs jardins y « de peur que par là il n'advienne
c< inconvénient de la part des ennemis. »
Il est défendu aux moines d'avoir dans leurs dor-
toirs des armes , telles que hastes , anses , poignards y
catapulses à feu y appelées , en français , hurque'-
buses ou pistolets y ni d'en être munis, soit dans
les champs, soit sur l'eau, ou partout ailleurs ; ils
devront déposer cet attirail de guerre chess le
prieur, pour s* en servir seulement en cas de né--
cessilé.
Ces ordres paraissent avoir produit peu d'effet ,
surtout parmi les jeunes religieux; car jamais ils ne
sortaient dans les rues de la ville sans être armés , ce
qui leur donnait plutôt l'apparence de gens de guerre
que de gens d'église. A ces promenades militaires
grotesques , succédaient des processions générales ,
où la relique du précieux Sang était portée en
triomphe, au milieu des piques, des bannières , des
cris des pénitents , des détonations des pistolets et
des arquebuses.
Ces démonstrations énergiques n'empêchaient ce-
pendant pas le parti contraire de traiter avec une
telle irrévérenoc tout ce qui appartenait au culte ,
que les habitants de Saint-Fromond et de Saint-
Thomas demandèrent que « pour obvier et remédier
«aux pollutions, ordures et immondices, se corn-
22
( 338 )
tt mettant en leurs cimetières j et même pour em-
« pêcher que les sacrilèges , pilleries et fractions de
• vitres, qui, quelquefois, se faisaient auxdites,
« églises ne s'y fassent plus à l'avenir , il leur fut
« permis de faire fermer et clore lesdits cimetières. »>
Le dimanche , pendant les offices et les prédica-
tions, les tavernes du bourg ne désemplissaient pas
de buveurs , de joueurs et de gens qui se querel-
laient , ce qui était contraire à un ancien édit du roi,
qu'on voulut remettre en vigueur; il fut représenté
dans le chapitre : a Qu'au lieu du marché et quelques
« autres places publiques du même bourg , durant
« les offices , on joue ordinairement , tant au jeu de
(c paume qu'au jeu de quilles et de boulettes, et
(c qu'il est bon d'admonester les officiers de monsei-
« gneur , auxquels appartient de donner ordre à la
a police de ce lieu, et qu'ils ayent égard à faire
« cesser les jeux de tavernes , durant le service et
(C prédications , ou bien qu'on en advertira nionsei-
a gneur ; à quoi les officiers présents ont répondu ,
<( qu'ils y donneraient bon ordre, et que, même le
(( jour de la dernière procession sotemnelle , qui a
« été depuis douze jours , ils envoyaient les sergents
« par les tavernes, pour faire vider ceux qu'ils y
« trouvaient, et qu'ils continueraient ce travail à
« l'avenir. »
L'administration des revenus de la communauté
était difficile sous l'influence de tous ces désordres ;
( 339 )
aussi le besoin d'argent se fait-il sentir à tel point ,
que les marchands de poisson ne veulent plus rien
livrfer à crédit. Le receveur ne peut , lui-même ,
fournir la pitance le jour de la Pentecôte ; on le
condamne y pour ce fait , à une amende de deux
ëcus. On se plaint de la mauvaise qualité du pain ,
et de ce que le célerier ne donne pas la mesure de
vin qui est due , (c soit par sa faute ou par celle de
cr ses vaisseaux»; ordre est donné que la vaisselle
s<Mt visitée el jaugée. On veut retenir la portion de
vin des moines placés à Tinfirmerie , en disant qu'ils
devaient se contenter de la boisson faite par l'apo-
thicaire, laquelle coûtait grand argent. Ce régime
n'étant pas de leur goûty tous réclament contre
l'exécution, de cette mesure , « qui les prive de ce
qui leur appartient , conformément aux sentences
précédemment portées aux registres. »
On demande de l'argent au jardinier, qui ne peut
se libérer, à cause des troubles et de la peste qui
sont interifenus ; il paraît que ce dernier fléau sé-
vissait avec beaucoup d'intensité; car on recom-
mande de tenir les portes fermées , pour éviter le
danger des maladies « de quoi le bruit est fort grand
dans le pays * . » Enfin on a recours , de nouveau , à
* Les religieux de Fécamp vendent aux administrateurs de THâ-
tél-Dieu de la Madeleine de Rouen , quatre acres de terre , situées
sur fa paroisse de Saint-Genrais , pour y bâtir un hdpital pour les
malades de la [este et contagion. {Trésor de Fécamp , mss.)
( 34o )
ce qui reste de la vaisselle (Uargent du coffre , dont
on fait vendre une partie; on engage le fief d'Ha-
bleville, pour une certaine somme , dont on se libère
bientôt après , en vendant une autre portion d'argen-
terie. On vend tout ce qui peut être vendu , et
jusqu'à deux pièces d'artillerie , en mauvais état,
qui étaient sur les remparts; le produit en est em-
ployé à payer divers gages qui étaient à la charge
de la communauté.
1574. La mort de Charles IX fut immédiatement suivie
de celle du cardinal de Lorraine; cet abbé, par
son éloquence , sa doctrine et ses promesses , était
parvenu à se mettre à la tête du clergé français, qui
^ tenait uni, sous lui, comme sous un chef, pour
se défendre contre les hérétiques et les politiques
qui voulaient envahir les biens de l'église. On sait
qu'il se trouvait à Rome lors du massacre de la
saint Barthelemi, et que son frère, le duc de Guise,
fut l'instigateur de cette horrible mesure. Il est par
conséquent bien difficile de penser qu'elle n'eut pas
l'assentiment du cardinal , et d'en laver entièrement
sa mémoire.
Louis de Lorraine , trente-deuxième Abbé.
Louis de Lorraine, cardinal de Guise, neveu du
dernier abbé , et son coadjuteur en qualité d'arche-
vêque de Rheims , lui succéda dans tous ses titres
et dans la possession de l'abbaye de Fécamp.
( 3/,t )
On se rendra difficilement compte des rapports qui
eurent lieu entre cet abbé et son monastère. Tout
entier aux affaires politiques , nous le voyons , de con-
cert avec Henri III, établir des confréries , se mettre à
la tête des processions, qui devinrent par la suite
les régiments de la Ligue , surtout après le décès du
duc d'Anjou. La mort de ce prince rendait le roi de
Navarre le plus proche héritier de la couronne ,
et servait de prétexte aux agitateurs , qui craignaient
d'avoir pour roi un prince séparé de l'église. Le duc de
Lorraine et le cardinal abbé de Fécamp , furent nom-
més, par le pape, lieutenants généraux de la Ligue.
Maintenant , sous prétexte de religion , apparaît
une nouvelle ère de fureurs , de crimes et d'assassi-
nats. Le roi , prisonnier des Guises , n'a d'autre au-
torité que celle qu'on lui arrache pour gouverner
en son nom. Les protestants, de leur côté , ayant à
leur tête le roi de Navarre, munissent leurs places,
et ne négligent rien pour consolider leur pouvoir et
propager leurs doctrines.
Dom Nicolas de Campion est promu, à cette
époque difficile , grand prieur de l'abbaye; il cherche
à ramener quelque peu de discipline parmi les moines,
et ordonne des réparations qui paraissent urgentes :
on travaille au canal de la voûte , dont l'eau se
perd dans les prairies, et, sur la requête de Jacques
Lombard, écuyer, tenant à ferme la prévoté et
droit de coutume , on reconstruit quelques maisons
dans l'enceinte du marché.
( 342 )
Le chapitre accorde aussi quelques permissions
pour établir des colombiers : à Guillaume Holley.,
à Ecretteville; à Nicolas Du val, écuyer, h Sauseuze-
mare j et à Nicolas Mansel , bourgeois de la ville de
Dieppe , à Saint-Pierre-en-Port , pour laquelle per-
mission « il a été baillé deux écus sols par noble
« homme Isaac Berruyer , commissaire ordinaire de
« la marine , capitaine des ports de Saint-Pierre et
« des Grandes-Dalles , valet de k; garde-robe du
a roi , gendre dudit Mansel ; lequel Berruyer ob-
« tient, pour son compte, permission de construire
u édifice , de bâtir trois tourelles , et en Tune d'icelle,
tt faire élever une volière à pigeons. »
Quelques officiers pourvus de charges par Tabbé
de Lorraine, vinrent à Fécamp, pour se faire re-
cevoir à la juridiction de cette ville ; comme ils
n'avaient communiqué leurs commissions ni au
prieur ni aux religieux, ce qui était contraire aux
usages reçus , puisqu'ils appartenaient en même temps
h l'abbé et à la communauté, le prieur donne ordre
à l'hôtellier de se rendre à la cohue , pour empêcher
la réception de ces officiers, en disant qu'il n'y avait
pas besoin de bailli à Fécamp , puisqu'un des reh-
gieux en exerçait la charge. Le sieur Dufou, pourvu
de l'emploi contesté , transigea avec le chapitre , et
ne prit que le tjtre de juge vicomtàl.
i588. P.endant que ces choses se passaient, le roi, in-
digné de se voir le prisonnier et l'instrument d'une
( 343 )
faction , assemble les États à Blois , se dëfait des
Guises 9 doht l'audace ne garde plus aucune mesure.
Le duce^t assassiné le ^3 décembre , et son frère ,
le cardinal abbé de Fécamp, le 24.
Un homme courant à pied , à travers champs ,
arriva la nuit à Fécamp, après avoir été dévalisé en
chemin , par les gens de guerre ; c'était ïehan Richer,
tiiusicien de monseigneur l'abbé de Lorraine , qui
venait annoncer la nouvelle de la mort de son maître.
D'abord on se refusa d'y croire , mais peu de jours
après on acquit , dans le cloître, la triste certitude de
cet^vénement. Vite on s'empressa d'écrire des lettres
de condoléance à M. le duc du Maine, à M. de Ne-
mours et à madame de Guise la mère : l'hôtellier fut
expédié pour porter ces dépêches.
On fît immédiatement , avec beaucoup de pompe ,
une cérémonie funèbre en l'honneur du cardinal et
de son frère , et des processions générales eurent
lieu , tous les jours, jusqu'après leurs obsèques.
Cet assassinat et les expiations qui le suivirent
échauffèrent également l'imagination des factions con-
traires : les catholiques, irrités, s'exaltaient par la
pompe des cérémonies ; l'audace des protestants s'ac-
croissait de l'idée que la cour allait être obligée de reve-
nir à leur parti. Tout est en mouvement dans les
campagnes et autour de l'abbaye. Le capitaine de la
forteresse étant allé à Dieppe, M. de Coqueréaumont,
son lieutenant , fait prévienir les habitants du bourg
( 344 )
et le chapitre qu'il serait boa de se tenir sur ses
gardes, à cause des ennemis, et de faire fermer
tous les huys qui donnent sur les fossés; mesure
de prévoyance qui est adoptée par la Commu-
nauté.
Le prieur est insulté dans les rues, par une
bande de furieux, qui lui reprochent d'avoir fait
renvoyer du monastère des hommes suspects d'hé-
résie , qui fréquentaient ses religieux. M. de Goque-
réaumont , le sacristain , et plusieurs personnes , qui
étaient sortis Ibm la ville , sont enlevés et retenus
prisonniers par une bande de cavaliers qui battaient
les campagnes. Dans, ces conjonctures difficiles , on
agite, au chapitre , de mettre de nouveau en lieu
de sûreté l'argenterie qui se trouvait au coffre;
quelques religieux pensent qu'on peut encore at-
tendre, vu que l'essai précédent n'avait pas très
bien réussi. Le vicomte de Montivilliers arrive sur
ces entrefaites à Fécamp, et communique des lettres
de monseigneur le duc du Maine , que lui a adressées
M. de Villars, gouverneur du Havre. Ces dépêches
font connaître les forces et desseins du roi de Na-
varre, et M. de Villars ajoute : « Qu'il est besoin que
« toutes personnes religieuses se retournent devers
« Dieu , pour implorer son aide , par des prières et
« oraisons publiques et particulières ».
Le chapitre délibère :
0 Qu'on est prêt à obéir aux ordres de M. de Vil-
( 345 )
« lars, et à contribuer par tous les moyens à
m ravancement et bien de Furiion. »
Ces recommandations produisent un effet élec-
trique sur tout ce qui est attaché par sentiment ou
conviction au parti de la Ligue : anciens militaires ,
bourgeois , officiers de l'église, juges des tribunaux,
religieux ou séculiers * , tous prennent les armes et
forment des compagnies , sous les ordres de M. de
Morel de Saquen ville , capitaine de la fprteresse de
Fécamp , et gouverneur de cette partie du pays de
Caux. Le chapitre déHbère qu'il y iâra des proces-
sions générales le dimanche , le mercredi et ven-
dredi de chaque semaine. Une lettre, reçue de
Rouea, annonce que ces cérémonies y ont lieu tous
les jours , ^ parce que les armées sont en présence ,
« et que celles de M. du Maine a de très' grandes
« forces. »
Enfin, M. de Villars juge que la forteresse de
Fécamp n'est pas susceptible d'être défendue, et
qu'il est utile que ce point de la rive maritime ne
soit pas occupé par ses adversaires. Il ordonne de
construire un fort sur la montagne de Notre-Dame
du Bôurg-Baudouin , qui domine l'entrée du port ;
* Le lieutenant général de la baronie de Vittefleur demande à
toucher ses gages , bien que n'ayant pas résidé , vu qu'il fait le
service au parti de la sainte Union des catholiques. (Délibérations
capitulaires. )
(346)
la communauté a'en est instruite que par la présence
des ouvriers qui rasent ses bois de la cote, -pour
commencer leurs travaux.
Le chapitre en porte plainte aussitôt au capitaine,
lequel répond : a Que c'est du commandement de
« M. le duc du Maine et de M. de Villars, et^ «^ant
« été requis de faire apparoir leur commandement ^
« n'a voulu le faire. De là fait que messieurs les re-
« ligieux se sont assemblés et ont délibéré d'écrire à
« M. de Yillars , et d'engager les habitants à écrire
« aussi ; sur quoi on les fera avertir qi£Us se réa^
« nissent à cet effet chez le prieUr. Ce qu'ayant su ,
« ledit capitaine s'est trouvé chez le prieur^ en di-
(t sant qu'il n'appartenait qu'à lui de faire de pareilles
« convocations d'habitants; que c'était aller contre
« son autorité , et ne le trouvait pas bon : auquel
« ledit sieur prieur a fait réponse, que plusieurs
« fois il les avait fait assembler pour les affaires qui
« se présentaient ' ; mais puisqu'il ne le trouvait pas
« bon j il ferait contremander qu'ils n'eussent point
« à venir. »
Cependant la communauté ne s'en tint pas à cette
première démarche , et elle envoya , au Havre , un
messager à M. de Villars, pour faire des représen-
tations. Celui-ci fit promesse de répondre à ce sujet;
' Ce passage curieux fait conuakre qu'on assemblait quelquefois
les bourgeois , .pour les affaires qui concernaieut la commattis.
(347)
en effet, peu de jours après, le régisseur, M. Fon-
taine , reçut une lettre , par laquelle il lui enjoignait
« qu il eût à fournir l'aident dû par les redevables
< de cette maison , tant en cette baronie qu'en
• celle de Vittefleur , pour payer les manœui^riers
« qui tra\>aillaieni au fort de Notre-Dame , et qu'en
« toute diligence il eût à en trouver sans faire déli"
« bération, et sans attendre autre commandement
« que les présentes. »
En donnant connaissance de ces lettres impéra-
tives, le procureur Fontaine feit observer qu'elles
sont de rigueur et de rudesse , et- qu'il ne pourra rien
fournir au couvent, tant qu'il sera oblige de faire
f$^ce à des dépenses extraordinaires.
L'embarras des moines recommençant incontinent,
ils adressent un Mémoire à la Cour, pour faire
connaître leur position,,et demandent à M. de Bornes,
procureur de l'abbaye , à Rouen , et son représen-
tant auprès des diverses juridictions de cette ville,
s'il y a un abbé de nommé, ils lui envoient en même
temps un Mémoire, qu'ils le prient de présenter au
Parlement, afin d'obtenir un arrêt contre le procureur
Fontaine. Le chantre est désigné pour porter ce mes-
sage ; tout est prêt pour son départ et il ne s'agit plus
que trouver six livres pour la location d'un cheval ;
on est obligé de vendre une pièce d'argenterie pour
&ire face à cette dépense imprévue.
M. de Bornes promet aux religieux de leur en-
( 348 )
voyer de l'argent , « mats il les prie d'avoir ëgai*d
« au malheur des temps , et leur représente l'état
« des autres communautés , eu ajoutant qu'ils re-
« connaîtront que celle de Fécamp est seule exempte
« de beaucoup de calamités , desquelles il prie Dieu
« de vouloir les préserver. Il a appris que les reli-
« gieux de Saint-Denis , qui ont été ci-devant les
« mieux pourvus , ont été trois mois à manger seu-
« lement un peu de pain de son et boire de l'eau,
« et ne sont guère mieux maintenant. »
On était tellement au dépourvu , que , pendant
l'absence de M. Fontaine, on envoya un religieux à
sa femme, pour savoir si elle pourrait nourrir la
communauté seulement pendant huit jours , et con-
naître les instructions qu'elle avait reçues de son
mari; cette dame « fit voir et goûter de la boisson
« qui était en sa cave , consistant en deux pièces de
«vin blanc, deux autres de vin clairet, et deux
0 autres dont on avait tiré quelque peu; lequel vin
« fut trouvé bon et potable, et, madame Fontaine,
« d'après les lettres de son mari , dit qu'elle s'occu-
« perait de satisfaire messieurs les religieux pour
« leur nourriture, et tout ce qui lui serait possible. »
Aymart de Chattes, trente-troisième Abbé.
On était dans cette période d'anxiétés et de be-
soins, lorsqu'on apprit la nomination du nouvel
( 349^
abbé. On peose bien qu'après le massacre de Blois,
les Guises n'avaient plus rienàdemander à HenrillI;
aussi ce prince donna-t-il l'abbaye de Fécarop à
^Aymart de Chattes , commandeur de Malte et gou-
verneur de la ville de Dieppe , où , évitant les excès
des calvinistes et des ligueurs , il recommandait aux
habitants la paix et l'union , bienfaits qu'ils ne pou-
vaient .rencontrer que sous la bannière du roi.
D'un autre côté j les Guises , qui regardaient l'ab-
baye de Fécamp comme leur patrimoine, firent des
instances très vives auprès du. pape , pour la faire
obtenir à quelqu'un de leur famille. Le Saint Père,
ne pouvant rien leur refuser , Louis de Lorraine
fut nommé abbé commendataire de Fécamp ,
en remplacement de son oncle le cardinal. 11 est
exprimé , dans la IdjuH^ du pape , qu'attendu la dif-
ficulté des chemins, et le peu de sûreté qu'il y aidait
de se. transporter sur les lieux , la possession de
l'abbatiat pourra se prendre dans une. chapelle de
l'église métropolitaine de -Rheims, ou dans toute
autre église cathédrale '. .
. Malheureusement pour les vues du Saint Siège ,
le Concordat fait sous François T' existait toujours,
et les prétentions de Louis de Lorraine furent reje-
tées par le PaiJement de Caen , en 1 69 1 , et , quelque
temps après , par le conseil du roi , Aymart de Chattes
..i.«» iiii " I I I II ■
' Archivas dép. ; cartons de Fécamp,
( 35o )
fut envoyé en possession des fruits de l'abbaye de
Fécamp.
Cet abbé militaire , qui s'entendait mieux à diriger
des bandes de soldats que des gens d'église , vint
cependant à Fécamp, pour faire connaissance avec
ses religieux; ceux-ci lui .exposèrent leur état de
pénurie et la position financière de la communauté,
qui n'était pas des plus brillantes; Il fit quelques pro-
messes , qui tardaient à se réaliser ; on lui écrivit
pour lui rappeler ses engagements , et il fît réponse
« que c'était avec peine qu'il voyait les souffrances
« de la communauté, dues à la misère des tenips^
« que les revenus de la vicomte de Fécamp, de Vitte^
« fleur et autres étaient plus que suffisants pour l'en-
« tretien des religieux , qu'il ne retirait que peu de
« choses des revenus de Veules , et qu'ils ne vou-
« draient pas le voir privé de cette petite commo-
a dite ; il leur envoyait vingt passe-ports , pour
« aller et venir dans toutes leurs affaires. »
I^es grands événements militaires qui avaient
attiré les armées aux environs de Paris , laissèrent
un moment en repos la vicomte de Fécamp, et le
fort dii Bourg-Baudouin put être tçrminé. Le sieur
de Catteville, son premier capitaine, avait été déjà
remplacé par M. de Morel de Saquen^ille , en qua-
lité de capitaine des bourg et forts de Fécamp.
Au moyen de cette nouvelle forteresse, la Ligue
était toute puissante dans la vijle ; elle s'y trouvait
( 35i )
même dans une profonde sécurité , lorsqu'un parti
du roi de Navarre vint s'établir devant les forts de
Tabbaye, qui furent emportés après une résistance
de peu de durée ; il y laissa en garnison deux com-
pagnies, commandées par les capitaines De la Poterie
Dauphine et Bréchinal , qui interceptèrent les com-
munications entre la ville et la forteresse de Notre-
Dame.
Cette position était intolérable pour le parti
contraire, aussi Villars s'empressa-t-il d'accourir
avec de grandes forces , pour assiéger et reprendre
la vieille forteresse de Fécamp; des batteries furent
dressées devant les remparts, et elles n'eurent pas
plutôt fonctionné, que les assiégés s'aperçurent qu'ils
n'étaient pas assez forts pour se maintenir dans la
place*
Les capitaines De la Poterie et Bréchinal , après i^qi.
deux mois d'efibrts inouïs , comme on devait l'at-
tendre de tels hommes élevés à l'école du roi de
Navarre , voyant qu'ils étaient sur le point de suc-
comber j désirèrent obtenir une composition satis-
faisante de leurs adversaires. Pensant que les reli-
gieux pouvaient leur servir d'utiles intermédiaires :
« ils les supplièrent que , s'ils avaient quelques faveurs
(c vers le sieur de Villars ou quelque capitaine de ses
« troupes , il leur plût parier à eux , et leur dire de
ce leur part ( d'autant qu'ils estimaient qu'ils seraient
<i plus ouïs que non pas eux ) que s'il leur plaisait les
( 352 )
« vouloir recevoir à honnête composition, ils étaient
«prêts à rendre la place, autrement qu'ils avaient
« envie de tenir bon et de mourir à la brèche. Sur
« quoi messieurs ayant délibéré, pour leur faire plai-
« sir, ont désigné M. le pannetier et raumônier et
«sous-prieur, pour parler à quelques-uns des capi-
« taines dudit sieur de Villars, et après, lesdits sieurs
« désignés se sont transportés à la maison de M. l'au-
« mônier, et étant montés en certaine galerie qui est
(c sur les murailles , ayant fait battre la caisse , par
« Tordre des capitaines susdits , ont demandé à parler
a à M. de Bosroseyy l'un des capitaines desdites
m troupes y pour lui dire ce que avaient charge
(c de la part des sieurs De la Poterie Dauphine et
« Bréchinal ; toutefois ledit sieur de Bosrûsejr ni
a autres capitaines desdites troupes n'auraient voulu
ic entendre combien que plusieurs fois lesdits sieurs
« religieux les ayent appelés et fait appeler venir ,
« continuant à leur dessein , ont fait brèche <f et sont
« entrés en assaut dans ladite forteresse. »>
Nous regardons ce passage comme très curieux
pour l'histoire de Fécamp , puisqu'il relate une prise
d'assaut inconnue, et qu'il fait mention, pour la
première fois , du capitaine Bois-Rosé , devenu de-
puis si célèbre par un autre fait d'armes des plus
extraordinaires.
Ainsi , la forteresse de Fécamp se'trouvait'encore
une fois au pouvoir de la Ligue; mais ce n'était pas
( 353 )
sans de grands dommages pour le monastère et les
habitants, que la présence des armées ruinait sans
cesse : le sieur Barbey , fermier à Senneville , de-
mande remise de ce qu'il doit à l'abbaye, a vu le
ce ravage des guerres et des deux armées qui ont
a séjourné devant le fort de ce lieu , environ deux
ce mois, et qui lui ont pris ses bétes à laine, ses
ce vaches et ses récoltes. »
François Deneuve , de Saint-Léonard , adresse à
la communauté la même requête , et pour les mêmes
motifs.
Quelques maisons de Fécamp eurent aussi beau-
coup à soufirir de ce siège : celle de Jehan Duval ,
située près du pont de la porte du Bail , fut entiè-
rement ébranlée et ruinée par le canon que les as-
siégés avaient placé sur cette porte.
En même temps, Villars écrit aux religieux :
qu'ils lui ont manqué de parole, et que, s'ils ne lui
comptent pas ce qui lui est dû, il saura bien se
faire payer ; ceux-ci lui répondent qu'ils manquent
de tout depuis trois semaines , et qu'ils n'ont reçu
^utre chose que leurs vivres. Us donnent cependant
commission au chambrier de se procurer de l'argent
comme il pourra ; ce dernier ne trouve d'autre ex-
pédient que de mettre en vente quelques coupes de
bois , en les faisant proclamer à la cohue ; mais
personne ne se présente pour en acheter, parce que
chaque jour on enlève des arbres pour le fort, que
( 354 )
les soldats les prennent j tantôt dans un endroit ,
tantôt dans un autre , et coupent celui qui leur
semble le plus beau , à la hauteur de trois pieds.
On porte plainte de ce pillage au capitaine de Sa-
quenville, plainte qui ne j*emédie à rien, car M. de
Villars, ne voyant pas arriver d'argent, fait arrêt
sur les deniers de Jehan Guillebert, niçûnier du
grand moulin, lesquels sont vei*sés par ce dernier à
l'acquit de la communauté.
Il était rare qu'un événement ne fut immédiate
ment suivi d'un autre, sur cette terre de Norman-
die, journellement ravagée par les partis. Villars
ne se fut pas plutôt emparé de Fécamp , que l'armée
du maréchal de Biron apparaît au loin , menaçante ,
et paraissant se diriger vers les remparts de cette
forteresse.
M. de Coqueréaumont , qui en était toujours
lieutenant, voyant qu'il n'avait aucun moyen de
tenir tête à l'ennemi , fait savoir aux moines qu'il
ne peut rester plus long-temps auprès d'eux ; ic car
a il pourrait être pris par ses adversaires et subir
« une mort honteuse ; non par refus du service qu'il
a doit à ces messieurs pour leur conservation et celle
a de leur maison , mais d'autant qu'il voit qu'il n'y a
« aucune défense pour résister , et que , pour son par^
«c ticulier , librement, il abandonnerait sa vie sur un
« rempart s'il était assisté , sans considérer la perte
<c qui pourrait en advenir. Il les advertissait afin d'y
( 355 )
« pourYoir et d'y donner des ordres.» Les religieux ^
surpris ^t effrayés, envoyèrent un messager à M. de
Saquenville, qui était au fort Baudouin , pour lui
demander ce qu^ils devaient faire.
Ce capitaine , occupé de la défense de sa propre
forteresse, i^t dire à ces messieurs de tenir toujours
leurs portes fermées , et de ne pas les ouvrir à cause
des coureurs qui pourraient venir; il en excepte ce-
pendant ceux de M. le gouverneur de Chattes ,
a et il recommande aux moines de monter la garde
a avec les bourgeois, et de bien se défendre de faire
« feu , s'ils voient arriver quelque chose. » Le cha-
pitre arrête que deux ou trois religieux , un ancien
et deux jeunes, monteront chaque jour la garde
avec les gens de la ville.
Chacun était à son poste , sur les murailles , lors-
qu'on apprit que l'armée du maréchal était très
proche. M. de Coqueréaumont jugea prudent d'éva-
cuer la place. Le prieur écrivit , à la hâte, à M. de
Chattes , pour recommander la maison , le bourg et
ses habitants jd* autant qu'Us étaient décides à/aire
résistance. Il crut devoir faire part de sa lettre à
M. de Saquenville, pour le consulter au sujet de
ce message, d'autant plus utile qu'on apprit que
« MM. de Yalmont et autres , voyant qu'ils ne pou-
tf vaient tenir, étaient allés au-devant de l'armée , pour
« éviter un ravage. »
M. de Coqueréaumont alla conférer lui-même
( 356 )
avec M. de Saquenville j qui approuva la dëmarclie
des religieux , et leur conseilla de faire demander à
M. de Chattes une sauve-garde , « tant pour le bourg
a que pour les fermes des Plantis , de la Roquette
Tc et de TEpinai , qui en sont voisines. »
Le grainetier et le sacristain, chargés de porter
cette lettre à Dieppe, reviennent dès le lendemain,
^ns avoir pu accomplir leur mission. Ils racontent ,
qu'étant allés coucher le premier jour au château
de M. de Bailleul , quelques gentilshommes les
avaient avertis ; que c'en était fait d'eux s'ils pas-
saient outre , car ils seraient immanquablement
arrêtés par les troupes qui couvraient le pays.
Il paraît que le chapitre n'eut pas une grande
confiance dans la bravoure et la résolution de ses
messagers, car il désigna d'autres religieux pour
faire le voyage de Dieppe, Ceux-ci rapportèrent des
lettres de M. de Chattes , qui mandait à la commu-
nauté , « qu'il n'avait pas su qu'on dût envoyer des
« garnisons à Fécamp , et qu'il lui en donnerait avis
a s'il venait à le savoir ; du reste que t événement de
« Rouen donnait le conseil et le moyen de se gou-
« verner comme le temps le permettrait ; qu'il était
« très fâché de ne pas avoir les moyens de les as-
« sister , mais qu'il profiterait de ceux qui se prê-
te senteraient, pour être utile à la communauté et aux
« habitants de Fécamp. »
Au milieu de toutes ces anxiétés, on réparait, à
( 357 )
la hâte^ la brèclie faite à la muraille y par les troupes
de Villars , ainsi que les portes et le pont-levis de
la rue Arquaise, lequel était rompu à plusieurs
^idroits; on vendait toutes les tasses d'argent du
coffre , pour pourvoir à la subsistance des moines ,
et éviter (c qu'elles ne soient perdues ou dérobées
<K s'il advenait quelque ravage ; le surplus de Tar-
« gent, provenant de cette vente , fut flistribué aux
«( religieux, »
L'armée du maréchal de Birou parut un matin 1591.
devant les forts de Fécamp ; depuis plusieurs jours
on était préparé à la recevoir ; et y malgré les vel-
léités de résistance , de la part des ligueurs ^ on
trouva plus prudent de lui ouvrir les portes, que
d'engager avec elle une lutte dont l'issue ne pouvait
être douteuse. La majeure partie se cantonna dans
la vieille forteresse y dans l'abbaye , et dans l'en-
ceinte du marché ; le Yal-aux-Clercs , les villages
deSenneville, de Saint-Léonard et d'Yport , reçurent
la cavalerie et tout ce qui ne put trouver à se loger
dans les maisons du bourg.
On doit se rendre compte de la position des habi-
tants j obligés d'héberger et nourrir une armée ,
composée de catholiques royalistes, de huguenots et
d'étrangers , qui , comme un tourbillon , ravageaient
tout^ur leur passage, et se regardaient, à Fécamp',
comme en pays conquis. ^ Heureusement qu'ils n'y v
firent qu'un séjour de courte durée; car Dieu sait s'il
( 358 )
fût resté pierre sur pierre des maisons du bourg
que ces hommes sans discipline prenaient plaisir à
renverser. La génération actuelle ignorerait cé^ cir-
constances ^ si, comme toujours , les réclamations
auxquelles elles ont donné lieu n'étaient consignées
sur les registres de l'abbaye. Ainsi, après le départ
de Biron, les plaintes et les demandes d'indemnités
arrivent de toutes parts , et particulièrement d'Yport,
de Saint-Léonard , de Fécamp et de Senneville* Un
propriétaire de maisons, dans lintérieur du marché,
Jehan Midiel, fait connaître que les siennes ont été
totalement ruinées par les soldats; FrançcHS Des-
mares , receveur des dîmes , à Saint-Léonard , dit
que tout a été ravagé dans sa commune, .et qu'il
ne peut payer ce qui revient à' l'abbaye. Les fermiers
de Paluel exposent aussi « qu'ils ont été pillés et
« ravagés dans leurs biens, tant bestiaux que grains,
u et forcés de fiiyr et d'abandonner leurs maisons et
i( leurs familles. »
Enfin, l'habitude d'être pillé et ravagé faisait
qu'on ne se livrait à aucunes réparations, même aux
plus urgentes. Il est question de relever les han-
gars d'Elétot ; on remet à faire ce travail après le
départ des garnisons du pays. On fut cependant
obligé de faire déblayer l'entrée du port , que la
chute de la jetée d'aval avait fait encombrer de ga-
lets. M. de Saquenville, qui était rentré à san poste,
api*ès le départ de l'armée ennemie , demanda que
C359)
ce travail fût à la charge de Tabbaye. Le prieur
De Gampion lui répondit que y de tout temps , il
avait été fait par les bourgeois; cependant, que la
communauté ne refuserait pas de venir à leur
secours.
Ce déblai était d'autant plus nécessaire, que
Villars venait de faire armer dans le port de Fécamp
sept gros navires , et d'autres plus petits , devant
servir au transport, pour s'emparer de la ville de
Brest , oùcammandait René de Rieux , pour Henri lY ;
ce capitaine^ expérimenté, ayant appris que l'esca-
drille de Fécamp se dirigeait d'abord sur Camaret ,
pour inquiéter le port de Brest, fit partir en dili-
gence des vaisseaux à sa rencontre, et remporta , sur
les ligueurs normands , une victoire qui servit beau-
coup à maintenir la Bretagne sous l'obéissance du
roi.
Après le siège de Rouen, par Henri lY , et le
passage de la Seine à Caudebec , par le duc de Parme ,
apparaît de nouveau le capitaine Bois-Rosé ^ si cé-
lèbre par l'escalade du fort de Notre-Dame-du-
Bourg-Baudouin.
Il y a doute, si, au moment de ce fait d'armes ,
ce fort était occupé par des soldats de Biron , ou
par une garnison appartenant à la Ligue ; deux au<^
teurs contemporains ne sont pas <l'accord à ce sujet.
Sully dit positivement : « que ce fort fut pris par
« Biron sur la Ligue, et qu'il y avait, dans la garni-
( 36o )
« son qui en sortait, un gentilhomme ^inommé Bois-
• Rosé, quiremai*qua ( pour s'en emparer) ia place
« d'où on le chassait, et, prenant ses précautions de
« loin, fit en sorte que deux soldats qu'il avait ga-
« gnés fussent reçus dans la nouvelle garnison que
« les royalistes établirent dans Fécamp '. »
Palma Cayet dit, au contraire, que Bois-Rosé
reprit cette place sur une garnison de la Ligue; et
quelques auteurs modernes ontindifïéremipentadopté
l'une ou l'autre de ces versions , sans rechercher
laquelle était la plus vraie ou la plus- probable.
Quant à nous, nous croyons que Sully se trompe
en disant que Bois-Rosé était dans le fort à l'ar-
rivée de Biron; car il n'aurait pu s'y trouver qu'en
sa qualité de capitaine , et des pièces officielles nous
font connaître que M. de Saquenville , seul , était
pourvu de cette charge ; nous avons ensuite la cer-
titude que Biron ne s'empara pas du fort du Bourg-
Bandouin, car la garnison calviniste, qui l'aurait
occupé, se serait opposée au départ des navires
envoyés sur la côte de Bretagne , et parce que nous
voyons des processions qui se dirigent à Notre-
Dame , en vertu de la permisjsion demandée çl
M. de Saqueni^ille. Or , la chapelle de Notre-Dame
étant placée dans le fort Baudouin, il est clair que
si les calvinistes en eussent été maîtres, ils, n'y
' Sully , Mémoires , année lôOd.
( 36. )
auraient pas laissé introduire une partie de la popu-
lation de Fécamp^ à la suite d'une cérémonie reli-
gieuse : nous suivrons, en conséquence , pour ce qui
regarde Bois-Rosé , la version de Palma Cayet.
Nous avons déjà vu ce capitaine jouer un rôle
important dans la prise d'assaut des forts de Fécamp;
depuis cette époque , il n'avait cessé de se distinguer
par des faits d'armes éclatants y sous les ordres du
marquis de Yillars.
« Pendant le siège de Rouen , dit l'auteur que
« nous venons de citer , les royaux mirent deux ca-
« nous sur la côte de Turinge et deux à la plaine
« du fort. Le capitaine de Bois-Rosé , qui était dans
« le retranchement, vint avec cinq cents hommes pour
• déloger les royaux, et les attaque avec audace. Il
» reçoit une blessure , en s'obstinant à enlever le
« corps d'un soldat mort à ses côtés; ce corps est
« pris et repris cinq fois. Sa blessure lui avait frac-
« turé les os de la jambe gauche, et il combattait
« toujours en battant en retraite , appuyé sur deux
« des siens ; il fut conduit dans la ville pour se soi-
c« gner et y méditer une grande sortie. Bien que
(«n'étant pas encore rétabli, il fait reconnaître la
« position des ennemis, et enlève cinq gros canons à
« l'armée du roi'. »
Certes , Bois-Rosé était un homme à ménager;
/>■'■■■' ■ ■■ ' , ■ *i
* Palma Gay et, édit. Pctitot , vol. 41 , page 27.
( 36a )
■■y.
mais Yillars , d'un caractère très altier , eut la mala-
dresse de se fâcher avec lui. « A cette époque^ les
« ligueurs s'entre-prenaient les places les uns les
« autres. » Bois-Rosé forme le projet de surprendre
la forteresse de Notre-Dame , située sur la falaise
de Fécamp ; et ce projet , il l'exécute avec soixante
hommes de s. compagnie , qui désirèrent prendre
part à son audacieuse entreprise.
Voici la narration de Sully, sur cet incroyable
événement.
« Le côté du fort qui donne sur la mer est un
m rocher de six cents pieds de haut , coupé en pré-
« cipice , et dont la mer lave continuellemenjt le
a pied Bois-Rosé, à qui toute autre voie était
« fermée pour surprendre une garnison attentive à
« la garde d'une place nouvellement prise , ne douta
m point que , s'il pouvait aborder par cet endroit, re-
c( gardé comme inaccessible , il ne vînt à bout de son
« dessein : il ne s'agissait plus que de rendre la chose
« possible , et voici comment il s'y prit.
« Il était convenu d'un signal avec les deux sol-
« dats gagnés, et l'un deux l'attendait continuelle-
« lement, sur le haut du rocher, où il se tenait
m pendant tout le temps de la basse marée. Bois-
ce Rosé ayant pris le temps d'une nuit fort noire ,
« vint, avec cinquante soldats déterminés, et choisis
« exprès parmi des matelots, et aborda avec deux
« chaloupes au pied du rocher : il s'était encore
( 363 )
c( muni d'un gros câble , égal en longueur à la haU'
cc teur de la falaise ^ et il y sTvait fait, de distance en
<c distance, des nœuds et passé de courts bâtons ,
a pour pouvoir s'appuyer des mains et des pieds.
« Le soldat qui se tenait en faction , attendant le
<c signal depuis six mois , ne Teut pas plutôt reçu ,
a qu'il jeta du haut du précipice un cordeau y auquel
« ceux d'en bas lièrent le gros câble, qui fut guindé
« au haut par ce moyen, et attaché à l'entre^deux
« d'une embrasure, avec un fort levier passé par
« une agraffe de fer, faite à ce dessein. Bois-Rosé
« fit prendre les devants à deux sergents, dont il
a connaissait la résolution , et ordonna aux cinquante
« soldats de s'attacher de même à cette espèce
<( d'échelle , leurs armes liées autour de leur corps ,
c( et de suivre à la file : se mettant lui-même le deiv
« nier de tous , pour ôter aux lâches toute espérance
« de retour. La chose devint d'ailleurs bientôt im-
a possible; car, avant qu'ils fussent seulement à
« moitié chemin , la marée qui avait monté de plus
« de six pieds, avait emporté les chaloupes et faisait
« flotter le câble. Qu'on se représente au naturel
« ces cinquante hommes , suspendus entre le ciel et
<c la terre , au milieu des ténèbres ; ne tenant qu^à
« une machine si peu sûre, qu'un léger manque de
c( précaution , la trahison d'un soldat mercenaire ,
« ou la moindre peur, pouvait les précipiter dans les
« abîmes de la mer ou les écraser sur les rochers :
( 364 )
« il y avait dans tout cela de quoi faire tounier la
« tête au plus assuré de la troupe ; comme elle
a commença en effet à tourner à celui-là même
« qui la conduisait. Ce sergent dit à ceux qui le
c( suivaient qu'il ne pouvait plus monter , et que le
a cœur lui défaillait. Bois-Rosé , à qui ce discours
<( était passé de bouche en bouche , et qui s'en apeN
« cevait parce qu'on n'avançait plus , prend son parti
« sans balancer. Il passe par-dessus le corps de tous
a les cinquante qui le précèdent, en les avertissant
« de se tenir ferme, et arrive jusqu'au premier,
« qu'il essaye d'abord de ranimer : voyant que par
a la douceur il ne peut en venir à bout, il l'oblige,
a le poignard dans les reins-, de monter, et sans
« doute que , s'il n'eût obéi , il l'aurait poignardé et
« précipité dans la mer. Avec toute la peine et le tra-
ce vail qu'on s'imagine, enfin la troupe se trouva au
c( haut de la falaise un peu avant la pointe du jour,
c( et fut introduite par les deux soldats dans le châ-
c( teau , où elle commença par massacrer, sans misé-
« ricorde , le corps de garde et les sentinelles : le
« sommeil livra presque toute la garnison à la merci
c( de l'ennemi, qui fit main basse sur tout ce qui
« résista, et s'empara du fort. y>
Comme Bois-Rosé n'avait pas assez d'hommes pour
garder ses prisoniiiers ; il renvoya ceux-ci à Fécamp ,
dès le matin même , et ils annoncèrent aux habitants
l'événement de la nuit. Quelques pièces de canon,
( 365 )
braquées sur Fécamp , apprirent aux bourgeois qu'ils
ne devaient pas laisser manquer de vivres la nou-
velle garnison, s'ils tenaient à conserver sur pied
leurs maisons et leurs églises.
Bois-Rosé réclama presqu'aussitot la solde et les
vivres fournis par la communauté à ses prédéces-^
seurs, et il prévint le prieur qu'il allait faire raser
le bois du Goulet, ayant besoin de fagots pour brûler
et de palissades pour garnir les remparts de sa for-
teresse. Le chapitre, mécontent de ces exigences,
chargea M. de Boismilon , son garde général , d'aller
trouver le nouveau commandant , et de lui repré-
senter que ces bois n'étaient pas encore en coupe.
Boismilon monte au fort , et ne trouve pas le capi-
taine Bois-Rosé , qui était déjà aux champs,
Yillars n'eut pas plutôt appris que la forteresse
de Notre-Dame était au pouvoir du transfuge Bois-
Rosé, qu'il appela de tous côtés des forces pour l'as-
siéger et la reprendre. Des troupes se réunirent au
pied de la forteresse ,' du côté du port de Fécamp ;
quelques compagnies se retranchèrent sur le plateau
de Senneville , dans une enceinte fermée par un
rampart gazonné , garni de canons , qui firent un
feu terrible contre la place.
Ces travaux d'attaque se voient encore au-dessus
de la côte de Fécamp , au haut du chemin connu
isous le nom de Sente aux Matelots,
N'ayant que ses soixante hommes pour toute res-
( 366 )
source , Bois-Rosé sut tenir tête à soi> ennemi ,
p^adant treize mois du siège le pliis rigoureux j où ,
chaque jour, on faisait passer par les armes ^ comme
des rebelles , ses soldats qui avaient le malheur d'être
faits prisonniers. Cependant, comme il voyait qu'il
ne pouvait tenir plus long-temps faute de vivres , il
prit le parti de remettre le fort Baudouin à Henri lY,
dont l'abjuration paraissait décidée.
Il se déroba à cet effet , de nuit, de sa forteresse,
partit pour Saint-Denis , où. il offrit au roi les places
<k Fécamp et de Lillebonne, qui étaient sous son
commandement. Ce fut le premier des chefs de
l'Union qui fit sa soumission à Henri lY'.
Le roi reconnut toute l'importance de la démarche
de Bois-Rosé , vu qu'il possédait encore peu de places
en Normandie, par l'obstination de Yillars. Il partit,
avec son armée, pour Dieppe, et ensuite pour Saint-
Yalery-en-Caux. Voyant là que le duc de Mayenne
cherchait à l'amuser par ses temporisations et ses
demandes de trêves , il traversa , avec une partie de
ses troupes, le bourg de Cany, s'avança droit à Fé-
camp, obligea les troupes de Yillars d'abandonner
leur retranchement, et pourvut abondamment la
forteresse Notre-Dame de tout ce qui était nécessaire
pour sa sûreté.
Yillars , après le départ du roi , désespérant de
» Palma Cayet , ëdit. Petitot , ▼ol. XLÎ.
( 367 )
prendre cette place , se contenta de la bloquer par
une nombreuse troupe de soldats, cantonnes à Senne-
ville y à Fécamp et dans les environs.
Ce siège fut une des grandes époques de calamités
pour la ville de Fécamp ; elle était remplie de gens*-
d'armes de tous les pays , qui s'y conduisaient comme
en terre étrangère. Huit cents étaient logés dans les
maisons des bourgeois, et ceux-ci devaient les nourrir
et pourvoir à toutes leurs exigences. Ne pouvant
supporter de pareilles charges , cent vingt ménages,
des plus aisés , quittèrent la ville pour aller s'établir
ailleurs. Au sujet de cette émigration , Jehan Guil-
lebert , locataire de trois moulins appartenant à la
communauté, demande une remise sur ses fermages,
« vu les guerres et les troubles régnants , et que
a depuis l'assiègement du fort Notre-Dame-de-
c( Baudouin-du-Bourg , la plus grande partie des
a bourgeois et habitants dudit lieu , leurs femmes
« et familles s'étaient retirés ailleurs , et que le trafic
« de la marine était délaissé par le rompement des
« barres et du port du Havre , lesquels procuraient
« la plus grande et meilleure partie des grains des
K moulins. x>
Adam Menessier , Baptiste le Doyen , Jehan Assire ,
Jacques Fontaine, Nicolas Dargeqt, Nicolas Lemetey,
Guillaume Leclerc, Guillaume Godefroy, les veuves
Guillaume Jacques Forestier , Nicolas Lemarichal et
Thibaut Tinel , qui possédaient des maisons en bois ^
( 368 )
sur la chaussée, entre les deux barres, remontrent
que ces maisons ont été totalement ruinées et abattues
par les soldats et gens de guerre , durant le siège du
fort de Notre-Dame , et qu'//j ne peuvent les
réédifier à cause de leur pauvreté.
Le monastère n était pas plus respecté que ce
qui l'environnait; les chevaux des gens d'armes
occupaient les écuries, et jusqu'au bâtiment servant
de four à la communauté, et les soldats qui y étaient
casernes ajoutaient encore au désordre, en intro-
duisant dans leurs chambres tout ce qu'une excessive
licence permet de supposer ; ils jouaient journelle-
ment à la paume, dans le réfectoire , où ils faisaient
mille dégâts ; on fut obligé d'en enlever les vitres par
panneaux , d'en murer les portes et les fenêtres , et de
ne laisser que les ouvertures nécessaires pour rece-
voir un peu de jour dans l'intérieur.
L'hôtellier annonça en même temps au chapitre ,
« que les soldats et gens de guerre ruinaient et abat-
taient certaine maison dépendante de son office ,
assise dans le lieu nommé vulgairement les Galères ^
laquelle ils avaient commencé à démolir et à en
enlever les bois. » ■
Les campagnes voisines étaient à peu près traitées
de la même manière : Jacques Labbé, de Senne-
ville, fit entendre des nouvelles plaintes , «sur les
pertes, voUeries et pilleries qu'il souffrait chaque
jour, étant proche du fort Notre-Dame, et qu'enfin
(369 )
il avait perdu une belle pièce d'avoine , prête à être
récoltée , les gens d armes ajrant mis leurs chevaux
dans icelle pièce , lorsqu'il y eut quelques soldats
de bos-Rosé exécutés. »
A Samt-Léonard , les fourrages étaient enlevés des
granges ; au Val-au-Clerc , Michel Catelier , fermier
de la côte Bertrin j et d'une autre propriété assise
au camp . Christophe , annonçait qu'il avait ense-
mencé ses terres de toutes espèces de grains j en
1 593 ^ a et qu'en la même année , M. l'amiral étant
« venu à Fécamp , avec de grandes troupes^ et posé
« garnison 9 tant de cheval que de pied^ pour tenir
a ledit fort comme assiégé , ladite garnison , pour
ce nourriture de ses che vaux ^ aurait totalement cou*
a pé, ravagé, pillé et emporté tous ses grains , dont
« il aurait souffert une perte de plus de cent cin-
<x quante écus. »
Le capitaine De Marseilles avait succédé à M. de
Saquenville,. et s'occupait beaucoup plus de faire
payer la solde de ses hommes j que de rétablir parmi
eux la discipline ; il écrivit aux moines pour leur
demander cinq cents écus , faute de quoi il serait
obligé de contraindre leurs fermiers; la réponse fut
qu'pnn'avait pas d'argent, et qu'il fît ce qu'il juge-
rait à propos. Des garnisaires furent envoyés dans les
campagnes ,. et il n'y a pas de doute que cette contri-
bution forcée n'ait été le prétexte de nouvelles et
rigoureuses exactions.
.4
( 370 )
Ce n'était pas encore assez de tous ces maux;
comme si, à certaines époques , l'espèce humaine
était poursuivie par une destinée qu'elle ne peut
éviter , la peste faisait de nouveaux ravages à Fécamp.
Le chapitre fut assemblé dans le but de prendre des
mesures contre ce terrible fléau : on donna l'ordre
à M. de Boismilon de faire couper des perches, pour
construire des loges daqs la forêt. Les pestiférés y
étaient journellement conduits, livrés aux soins de
la charité chrétienne et des membres de leurs familles ,
qui osaient affronter la contagion.
On fit éloigner, de l'intérieur du fort, les frères
de charité de Saint-Léger et de Saint-Thomas , qui
portaient tous les jours des individus morts de la
peste ; et on renvoya des églises les pauvres qui s'y
entassaient comme dans des refuges.
Il y avait aussi des malades près de la boulangerie
du couvent, située en dehors des murs; on^ craignit
que le pain ne mçiit le mauvais air ^ et on ordonna
de faire rentrer le boulanger dans l'intérieur; mais,
comme la maison du four était occupée par les
chevaux des gendarmes, on fut obligé de construire
un autre bâtiment et un autre four.
On s'aperçut aussi que des soldats et des gens
de la ville se réunissaient dans le cellier et dans la
cellule de Jean Brébion, clerc, qui y tenait taverne;
et que Jacques Docquet, troisième cuisinier,^recevait
beaucoup d'étrangers dans sa cuisine; il fut défendu
(37- )
à l'un et à l'autre d'introduire personne à l'avenir ,
dans le monastère , sous peine de perdre leur état.
Le capitaine De Marseilles avait été remplacé par
M. de Vouliers, et celui-ci ne tarda pas à l'être par
M. de Ghampiéron ; le blocus du fort Baudouin con-
tinua d'être rigoureusement observé , car la garnison
royaliste était un mauvais voisinage pour la ligue aux
abois. Ghampiéron montra beaucoup de zèle pour la
cau^e de l'union , et défendit aux cultivateurs de
Senneville de mettre leurs bestiaux à pâturer vers
le fort Notre-Dame, de crainte que ces animaux
ne devinssent la proie de l'ennemi. Cette défense
porta le plus grand préjudice aux fermiers, dont
les pâturages furent perdus sur cette partie de la
côte.
La surveillance de Ghampiéron s'étendait sur
toutes les classes d'individus placés dans le ressort
de son commandement. Un jour, il fit savoil* au
prieur de Gampion , « ^u'il avait une mauvaise opi-
« nion d'un de ses moines ^ qui allait souvent à
«( Lillebonne et autres endroits du parti contraire,
« et donnait avertissement au sieur de Bos-rbsé de ce
« qui se passait. »
Ce moine, voyant <jue sa conduite était surveillée,
demanda au prieur la permission de se retirer du
inonastèi^e,^^^^^'^ ce que les compagnies ayent quit-
té le pays ^ craignant qui il lui arrivât quelque tort.
Cette permission ne lui fut donnée qu'à la condition
V
(37^ )
qu'il ne fréquenterait aucun lieu contraire au parti ,
ni autre que sous l autorité de M. de Villars.
iSq^. Les temps n'étaient pas éloignés, où la lassitude
. des partis, les maux de la patrie déchirée par Tétran-
ger, devaient amener une transaction désirée de
tous. Henri IV en donna lui-même l'exemple, en
abjurant les doctrines du calvinisme. La ligue n'ayant
plus de prétexte pour s'éloigner de ce prince, tous ses
chefs firent successivement leur soumission, etVillars
lui-même, ce chaud partisan de l'union catholique,
fît son accommodement avec le roi , auquel il rendit
la ville de Rouen. Toute la Normandie suivit l'exemple
de sa capitale.
Boisrosé s'attendait à être nommé par le roi ca-
pitaine de la forteresse de Fécamp , qu'il avait si bien
défendue; mais, comme cette place était dans les at-
tributions de Biron , pourvu de la charge de grand
amiral de France, il fut remplacé par Jean de Cauqui-
gny , et reçut la promesse d'un emploi plus avantageux.
Ce dédommagement n'arrivant pas assez tôt selon
son désir, Boisrosé s'adressa à Sully, qui lui fit d'à-
bord obtenir une pension de douze cents livres, une
compagnie avec appointements , et deux mille écus
en argent. « Mais, nous dit son puissant protecteur,
je me l'attachai plus étroitement dans la suite,
et je le crus digne de la lieutenance générale d'ar-
tillerie en Normandie , lorsque le roi m'en eut donné
la grande maîtrise. »
(373 )
Ajoutons inaintenaat, pour ne plus revenir sur
cet homme extraordinaire , qui a fourni une page si
pittoresque à l'histoire de Fécamp , que nous le re-
trouvons , à quelques années de là , dans sa terre de
Limpiville, demandant aux moines l'autorisation d'y
construire un moulin pour le soulagement de ses
vassaux y qui étaient obligés d'aller faire moudre leur
grain à plus d'une lieue de leurs maisons.
C'est le bouillant chef de parti qui a déposé sa vail-
lante épée , et qui , sur la fin de sa carrière, a compris
que les discordes civiles sont le fléau des populations ,
et qu'il est plus glorieux d'être utile à ses concitoyens
que de ravager leurs champs et leurs demeures.
M. de Chattes, voyant que la paix devait amener
un. changement dans la situation des affaires reli-
gieuses, consentit à un arrangement avec son con-
current, Louis de Lorraine , élu par le pape; il y eut
entre eux partage des revenus attribués à l'abbé de
Fécamp.
La France aurait été tranquille, si les Espagnols, is^^.
premiers fauteurs de la ligue, n'avaient encore intrigué
avec les mécontents de tous les partis; leur armée
s'empara d'Amiens, et l'on craignit, à Fécamp, de
revoir l'ennemi devant les portes. Le capitaine Tu ville,
qui était alors gouverneur de la forteresse, écrivit
aux religieux : « qu'il serait bon de se fortifier et
« de faire des barricades en cette ville , oà il y
« en aidait eu par ci-devant^ et de réparer les ponts
(374)
« et les portes, pour les fermer et les faire couvrir de
a gens , si c'était besoin pour la sûreté de ces M'*. » Ces
précautions devinrent inutiles : le roi se porta devant
Amiens avec ses sujets fidèles, parmi lesquels se distin-
guait le commandeur de Chattes;, et les Espagnols
furent obligés de regagner leurs frontières. De là ,
Henri lY se rendit à Rouen,. où il confirma les pri-
vilèges de l'abbaye de Fécamp.
Le nouveau gouverneur de Fécamp ne résida plus
dans le fort Baudouin. Cette forteresse fut pres-
qu'aussitôt démolie de fond en comble, à la grande
satisfaction des habitants, qui la regardaient comme
la cause de tous les maux qui avaient fondu sur
la cité. La ville fut encore quelque temps déserte,
et le peu de bourgeois restés dans leurs foyers , circu-
laient comme des ombres autour * de leurs églises
détruites, et parmi les ruines de cinq cents maisons
dévastées par le canon et les incendies '. La paix vint
insensiblement effacer quelques vestiges de ces
désastres; car il est dans la nature humaine d'oublier
promptement le passé, de ne songer qu'au présent,
et de se faire illusion sur l'avenir.
* Tous les moalins à blé , à huile et à tan , de la vallée , furent
aussi renversés par les soldats. Ms. de 1686.
(375)
FÉCAMP
1
DEPUIS 160I. jusqu'à nos JOURS.
François de Joyeuse, trente-troisième Abbé.
Louis de Lorraine mourut en 1601, et François »^«««
de Joyeuse., cardinal, archevêque de Rouen, lui
succéda en qualité d'abbé du monastère de Fécamp.
M. de Chattes , qui avait été pourvu de la charge
de lieutenant général du roi , dans le pays de Caux,
prit le titre de procureur général de l'abbé de
Joyeuse , et le prieur, Charles de Campion , fut
nommé grand vicaire de monseigneur, et dirigeait,
sur les lieux, les affaires de la communauté. JaQiais
supérieurs n'eurent à traverserde plus mauvais temps
que ceux qui signalèrent le cours de sa longue çt
difficile administration.
Le chapitre dut s'occuper aussitôt de la nomination
d'un nouveau prieur. M. de Chattes avait recommandé
d'élire le chantre , et cette recommandation était un
ordre; aussi trouvons-nous presque tous les votes
ainsi conçus :
Le jardinier nomme M. le chantre, pour se coq-
former au bon vouloir de monseigneur.
(376)
Le sacristain vote pour M. le chantre, sur l'avis
de monseigneur.
Deux voix indépendantes osèrent seules se pro-
noncer pour M. de Pierrecourt , franchement et sans
restriction du bon vouloir de monseigneur.
Une grande majorité étant acquise au chantre , le
moment était venu de la proclamer, lorsque le quart
prieur, qui présidait l'assemblée , mécontent du ré-
sultat des votes , quitta subitement la réunion. Les
anciens, surpris d'une pareille conduite, etcraignant
qu'elle ne devînt le prétexte de quelques troubles,
désignèrent immédiatement le grainetier, pour faire
reconnaître le nouveau prieur, et le conduire au
fauteuil.
Les ordres donnés par le vicaire général , et in-
scrits aux registres capitulaires , prouvent qu'il voulait
ramener parmi les religieux la régularité monacale ,
qui était encore loin d'être parfaite :
Il prescrit de faire des visites dans les chambres,
pour voir s'il n'y aurait pas d'armes cachées ," et in-
terdit la fréquentation du tripot et des tavernes; ces
défenses n'empêchèrent pas qu'à la procession qui
eut lieu au sujet de la paix générale, les moines
n'entrassent dans les cabarets, et ne tirassent des
coups d'arquebuses dans les rues et par les fenêtres.
Il défend expressément aux religieux de se pro-
mener dans l'église, de causer avec les individus
soupçonnés d* appartenir à la religion réformée y
( 377)
d^amener des serviteur coucher dans leurs dor-
toirs , d avoir des chambres hors du couvent , et de
passer sous la porte de la salle ^ pour aller en ville
ou aux jardins.
Il interdit aux habitants du bourg de faire paître
leurs animaux dans les cours de l'abbaye ^ et d'y
étendre des toiles , du fil et du linge.
Il fait clorre les portes Aes galères ^ de ce grand
bâtiment situé près de la route actuelle de Rouen,
oii les moines allaient en récréation ; il ordonne de
-bien fermer celles de l'église, pour empêcher les
novices d'aller dans les rues de la ville, au lieu
d'être à matines.
Cette réclusion forcée n'était nullement du goût des
jeunes religieux, car on s'aperçut qu'ils avaient fait
une ouverture dans la muraille, derrière la mai-
son des enfants de chœur. Le vicaire général la fit
fermer aussitôt qu'il en eut connaissance, et, dès le
lendemain , la Lrèche était de nouveau pratiquée.
M. de Campion crut devoir, à ce sujet , frapper
un coup d'autorité, et défendre aux reHgieux de
célébrer la messe, ni d'approcher de la sainte
Communion avant d'avoir averti de ce qu'ils sa"
valent sur le débouchement du trou. Les novices
étaient tellement remuants , qu'on ne pouvait en
avoir raison , et qu'ils s'enfuyaient du couvent lors-
qu'ils se voyaient sur le point d'être punis. Cet état
de choses ne surprendra pas, si Ton pense qu'ils
( 378 )
avaient eu , jusqu'à ce jour^ uae existence plus mili-
taire que religieuse ^ et que la régularité à laquelle
on voulait les contraindre était en opposition directe
avec l'activité et les habitudes mondaines de leur
vie passée.
Le goût de la chasse leur était aussi revenu ^ plus
vif et plus effréné que jamais : un cultivateur de la pa-
roisse de Saint-Léonard vint ^ un jour, se plaindre
qu'il y avait un religieux dans ses grains, avec des
chiens et une tirasse, et qu'au lieu d'écouter ses
observations , ce religieux l'avait poursuivi et menacé
de lui donner des coups de bâton.
L'indiscipline d'un moine, nommé Alexandre, et
l'espèce d'approbation qu'elle reçut de la majorité du
couvent , prouve combien il était difficile de diriger
de pareils hommes.
Ce moine, mécontent qu'on lui eût refusé la per-
mission de sortir , passa tout le temps des vêpres à
se promener dans la nef de l'église, et. quitta ensuite
la communauté, sans autorisation de ses supérieurs.
Le chapitre décida que le fugitif serait mis au pain
et à l'eau, pour autant de temps qu'il en passerait
hors du monastère ; les anciens ajoutèrent qu'il serait
fouetté et fait prisonnier.
A sa rentrée , on lui notifia la décision des supé-
rieurs, en l'engageant de se rendre en prison; sur son
refus, le prieur ordonna aux moines présents de
mettre la main sur le coupable, ce que ne tjou-
(379)
/urent faire aucuns de ceux qui en étaient requis, La
faute de ce moine insubordonné resta sans punition.
Cet ^cte n'était qu'une faute contre la discipline ,
mais en voici une autre plus grave , qui peut don-
ner une idée des mœurs monacales de l'époque.
Jehan de Clercy, écuyer et sous-diacre, avait
quitté le couvent sans permission , pour aller souper
chez Jacques Leconte y son médecin , en compagnie
du gendre dudit Leconte, et de M. Pibois de
Grand-Mare; il était sorti, à dix heures du soir,
avec ce dernier, pour rentrer à l'abbaye, lorsque,
passant par la rue Arquaise, devant la maison de
Jacques Castellier, bourgeois de Fécamp, celui-ci
s'approcha d'eux en disant : quHl vl était pas theure
que les moines fussent par les rues. Il est difficile
de savoir au juste ce qui se passa à la suite de ce
propos, puisque le fait principal ne nous est connu
que par le rapport de Jehan de Clercy, qui doit
chercher à atténuer, le plus possible, la gravité de sa
faute.
Il raconte que le sieur Castellier s'était jeté à sa
gorge , comme s'il eût voulu Tétrangler, « et que lui,
« se sentant irrité et ému, il se serait saisi d'une
« petite épée que portait le sieur de Grand-Mare ,
tf et de laquelle, sans l'avoir tirée du fourreau, il
« aurait donné un grand coup de plat sur ledit Cas-
u tellier, et que , ce faiisant , ledit fourreau était sorti
^ d'icelle , de sorte que le sieur Castellier aurait
( 38o )
« été atteint d'un coup dans le ventre , par sa faute ,
« et se serait exclamé que ledit De Clercy Taurait
« tué. » En effet, Castellier ne survécut que peu
d'instants à la blessure qu'il avait reçue'.
Il est difficile d'admettre que deux hommes, dont
un armé , aient été contraints d'en venir, contre un
seul , à une pareille extrémité; néanmoins, De Clercy
fît agréer ses excuses au Parlement , et obtint grâce et
rémission du roi , après avoir transigé avec la femme et
les enfants de sa victime. Il profita ensuite de la pu-
blication du jubilé, pour aller à I^ontoise, oîi il
reçut la pénitence de son père confcsseMr ^ et reprit
sa place deux ans après , dans le monastère de Fé-
camp.
M. de Chattes mourut en i6o3, et laissa le car-
dinal de Joyeuse en possession de tous les revenus
de l'abbaye de Fécamp.
Le grand vicaire fait lancer des monitoires * contre
ceux qui retenaient les papiers du chartrier, et les
titres qui avaient été pillés pendant les troubles; il
fait rentrer l'abbaye dans la possession des terrains
qu'elle avait concédés, moyennant certaines rede-
vances, pour y bâtir des maisons, et qui se trou-
vaient vides et vagues depuis que ces édifices avaient
été détruits par la guerre; il aide quelques pro-
* Registres capit. de Fécâmp.
' Il en existe un exemplaire aux Archives de la Seine-Inférieure.
(38, )
priétaires à rétablir leurs habitations en fournissant
les bois et les matériaux nécessaires ; il permet à
Nicolas Guibout de réédifîer ses moulins à huile et
à tan , détruits et démolis pendant le ravage des
guerres; on reconstruit les maisons qui étaient si-
tuées depuis la' porte de la Forteresse jusqu'aux pe-
tites halles , et celles qui avoisinaient la porte du
Bail ; on relève l'édifice qui servait de prétoire et de
cohue à la baronnie d'Aizier; on refait deux arcs
boutants à l'église de l'abbaye, l'un du coté du
cloître, l'autre du côté de la forteresse; on em-
prunte cinq cents écus pour acheter, dans l'intérieur
du fort, la maison de la Fleur-de-lys, devenue depuis
l'hôtel du Grand-Cerf; enfin , on fait réparer le jeu
de paume du couvent , exercice qu'on jugeait néces-
saire à la santé des jeunes religieux , et on offre de
le donner à bail à qui voudra s'en charger, soit reli-
gieux ou laïque; on arrête que celui qui le tiendra
devra fournir les balles et les raquettes , et qu'il lui
sera permis de citer les joueurs devant le prieur ou
les maîtres d'ordre, pour se faire payer, en cas de
refus de la part de ces premiers.
On tire, en même temps, du coffre, pour divers
besoins, et pour fournir le pain des lépreux^ « qua-
torze doubles pistoles , une double pistole de quatre ,
deux doubles ducats à deux têtes , deux petites pis-
toles, et trois cents écus, dont l'un aux alliances ,
le tout d'or. »
( 382 )
plusieurs jeunes gens, appartenant à des familles
riches , se présentent au monastère pour y faire leur
noviciat ; tous , généralement , apportent avec eux
une dot en numéraire , et quelques pièces d'argen-
terie, comme écuelles et coupes, souvent garnies de
pierres fines. Avant de recevoir ces novices, le
chantre est obligé de faire connaître s'ils ont dte la
voix, et Nicolas Leport, apothicaire, et Pierre
Auxjoyaux, chirurgien du couvent, qui les visitent,
doivent rechercher s'ils ont quelques maléfices sur
le corps.
M. de Montpensier, qui avait été nommé gouver-
neur général de la Normandie, vint passer quelques
jours à Fécamp , et sa présence y fut signalée par
certains reproches adressés au vicomte, que des mal-
veillants paraissent avoir calomnié. Les religieux
écrivirent, à ce sujet, à Monseigneur, pour faire
l'éloge du vicomte, et lui donner l'assurance de son
honnêteté et prucThommie.
Après avoir remis de l'ordre parmi les objets pré-
cieux du trésor , il fut question d'obtenir des indul-
gences perpétuelles pour la communauté; on en
écrivit à Rome , à M. Le Bossu, docteur en théologie,
lequel répondit qu'il ne pouvait en demander que
pour trois ou quatre ans , vu qu'il n'y avait que
les princes et les cardinaux qui en obtinssent de per-
pétuelles, et que le chapitre devait, dans ce cas,
adresser sa demande au cardinal de Joyeuse.
( 383 )
L*abbé de Fécamp avait été envoyé auprès du pv '^e ,
pour arranger les affaires religieuses; il rendit beau-
coup de services au roi, pendant son ambassade, et
mourut à Avignon, en i6i5; on l'inhuma chez les
pères jésuites de Pontoise , dont il était le fondateur.
Henri I de Lorraine, trente-quatrième Abbé.
Aussitôt la mort du dernier abbé , les gens du i6i5.
roi , à Montivilliers, reçurent un mandement pour
saisir les revenus de l'abbaye, qui tombaient en ré-
gale. Les moines réclamèrent, en disant que ces
fruits devaient leur appartenir, pour leur entretien
et leur nourriture. L'économat n'en fut pas moins
signifié au monastère.
Cet état de choses cessa avec la nomination de
Henri de Lorraine, qui, âgé seulement de trois ans,
fut nommé, presque en même temps, archevêque de
Rheims et abbé de Fécamp. C'était un nom malheu-
reux pour le trésor de l'abbaye , qui n'avait pas en-
core réparé les pertes essuyées du temps de la Ligue;
aussi la mère de Henri s'empressa-t-elle de rendre ce
qu'elle possédait de l'argenterie et des pierres pré-
cieuses trouvées à. la succession de Charles de Lor-
raine; on en fit un ciboire, un calice assez simple,
el on en décora la couverture d'un livre où furent
apposées les armes de Henri.
Le cardinal de BéruUe, supérieur de l'oratoire,
( 384 )
fut désigné , par le pape , pour administrer, pendant
la minorité de l'abbé de Fécamp, les hauts emplois
ecclésiastiques dont ce dernier était pourvu. Mais ce
fut presque toujours avec la duchesse de Guise , sa
mère y que se traitaient directement toutes les affaires
temporelles.
Il y eut , entre cette dame et les moines , un accord
qui fut soumis à la sanction du Parlement ; parmi
les clauses principales qu'il relate , on trouve que le
nombre des religieux devra être porté à quarante-
deux , et que, s'il n'est pas atteint, les vacances seront
remplies par l'abbé. Beaucoup d'articles , concernant
les. intérêts respectifs des parties , sont remis a l'é-
poque de la majorité de Henri de Lorraiûe.
Nous ne savons d'après quelle autorité ceux qui
ont écrit avant nous ont dit et répété que la forte-
resse de Notre-Dame-de-Baudouin avait été rasée
en iSgS, par les bourgeois de Fécamp; nous décla-
rons n'avoir rien trouvé de semblable dans toutes
nos recherches; nous voyons, au contraire, que les
démolitions dé ce fort n'eurent lieu qu'en i6i5,par
ordre de l'autorité militaire, et que les religieux
voulurent s'y opposer, de crainte que cela ne tour^
ndt à leur préjudice^,
162a. Ce fut en 1622 que les pères capucins obtinrent
* Registres capitulaires de Fécamp.
( 385 )
un terrain vague , pour bâtir une maison à Fécamp ;
ils annoncèrent presqu'aussitôt aux religieux qu'ils
avaient le désir d'y planter et faire bénir leur croix ,
et les prièrent de leur donner assistance , ajoutant
« que, dans tous les lieux où ils avaient planté croix
« ils avaient été assistés du clergé et du peuple, et
« qu'ils espéraient que ces messieurs en feraient
«autant, d'autant que M. de Villars, gouverneur
« du Havre, et plusieurs nobles gentilshommes, de-
« vaient les honorer de leur présence. » Cette céré-
monie eut lieu, en effet , avec beaucoup de pompe,
et fut présidée par l'archevêque de Rouen , Fran-
çois de Harlay.
L'assassinat de Henri IV avait fait ouvrir les yeux
à son successeur, sur l'effervescence qui régnait
encore dans les esprits, et jusque dans les cloîtres.
Louis XIII exigea impérativement la réforme des
établissements religieux , et le retour à la discipline ,
que le malheur des temps, plus que la volonté des
hommes , avait fait entièrement abandonner. La con-
grégation de Saint-Maur, qui brillait comme un
flambeau sur toute la France catholique, fournissait
alors des sujets qu'on mettait à la tête des commu-
nautés.
Beaucoup de maisons religieuses s'étaient déjà
placées sous la direction de ces pères , lorsqu'on an-
nonça que les commissaires du roi devaient arriver
dans le monastère de Fécamp.
a5
( 386 )
Le vicaire général De Campion, en homme qui
connaissait son siècle , et le mal qu'il fallait atteindre ,
avait envoyé, d'avance , beaucoup déjeunes novices
de Fécamp, à Cluni, et aux jésuites de Pontoise,
pour y faire leurs études, et ramener l'amour des
lettres et du travail parmi les religieux de la commu-
nauté.
Lorsqu'il eut avis de la visite qu'il devait recevoir,
il en informa les moines , en leur indiquant de quelle
manière ils devaient se conduire, si sa Majesté en-
voyait parmi eux quelque prélat, afin qiiils ne
soient pas surpris j et qiCil les trouve à leur devoir.
Il fit défense « de rompre les serriires des portes,
« et invita chacun à demeurer dans l'intérieur de
M l'abbaye, à assister régulièrement au service divin,
u à ne pas porter d'habits dissolus, à se contenir en
«« amitié, à ne pas se diviser ni se blâmer les uns les
M autres, et il ordonna à ceux qui auraient quelques
« portes qui pourraient apporter quelque suspicion
« ou scandale , qu'ils aient à les faire fermer dans
il le plus bref délai. »
La duchesse de Savoie , sœur du roi, eut le désir
d'avoir des reliques de Guillaume de Dijon, pour en
enrichir son oratoire ; elle le fit savoir à l'abbé de
Fécamp, qui pria les moines de faire l'ouverture du
tombeau de ce bienheureux; on trouva, dans un
sarcophage long de trois pieds et large de neuf pouces,
quelques ossements réduits en poussière, qui firent
(38; )
juger qu'ils avaient été déjà l'objet d'une translation ,
le tombeau étant trop petit pour avoir reçu un corps
de taille ordinaire.
Voici la lettre que l'abbé écrivit aux religieux
pour les remercier :
« Je vous sais très bon gré , Messieurs , tant de la
9 réception que vous avez faite à ce même porteur,
« lorsqu'il vous a rendu mes premières , que de la
« délibération que vous avez prise en votre assem-
« blée, de donner votre consentement à M. le comte
« Philippe, marquis d'Aglié, si particulièrement re-
<« commandé par madame la duchesse deSavoye, de
« la recherche qu'il fait de quelque notable relique
« du bienheureux saint Guillaume, premier abbé de
« Fécamp , pour honorer l'église qu'il fait bâtir en
« son nom. Vos archives vous rendront plus cer-
« tains que tous les autres mémoires , du lieu de sa
« sépulture, et je crois qu'il serait à propos que vous
« vous y réglassiez. A quoi je n'ajouterai plus que la
« prière que je dois vous faire de ne rien omettre de
« tout ce qui pourra contribuer à la satisfaction de
« madame de Savoye, et de mon dit seigneur comte,
« avec Tassurance que je suis votre affectionné ami' .
« Henri de Lorraine. »
» Archîv. dë|>art. ; cartons de Fe.eamp.
( 388 )
Nous trouvons, à la même époque, un arrêt du
Parlement de Normandie, cassant tous les actes de
rofficial de Rouen , qui avait entrepris sur la juri-
diction de Fécamp, dans Saint-Gervais.
Thomas Dufour, fils de Gédéon Dufour, vicomte
de Fécamp, et de Anne Vimars, fille du contrôleur
au grenier à sel du Havre, fait profession de la vie
monastique, à JumiégeSé On lui doit une grammaire
hébraïque, mise dans un ordre jusqu'alors inconnu.
Les écrivains de Samt-Maur ont inséré , dans leur
Bibliothèque, un grand nombre d'autres opuscules
de ce savant.
Dom Benetot commençait à se faire connaître à
Fécamp, oii il devint prédicateurde l'abbaye.
Il paraît que cette ville était alors habitée par
un nombre assez considérable de protestants ; qu'ils
y avaient un ministre, des lieux d'assemblée où ils
se livraient à la prière et à la prédication. Leur but
étant d'augmenter le nombre de leurs ^rosélites,
dom Marc Bastide, prieur, établit dans Tabbaye
des conférences publiques de controverse , et invita
plusieurs fois le ministre de Fécamp d'entrer en ma-
tière avec lui. Ce dernier, feignant de mépriser son
adversaire, dit qu'il ne voulait disputer qu'avec le
prédicateur de l'abbaye. Dom Benetot s'offrit alors,
en chaire, en présence d'un grand nombre de spec-
tateurs, mais le ministre n'osant se mesurer avec
( 389 )
lui, manqua de parole , et ne parut pas à la con-
férence " .
En 1639, mourut le vicaire général, Charles de
Campion , après une longue carrière de vertus pra-
tiquées au milieu des guerres civiles et de l'oubli de
tout devoir religieux. S'il eût eu le bonheur de vivre
parmi les moines illustres que le siècle suivant verra
surgir, il aurait dû sa réputation à son génie; il la
doit à sou caractère et à ses vertus.
D'un autre côté, Henri de Lorraine, venant à
perdre son père , quitta l'état ecclésiastique , et ré-
silia ses bénéfices pour rentrer dans le monde , avec
le titre de duc de Guise.
Henri II de Bourbon , duc de Verneuil , trente-
cinquième Abbé.
Henri de Bourbon, fils naturel de Henri IV, fut 1641,
nommé abbé commendataire de Fécamp. On lui doit
la fondation du couvent des Annonciades, et Tintro-
duction , dans tous ses monastères , des Bénédictins
réformés de la congrégation de Saint-Maur.
Le préambule du concordat, dressé à Fécamp,
attribue le besoia de la réforme a au relâchement de
la dîscipliae monastique et religieuse, occasionné
par la succession des temps et les malheurs des
guerres. *>
' Histoire littéraire de la Congrégation de SaUtt^Maur,
( 390)
Pour assurer les droits de tous y c'était une opé-
ration assez difficile que l'introduction d'une com-
munauté étrangère dans une abbaye; il fallait
d'abord qu'il existât un concordat entre les anciens
et les nouveaux religieux, et que l'abbé commenda-
taire garantît la position des uns et des autres , c'est'
à-dire que le partage des revenus de l'abbaye fût
définitivement fixé entre lui et sa communauté;
aussi, par un acte passé en 16499 l'abbé de Yemeuil
cède à ses religieux : <c les terres , seigneuries et ba-
il ronnies d'Heudebouville, Fontaine^le-Bourg, Saint-
« Gervais-lès-Rouen , du Jardin-sur-Dieppe, d'Ar-
« gences , avec les seigneuries de Quétehou , d'Hen-
« nequeville et d'Aizier, le clos de Hardan , près
«» Vernon , et la pêche des rivières de Fécamp et de
« Paluel.
« Et moyennant lesdites remises et délaissements
" que mon dit seigneur fait desdites terres , les pères
« seront tenus d'acquitter les charges de la commu-
te nauté , à la réserve des appointements du capitaine
« de la forteresse de Fécamp, du lieutenant et du
« sénéchal, de l'avocat de la seigneurie, des por-
« tiers de la forteresse et de la geole , de la fourni-
(• ture de la chandelle au concierge du logis abba-
X tial, des appointements du bailli de Caux, du
« procureur du roi , du procureur de l'abbaye à Cau-
(< debec , du maître et des sergents des bois , du
« voiturier de Fécamp; de cinq milliers de harangs
( 391 )
« saures à M. le duc de Longueville^ à cause de son
« duché d'Estouteville; enBn , du traitement de tous
^ les curés de Fécamp et de plusieurs des environs ^
<• comme ceux de Toussaint, la Trinité-du-Mon t, Epre-
- ville, Bordeaux, Etrétat et Saint-Pierre-en-Port. >r
D'un autre côté, la mense conventuelte était
obligée de pourvoir à toutes les dépenses spécifiées j.
en nature, dans le même acte. Par exemple : « aux
prêtres, un grand pain blanc de fleur de farine, de
même blancheur et bonté qu'iU avait été livré par
ô-devant, du poids de vingt-huit onces, cuit, et un
petit pain blanc de quatorze onces.
ce Aux novices, deux petits pains de vingt-huit onces
les deux.
« Au grand prieur, autant de pain qu'à trois auti*es
prêtres.
ce Au capitaine dudit lieu de Fécamp, autant de
pain qu'à deux prêtres.
« Au lieutenant , autant qu'à un religieux prêtre.
« Au jardinier, chroniquier, clercs d'église, du
cloître, du cellier, organiste, apothicaire, barbier et
portier, deux grands pains bisets , du poids de vingt-
huit onces.
ce Aux sonneurs, à celui qui fait l'agneau le jour de
Saint-Jean-Baptiste, aux curés des dix paroisses de
Fécamp, à celui qui donne les verges blanches, aux
jours des processions , à tous , une quantité de pains
déterminée par le même règlement. ^)
( 39^ )
Le vin , la bierre , le poisson , la viande , sont
distribués dans les mêmes proportions.
<K II est accordé un pot de vin par jour à chaque
religieux prêtre , et à ceux qui communient quinze
fois l'an, chacun desdits jours , un pot de supplé-
ment.
i( Au capitaine , deux pots par jour. ^
<x A celui qui chante la passion j un pot.
ce A chacune fois que les religieux iront jouer, uapot.
a Pour la cène des lépreux^ quatre pots,
ce Chaque religieux , pendant le carême, aura trois
harengs saures, des œufs, du beurre, des pois et
autres légumes.
<c Le dessert se composera d'une douzaine de noix
par religieux , et de figues, comme il est accoutumé.»
Le total des rentes, à la charge de la mense con-
ventuelle, se montait à 3,966 livres o3 deniers. Cent-
quatre personnes prenaient part à la distribution de
cette somme. Voici quelques articles qui donneront
une idée des traitements de l'époque.
« A chacun de^ dix curés de Fécamp. 2 5
« Au sergent vicomtal 5
'< Au cuisinier i iio
« Au capitaine de la forteresse. . . . 1 60
c< Au sénéchal, pour ses gages. ... 3
« A l'avocat de la seigneurie. .... ao
« Au procureiu' fiscal 80
i( An portier de la forteresse .... \'x
it
n
II
( 393)
Au barbier du couvent, pour faire la
couronne des novices 1 6 ^ » •^
Au procureur du roi de Montivilliers. 6 1 8
Au juge d'Harfleur, /7<?ari^a quil soit
en état 3 »
A huit sergents des bois , à raison de
ao livres pour chacun i6o »
Les droits respectifs des deux parties ainsi établis,
restait à faire le concordat entre les religieux de Fé-
camp et ceux de Saint-Maur. Les conditions en
furent dressées et acceptées dans un acte séparé,
dont voici quelques-unes des principales dispositions:
a i» Les anciens religieux de l'abbaye de Fécamp
vivront dans leur particulier, sous la conduite de
celui d'entre eux dont ils feront choix, sans que les
nouveaux pères puissent prendre aucune juridiction
sur eux; les anciens ne pourront être contraints d'en-
trer dans la réforme, ni obligés à une vie plus
étroite que celle qu'ils ont professée.
1^ Chaque ancien religieux prêtre aura, pour sa
portion de pitancerie^ la somme de 8oo Hvres, qui
lui sera payée par les pères de la congrégation de
Saint-Maur.
3® Les religieux profès auront 4oo livres par an,
et les novices 200 livres.
4^ Si les anciens venaient à se faire transférer
dans un autre monastère de Saint-Benoît , ils
emporteraient avec eux leur traitement, auquel
( 394 )
»
on ne pourrait rien diminuer ; il en serait de même
pour ceux qui se feraient séculariser par t autorité
du pape.
5® Pendant les cérémonies religieuses , les anciens
auront les premières et plus honorables chaires
au chœur, et le rang d^honneur après le célébrant
et l'officiant.»
Suivent d'autres articles de détail d'un intérêt
plus secondaire , que nous nous dispensons de rap-
porter.
i65a. Quand tout était calme dans le monastère , et
que les esprits n'étaient occupés que d'innovations
et de réformes, un vaisseau entrait dans le port
de Fécamp , portant le roi d'Angleterre , Charles II,
qui venait d'être chassé de ses états. La fortune
impitoyable, après avoir conduit le père de ce
prince sur l'échafaud , l'avait poussé lui-même dans
les plaines d'Ecosse , où il venait d'être défait par
Cromwel ; Charles, après la disparition de son pai*ti,
la mort de ses amis les plus dévoués, venait de
traverser l'Angleterre en fugitif, pour demander
un asile au roi de France. Tout en déplorant le
sort de Charles II, les Normands ne virent pas
avec déplaisir un peuple qui leur avait fait tant de
mal, déchirer ses propres entrailles, et se livrer à
toutes les fureurs qui assuraient l'avenir et la tran-
quilUté de ses voisins.
Le port de Saint- Valerv-en-Caux ayant besoin
^ ( 395 )
de réparations urgentes, M. d'Herbigny, inten-
dant de Rouen , donna ordre aux religieux de Fé-
camp d'y faire exécuter des travaux dont le devis
s'élevait à la somme de cinq mille livres, et leur
permit de se couvrir de leurs avances , par un impôt
sur les bourgeois de Saint- Valéry. L'année suivante,
le Havre-de-Grâce fut détaché du gouvernement
militaire de la Normandie, et forma une division
indépendante: Fécamp^ Montivilliers, Harfleur, et
cent cinquante paroisses, firent partie de ce nou-
veau gouvernement.
L'abbé de Verneuil résilia tous ses bénéfices ec-
clésiastiques, peu de temps après y avoir introduit
la réforme de Saint-Maur. Voici en quels termes
le bénédictin de Fécamp, auteur du Trésor de F ab-
baye^ nous fait part de cet événement : « Enfin, ce
bon abbé, âgé de 67 ans, quitta l'habit ecclésias-
tique pour se marier, n'étant pas engagé dans les
ordres sacrés ; il épousa la veuve de feu le duc de
Sully, avec laquelle il vécut quatorze ans, ayant,
par dispense de Rome, retenu de grosses pensions
sur les abbayes qu'il était obligé de quitter; il jouit
de ces pensions jusqu'au commencement de l'an-
née i68a, qu il alla rerulre compte à Dieu de F ad-
ministration des biens de C église. »
(396)
Jeait Casimir, roi de Pologne, lrente*sixième abbé
de Fécamp.
*^ Jean Casimir, roi de Pologne, après avoir volon-
tairement quitté ses états , se retira en France , oîi le
roi Louis XIV le reçut, et lui fit présent des abbayes
que le duc de Verneuil venait de quitter.
De son temps, le monastère donna quarante bois-
seaux de blé , pour faire du pain aux pestiférés de
Dieppe , un poinçon de vin aux pères Capucins de
Fécamp, qui étaient dans le besoin ; soixante livres
pour les pauvres soldats chrétiens de Tile de Candie,
conformément à l'invitation faite par le pape , dans
sa bulle pour le jubilé.
On prit trois cents livres dans le trésor, pour faire
la châsse où reposait le corps de saint Benoit.
On fit couvrir en ardoises l'église du prieuré de
Notre-Dame de Baudouin.
On donna une chappe de damas blanc à Téglise
de Pissy , au prix de dix écusj le curé promettant
d*en ai^oir grand soin y et onze livres au même curé
pour avoir fait mettre le nom de monseigneur sur
une cloche que sa paroisse avait fait fondre.
Enfin , on fit un bail à Pierre Bourgaise , bourgeois
de Fécamp , pour les droits de la posée du portât
du bassin , et pour la maison de là vicomte ; et l'on
donna , à ferme générale , les propriétés de la mense
( 397 )
abbatiale , aux sieurs de Louche , Babant et Canu ,
moyennant soixante et un mille livres par an'.
Jean Casimir étant mort à Paris, en 1674? son
corps fut porté aux pères jésuites de Nevers, et son
cœur dans l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés.
Louis -ANTomE , prince de Neubourg ; trente-
septième Abbé de Fécamp.
Louis-Antoine de Neubourg , fils de Philippe- 1674.
Guillaume, était électeur palatin, et grand-maitre
de l'ordre teutonique , lorsqu'il fut placé à la tête
du monastère de Fécamp.
François Bouxel deMédavi , archevêque de Rouen,
fonda, en i68îi, le couvent des sœurs de la Provi-
dence de Fécamp.
Une ordonnance du roi, de la même année, porte
que les droits de neuf livres par tonneau seront pré-
levés à raison de quatre livres neuf deniers par
muid de cidre, mesure de Paris, dans la ville de
Fécamp et dans plusieurs autres ports de Normandie,
tels que Harfleur, le Hoc et Honfleur '.
En i683, les commerçants de Fécamp, désirant
s'affranchir des impôts que le collecteur de l'abbaye
prélevait sur leurs marchandises , pour droit de vi-
» Archives départ. ; cartons de Fécamp,
» Ordonnances de louis XIF, concernant les Aides.
( 398 )
comté , refusèrent cet impôt , qui se percevait de
temps immémorial.
Élie Beaux, fermier de Tabbaye, aux droits de
la vicomte de la mer, fit citer les récalcitrants devant
le siège de Tamirauté de Fécamp , lequel , par sen«
tence, contraignit les sieurs Jean-Baptiste Delahaye,
Charles Gosselin , Simon Feuilloley, Jean Lamoisse,
et les bourgeois de la même ville , à payer le droit
de vicomte comme par le passé.
Il paraît que les habitants ne regardèrent pas
cette sentence comme définitive, car nous voyons
les moines s'adresser directement à l'intendant de
la marine, au département de Normandie , pour ob-
tenir le maintien de leurs droits de perception sur
toutes les marcliandises et poissons entrant dans le
port; se fondant,
i^ Sur la charte du duc Bichard ;
îi* Sur les édits des rois de France Charles IX ,
en 1 568, et de Louis XIV, en i653 ;
3° Sur un extrait de la pancarte faite en 1 38o ,
indiquant les droits dûs à la vicomte de mer de
Fécamp ;
4® Sur un bail passé à Hector Drouet , le 6 février
1 588 , de tous les droits de coutume de la vicomte
de la mer de Fécamp ; ^
Enfin , sur la sentence rendue en l'amirauté de
Fécamp, le ao mars i683, laquelle rendait exécu-
tqire la pancarte des droits de la vicomte.
( 399 )
Pour cette fois , l'intendant de la marine donna
gain de cause aux habitants de Fëcamp. C'est
le premier succès obtenu par la communauté des
bourgeois contre les prétentions fiscales des agents
de l'abbaye. La place de vicomte de la mer fut sup-
primée et remplacée, au nom du roi , par un rece-
veur des droits de l'amirauté.
Cette décision , si favorable aux habitants de Fé-
camp, fut bientôt suivie d'une réclamation qui pou-
vait avoir de graves conséquences pour l'abbaye , à
raison de la qualité du demandeur.
L'archevêque de Rouen, dans un mémoire for-
tement motivé y demandait que l'exemption de Fé-
camp, avec toutes ses paroisses , rentrât sous le pou-
voir épiscopal ; ses raisons étaient spécieuses : il
prétendait que ce qui avait été bon ou tolérable
autrefois, était maintenant contraire à la discipline
qui établissait l'évêque supérieur spirituel de toutes
les paroisses de son diocèse.
Malheureusement pour l'abbaye , elle avait, disait-
on, depuis longues années, dans les cures de sa dé-
pendance , des ecclésiastiques dont la vie n'était pas
exemplaire : les visiteurs même étaient accusés de
boire et de se griser, dans les paroisses, d'autres
menaient des vies scandaleuses ; et les punitions in-
fligées par le prieur n'étaient pas en rapport avec les
fautes qui avaient été commises.
Un sieur Leblond , vicaire, avait été condamné
(' 4oo )
à sentir au chœur : voilà , disaient les adversaires
de Texemption , la punition infligée à uu prêtre
ivrogne, et qui a grièvement outragé son curé !
L'affaire paraissait assoupie, lorsqu'un autre scan-
dale vint tout remettre en question : un curé, de la
dépendance de l'abbaye , titulaire d'une chapelle
dont les offrandes des pèlerins composaient le revenu,
supposa un faux miracle , en introduisant un sep de
vigne dans les yeux d'une statue de la vierge , pour
faire croire qu'elle versait des larmes.
Il fit un cantique à ce sujet , et un missionnaire
répandait partout l'histoire de ce miracle. Tels
étaient , du moins , les griefs articulés , et peut-être
un peu trop légèrement accueillis , dans le faciiun
de l'archevêque.
L'abbaye était consternée de cette nouvelle accu-
sation , lorsqu'un moine entreprit de monter sur
la brèche pour défendre sa communauté. Dans un
mémoire fort dialectique de méthode et d'érudition,
il fait valoir les droits imprescriptibles du monastère
de Fécamp , respectés dans tous les âges , par les
princes et les souverains pontifes, et passe en revue
les faits incriminés avec la supériorité d'un homme
de talent qui combat pour la vérité ; quant au
prodige supposé, il n'a pas de peine à prouver la
fausseté de l'imputation , puisqu'il devait avoir eu
lieu en juin, époque à laquelle les vignes ne jettent
(4oi )
plus de sève y que la statue de la vierge n'était pas
Creuse, et n'avait pu, par^ conséquent , renfermer de
sep de vigne.
Ce moine , à qui le monastère dut la conservation
de ses privilèges , était dom Fillastre ' , né dans une
cfaaumièredu village du Tilleul, vers i634 ; admis
d'abord , dès l'âge le plus tendre , en qualité d'enfant
de chœur , il ne put long-temps occuper ce poste ,
faute de voix, et dom Martial Desforges, chantre,
proposa , en 1 65 1 , de le faire remplacer par Jean
Durand , fils d'un menuisier de Fécamp , regardé
comme plus propre et ayant de meilleures qualités.
En i65a, dom Fillastre passa à l'abbaye de Saint-
Faron-de-Meaux , et, en 1687 , nous le retrouvons à
Fécamp avec le titre de maître de la musique , pre-
nant part à toutes les décisions capitulaires , avec le
prieur Gabriel Dudan et les pères Sacquepée, Le Coq ,
Trabouillet, Filleul , Pollet et Duvivier, presque tous
élèves de Saint-Maur , faisant renaître , par l'exemple
de leur vie , le goût de la régularité et du travail
dans le monastère de Fécamp.
C'était aussi l'époque où les Mabillon , les Ruinart ,
les Martène , et tant d'autres célèbres Bénédictins
entreprenaient , en commun , les immenseis collec-
■ Le prieur dom Dudan passait pour aToir pris part au traTail
du père Fillastre.
( 4<5a )
lions ^i ont jeté un si brillant éclat sur leur siècle
et sur leur ordre.
Fillastre prenait part à leurs travaux , en four«
nissant des notes et des mémoires à dbm Mabillon ,
qui faisait une estime toute particulière de son savoir
et de ses vastes connaissances; il est auteur de plusieurs
lettres adressées à ce dernier pour éclaircir certaines
difficultés religieuses, de conjectures sur la cat/eme
du dieu Mithra , et de dissertations latines du plus
grand intérêt; il avait encore composé d'autres écrits
sur différents sujets ; mais , se voyant à l'article de la
mort 9 il en fit le sacrifice avec celui de sa vie , en fai-
sant jeter au feU toutes ces productions de son esprit < .
Dom Le Marchand, le premier prieur, après la
réforme , avait fait de fréquentes visites dans les
paroisses dépendantes de l'abbaye , en redressant les
abus qui parvenaient à sa connaissrnce. Gabriel
Dudan , son élève et son succe:sseur , marchait sur
ses traces , donnait l'essor aux heureuses inclinations
et à qui montrait du zèle et de la capacité. Ce fut
à cette époque que le sacristain du monastère lïiit en
ordre son Trésor de l'abbaye de Fécanip , ouvrage
dont la partie historique ne brille assurément pas
parle style et l'esprit de critique, mais qui a le mé-
rite de nous faire connaître le matériel de la commu-
' Histoire littéraire de la Congrégation de Saint-Maur.
( 4o3 )
nauté, et certains fails de détail que nous ignorerions
sans lui t par exemple , l'envoi j à Fécamp , par les
pèi^s de Saint-Maur^ de religieux de leur congréga-
tion^ pour faire un cours de philosophie et de théo^
logie, et pour y enseigner les sciences divines et
profanes; ce qui fit que Fécamp devint une des écoles
les plus renommées de France, où les premiers sujets
venaient se livrer à l'étude des lettres.
L'abbé Louis-Antoine, qui ne vint jamais à Fécamp,
fut nommé coadjuteur de l'évéque de Mayence , en
1691 ; l'évêché de Liège étant devenu vacant trois
ans après, il se mit sur les rangs pour l'obtenir. Son
compétiteur était le prince Clément de Bavière, qui
eut vingt-quatre voix ; l'abbé de Fécamp n^en avait
obtenu que vingt-deux.
Lé chagrin de sa défaite contribua, dit-on, à sa
mort , autant que le grand repas qu'il donna à ses
partisans ; ayant affecté de boire long-temps , afin
de montrer au parti contraire une joie qu'il n'avait
pas ' , il fut attaqué d'une fièvre maligne , dont il
mourut le 4 mai 1694-
Dans la même année , les Anglais , mécontents des
secours que Louis XIV prêtait à Jacques II, pour
le placer sur le trône , vinrent bombarder le Havre-
d«*-Gràce et la ville de Dieppe qu'ils brûlèrent en
partie. Fécamp , qui se trouvait entre ces deux places ,
' Mfi9. de la Bibliothèque «in roi ^ cartûHs dé Fécamp.
(4o4 )
pouvait avec Raison concevoir quelques craintes : on
construisit un petit fort sous la montagne de Notre-
Dame; on éleva une tour ronde en briques ^ au centre
de la vallée, et le fort Sanson, nommé depuis le
Batifaut , fut construit pour commander la gauche du
port ' . Plusieurs compagnies bourgeoises, jointes aux
gardes-côtes 9 attendirent de pied ferme les Anglais ,
qui 9 ne regardant, sans doute , pas Fécamp comme
valant la peine d'être brûlé , ne daignèrent pas s'ar-
rêter devant ses murs.
Paul de Neuville de Yilleroi, trenterhuitième
Abbé de Fécamp.
,(^9, Lorsque le précédent abbé fut nommé coadjuteur
de l'évêque de Mayence, il quitta la France, et les
revenus de la mense abbatiale furent mis aux éco-
nomats. Le cardinal d'Espagne administra le mo-
nastère jusqu'à l'époque où Paul de Neuville en fut
élu abbé , en 1698.
Paul de Neuville s'occupa .de constructions et
d'améliorations assez importantes, pour son église.
On lui doit les anciens lambris du chœur, qui ornent
maintenant la chapelle de la Vierge , le nouveau
portail, dans le goût du xviii* siècle, d'un style lourd
' Mémoires de Vauban. — La Toar ronde, cl-des6U8 , n'a •ntiè-
Fement disparu que depuis peu d'années.
( 4o5 )
et tourmente j et nullement en rapport avec Tarchi-
tecture de Tédifice.
Ce fut vers le même temps qu'on trouva y dans
l'ancienne chapelle de la Vierge , un tombeau dont
l'inscription indique la sépulture d'un jeune Robert,
fils du duc Richard; le centre de la pierre est orné
d^un lion sèulpté en relief, dans un médaillon por-
tant ces mots pour légende : Eccevicitleo de tribu
juda radix David. L'intérieur du sarcophage renfer-
mait la dépouille du jeune prince , que l'abbé de Yil-
leroi fit placer sous le grand autel de la chapelle
du saint Sauveur. Sans cette découverte , nous au-
rions toujours ignoré l'existence de ce fils de Tun des
deux Richard.
Le logement abbatial, situé contre le mur de la
forteresse, menaçant de tomber en ruine, on fit un
accord avec l'abbé pour transférer son habitation
dans les bâtiments qui sont en face du portail de
l'église , et servent aujourd'hui de mairlb et de maison
presb'ytérale. Et, pour indiquer que l'abbé acceptait
ce changement , on apposa ses armes sur le fronton,
de la grande porte de ce nouveau logis.
Il fut ensuite question de tirer parti des matériaux
de la maison supprimée. Le parlement nomma M. Du-
mesnil Costé , doyen des conseillers, pour voir ce qu'il
conviendrait de faire. Ce commissaire vintàFécamp,
fit comparaître des témoins des trois états : du
clergé, de la noblesse et des bourgeois ^ qui, tous,
( 4o6.)
déclarèrent que, ce bâtiment menaçant ruine , iU
ne s'opposaient pas à ce qu'il fût détruit , vu que
M. de Villeroi était entré en jouissance du logement
échangé; les matériaux qu'on en retira furent em-
ployés à construire le grand édifice dont une partie
se voit encore au nord de l'église abbatiale.
Cette réunion de trois ordres , pour délibérer sur
une affaire qui concerne l'abbaye , est un fait tout
nouveau dans l'histoire de Fécamp^ et déhote un
changement dans l'organisation, civile et poKtique de
la cité.
L'abbé de Villeroi introduisit dans l'hôpital de
Fécamp des religieuses bénédictines , et rétablit plu-
sieurs confréries qui avaient disparu depuis l'époque
des guerres civiles. Celle de Sainte Jacques se réor-
ganisa sous le patronage de M. Lhôte, major de la
côte, qui en fut nommé maire; seséchevins, Jacques
Gobbé, Jean Feuilloley , Pierre Avril , et Pierre Le-
mire, bourgedis de Fécamp , firent peindre , au sujet
de la réorganisation de cette confrérie , un tableau
qui fut déposé dans l'église de Saint-Jacques.
Cette curieuse peinture, que nous avons vue , et
dont nous ignorons la destinée , est le seul monu-
meiit qui nous ait fait connaître le costume des bour-
geois de Fécamp, au commencement du xviii* siècle,
l'ancien portail de l'abbaye, les restes du donjon des
ducs normands, encore ornés de leqrs escaliers en
^irale et de leurs tourelles élancées. Enfin, si lapein-
(4o7 )
ture est fidèle , nous voyons que les fossés du châ-
teau , au pied de la côte Saint-Jacques , étaient nus,
couverts d'arbrisseauxsauvagesy et n'offraient à la vue
que deux misérables chaumières y au lieu des beaux
vergers et des jardins qui en font Tornemeut actuel.
L'abbé de Villeroi, archevêque de Lyon, mourut "7-'5i.
dans cette ville en i ^3 1 , et l'abbaye de Fécamp fut
remise aux économats jusqu'à la nomination de son
successeur.
Le commerce maritime commençant à reparaître
dans nos ports , le comte de Toulouse , amiral de
France , nomma , au siège de l'amirauté de Fécamp j
un courtier interprète de langue anglaise, pour
translater, dit le brevet, les connaissements, chartes-
parties, et autres pièces , conformément à l'ordon-
nance de la marine de 1681. Jean-Baptiste Jouea
fut le premier titulaire de cet emploi.
Puisque nous avons parlé d'accroissement com-
mercial, c'est ici le lieu de faire connaître certains ren-
seignements de statistique que nous avons recueillis
dans une notice manuscrite rédigée par un habitant
de Fécamp vers le commencement du xvin« siècle.
L'esprit et l'industrie des classes bourgeoises ont pris
un tel essor depuis cette époque, la révolution a tel-
lement effacé les traces du passé , qu'il semble que
nous en soyons séparés par des siècles. Nous trou-
vons donc essentiel de fait*e connaître le point de
départ, les institutions et les personnages qui étaient
(4o8)
ea scène; car les hommes de science et de jugement
savent que les sociétés ne se sont pas formées d'un
jet, et que y pour aller en avant, il a fallu à nos pères
bien des luttes , du temps et de la persévérance.
a Le port de Fécamp , dit ce manuscrit , est se*
c< paré de la retenue par une chaussée et quelques
« parties de quais; il y a, pour soutenir les eaux de
« la retenue , deux batardeaux , dans chacun des-
« quels est une écluse à quatre portes, tournant sur
a pivots, et un pont au-dessus de chaque écluse;
<c celui du côté du sud-est est de bois, et celui de
« l'ouest, de maçonnerie.
« C'est sur la chaussée qui sépare le port de la
« retenue , que sont les chantiers de construction
<c pour la marine ; on dépave quelquefois certaines
« parties du quai, pour lancer à Teau les navires; il
« n'y a que deux maisons sur la chaussée.
« L'entrée du port , qui est très facile., n'étant
« interrompue d'aucuns courants, est dirigée presque
« nord-ouest et sud- est , par une partie de quai très
« faible et un bout de maçonnerie à l'amont , dont
« on est obligé de conserver la tête par un surtout
« de charpenterie , n'y ayant rien pour retenir le
« caillou du côté de l'ouest.
« Il y a à Fécamp treize cents maisons , et près
« de quatre à cinq cents autres qui ont été ruinées
« du temps des guerres civiles, tant par nécessité que
( 4o9 )
a par incendie. Ce nombre forme à peu près le tiers
(c des maisons de la ville.
« T^a population permanente de Fëcamp , y com-
« pris les enfants, se monte à six mille âmes; mais
« les aumônes faites à la porte de l'abbaye y atti-
« rent journellement une grande quantité de pauvres
« et de mendiants étrangers y ce qui augmente le
« nombre des habitants.
« En 'outre de ses dix paroisses et de son abbaye
« royale, Fécamp possède encore : un couvent de
« capucins, un de religieuses Annonciades, ^n ho-
« pital , une chapelle et deux prieurés : le premier
« est celui de Notre-Dame du Bourg-Baudouin, le
c< second celui du Sépulcre, ancienne Maladreriey
« dont riiôpital du Havre jouit actuellement du
« revenu 1
« La justice ordinaire se rend dans cette ville au
« nom de l'abbé, qui en est le seigneur : elle est com-
c< posée d'un sénéchal , d'un lieutenant, d'un avocat
« et procureur fiscal ; les sentences émanées de ce
« siège ressortissent par appel au parlement de Nor-
« mandie.
« Il y a, à Fécamp , trois tribunaux qui rendent la
« justice au nom du roi , savoir : le Grenier à sel ,
« l'Amirauté et les Traites.
« L'Amirauté est composée d'un lieutenant , d'un
« procureur du roi, d'un greffier, de deux huissiers,
« et de deux sergents. ToiUes^ les chargés de ce siège
( 4«o )
^ sont relevées ; monseigneur Tamiral y a an receveur
« de ses droits , un interprète de langue anglaise ;
a mais il n'y a^ dans ce port, ni courtier, ni maître
« de quai en titre ; ces charges ne méritent pas d'être
<x relevées, par le peu de commerce de ce lieu; les
« ofBciers de l'amirauté y ont mis un courtier d'of-
« fice; il n'y a paâ non plus de pilotes la.^la^eurs en
(( titre y mais , lorsque quelques bâtiments se pré-
« sentent pour entrer ou veulent sortir , il y a trois
« ou quatre chaloupes qui leur servent , et dans les-
« quelles s'embarquent les matelots qui se trouvent
« à ten'e. Le prix , pour la sortie ou l'entrée , n'est
a pas fixé j et ils prennent , comme à Saint-Valery ,
« depuis trois livres jusqu'à dix livres, selon la. gran-
<( deur du bâtiment.
« Le Grenier à sel , l'un des plus anciens de la
« province, est composé d'un président, d'un gre-
« netier, d'un contrôleur, d'un procureur du roi,
« d'un greffier et de deux huissiers.
« Les Traites n'ont qu'un juge,. qui est reçu à la
« cour des Aides, et qui se sert, le cas échéant, d'un
« avocat, pour faire fonction de procureur du roi
M et de premier greffier.
« Le roi ou ses fermiers ont un receveur à, Fé-
« camp, tant pour les gabelles que pour les traites
«ou la romaine; sa recette, pour l'une et pour
«l'autre, se monte annuellement à cent mille
« livres.
( 4fi )
« li y a aussi un receveur pour les aides y papier
« marque 9 sou pour livre de la vente des mar-
ie chandises provenant de l'étranger, et de celle des
« huiles et pour les autres droits que le roi retire de
« ce bourg. On ne connaît pas le montant de ces
« recettes.
« Les saleurs de Fécamp ont le privilège d'avoir
« autant de sel qu'ils en ont besoin pour leurs ha-
« rengSy maquereaux et morues; ils peuvent faire
a venir leur sel des marais salants; mais il y a eu ac-
« cord entre les fermiers royaux et les bourgeois de
c< Fécamp, par lequel les premiers sont obligés de
c( fournir à ceux-ci, en temps de paix , le sel dont
<c ils ont besoin à quatre-vingt-dix livres le muid, et
« lors de la guerre, à deux cent dix livres.
« A cause de ce privilège, les habitants de Fé-
« camp se sont obligés à fournir la moitié des de-
« niers qu'il conviendra employer pour réparations
« du port et de la jetée.
a Ce bourg est sous la direction d'un subdélégué
« de nK)nsieur le commissaire départi , et de deux
« écheifins , dont C élection se fait , de trois ans en
« trois ans , par la communauté.
«Outre la haute, basse e.t moyenne justice,
« l'abbé de Fécamp a encore celle des Eaux et
c< Forêts; et, pour la conservation des droits de
c< chasse, pêche, et la garde de ses bois, il a un
( 4i2 )
(K capitaine de chasse, un lieutenant, un sous-lieu-
« tenant , et cinq gardés.
c( Monseigneur l'abbé a aussi la nomination des
« officiers d'épée : gouverneur et lieutenant de roi;
« il vend ces deux offices , et la finance vertit à son
« profit , quoique , cependant , ces officiers aient des
«provisions du roi; il est obligé de payer sur le
« revenu de la mense abbatiale, seize cents livres
« par an , au gouverneur, et huit cents livres au
« lieutenant du roi.
« Les matelots de Fécamp s'habillent comme
« ceux du Havre ; le vêtement des femmes du com-
« mun approche de celui des Dieppoises , à l'excep-
<( tion de ce qu'elles mettent dessus leur corps,
«qu'elles appellent /i^j*^^, qui est plus long, ainsi
« que les barbes de leur coiffure ou loquets j
« lesquelles leur viennent jusqu'à la ceinture.
«Il y a, à Fécamp, plusieurs manufactures de
« gros draps, vulgairement appelésy/'ocj, et quelques
« moulins à huile; il y a eu aussi une manufacture
« royale de draps fins, mais à présent elle est tom-
«bée, quoique les privilèges qui y sont attachés
« soient assez beaux. »
« Il se trouve en la paroisse de Gontre-moulins ,
«dans un vallon, une fontaine d'eaux minérales,
f( dont les habitants, qui sont incommodés, usent
« tons les ans, par ordonnance des médecins.»
(4i3 )
Commerce maritime de Fiêgamp.
« ji{^ec {Angleterre. — On n'envoie de Fécamp 1734.
aucuns bâtiments en Angleterre , mais cette nation
y apporte du blé , du charbon de terre et des meules;
le retour s'en fait ordinairement en espèces ,
quelquefois^ cependant^ en toiles du pays, vins et
eaux-de-vie.
« Avec la Hollande. — Les marchands de Fé-
camp envoient , chaque année , un ou deux bâtiments
en Hollande 7 dont ils tirent des graines de lin, des
chanvres et antres marchandises; ces bâtiments
vont sur lest , et le maître porte ordinairement l'ar-
gent des marchandises avec lui.
« Avec la Bretagne, — Oa envoie de Fécamp en
Bretagne des rogues de maquereaux salés , pour
l'île de Bas, où elles servent à la pêche de la sardine;
on y expédie aussi des huiles de rabette. Le retour
s'en fait en chanvres et toiles.
« Avec la Basse-Normandie. — Les Fécannais
envoient , à Ronfleur, Caen et autres villes, du hareng
salé, des maquereaux et des huiles de rabette; on
-en rapporte du cidre, du poiré, du beurre et des
chanvres.
« Avec Roaen. — Fécamp envoie à Rouen du
( 4'4 )
hareng, du maquereau, du charbon de terre, de la
morue et de l'huile de rabette , el en tire les mar-
chandises dont on a besoin , et principalement du
fer, de l'acier, du plâtre et de l'épicerie.
« Aifec Bordeaux. — L'on envoie à Cordeaux du
hareng , et le retour consiste en vins, eaux-de-vie,
prunes, brai et goudron.
« Ai*ec la Rochelle. — Plusieurs barques vont,
compie celles de Saint- Valéry, à la Rochelle, chercher
fret, et servent, le plus souvent, à transporter des
sels des marais du roi. On trouve rarement d*autre
fret.
a jéi^ec Calais. — Les marchands de Fécnmp
tirent de Calais des lins, de la graine de lin , du brai
et du goudron; le retour s'en fait en espèces.
c( /éifec le Havre et Dieppe. — La plus grande
partie des brais , goudrons, planches, toiles à voile
pour les bateaux pécheurs , sont tirés par les mar-
chands de Fécamp, du Havre et de Dieppe.
(( Pèches. — Les pêches qui se font à Fécamp
consistent : en morues sur le banc de Terre-Neuve ,
en harengs à Yarmouth, en maquereaux à l'île de
Bas, en Irlande et à la côte. Les marchands envoient
la plus grande partie du produit d^ ces pèches : aux
villes de Paris , Rouen , Orléans , Troyes en Cham-
pagne, Auxerre en Bourgogne, et autres villes,
(4«5)
même jusqu'à Lyon; les premiers par charroi, tant
pour compte d'ami que pour eux, et dans les mois
de décembre et janvier, par mer, à Rouen. Ils tirent
de ces villes des vins, des eaux-de-vie et du chanvre,
a Outre les pêches ci-dessus, il y a, à Fécamp,
deux ou trois fortes chaloupes qui vont à la pêche
des luiîtres , sur une huîtrière placée à une lieue
dans la mer, vis-à-vis la chapelle du Bourg-Bau-
douin.»
Dans le temps où ces notes étaient rédigées, la n^^-
commune faisait confectionner un rôle général de
toutes les occupations , jardins , fermes et terres
labourables, pour établir Timpot proportionnel de
deux sous pour livres , ordonné par le roi. Ce rôle
divisait les habitants de Fécamp en treize catégories,
que nous ferons connaître, avec les noms des nota-
bles qui figuraient en tête de chaque corporation.
i*"" CORPS. — Officiers de judicature et antres
particuliers vii^ant noblement : Biaise Roussel, pro-
cureur fiscal , Nicolas Feuilloley , Le Mire , Ricard ,
Goyer, Elie Clouet, Barbey et Lanin.
2^ Corps. — Notaires , greffiers et musiciens :
Gilles Michel , notaire; Jean LeTellier, id. ; Jac-
ques Lepinai , greffier ; Charles Nanet , musicien ;
L^Ecossais , organiste.
3e Corps. — Huissiers , sergents , jaugeurs ,
gardes hois , concierges , arpenteurs , écrisxiins et
(4«6)
coutumiers de la porte du marché: Nicolas Daussy ,
Depinay , Bellami.
4* Corps. — Commerçants en mer^ marchands
épiciers , chandeliers , graissiers et apothicaires :
Tougart, Abraham Bérigny, L'Alouette, Perron,
veuve Combart.
5* Corps. — Drapiers drapants : Thurin , Mar-
cotte , Ferrand , Daniel , Jean Bérigny.
6* Corps. — Chirurgiens ^ barbiers j perruquiers
et sages-femmes : Charles Magin, Jouvel, D'Arson,
Boulenger>, Benêt, veuve Lepicart, femmes Raby
et Avenard.
7* Corps. — Merciers , drapiers , clincailliers
en gros et en détail : Savoye , Béquet , Mésaize ,
Courché, Le Borgne, LeCacheux.
8® Corps. — Bouchers: Marin Gruchet père,
Jacques-Marin Gruchet fils, Avray, Fauvel, Mullot.
9* Corps. — Boulangers et meuniers : Dubosq ,
LeTellier, Ingent, Avril, Fiquet et Charles Le Vicq.
io« Corps. — Pâtissiers et rôtisseurs : Durand ,
Le Gendre , Nicole , Bellenger.
1 1® Corps. — Potiers iVétain : LeMettay, Ros-
signol , LeMaitre , Chardine , Bidel.
la* Corps. — Tanneurs , corroyeurs et mégis-
siers : Le Gras , Couillard , Dodard , Drouet.
13** Corps. — Serruriers ^armuriers j maréchaux^
(4i7)
horlogers , cloutiers , taillandiers : Jean Acher , Jean
Toussaint, Pierre LeVicq.
Voici , pour compléter ce tableau ^ Paristocratie
exempte de payer la taille , à la même époque : elle
se composait des ecclésiastiques des dix paroisses de
Fécamp , de certains individus vivant noblement ou
exempts à cause de leurs offices.
S.-Etiewwe. m. le curé.
M. Savoie, vicaire.
M. Lecomte, prêtre.
M. Lalouette, prêtre. .
M. Deschamps, prêtre.
M. Thurin, prêtre.
M. Perron, prêtre.
Total : y ecclésiastiques à S.-£tienne.
Nobles. . M"* de Blangues.
M. de BriUy.
M. de Vassouy.
M. de la Villette.
M. Dorey.
M"»' de CoUeville.
M"' de Vauchamp.-
M"' de Vassouy.
Total : 8 maisons nobles sur S.-Etieune.
M. Corbière, ancien lient, de l'amirauté.
M. de Senneville, lient, de dragons.
^7
( 4»8 )
M. Yon y élu à Montivilliers.
M"" Dorey, fille.
M. Le Cordier, commis du trésorier des invalides.
MM. Magin, ingénieurs.
M. Dé la Haye, notable.
M. De la Roque, receveur de M. Tamiral.
M. Olivier, administrateur de l'hôpital.
S.-Fromond. m. le curé.
M. le vicaire.
M. Reaux,. prêtre.
M. Lemettay, prêtre.
M. Aubry, prêtre.
M. Majot, prêtre.
M. Drouet, clerc.
7 ecclésiastiques à S.-Fromond.
Nobles. . .M. de Vertot.
M"*Daubœuf.
M. de Vochamp.
M"' du Parquet.
M"* du Tournay.
M"* Dhénouville.
M"* de Grainville.
M"*^ D'Osseville.
• M™*DuRomois.
Mme de Vitenval.
jVIme de FroberviUe.
M^^" de Gricnx.
( 4«9 )
M'** Hylaire de Mellcmont.
M"« de Sanville.
M*'* du Boulhart.
Total : i5 maisons nobles sur S.-Fromond.
M"* Roussel.
M™« Varoux.
M. Sellier.
M. Ricard 9 percepteur du roi, pour l'amirauté.
M™« Rebut.
M. Landrieu, trompette des gardes du roi.
M. Ferrand, vétéran.
M. Le Grand.
M. de Bérigny, Faîne.
M. Dominique Tougard, échevin.
M. Nicolas Ferrand, écliévin.
M. F* Ferey, gardedeMonseig'leduc deS.-Aignan.
Les Sœurs de la Providence.
M. Le Vacher, notable.
M. Vincent, huissier delà ville.
Pierre Resse, clerc de ville.
Bénard, soldat aux gardes, invalide.
S**.-Croix. . M. le curé.
M. Gruchet, maire.
Nobles. . M. de Beaufort , officier invalide.
M"' de Creully.
M. de Plancy.
M. de Baudot*
Total : 4 maisons noUes sur S*^-Croix.
( 4^o )
M. Roussel y procureur fiscal.
M. Collot ,! receveur de ville.
M. Vincent Mangin, chirurgien- de l'hôpital.
M. Jourel , ancien échevin.
S.-Légeh. ... m. le curé.
M. le vicaire.
Nobles, . . M. deBriquemont, lieutenant de roi.
M"* de Greaume.
M. de Pestel.
M"* d'Oî^eville.
M. Fillault.
Nicolas Auger, clerc du guet.
Total : 4 maisons nobles'sur la paroisse de S. -Léger.
S. -Thomas. . M. le curé.
Nobles. . . M. du Toyn.
M*^ d'Hattentot.
M. Descalles.
M. de Venois.
M"»« de Bornambusc.
M. D'Epinai , greffier de l'amirauté.
Total: 5 maisons nobles surla paroisse de S.-Thomas.
S.-OuEN M. le curé.
S.-Valery. . . m. le cuxé.
MM. les Religieux.
Noble. ... M. le chevalier de Thiboutot.
M. Godefroy, notable.
S.-Bewoît.. . . m. le curé.
Noble . ... M. de Grieu.
( 4'^ï )
S.-NicoLAS.. . M. le curé.
Noble M. d'Hattentot,
Les Daines Religieuses.
M. Isaac Le Maître , notable.
Ceux qui connaissent maintenant cette ville ,
pourront juger de l'ëtonnante modification apportée
par le temps , dans les classes diverses dont il est
ici question.
En 1745, eut lieu à Fécamp la création d'un pro- i^^s.
fesseur d'hydrographie pour cause cC utilité publique
et d! extension du commerce maritime. François de
Boux occupa le premier cette place , qui était à la
nomination de M. de Penthièvre , grand amiral de
France.
Les habitants qui voulaient saler du poisson et
recevoir du sel en franchise ^ avaient coutume de se
rendre à la salle de l'abbaye pour faire inscrire leura
noms, en présence du prieur dom Romain de la
Londe et des officiers du grenier à|sel. Ceux qui se
présentèrent cette année , furent : Jacques Tougart
père, Jacques le Duey, Michel Mauconduit, Abra-
ham Bérigny, Dominique Tougart, Pierre Bellenger,
Pierre Maze, Charles Langlois, François Ferrey,
Laine, Louis Boivin, François Boivin , Philippe Au-
bourg, Pierre Mézaise, la veuve LeteUier, mercière;
Jacques Yévard , Jean-Jacques Laroque, lesquels, au
( 4-^2 )
nombre de seize , reçurent l'autorisation de faire des
salaisons à Texclusiou des autres bourgeois '.
Abraham Bérigny fut nommé contrôleur du gre-
nier à sel en remplacement de son frère , qui s*était
démis en sa faveur , et dont il avait payé le droit de
survivance; et Robert Colos fut appelé , par ses con-
citoyens y au poste de receveur général des deniers de
la commune.
On fit aussi une nouvelle assiette de la taille ^ et,
pour arriver à une répartition équitable, le maire
convoqua , selon la coutume , tes bourgeois et les
habitants^ chacun dans sa paroisse, pour élire quatre
d'entre eux, dans les grandes paroisses, et deux
dans les petites, et leur donrier plein pouvoir de
s'assembler en leur nom, dans la salle de Tabbaye,
en présence du prieur, pour désigner les quatre ré-
partiteurs de l'impôt.
C'était, comme on le voit, une élection à deux
degrés. Ceux qui reçurent cette mission de leurs con-
citoyens, furent Thomas Cauquais, de la paroisse
deSaint-Léger; Françoisle Tanneur, de Sainte-Croix;
François Boivin et Pierre Ferrey , de Saint-Etienne.
Il sufSt de se reporter au mode d'élection pour croire
que ces noms étaient des plus honorables de la cité.
Un homme que nous avons vu , il y a quelques
années, faisant partie d'une corporation de commep-
' Délibérations de 1« mairie de Fécainp.
( 4î»3 )
çants : Jacques-Marin Gruchet, à force de caractère,,
de travail et de considération , avait été placé à là tête
des affaires de la commune; respectueux avec le
pouvoir y mais incapable de céder aux cajoleries de
Tautorité, c'était un de ces hommes rappelant le
moyen-âge , croyant à l'obligation de remplir les de-
voirs de sa charge et de soutenir les intérêts de ceux
qui l'avaient élu. Les événements qui survinrent ne
tardèrent pas à mettre en évidence son patriotisme
et son zèle pour le bien public.
C*était l'époque des guerres qui eurent lieu sous
le règne de Louis XV. Chaque jour amenait les
Anglais devant nos côtes , et l'on vivait sans cesse dans
la crainte de descentes et de bombardements. M. Des*
roches, ingénieur de la marine, fut chargé de mettre
la place de Fécamp en état de défense , et on y en-
voya trois compagnies de cavaliers pour y tenir gar-
nison ; les bourgeois , surchargés de logements mili-
taires, réclamèrent auprès de l'intendant de Rouen,
qui leur répondit: qu'il avait plus de cinquante com-
pagnies à loger dans son département, que Montivil-
1ers , Cany et Lillebonne, étaient remplis de soldats,
et que Fécamp ne devait pas se plaindre, puisqu'il
avait reçu antérieurement jusqu'à quatre compagnies;
il ajoutait que, pour alléger la charge des habitants ,
tous devaient y prendre part , excepté l'abbaye.
Le maire, par prévoyance et comme on avait
rhabitude de le faire dans ce temps4à , fit prévenir,
(4^4)
au son du tambour, les cabaretiers et les bour-
geois de la ville de ne faire aucun crédit aux ca-
valiers du régiment d'Orléans , ni de leur donnera
boire passé huit heures du soir , sous peine de trois
livres d'amende, et de dix livres en cas de récidive '.
La campagne s'ouvrit heureusement par la prise
d'Ypres et le passage des Alpes; le marquis d'Argen-
son ordonna de chanter un Te Deuni , et de faire 4es
feux de joie dans toutes les villes.
Voici le cérémonial qui eut Heu à Fécamp à l'occa-
sion de ces fêtes : au troisième verset du Te Deum^ un
des officiers de ville alla prendre l'ordre du maire, et
ensuite demander, de la part de l'Hotel-dç- Ville, au
gouverneur ou à son représentant, s'il voulait venir
allumer le feu de joie. Le gouvertieur répondit qu'il
était prêt ; et aussitôt, le maire, précédé d'un ofBcier
de ville, et accompagné du second échevin, alla
prendre le gouverneur à la place ; ils se rendirent
çnsemble dans le lieu où était le bûcher. Là , deux
valets de ville remirent des flambeaux à un échevin,
qui présenta le premier au gouverneur et le second
a^u maire; ces deux derniers firent ensuite le tour du
bûcher au son des tambours , trompettes et autres
instruments, allumèrent ensemble le feu, et retour-
nèrent au chœiir, dans le même ordre qu'ils en étaient
sortis.
* Délibérations de la mairie de Fécamp.
( 4^5 )
Pareille cérém'^nie eut lieu quelques mois après,
à l'occasion de Theureux rétablissement de la santé
du roi j et le maii'a ordon.ia aux boirgeois de mettre,
à huit ïumi es du soir , des lanternes sur leurs fenêt res ,
sous peine de dix-huit livres d'amende contre chacun
des contrevenants.
Au milieu de toutes ces fêtes , la nomination d'un l^^^'
abbé passait inapei çue.
Claude-Fbatîçois de Montboister de Canillac,
trente-neuvième Abbé de Fécamp.
La paix dura peut-être moins long-temps que les
réjouissances auxquelles elle avait donné lieu , et le
roi, (le son camp de Stéen, nomma M. deRignac,
ingénieuren chef pour les ports de Fécamp et d'Yport,
sous les ordres de M. de Caligny , directeur des for-
tifications. La garnison fut en même temps renforcée
de quatre compagnies de cavalerie, et d'un détache-
ment de gardes-du-corps. Comme c'était une charge
excessive pour la ville, le maire obtint de l'inten-
dant qu'une partie de ces militaires logeraient dans les
villages de Saint-Léonard , Ganzeville, Toussaint et
Senneville : Saint-Léonard dut fournir douze lits,
Toussaint six, Ganzeville et Senneville chacun trois,
avec les ustensiles nécessaires pour les chambrées.
Les habitants de Fécamp reçurent l'invitation de
fournir des logements convenables pour les gardes-»
du-corps. '
( 4^6 )
Les côtes de la Haute-Normandie étaient placées
sous le commandement de M. de Verceuil , briga-
dier des armées du roi, qui enjoignit aux compagnies
bourgeoises de Fécamp de monter la garde aux bat-
teries ; et comme le nombre des canonniers mili-
taires n'était pas suffisant pour la garde des pièces ,
on fut obligé de prendre , dans les compagnies bour-
geoises, troi? hommes pour le service de chaque
canon ; il était ordonné à ces nouveaux artilleurs de
se rendre à leurs postes à la plus petite alerte , sous
peine de punitions rigoureuses eiignominieuses .
Voici la liste des aides-canonuiers qui se distin-
guèrent dans ce. nouveau genre de service: Marc
Courché, Vincent le BouUenger, Robert Lion , Fran-
çois Hermel, Pierre Thierry fils, Pierre Grindel,
Pierre Hermel , Nicolas Barrey, Jacques la Voipière ,
Charles Joyeux, François Thurin, Jean Pimonty
Jean Feuilloley, François Mathieu , Christophe Ro-
main , Pierre Aubin , Jean Aubin, Pierre THommet,
Jacques Groult, Nicolas Hue, Jean Marraine fils^
Pierre de Guerre , Jean Jouen père, Joseph Metey,
Théodore Duboc, Thomas Robert, Pierre-François
Feuilloley, Louis Sai nt- Léger , Jean Manoury,
Jean Jouen fils , Michel Durand, François Hermel,
Louis Viney, Georges Roger, Pierre- Antoine Blondel^
Noël Eudier, Jacques le Carpentier, Thomas le Vuez,
Pierre Bourdon , Jean Groult, Laurent Jeanne, Jean
Romain, Pierre Delauney, Jean MuUot, François
( 4^7 )
Lambert y Jacques-Michel Couillard , Nicolas Pollet ,
Nicolas le Thuillier, Jean Aubin , Pierre Thierry,
Etienne Courtiller.
Ce nombre de cinquante-un aides canonniers fait
connaître que les forts de Fëcamp avaient alors en
batterie dix-sept pièces de gros calibre.
Cette organisation ne fut pas plutôt terminée,
que Marin Gruchet fit réunir la. milice bourgeoise,
et la passa en revue sur la place du Vieux-Marché,
qu'on déblaya, à cet effet, de tous les bois dont
elle était encombrée; ces compagnies avaient disparu
depuis l'époque des guerres civiles, où elles s'é-
taient montrées ardentes et passionnées dans leurs
croyances ;aujourd'hui,c'est contre l'étranger qu'elles
vont employer leur énergie et diriger leurs efforts. .
La place de Fécamp resta sous le régime militaire
pendant quelques années, et ses remparts se cou-*
vrireut plusieurs fois des hommes de la commune,
lorsque venaient à passer quelques vaisseaux anglais.
Enfin , le premier février 1 749» '^ ï'^' fi*^ savoir au
corps de ville que la paix venait d'être définitivement
signée, à la suite des conférences d'Aix-la-Chapelle.
Quelques mois après, Louis XV vint au Havre.
Marin Gruchet , accompagné de ses échevins , se
rendit dans cette ville, pour représenter au souve-
rain les doléances des habitants de Fécamp, et de-
mander la diminution d'impôts qui devait avoir lieu
après la guerre. Ij'abbé de Canillac se reodit aussi
( 4^8 )
au Havre, mais ce fut pour solliciter des faveurs pour
sa famille; il obtint du roi la nomibation de son
parent y le marquis de Canillac, enseigne de la se-
condé compagnie de mousquetaires, au poste de
gouverneur de la ville et des forts de Fécamp, en
remplacement de Jacques Defresné, seigneur de la -
Verpillière , qui venait de mourir.
Marin Gruchet et ses échevins revinrent à Fé-
camp 9 après avoir obtenu du roi un don gratuit ,
pour indemniser cette ville de ses pertes ; ils convo-
quèrent le clergé , la noblesse et les bourgeois dans
la salle de l'abbaye , pour délibérer sur Temploi de
cette somme; il fut décidé que la moitié servirait à
acheter des pompes, des sceaux et une romaine, et
que l'autre serait acquise à la ville, et non à Thôpi-
tal, dont la dotation était suffisante, tandis que la
ville avait été surchargée, pendant la guerre, de dé-
penses extraordinaii^s, occasionnées par le grand
nombre de troupes qu'elle avait eues en garnison.
Il y eut, à cette époque, quelques promotions parmi
lesquelles on remarque celle de M. de Thiboutot,
ancien officier de mousquetaires, à l'emploi de lieu-
tenant de roi, à Fécamp, et celle de M. de Mar-
tonne de la Sauvagère , élu procureur du roi par les
bourgeois réunis dans la salle de l'abbaye , sous la
présidence de Charles de Camusat, sous-prieur.
1759. Il ne se passa rien à Fécamp jusqu'en 1759,
époque à laquelle le bombardement du Havre fît
( 4t»9 )
prendre de nouvelles mesures militaires j et remettre
sur pied les compagnies bourgeoises.
Deux ans après, l'abbë de Canillac mourut et fut
inhumé à Paris; il était auditeur de Rothe, et am-
bassadeur du roi près du souverain pontife.
Claude-Antoiwe de la Roche-Atmon, pair de
France, quarantième Abbé de Fécamp.
Nous avons déjà parlé des religieux de Fécamp
qui s'étaient distingués dans l'étude des lettres de-
puis la réforme de la congrégation ; les pères Le
Marchand 9 Dudan, Fillastre, et le sacristain ano-
jnyme , avaient clos l'histoire littéraire de l'abbaye ,
à la fin du xvii® siècle.
D'autres religieux, qu'on pourrait appeler leurs
élèves, s'étaient formés aux écoles de philosophie et
de théologie de Fécamp ; on y avait joint , pour l'in-
telligence des saintes écritures , un cours de langue
hébraïque et grecque , ce qui donna naissance aux
hautes études dont s'occupa la congrégation. La re-
cherche des pièces ensevelies dans la poussière des
archives et des bibliothèques, servit à répandre la
lumière sur tout ce qui tenait aux arts , à l'histoire ,
et à la géographie du moyen-âge.
Nous croyons devoir donner les noms >de quelques
savants qui florissaient à cette époque, dans le mp-
nastère de Fécamp.
Dom Prévost d'Exilés e&t connu par plusieurs
opuscules et de laborieuses compilations.
( 43o )
Dom Philippe Le Cerf de la Vîéville, qui passa les
trente dernières années de sa vie à Fécamp , est
l'auteur du livre ayant pour titre : Bibliothèque his-
torique et critique des auteurs de la congrégation de
Saint-Maur. Ce père avait envoyé son ouvrage au
général de Tordre , dom Sainte-Marthe j qui refusa
de le faire imprimer , à cause des traits satiriques
qu'il lançait contre quelques-uns de ses confrères.
Dom Prévost y à qui ce manuscrit tomba dans les
mains, l'envoya en Hollande, où il fut imprimé.
Dom Bonnet avait enseigné la philosophie et la
théologie dans le monastère de Fécamp, avant d'être
nommé prieur de Josaphat ; on lui doit l'ouvrage
intitulé ; Biblia maxima pntrum.
Dom Bessin avait remplacé dom' Bonnet dans le
professorat , et devint ensuite officiai de Fécamp et
syndic des monastères de Normandie ; il publia les
Conciles de la province de Rouen , et corrigea , sur
les manuscrits , les historiens normands recueillis
par Duchêne. Le pape lui fit remettre une médaille
d'or, pour la part qu'il avait prise à l'édition des ou-
vrages de saint Grégoire.
Dom Nicolas Asselin était né à Fécamp, et y avait
fait ses études ; on lui doit des Commentaires sur
les psaumes , qui lui valurent d'être appelé à la tête
du monastère de Séez*
Dom Guérard , accusé d avoir composé V/ibbé
eommendataire , fut relégué , par ordre du roi , dans
(43i )
Tabbaye de Fécamp , où il i^\j\iX\2iX abrégé de la Ste-
bible j en forme de questions et de réponses fami-'
Itères y et quelques poésies latines fort estimées.
Dom Pisant, né à Sassetot, avait aussi suivi les
cours de philosophie et de théologie de Fécamp ; il
est auteur d'un Traité historique et dogmatique des
privilèges et exemptions ecclésiastiques.
Dom Charles deToustain , élève de Fécamp ^ con-
naissait toutes les langues de l'Europe et de l'Orient;
il fut le collaborateur de dom Tassin , pour le Nou"
veau Traité de diplomatique ^ et l'auteur d'une
quantité prodigieuse de savants mémoires ^ de re-
cherches et d'histoires d'abbayes.
Des lettres de dom Tassin j adressées à dom Ma-
heut , procureur de la communauté de Fécamp^
nous font connaître que , vers l'année 1 766 , ce
monastère possédait encore une infinité de savants
religieux, au nombre desquels on remarque dom
Le Noir , dom Teixier de Saint-Prix , dom Patallier
et dom Vannier; mais c'eçt surtout pour dom Maheut
que le)!>ère Tassin paraissait avoir une estime toute
particulière. Nous en jugerons par les lettres sui-
vantes, qu'il lui adressait, et qui sont restées inédites
jusqu'à ce jour.
« Mon révérend père ,
« Je me ferai toujours honneur et plaisir de vous jnfis
obliger quand vous m'en procurerez l'occasion. Tout
prévenu en votre faveur, je crois que vous feriez
(43a )
honneur dans une place de savant à Paris. Vos lettres
et la description de votre ancien camp , m'ont con-
firmé dans cette pensée. De bons connaisseurs à qui
j'ai fait voir cette description y en ont été très salis-
faits j et M. le comtf. de Caylus en a témoigné toute
sa reconnaissance. Je vous enverrai le résultat de
l'examen qu'on en fera à l'Académie; j'ai dit à ces
messieurs que votre camp , appelé aujourd'hui Ca*
neuiaSj pourrait bien avoir été formé par l'armée
danoise, que Richard II, duc de Normandie, appela à
son secours. Camp danois et Canadasout du rapport.
« Votre charte propitia porte deux signatures du
même prince; il n'y a rien en cela d'extraordinaire:
j'ai vu, dans un original de l'abbaye de Saint-Denis,
deux souscriptions semblables de Guillaume-le-Con-
quérant; dans la cérémonie d'offrir à Dieu les di-
plômes sur l'autel , les princes signaient, quoiqu'ils
l'eussent fait dans la confection de l'acte.
« Vous ne devez pas être surpris qu'Edouard-le-
Confesseur ait sigoé une charte de Normandie avant
le mois de juillet io35. Ce prince, légitime héfttierde
la couronne d'Angleterre , avait été obligé de se retirer
dans cette province, où il était regardé comme roi.
« Que le curé de Saint- Léger ait eu une femme,
cela est conforme aux mœurs du onzième siècle;
l'histoire nous apprend que ce sont les papes de l'ordre
de saint Benoit , qui ont détruit cet abus avec beau-
coup de peine; votre pieux abbé Jean souffrait ce
(433 )
qu'il ne pouvait empêcher. Je vous supplie j mon
révérend père , d'assurer de mes plus humbles civi-
lités dom Patallier, dom de Saint-Prix, dom Vannier
et dom Le Noir. On va commencer l'impression de
notre dernier tome , qui sera terminé par une table
générale. Accordez-moi le secours de vos prières et
la grâce de croire que je suis, avec une vraie estime
et beaucoup de respect , etc.
« Fr. Réné-Prosper Tassiw , M. B. »
Il est évident, par cette lettre, que la description
du retranchement nommé Canadas ^ qui existe dans
le grand ouvrage de Cayius sur les camps de la
Gaule, a été faite d'après le mémoire de dom Malieut ,
et que ce savant religieux s'occupait, en même temps,
de questions historiques les plus élevées.
La lettre suivante, toujours de dom Tassin , prouve
encore que le père Maheut lui a fourni les rensei-
gnements qui étaient à sa connaissance , pour servir
à l'histoire littéraire de la congrégation d^ Saint-
Maur.
« Mon révérend père ,
« Vous m'avez fait un vrai plaisir de m'envoyer
quatre exemplaires de l'arrêt de Séez ; vous l'avez
fait d'une manière si gracieuse, que je ne puis assez
vous en témoigner ma vive reconnaissance. Les
bontés que vous voulez bien aVoir pour moi m'au-
a8
( 434 )
torisent à vous demander quelques Mémoires sur
la vie et les oui^rages de dont Fillastre et des autres
sawmts qui ont vécu dans 7}Otre communauté; j'ai
besoin d'être secouru dans le dessein que j'ai entre-
pris de donner l'histoire littéraire de notre congré-
gation. On croit que notre chapitre finira au com-
mencement de la semaine prochaine ; je crains beau-
coup que la fin n'en soit pas plus heureuse que les
commencements^ et que les exclusions que la cour a
données h plusieurs capitulans^ n'entretiennent la
discorde parmi nous. Dieu par-dessus tout. J'ai
l'honneur , etc.
a Fr. Réné-Prosper Tassiw , M. B. »
Une partie de cette lettre a trait aux disputes
rehgieuses qui avaient lieu entre les ultràmontains
et les gallicans ; entre les parlements , les jésuites et
les jansénistes. Ces divisions ridicules laissèrent le
champ libre à la secte philosophique , qui en profita et
ne tarda pas à renverser les faibles digues qui avaient
résisté aux querelles envenimées des deux partis.
L'abbé de Fécamp , Claude de Canillac , avait
lui-même écrit au pape , pour lui proposer de ré-
soudre certaines difficultés religieuses ; le Saint-Père
le blâma de sa démarche , en lui faisant la réponse
sage que les Français étaient aussi bons catholiques
que les Romains , et qu'on devait s'abstenir de ques-
tions irritantes qui indisposaient les esprits j au lieu
( 435 )
de les ramener à runion, qui était le vœu le plus
cher de son cœur.
Ces querelles avaient tellement pris le temps des
moines y qu'ils avaient déjà abandonné les utiles tra-
vaux et les grands exemples de religion transmis
par leurs prédécesseurs; ce qui faisait dire à dom
Tassin , dans sa dernière lettre à dom Maheut : « Les
a nouveaux systèmes ont fait de trop grands progrès y
ce et la piété est trop négligée dans la plupart de nos
a monastères , pour que nous espérions de voir la
a congrégation dans Tétat florissant où nous l'avons
« trouvée.» En effet , les communautés vont décheoir
insensiblement jusqu'à l'époque de leur suppression ,
qui devient de plus en plus imminente.
L'abbé de la Roche-Aymon ne s'occupait pas
beaucoup plus de l'administration de son monastère
que ses prédécesseurs ; il avait pour receveur Marin
Gruchet , qui lui faisait remettre à Paris les revenus
de la mense abbatiale, et de nombreux paniers de
gibier et de poissons qui lui parvenaient par le coche
de Caux , la seule voiture qu'il y eût de Fécamp à
Rouen , et qui faisait ce voyage tous les huit jours '.
' Nous avons trouvé, aux Archives, une note relatant huit envois
de gibier, pendant l'espace de cinquante jours. Vittefleur, les
Uogues, Elétot, Ipreville, avaient fourni leur contingent, et le tout
formait quarante-jsix lièvres , cinquante-deux lapins, quarante-huit
perdrix et douze bécassines.
Les truites étaient payées à raison de 40 sols la Ii?re, aux
pécheurs de TÂbbaye.
( 436 )
Cet abbé faisait bien quelques aumônes sur ses
revenus conventuaux; peut-être désirerait-on les voir
plus considérables: nous trouvons, par exemple ,
une note ne montant qu'à cinquante-quatre livres
dix-neuf sols , pour distributions faites , pendant un
an y à la porte du monastère.
Le curé de Villainville ayant demandé des secours
pour les pauvres , voici ce que lui répondit M. Gru-
chet, le i3 juin 1769.
« Monsieur ,
a On m'a mandé que vous vous êtes donné la
peine de venir pour me représenter que vous aviez
besoin de quelques secours pour vous aider au sou-
lagement de vos pauvres; j'aurais pensé que la somme
qui vous a été délivrée par l'ordre de monseigneur
l'abbé , au mois de janvier dernier , aurait été suffi-
sante , iï autant qu^elle ri a été donnée que pour les
pauvres nécessiteux ^ ainsi que j'ai eu l'honneur de
vous le marquer précédemment. Au surplus , je
m'en rapporte à votre représentation , et je prends
sur mon compte de vous faire donner, par M.Duval,
la somme de trente-six livres, en lui envoyant une
quittance conforme au modèle de l'autre part , me
persuadant qu'elle sera agréée de monseigneur l'abbé,
connaissant ses bontés et ses libéralités pour les pau-
vres. »
Claude de la Roche- Ay mon mourut en 1777, à
Paris , où il fut inhumé.
(437)
Dominique de La Rochefoucauld , Cardinal ,
Archevêque de Rouen , quarante et unième et
dernier Abbé de Fécamp.
Le cardinal de La Rochefoucauld , personnage
d'un rare mérite^ fut élu par le clergé pour présider
ses assemblées de 1780 et 178a; il vint ensuite à
Fécamp, où il fut reçu avec enthousiasme , par la po-
pulation et les compagnies bourgeoises qui s'étaient
portées à sa rencontre j au bruit des cloches de la ville
et de l'artillerie des remparts.
A cette époque , Remard Cléri était maire de Fé*
camp ; Joseph Desportes , avocat au Parlement, lieu-
tenant maire; le chevalier de Duredent et Louis
Fourray, premier et deuxième échevins; MM. Huard,
procureur du roi ; Perron et Marcotte , assesseui^ ;
Gruchet , Leport , Le Rorgne , Roivin et Couillard ,
notables.
Plusieurs décisions furent successivement prises
en assemblée générale par les officiers municipaux :
on reçut d'abord les comptes du trésorier des de-
niers delà ville, le sieur de Roux, dont la gestion
paraissait embarrassée, et l'on s'occupa du pavage
des rues, et particulièrement de celle qui se dirige
du Rail au Vieux-Marché ; le pavé qu'on en retira
fut accordé , partie aux habitans du Vieux-Marché,
l'autre à ceux des rues de Mer et du Rail à Notre-
Dame-de-Grâce , qui désiraient faire paver le devant
de leurs maisons.
( 438 )
Le maire exposa ensuite à Tin tendant que cinq
paroisses de la ville : Saint-Etienne , Sainte-Croix ,
Saint-Thomas , Saint-Fromond et Saint-Léger, étaient
occupées à clore un emplacement vaste, fieffé qua-
rante livres par le cardinal de La Rochefoucauld ,
pour servir de cimetière , et il demanda l'autorisa-
tion de faire une petite clôture dans un angle de ce
cimetière, pour y enterrer les non-cotholiques.
Les assemblées provinciales ayant été convoquées
par un édit du roi, une lettre fut adressée aux auto-
rités municipales de la ville de Fécamp, de la part
de dom Lé Maire , prieur de l'abbaye , et de MM. de
Taillemont, Bégouen, Faure et Eude, composant le
bureau intermédiaire du département de Monti-
villiers , les priant de s'entendre pour prévenir les
abus de là mendicité.
Le conseil réuni déclara qu'il ne pouvait rien
décider de positif sur ce point , la ville étant com-
posée de neuf paroisses dont les intérêts différents
devaient occasionner des recherches multipliées,
tant à cause des aumônes particulières que de celles
des différentes maisons religieuses , et il crut devoir
nommer quatre commissaires pour étudier cette
question.
L'imposition de la corvée se monta, pour l'année
1 787 , à la somme de deux mille neuf cent trente-deux
livres, qui fut remise en trois paiements égaux au
receveur particulier des finances, à Montivilliers. La
'■•l
(439)
commune décida , à runanimité, que cet impôt serait
prélevé sur les dix muids de sel donnés en franchisjî, j ^
aux habitants, et qu'il servirait au pavage de Tinté-
rieur de la ville. ^
De grandes questions se décidaient alors à rassem-
blée des Etats généraux; questions vitales, palpi-
tantes d'intérêt, auxquelles le tiers-état prenait la
part la plus active : il s'agissait de savoir si l'assem-
blée voterait par ordre ou par tête ; la municipalité
de Fécamp ne resta pas en arrière dans cette grave
discussion.
Elle représenta que : « les habitants de cette ville,
« animés du même zèle que tous les fidèles sujets
« de Sa Majesté , saisissaient cette occasion , peut-
« être unique , de lui offrir le tribut d'amour et de
« reconnaissance que ses bienfaits inspiraient à toute
« la nation.
« Qu'elle prendrait la liberté de faire observer à
• Sa Majesté que la faveur que le tiers-état soUici-
« tait, deviendrait vaine et illusoire , si chaque ordre
« délibérait à part et présentait des cahiers particu-
« liers , puisque, dans ce cas, la proportion serait tou-
« jours de deux contre un. D'ailleurs, ajoutait-elle,
M l'état , c'est un ; tous ses membres doivent avoir
« un but unique, le bien général. Toute division
« d'ordre rompt nécessairement l'unité , et détruit
« l'ensemble. L'esprit de corps vient encore ajouter
i< à cet inconvénient; il enchaîne le zèle patriotique,
( 44o )
• concentre les vues, qui devraient être générales,
^âans le cercle étroit des intérêts particuliers , se-
• pare les individus de tous ceux des autres ordres,
« entraîne dans des partis toujours contraires au
« juste et au vrai , et, au lieu d'un concours unanime
• et d'un concert général pour opérer le plus grand
« bien , il peut en résulter une nullité d'action et
« des divisions scandaleuses.
« En vain on objecterait l'uâage; il n'y a pas d'u-
« sage constant pour la tenue des Etats généraux.
« Ils n'ont peut-être pas été tenus deux fois de la
tf même façon. Il n'existe non plus aucuQe loi sur
« cet objet; les souverains ont toujours été en pos-
i< session de régler les temps , la forme de convocation
• et la représentation relative dé chaque ordre; il
« n'y a, par conséquent, aucune raison de préférer
« la forme de ceux de i6i4> ou des autres anté-
« rieurs; au contraire, les mêmes' motifs qui les ont
« fait changer autrefois , à cause des circonstances
« qui n'étaient plus les mêmes , doivent opérer le
«f même effet aujourd'hui. D'ailleurs, s'il y avait un
w usage et une forme antiques , il serait de la justice
« et de la sagesse de sa Majesté de la réformer sur les
V principes de l'équité et de la raison; le tiers-état,
«'ne pouvant espérer d'une assemblée qui serait mal
« composée le redressement des griefs qu'elle serait
« intéressée à perpétuer, ne peut avoir de recours
«« que dans le cœur du plus juste des rois. »
( 44i )
Cette délibération est signée du maire , du cheva-
lier deDuredent, deMM.de Cla ville, Fourrey , Mar-
cotte, Gruchet, Dévaux, Couillard , Desportes,
Thomas Boivin, Etienne Le Duey, et Massif, curé de
Saint-Etienne.
Ainsi : fonctionnaires , gentilshommes , notables ,
bourgeois, ecclésiastiques, tous se sont unis de sen-
timents pour porter, sans le savoir, le coup le plus
funeste à la royauté et aux vieilles institutions de la
monarchie.
En révolution, les événements se succèdent avec
une raQJdité qui ne peut être comparée qu'à la
marche tlu temps; déjà l'on ne prend plus de déci-
sion importante sans consulter le peuple; chaque
jour il y a des convocations pour écouter ses griefs ,
faire droit à ses demandes, et c'est la grande nef de
l'abbaye qui sert à contenir ces assemblées tumul-
tueuses; on s'y réunit du consentement de M. le
prieur , qu'on réclame encore pour la forme , et dont
on ne tardera pas à s'affranchir entièrement.
Malheureusement, à Fécamp comme partout ail-
leurs, le manque de subsistances vient aigrir les esprits
de la foule oisive , et ajouter à l'embarras des affaires :
des paroles menaçantes sont proférées , et la muni-
cipalité sent le besoin de composer un conseil de
sûreté, et d'organiser trois compagnies de milice
bourgeoise.
Les membres de ce conseil sont M. Desportes,
( 442 )
sénéchal ; MM. de Claville , Bérigny l'aîné y Regnault,
et le prieur de l'abbaye.
La milice bourgeoise choisit M. de Paraageon
pour son commandant , et MM. Desportes l'aîné ,
d'Hattentot et Belleau , pour major et aides-major.
On organisa, en même temps , une compagnie de ca-
valerie pour circuler dans les campagnes, protéger
les moissons et surveiller la vente des poudres. Enfin,
la bénédiction des drapeaux eut lieu dans l'église
abbatiale , d'où les compagnies se rendirent sur la
place publique et prêtèrent serment d'obéir à leui*s
chefs et de rester fidèles à leur drapeau , dont les
couleurs, alors, seulement blanches et bleues, pré-
cédèrent le glorieux drapeau tricolore avec lequel
nos pères ont conquis tant de libertés , au prix de
bien des sacrifices, de hauts faits et de crimes.
L'organisation d'une force armée, dont faisaient
partie les principaux habitants de la cité , pouvait
contenir pour un moment la populace turbulente et
inoccupée ; mais tout cet appareil de répression ne
donnait ni subsistances ni moyens de s'en procurer.
Les vivres devenant chaque jour plus rares , les ma-
gistrats étaient dans l'inquiétude et rêvaient aux
expédients , lorsque des vents contraires amenèrent
dans le port , le bâtiment la Duchesse-^d Aifray ^ al-
lant de Dunkerque à Rouen , avec un chargement
de blé.
Cet événement ne fut pas plutôt connu , que le
(443 )
peuple courut au port pour s'emparer de la cargai-
son du navire; la milice prit aussitôt les armes. Mais
comme, de fait, la municipalité était bien aise de re-
tenir ce bâtiment et de paraître céder à une impé-
rieuse nécessité , elle mit de Tordre dans le pillage ,
en faisant distribuer les grains à un prix fixé arbi-
trairement par elle ; on mit dans les magasins de la
ville ceux qui ne furent pas vendus , et l'intendant
approuva la conduite des autorités. M. Joly de la
Tour , négociant à Rouen , et consignataire de la
Duchesse-cC jéifrajr y écrivit à l'agent qu'il avait en-
voyé à Fécamp la lettre suivante , qui donne une
idée de la difficulté de l'époque :
« J'ai reçu, Monsieur, en même temps, vos deux
« lettres des î8 et 19 courant. Puisque vous ne
« pouviez , sans danger^ faire sortir du port le na-
«r cire la Dachesse-d As>ray^ vous avez très-bien fait
a de mettre en vente sa cargaison. M. de Montereau,
(c qui a passé à Rouen dimanche , et qui était hier au
« Havre , a dû demander à M. Mistral des hommes
« pour faire venir au Havre ce bâtiment ; rtiais il riy
« aura pas eu moyen d après ce que i^ous me mar-
« quez ;']e vous recommande surtout de faire la plus
« grande attention que les livraisons se fassent avec
« ordre , et que vous vous assuriez bien du recouvre-
« ment de la vente. Faites aussi que votre retour ici
« soit le plus prompt possible. La livraison finie,
« peut-être vous serait-il possible de charger quel-
( 444 )
« qu'un, très sûr , de recevoir le montant des ventes.
et Je fais mes remercîments particuliers à M. le
tf subdélégué et autres , des secours qu'ils ont bien
a voulu vous donner, p
Comme il était question^ alors, de supprimer les
hautes justices seigneuriales, la municipalité de Fé-
camp adressa une pétition à rassemblée nationale,
pour réclamer un bailliage dans ses murs. Nous en
donnerons les passages les plus saillants , que pour-
ront consulter ceux qui réclament , pour cette ville ,
rétablissement d'une sous*préfecture et d'un tribunal
civil.
a Sila haute justice, disent les autorités de Fécamp,
n'est pas remplacée par un bailliage royal , les habi-
tants de cette ville recevront le, plus grand préju-
dice , parce qu'ils seront obligés d'aller chercher la
justice, soit en la ville de Montivilliers , où se tient
un bailliage royal , distante de six lieues de Fécamp ,
soit au bourg de Cany, où il existe un autre bail-
liage royal, distant de Fécamp de cinq lieues f ce
dernier bailliage est un démembrement de celui de
Caudebec , et n'a pas plus de justiciables que la
haute justice de Fécamp.
« La ville de Montivilliers n'est composée que
d'environ deux mille cinq cents habitants, et le
bourg de Cany d'environ quinze cents.
, « Votre intention, nosseigneurs, en supprimant
la haute justice, a été de rapprocher les justiciables
(445 )
de leurs juges. Cette intention n'aurait pas son effet,
si Ton n'établissait un bailliage à Fécamp j puisque
les habitants seraient forcés de faire cinq à six lieues
pour faire juger leurs différends.
c( Sous ce point de vue y les habitants de Fécamp
osent encore se flatter de l'établissement d'un bail-
liage dans leur ville, et croient que l'arrondisse-
ment du bailliage de Caux pourrait se faire ainsi :
« Le bailliage du Havre est très resserré ; il n'est
composé que de la ville et de deux ou trois paroisses
de campagne,
« Le bailliage deMontivilliers n'est qu'à deux lieues
de celui du Havre ; il est très étendu , et se termine
à une lieue de Fécamp, et a des extensions dans la
ville même.
« Ces deux bailliages sont certainement trop
proches l'un de l'autre; il est très possible et même
nécessaire de n'en composer qu'un, dont le chef-
lieu serait au Havre, ville beaucoup plus considé-
rable que Montivilliers.
(c On donnerait à ce bailliage quatre à cinq lieues
vers Fécamp, et on y joindrait les hautes justices
supprimées qui se trouvent dans cet intervalle.
(c Le bailliage qui serait créé à Fécamp, commen-
cerait à trois ou quatre lieues de cette ville , vers le
Havre, et se terminerait à Saint-Valery-en-Caux,
au-dessous de Cany, dont le bailliage serait sup-
primé. On lui donnerait la même largeur, de manière
(446 ;
qu'il aurait les hautes justices de Yalmont et de
Fauville.
a Le surplus des paroisses qui composent le bail-
liage de Cany, serait donné au bailliage d'Arqués^
séant à Dieppe, et partie à celui de Caudebc^c.
« Au moyen de cet arrondissement, il n'y aurait
que quatre bailliages dans le pays de Caux, au lieu
de cinq, et les justiciables seraient rapprochés de
leurs juges, puisque les plus éloignés ne le seraient
que d'environ six lieues.
a Si la suppression de l'abbaye de Bénédictins de
Fécamp a lieu, cette ville verra diminuer infiniment
ses ressources. Il y existe beaucoup de pauvres se*
courus par l'aumône journalière et publique des reli-
gieux de cette abbaye ; dans les dernières calamités ,
leur chef a même tellement augmenté les aumônes
en pain et habillements^ et employé tant de soins
au soulagement des familles malheureuses , que
la ville de Fécamp ne s'est point heureusement res-
sentie des troubles qui ont affligé les autres en-
droits. D
Malgré ces remontrances, la suppression de la
cour ecclésiastique de Fécamp ne tarda pas à être
décrétée , et à rendre inutile le pilori qui était encore
dressé dans l'intérieur du Marché-Weuf ; le dernier
acte de justice criminelle, exercé par ce tribunal,
fut la condamnation au carcan et à quelques heures
d'exposition, de» nommés Tocque et Savari, qui
(447)
avaient fait un vol de cidre chez le fermier de la
côte de Saint-Jacques * .
On prévoyait déjà, comme on a pu le remarquer,
la suppression des monastères ; mais , avant qu'on prît
la résolution d'en venir à ce moyen extrême , chacun
formait des plans pour faire cesser le malaise que
les immunités religieuses apportaient quelquefois au
développement commercial dans certaines localités :
ainsi , les archevêques de Rouen , qui prélevaient de
forts droits sur les marchandises importées dans le
port de Dieppe, en éloignaient tout-à-fait la naviga-
tion, les Dieppois^ pour sortir de cet état de gêne,
avaient déjà proposé de faire rentrer leur port sous
l'autorité du roi, et de donner en échange aux arche-
vêques, les revenus de l'abbaye de Fécamp. C'était
un moyen tout comme un autre de sortir d'embar-
ras; mais on n'en était pas encore venu au point de
lever aussi légèrement les difficultés qui provenaient
de l'église.
Dans la même année, un chevalier de Malte,
M. le comte de Rome du Bec , appartenant à une des
familles nobles les plus distinguées du pays de Caux,
et un avocat au bailliage d'Yvetot , M. Ebran , se pré-
sentent à l'assemblée populaire de Fécamp, tenue
dansla nef del'égUse abbatiale; et là, en présence
de la foule assemblée, M. le comte de Rome déclare
^ m —i^— . ■■■.■» ■» ■■■■■■■ I i.^- .^. .—Il III ■■, I ■ I 1.— I ■%—— —— — ■— ^ ^m^^
■ Archives de Tofficialité de Fécamp.
(448)
qu'il renonce aux privilèges de sa caste, demande-
Tabolition de la coutume de Caux, en matière d'hé-
ritage y et le partage égal de la succession dans la
famille. Cette proposition est accueillie par des .ap-
plaudissements unanimes : une pétition est rédigée ,
séance tenante, pour l'assemblée nationale, et cou-
verte de la signature des principaux habitants de
Fécamp, qui ont soin d'ajouter à leur nom, la qua-
lité de père de famille.
Il est remarquable que ce soit de l'abbaye de Fé-
camp que sortit, dans le pays de Caux^ le premier
cri de réprobation contre le droit d'aînesse, et qu'il
ait été proféré par un gentilhomme dont les privi-
lèges et les intérêts de caste ne pouvaient pourtant
exister sans les errements et l'organisation politique
de l'ancien régime.
En rappelant les bienfaits du cardinal de La Roche-
foucauld envers la population indigente de Fccamp ,
nous avons oublié de dire qu'il venait d'être nommé
président de l'assemblée du clergé, aux États gêné-
«
raux.
Nous ne voyons, dans le reste de l'année, qu'un
temps de rudes épreuves pour les autorités et pour
les chefs de la force armée.
MM. Cléri, Claville, Desportes, Regnauld, Béri-
gny, Parnageon , siègent tous les jours à l'hôtel de
ville , prêts à donner les ordres qui seraient néces-
saires , et le commandant de la milice se rend au
( 449)
Havre , pour demander des armes ; il en revient avec
deux cents fusils et six cents cartouches.
D'un autre côté, des commissaires sont envoyés
dans les campagnes , pour faire approvisionner les
halles, et prier les cultivateurs, de la part de la mu-
nicipalité de Paris, de battre leurs blés, sitôt la
récolte faite , pour secourir leurs frères de la capi-
tale , qui ont autant de besoins que ceux de la pro-
vince. On s'adresse à M. Oursel , subdélégué de l'in-
tendant au Havre; il ne peut venir au secours de la
population de Fécamp. On en était une secondé fois
aux expédients, lorqu'un navire de Dunkerque,
le Jeune-Corneille j entre en relâche forcée dans le
port , avec une cargaison de blé et de farine, encore
adresisé à M. loly de la Tour.
La municipalité décide aussitôt que les farines de
ce navire seront déchargées et vendues , et les fonds
de la vente déposés dans les mains de M. Bérigny,
qui en tiendra compte au consigna taire. Les sub-
sistances se trouvèrent assurées de nouveau pour
quelques jours , ce qui n'était pas peu de chose à une
époque où rien n'était incertain comme l'avenir.
La défiance est partout à son comble, et l'on re-
çoit une lettre de la municipalité de Paris , concernant
les passeports qui devront être interdits à compter
du 20 septembre. Fécamp adhère à cette invitation,
et décide qu'il n'en sera délivré aucun à l'avenir.
Enfin, les arrestations ont lieu sur tous les points:
( 45o )
des habitans de Fécamp sont retenus à Ypreville , à
Yvetot, et la municipalité est obligée de les récla-
mer; on arrête aussi des voyageurs à Fécamp:
un jeune homme , nommé Yarin , pensa être l'objet
d'une émeute dans laquelle son rôle n'aurait pas été
sans danger : c'était un ouvrier briquetier de Bolbec,
sur lequel on avait découvert, disait-on, des armes
prohibées ; on écrivit à son maître , qui certifia que
ce jeune homme était bon patriote, et que le fer de
lance dont il était muni , avait été trouvé , par hasard ,
dans de la vieille ferraille ; il ne fut relâclié qu'après
les investigations les plus scrupuleuses.
Enfin , la première série du registre des délibé-
rations de la mairie de Fécamp finit par la procla-
mation du roi au sujet de la loi martiale , et par ua
ordre de la municipalité concernant les subsistances:
c'était bien le résumé des misères qui venaient em-
barrasser la marche des gouvernants, débordés de
toutes parts par les récriminations , les haines et les
mauvaises passions des hommes ambitieux de tous
les partis.
Que faisaient alors les religieux du monastère de
Fécamp ? Quelques-uns soupiraient en secret après
le jour qui devait rompre leur chaîne ;. d'autres , ré-
signés et craintifs comme les gens de leur profesion,
attendaient' tout du temps et de la Providence. Le
prieur dom Le Maire , homme adroit et intelligent ,
usait de tous les moyens pour conjurer l'orage : il
( 45. )
avait mis la nef de son église à la disposition de la
commune ; il assistait aux réunions populaires , et
prenait part à toutes les délibérations de la munici-
palité. L'abbaye avait fait de fréquentes distributions
de pain et de vêtements ; elle avait réellement épuisé
toutes ses ressources, pour venir au secours de la
classe nécessiteuse de la population.
Sa position financière était d'autant plus embar-
rassée, que, dans les derniers temps, elle avait été
contrainte de faire face à d'autres dépenses extraor-
dinaires : quatorze mille livres avaient été payées aux
héritiers d'un fond , situé à Argences , dont les reli-
gieux s'étaient fait envoyer en possession par déshé-
rence. Huit mille livres venaient d'être employées à
refaire le chœur de l'église de Sainte-Paix de Caen ,
et six mille livres pour couvrir, en tuiles , les halles
du marché d' Argences.
Sur ces entrefaites, l'assemblée nationale demanda
l'état général des revenus du clergé. Dom Le Maire
rédigea celui des biens appartenant à la mense con-
ventuelle, et ce curieux travail est, à lui seul, un
petit monument historique.
Leur produit se montait à la somme de cent cin-
quante-huit mille neuf cent soixante-dix-huit livres,
sur laquelle jAk avait à déduire celle de vingt-neuf
mille sept cent cinquante-huit livres , pour différentes
charges consistant en aumônes, entretien de musique,
appointements de gardes , pensions aux curés et à
( 45a )
quelques anciens serviteurs de Tabbaye ; au nombre
de ces traitements, on trouve celui de neuf cents livres
à M. l'abbé de Lotz , pour résiliation de son prieuré
de Saint-Martin-du-Bosc ; douze cents livres à un
prêtre chargé de montrer gratis le latin aux enfants
du lieu; et cent cinquante livres à M. Heaume, ancien
chef de cuisine, pour récompense de ses longs ser-
vices.
Les religieux faisaient encore six mille cent
trente-neuf livres de rentes, au capital décent vingt-
deux mille sept cent quatre-vingt-seize livres, qui
leur avaient été prêtées; mais il leur était dû des
sommes équivalentes, sinon plus considérables.
Nous n'avons pu découvrir , avec la même préci-
sion , h combien se montaient les revenus de l'abbé;
nous savons seulement qu'ils atteignaient, au moins,
le chiffre de cent mill^ livres, provenant de grandes
fermes , et du produit de plus de deux mille arpents
de bois, situés à Vittefleur, à Elétot et aux environs
de Fécamp.
L'assemblée nationale, qui avait aboli les titres
nobiliaires et les redevances féodales, ne pouvait se
dispenser de prendre une mesure envers les biens du
clergé: elle les déclara tous acquis à la nation , rendit
la liberté aux cloîtrés , en laissant, ^|itefois, à ceux
qui le voudraient, la faculté de continuer la vie mo-
nastique, et suppléant , par des pensions, à la confis-
cation de leurs biens. Tel fut l'objet de la loi du *i
( 453 )
novembre , qui, sur la proposition de l'évêque d'Autun,
détruisait l'œuvre religieuse et politique de tant de
siècles.
Aussitôt que cette loi fut mise à exécution , qua-
rante religieux et un grand nombre de novices quit-
tèrent le monastère de Fécamp : la plupart de ces
hommes, aux têtes blanchies dans l'étude et la prière,
et bien décidés à continuer la vie monastique , sor-
taient de Tabbaye les larmes aux yeux , comme ou
s'en va de la maison paternelle ; quelques-uns avaient
embrassé les nouvelles idées et furent placés à la
tête des paroisses; d'autres, en petit nombre, se
mêlèrent aux acclamations de la foule et disparurent
dans le monde; il y en eut même qui se jetèrent
dans les armées : dom Gobart y devint commissaire
des guerres pendant les mémorables campagnes de la
république.
On mit immédiatement le scellé sur les portes de »79*-
l'abbaye et des églises supprimées; huit paroisses
furent annexées à Saint-Etienne, et les autres à l'an-
cienne église abbatiale, dont l'abbé LeTellier, ex-
bénédictin, fût nommé curé. L'abbé Hermel le fut,
à la même époque , de la paroisse de Saint-Etienne.
On installa ces nouveaux pasteurs en présence de la
garde nationale et des autorités constituées, et Ton
renvoya tous les anciens curés de leurs presbytères
qui furent confisqués et vendus comme propriétés
naticmales.
( 454 )
L'acceptation de la constitution , par ie roi, donna
lieu à un Te Deumet à des réjouissances populaires.
Cet événement fut publié dans les rues , à Thôtel de
ville, sur la place du Vieux-Marché et sur le port ;
le soir , il y eut illumination générale, sous peine de
dix livres d'amende.
Après la suppression des églises, il était utile de
mettre ordre aux richesses de tout genre qu'elles
renfermaient : les administrateurs du directoire du
département envoyèrent MM. Gourdin et Carpentier
dans tous les établissements religieux supprimés ,
pour procéder à l'inventaire raisonné des bibliothè-
ques , tableaux et manuscrits de ces maisons.
Ils avaient ordre de décrire tous les dessins, ta-
bleaux et statues, d'en indiquer les auteui*Sy con-
formément aux instructions de l'assemblée nationale ,
de compter les livres en présence des officiers mu-
nicipaux, de mettre en paquet les plus précieux, de
les faire placer dans des sacs cachetés , et de s'en-
tendre avec l'autorité locale sur les moyens les plus
économiques de faire parvenir le tout au chef-lieu
du département.
On pense bien que de pareilles fonctions étaient
au-dessus des forces de deux hommes , quelque zèle,
d'ailleurs, qu'ils y apportassent : aussi, les richesses
littéraires de Fécamp, auxquelles chacun puisait à
volonté, furent-elles jetées pêle-mêle dans des char-
rettes , transportées à Montivilliers, et de là à Rouen ,
où elles ont été long-temps oubliées.
( 455 )
La bibliothèque de cette ville s^est enrichie de
quatre-vingt-neuf manuscrits; celle du Havre , de beau-
coup de livres; et les archives dëpartementales, d'une
foule de documents et de chartes originales du plus
grand intérêt ; le tout provenant de l'abbaye de
Fécamp.
I^es actes de la^ haute justice abbatiale furent
transportés, à la même époque , au greffe du tribu-
nal civil du Havre.
Jamais ville ne changea plus subitement d'aspect
que la ville de Fécamp, après la suppression de son
abbaye et de ses églises : au lieu d'ecclésiastiques par-
courant ses rues, ce n'était partout que transport de
tableaux , de meubles, d'ornements sacerdotaux et de
cloches brisées et descendues de leurs clochers. M. de
Parnageon, vice-président du district de Montivilliers,
avait mission de recevoir ces riches dépouilles, et
d'en donner décharge à la municipalité.
L'enlèvement avait été si général , que le curé de
la Trinité se trouva dans l'obligation de réclamer
plusieurs fois, au district , deux chandeliers d'argent
et d'autres petits objets indispensables pour les cé-
rémonies religieuses.
La vente des monastères et des églises fut la con-
séquence immédiate de leur suppression : des compa-
gnies se formèrent pour faire ces acquisitions, et
M. de Vismes , l'agent d'une de ces sociétés, se rendit
à Fécamp pour acheter l'abbaye avec ses dépen-
( 456 )
dances. Ce spéculateur , contrarié d'apprendre que
la grande église avait été réservée pour le culte, fit
des instances auprès de la municipalité pour obte-
nir seulement la chapelle de la Vierge. Des membres
du département appuyaient sa demande auprès des
autorités constituées de Fécamp.
Le conseil municipal , réuni pour délibérer sur
la proposition de M. de Vismes , avrèis^iqu^il ne s op-
posait pas à la vente de la chapelle de la Vierge^ à
condition que l'acquéreur ne pourrait la démolir , et
qu'il serait tenu de faire faire à ses frais, pour sépa-
rer cette chapelle de l'église , un bon et solide mur ,
construit de manière que les deux premiers piliers
soient entièrement placés dans l'intérieur du principal
édifice.
Le procureur de la commune, Barbey Duquil,
pensant que la vente de cette chapelle devait tôt ou
tard en amener la destruction , protesta contre la dé-
cision du conseil , ajoutant qu'il serait prudent d'agir
de concert avec les propriétaires et habitants de la
paroisse de la Sainte-Trinité , convoqués à cet effet.
Le maire , M. Bérigny, refusa de signer la même
délibération, c< vu que la chapelle faisait partie de l'en-
semble de ladite église, ajoutait à sa beauté , à sa
solidité, et ne pouvait, par conséquent, en être
distraite. »
La protestation de ces deux honorables citoyens
nous a valu la conservation de cet élégant chef-d'œuvre
d'architecture de la fin du xv® siècle.
(457)
Tandis que tout se vendait au profit de la nation ,
le département, pressé par de nouveaux spéculateurs,
fit un arrêté pour vendre le marché de Fécamp.
La réclamation fut unanime de la part des habi-
tants, qui représentèrent que cet établissement, com-
posant le seul revenu de la ville , ne pouvait être
aliéné sans porter le plus grand préjudice à la corn-
mune.
Il y eut , le 1 4 novembre 1 79 1 , renouvellement
du conseil municipal, et M. Guillaume, négociant,
fut nommé maire de la ville de Fécamp. Son pre-
mier acte d'administration fut un règlement de po-
lice, défendant à tous les aubergistes, cabaretiers,
billardiers, de dotaner à boire ou à jouer pendant
l'office divin*.
Dans le même temps , Fécamp reçut dans ses
murs le célèbre Bailly , ancien maire de la capitale.
Cet homme remarquable, que la science avait élevé
aux plus hautes fonctions depuis les premiers trou-
bles civils, était passé par toutes les phases eni-
vrantes de le faveur populaire pour arriver à l'im-
popularité la plus complète ; il venait de donner sa
démission de maire de Paris , pour se retirer en pro-
vince et se livrer à l'étude des sciences. C'était une
circonstance remarquable que la présence d'un pareil
personnage à Fécamp ; aussi reçut-il une députation
de la commune, au milieu de laquelle il se rendit , et
prononça le discours suivant, dernier acte politique
( 458 )
de la vie de Bailly, qui ne tarda pas à périr delà ma-
nière la plus atroce sur réchafaild révolutionnaire.
Messieurs ,
Drf embr * ^^ viens remercier la municipalité et la garde
,^^i, nationale de Fécamp de l'honneur qu'elles m'ont fait
et des marques de bonté qu'elles m'ont données.
Je suis comblé de ces distinctions , que je n'ai point
méritées.
Vous daignez me faire partager , comme un- des
représentants de la nation, la reconnaissance que
nous devons tous à l'assemblée nationale constituante;
et moi , Messieurs , je vous dois le charme que j'é-
prouve ici; long-temps le premier magistrat d'une
ville continuellement agitée , d'une ville que le pa-
triotisme et le bon esprit de ses habitants ont con-
servée malgré les manœuvres des ennemis de la patrie,
j'ai vécu près de trois ans au milieu des orages, et,
lorsque je cherche le repos , je trouve ici le plus doux
pour mon cœur, le spectacle de la paix; c'est l'effet
de l'union du pouvoir civil et de la force publique;
c'est surtout l'effet de l'amour de la constitution. Je
sais que son espoir règne à Fécamp ; la municipalité
et la garde nationale font respecter la loi ; la cir-
culation des grains, si nécessaire à la subsistance du
royaume, est sévèrement maintenue. Je n'ignore pas
que vous êtes aussi sages que patriotes , et c'est de
cet accord de la fermeté des principes et de la sa-
(459)
gesse des mesures , que dépend la destinée de l'em-
pire.
« Heureux magistrats , qui faites le bonheur des
peuples , heureuse garde nationale qui , déjà si guer-
rière, fait partout l'espoir de la France , la consti-
tution vivra pour vous.
« La ville de Paris a quelquefois été un exemple ;
je vais lui porter celui que vous donnez ; je soutien-
drai son patriotisme par le récit du vôtre, et je lui
en donnerai la preuve en lui disant comment vous
accueillez les bons citoyens et les plus faibles dé-
fenseurs de la liberlé. »
On reconnaît, dans cette allocution, le tribun mé-
content du rôle de silence qu'il s'est imposé et sai-
sissant avec empressement l'occasion d'occuper en-
core le monde et de faire entendre d'éloquentes,
paroles à ce peuple qui a méconnu sa voix.
On plantait alors des arbres de la liberlé , et Fé- Juillet
camp suivit l'exemple de toutes les communes de *79*-
France : cette cérémonie , dit le rapport des fêtes , a
été d'autant plus belle et auguste, que toutes les
dames citoyennes de la ville , habillées de blanc , et
ornées de guirlandes et de rubans tricolores , s'y
étaient rendues en corps.
Le cortège , tambours et musique en tête , partit
de l'hôtel de ville à deux heures après midi.
Un vieillard était au centre, portant le livre de la
loi ; à ses côtés on remarquait deux vétérans , dont
(46o )
l'un portait le bonnet de la liberté, et l'autre la
pique; des drapeaux étaient tenus par des dames,
au moyen de longs rubans.
Le premier ordre de marche se composait de
deux haies de femmes citoyennes , et des compagnies
de grenadiers du i'^'' bataillon; ensuite venaient les
autorités.
Lorsque le cortège fut arrivé sur la place , la garde
nationale forma le carré, et l'arbre de la liberté fut
élevé, après avoir été décoré du bonnet et de la
pique , par le maire , et de drapeaux , de guirlandes
et de rubans, par les dames ; chacun vint , en défilaat ,
jeter de la terre sur ses racines, au doux air^ «ip:
Ca ira.
Le citoyen Guillaume, maire , prononça, au sujet
de cette fête, un long discours empreint de tous
les lieux communs de l'époque ; après quoi le cortège
retourna à la maison de ville.
Le soir, il y eut des réjouissances et des danses
autour de l'arbre, sur lequel on avait placé cette
inscription :
Planté par des gens libres , -
Pour l'effroi des tyrans ;
Je dis à tous Empires :
Plantez-moi dans vos champs ?
Ces fêtes furent le prélude de la plus grande
catastrophe que puisse essuyer un État , de la chute du
( 46. )
trône à la journée du lo août. On sait la résistance
qu'opposèrent quelques gardes nationaux et les
troupes suisses aux hordes marseillaises qui assié-
geaient le palais du roi. Les Suisses , vaincus et cou-
verts de blessures , furent dispersés , après l'action',
dans différentes villes de France ; un détachement de
cinquante hommes de ces étrangers fut envoyé à
Fécamp. La société populaire demanda qu'on leur
retirât leurs fusils , et qu'on laissât seulement le sabre
à ceux qui voudraient prendre parti dans les troupes
françaises.
Le pouvoir étant passé entre les mains des révo-
lutionnaires les plus exaltés, tous les jours, de nou-
veaux décrets de l'assemblée législative sont pro-
clamés dans Fécamp.
On exécute la loi contre les prêtres insermentés,
et beaucoup d'anciens religieux sont obligés de quitter
cette ville , et de demander des refuges à la charité
chrétienne.
On détruit les armoiries de l'intérieur des églises,
les statues, reliefs et monuments féodaux qui sont
à l'extérieur des maisons particulières; des ouvriers
s'offrent, à la société populaire , pour faire ce travail
gratis.
Les représentants Sahtex et Dufourni, envoyés
dans la Seine-Inférieure, pour travailler l'esprit
public, vinrent à Fécamp dès le mois de septembre,
avec le titre de commissaires du pouvoir exécutif :
(46a )
ils proclamèrent la patrie en danger, et engagèrent
les citoyens à voler à son secours, en se rendant sans
retard au camp de Meaux.
Quelques individus se présentèrent; et Ton fit
mention honorable des officiei*s et grenadiei^ de la
garde nationale qui, sans subir la voie du sort, s'é-
taient enrôlés pour partir volontairement à la pre-
mière réquisition. Ces citoyens étaient : Dominique
ieDuey, capitaine; Charles Maze, sous-lieutenant;
Charles-Michel Martin, François Levillain, Jean
Follet et François Caumont , grenadiers.
La milice citoyenne de Fécamp se composait alors
de deux bataillons , à chacun desquels on adjoignit
une compagnie de canonniers.
Moïse Maze était capitaine des canonniers de
Saint-Etienne.
Vincent, lieutenant.
Thomas Soudet, sous-heutenant.
La compagnie de la Trinité était commandée par
Adrien-Charles Bérigny.
Le citoyen Cauchois en était lieutenant, et Drouet,
sous-lieutenant.
On organisa la compagnie des piques , placée sous
le commandement du citoyen Tourneville; et la four-
niture de ces armes, au nombre de quatre cents,
fut adjugée à Pierre Romain.
Le citoyen Fourrey venait de succéder au sieur
Guillaume, en qualité de maire detécamp.
(463 )
C'était l'époque où la révolution allait atteindre »79^
son paroxisme d'exaltation et de fureurs : on organisa,
à Fécamp, un comité révolutionnaire , chargé d'exer-
cer la surveillance la plus étendue sur toutes les
classes de la société. La conséquence immédiate de
l'avènement de ce nouveau pouvoir, fut la cessation
de tout culte religieux , et les citoyens Régimbard
et Tatemain furent chargés , par la société populaire,
de faire fermer les portes des églises.
La raunicipaUté réclama, en échange^ l'honneur
de contribuer à la garde de l'assemblée législative.
La création de l'armée révolutionnaire , destinée à
couvrir la France d'échafauds, ne tarda pas à avoir
lieu ; un bataillon de ces brigands , appartenant à la
légion de Beauvais, fut envoyé à Fécamp, et logé
dans l'église de Saint-Etienne et dans le grand bâti-
ment de l'abbaye , où coule l'eau de la voûte. Des
commissaires furent délégués pour faire garnir ces
édifices avec le mobilier pris dans les maisons des
suspects et des aristocrates. Ces soldats, une fois
installés, brisèrent les sculptures de l'abbaye, les
tombeaux' et les images des saints , aidés par les
' De tous les sarcophages qui ornaient Péglise abbatiale de
Fécamp, il ne reste plus que celui de Richard , 7™® abbé, placé
dans la chapelle de Saint-Nicolas ; ceux de Guillaume IV et Robert F%
11*' et 13™® abbés, dans la chapelle de Saint- André; et celui de
Thomas P'', 12™*^ abbé , placé dans la chapelle du Saint-Sacrement ;
et tous ces monuments portent les traces bien visibles de nom-
breuses et imbéciles mutilations. -
(464 )
soi-disant patriotes du pays, qui partageaient leur
exaltation. Les cloches, encore intactes , éprouvèrent
le même sort : celle qui portait lé nom de Georges-
d'Amboise succomba sous les efforts d'une multi-
tude d'assaillants armés de lourds marteaux ; et ,
lorsqu'elle fut entamée , disent les habitants des
campagnes, le bruit qu'elle projetait au milieu
d'eux ressemblait aux cris plaintifs d'un animal qui
mugit. .
Les clubistes, renforcés de pareils auxiliaires,
restent en permanence dans la chapelle du calvaire
de l'église de la Trinité, où ils ont élevé leur tri-
bune. Les motions provocatives se succèdent : un
volontaire du bataillon de Beauvais demande l'expul-
sion du club de tous les anciens nobles , ajoutant qu'il
ne s'en trouvait qu'un qui avait donné des gages à la
révolution. Un autre jour, c'est une députation
d'artilleurs, composée des citoyens Maze, Charles
Bérigny, Fautrel et Félix Rouget, capitaines et ca-
nonniers qui , pressés par le comité de salut public,
demandent à la municipalité « de n'inscrire dans leur
corps aucun individu , à moins que l'opinion publique
ne se soit bien prononcée sur son compte , atteadu que
la défense de la république est une et indivisible ;
et de n'y admettre, surtout, aucuns de ces hommes
qui n'étaient devenus patriotes que depuis le i o août ».
La fermentation était à son comble parmi le
peuple, et Ion cherchait encore à l'augmenter par
( 465 )
des terreurs chimériques; ainsi , le bruit courut, un
jour, qu'on voyait des feux dans les carrières qui sont
sous la ville, et qu'on voulait la faire sauter au
moyen de poudres qu'on y avait introduites; le
peuple ne reprit un instant de calme qu'après avoir
appris, des commissaires délégués pour visiter ces
excavations, qu'ils n'y avaient rien remarqué d'ex-
traordinaire.
Ce fut dans ces entrefaites que M. de Chaumontel
et sa famille, vinrent se réfugier à Fécamp ; ils y
furent bientôt découverts par le comité révolution-
naire , qui les constitua prisonniers dans l'hôtel oii
ils étaient descendus , et les Ht partir presqu'aussitôt
pour le département j afin d'empêcher une émeute
populaire.
Les événements du 3i mai venaient d'amener de
nouvelles proscriptions : les modérés de la Conven-
tion , qui avaient pris le nom de Girondins , s'étaient
aperçus depuis long-temps qu'il était nécessaire , pour
leur propre conservation , de secouer le joug de la
Montagne y c'est-à-dire de leurs collègues anarchistes
qui siégeaient sur les banquettes les plus élevées de
la chambre; ils étaient, en conséquence, parvenus à
faire soulever en leur faveur plusieurs contrées de la
Normandie ; la mauvaise issue de cette insurrection
les conduisit presque tous i\ l'échafaud. Ceux qui ne .
périrent pas de cette manière furent trouvés morts de
besoin et ^'inanition dansles champs où ils étaient allés
3o
( 466 )
chercher des refuges. Pétion, l'ancien maire de Paris,
se trouvait au nombre de ces derniers.
Les femmes mêmes des proscrits n'échappèrent
point au danger : on ne pouvait leur imputer le des-
sein d'usurper le gouvernement de la république;
on accusa leurs larmes; la femme de Pétion et son
jeune fils , pour sauver leurs propres têtes , vinrent
se cacher à Fécamp, et leur retraite ne resta pas
plus long-temps ignorée que celle de la famille de
Chaumontel.
La municipalité les mit d'abord en état d'arresta-
tion; et, comme le nom qu'ils portaient était alors
fort compromettant , elle décida que cette malheu-
reuse femme et son fils seraient conduits au comité
de sûreté générale de Paris : c'était les livrer à leurs
bourreaux !
Les citoyens Charles Bérigny , Aubry et Touffaire
eurent la pénible mission de remettre eux-mêmes ces
prisonniers au comité de surveillance de là Conven-
tion , dirigé par les citoyens Amar et Julien. Ils en
obtinrent décharge , avec un arrêté des représentants
du peuple, qui leur allouait une certaine somme
pour leurs frais de poste ^
Cet acte d'hostilité barbare exercé contre les Gi-
rondins , ne suffit pas au comité révolutionnaire de
Fécamp ; il contraignit encore la municipalité d'en-
» Reg. des délib. de la com. deFécarap, an. 1793 , p. 96.
(467)
voyer une adresse de félicitations à leurs fougueux
adversaires : c'est une pièce historique , curieuse par
le style , qui ne serait que ridicule , si elle ne rappe-
lait une époque de sang y de larmes et de patriotisme
mensonger. Nous ne pouvons nous dispenser de la
faire connaître à nos lecteurs.
a Le Maire et Officiers municipaux j aux Citoyens
Représentants du peuple^ à Paris.
a Représentants ,
a Gloire à toi , montagne trois fois sainte ; gloire
te soit rendue pour nous avoir encore une fois sauvés !
ce Des scélérats couverts de crimes ont osé sur-
prendre la confiance du peuple pour le conduire à
sa perte, et creuser ainsi , à la faveur d'une brillante
popularité, l'abyme où ils voulaient traîtreusement
le précipiter.
« Qu'ils périssent , ces infâmes conspirateurs , et
que leur mémoire soit à jamais en exécration à tous
les républicains; que la liberté, le palladium de
notre bonheur, reste toujours sur cette montagne
sacrée j qu'elle rend si fertile en miracles; et si quel-
ques intrigants, couverts du manteau du patriotisme,
veulent de nouveau la faire écrouler, hâtez-vous,
montagnards intrépides , de les foudroyer ; nous le
répétons , restez à votre poste. Salut et fraternité ' . »
» Reg. des délib. municip., an. 1793, pag. 110. — Fouray , maire ;
Deyaux , agent-national ; P.-C. Clouet ; Persac , secrétaire.
(468 )
Les insignes de la monarchie étant proscrits par
la loi du 8 juillet 1793, MM. d'A vannes, de la For-
telle et de Claville , tous officiers qui avaient servi
avec distinction jusqu'en 179^9 furent contraints
de venir déposer eux-mêmes leurs croix de S.-Louis
à la municipalité.
On exigea aussi la remise des titres de noblesse ,
pour les brûler sur les places publiques, et l'on
manda à la mairie les personnes qu'oii supposait
devoir en posséder.
Les citoyennes Yattemare, laFrapînière, et Bonne
d'Escales, déclarèrent que leurs maris étant cadets
de Caux, ne possédaient pas les titres de leur famille.
Les citoyens Mahiel et LaFortelle n'avaient pas
de titres, étant aussi cadets de Caux.
Le citoyen Béquet , dit Longuemare , déclara que
ses titres avaient été brûlés dans sa commune.
Le citoyen Le Maître, dit de Claville, annonça
que ses papiers de famille étaient entre les mains de
Chérin , vérificateur des titres de la noblesse , à Paris ,
où ils avaient subi le sort de ceux qui y étaient déposés.
La citoyenne Duval , épouse du citoyen d'Harnois,
déclara que , n'étant pas née noble , elle n'avait aucun
titre, et que son mari, émigré , ne pouvait en avoir,
étant né cadet.
Les citoyens d'Avannes , de Giverville , Lescailles,
n'avaient aucun titre de noblesse en leur possession.
Le sieur Devenois, ditd'Hattentot, seul, remit six
(469)
pièces en parchemin et deux en papier , contenant des
lettres de garde-noble et de preuves de noblesse; ces
pièces furent brûlées , et les cendres jetées au vent.
Tous ces sacrifices ne satisfaisant pas encore assez
l'ainour-propre des révolutionnaires exaltés , chaque
jour on emprisonnait les meilleurs citoyens, sous les
prétextes les plus frivoles; et comme la maison d'ar-
rêt ne pouvait suffire à ces nouvelles nécessités , on
changea en prisons des maisons particulières : celle de
M. de Giver ville , alors émigré, fut remplie àe suspects
de toutes les classes de la société.
Le maximum , cette plaie du commerce , née du
manque de subsistances et de la misère du peuple, eut
aussi le privilège de créer bien des suspects , et ce
mot seul vous envoyait à Téchafaud. Le commer-
çant était suspect s'il vendait sa marchandise à un
prix plus élevé que la taxe : on lui faisait payer de
grosses amendes pour la première fois , et pour des
objets dont l'importance était souvent bien minime;
ainsi, le sieur David, épicier, ayant vendu à une
femme deux chandelles au-dessus de la taxe , un offi-
cier de canonniers, qui passait devant sa boutique,
vérifia le fait, et ce marchand fut condamné à payer
cinquante livres d'amende et à être inscrit sur le re-
gistre des suspects.
Ces faits ne paraîtront peut-être pas dignes de
l'histoire; mais la génération actuelle qui les ignore
en pourra tirer l'utile enseignement que les commo-
(470)
tioDS politiques, qui profitent à peu d'individus, sont,
en général , pour toutes les classes , une source de
vexations et de calamités.
Il y avait à la mairie un tribunal permanent pour
juger les contraventions à la loi du maximum. Des
gens de tous les états , et surtout des épiciers et des
bouchers, y étaient journellement condamnés.
La halle de Fécamp cessant d'être convenablement
approvisionnée y on envoya des garuisaires dans les
campagnes : les cultivateurs de Grainville reçurent
deux cents hommes du bataillon de Beauvais; il en
fut aussi envoyé dans toutes les communes qui avoi-
sinent la ville de Fécamp.
Ces soldats, indisciplinés, n'étaient pas seuls à ex-
torquer des vivres chez les cultivateurs; des bour-
geois, aussi, cherchaient à s'en procurer par les mêmes
moyens: le sieur Vasse, demeurant au hameau de
La Roquette 9 porta plainte, un jour, à la commune
de Fécamp , contre plusieurs citoyens de cette ville ,
qni s'étaient présentés à son domicile pour avoir
du blé , et l'avaient menacé de revenir le lendemain
avec leurs armes , s'il ne leur en donnait immédia-
tement.
Ce trait fait juger de la misère qui régnait alors :
tout le monde , à Fécamp , était à la ration comme
dans une place assiégée; il n'était pas permis de
mettre du lait dans son café , de jouer le soir au bil-
lard, ni de veiller au-delà d'une certaine heure, pour
ne pas user de chandelles.
(47« )
Il était aussi défendu de s'approvisionner ailleurs
que dans sa commune ^ et y néanmoins , le besoin for-
çait souvent de quitter la ville pour aller chercher
quelques vivres dans les campagnes; les volontaires
de Beauvais en donnaient eux-mêmes l'exemple, et
ne permettaient à aucuns citoyens de le suivre :
ainsi , le nommé La Giberne de Grainval y rencontré
dans les champs, porteur de quatre livres de viande,
fut sévèrement puni pour cette contravention aux
ordonnances municipales.
La prise de Lyon , ou commune affranchie , comme
on l'appelait alors, fut le prétexte de rigoureuses
mesures contre tout ce qui paraissait contraire au
nouvel ordre de choses : Jean Le Borgne et Amand
Boulanger, de Fécamp , furent nommés commissaires
pour séquestrer, dans l'étendue du canton, tous les
effets ayant appartenu aux émigrés et déportés, et
les faire vendre au profit de la république.
Au milieu de ces misères, les fêtes nationales se
succédaient de jour en jour : on en avait établi en
l'honneur de l'agriculture et de tous les grands évé-
nements politiques qui avaient marqué le cours de
nos troubles civils ; l'église de l'abbaye était devenue
le temple de la raison; c'était de là que sortaient ces
longs cortèges dans lesquels des femmes portant le
nom de déesses ou de vertus , étaient exposées dans
des chars aux regards de la foule. Comme le peuple
ne pouvait s'habituer adonner ces noms à des femmes
( 47^ )
qui n'étaient ^ à ses yeux , rien moins que des déesses ou
des vertus , toutes ces pompes n'étaient pour Iih que
vaines et ridicules parades. La fête de l'Agriculture
se célébrait sur un terrain situé aux environs de la
route de Rouen, ou aux corderies. Le cérémonial
consistait à faire de longs discours et à tracer quelques
sillons dans la terre avec la charrue : spectacle bien
froid pour une population habituée aux pompes re-
ligieuses qui lui avaient si souvent impressionné le
cœur y dès son enfance la plus tendre.
La bizarrerie de ces fêtes aurait pu distraire un
moment des maux domestiques , si elles n'avaient été
le prétexte de nouvelles vexations; tout le monde
était obligé d'y prendre part , sous peine de punitions
rigoureuses. Le citoyen Lefebvre, commandant du
bataillon de Beauvais, dénonça plusieurs personnes
qu'il avait vues , un jour de décade , se livrer aux oc-
cupations de leur état. Une femme Guerrand , entre
autres, ayant répondu à ses juges qu'elle avait été
obligée de travailler pour avoir du pain, fut con-
damnée à huit jours de prison.
Une autre folie de l'époque fut de donner des
noms révolutionnaires à la plupart de nos villes :
ainsi , le nom de Grâce joint à celui du Hai^re parais-
sant trop gothique ou religieux aux novateurs , cette
ville devint le Havre-Marat ; par la même raison,
MontiviUiers, s'appela Brutus- Villers , et Grain val ,
ajouta à son nom celui de la Montagne. On fut
(473)
embarrasse pour le nom de Fécamp, et robscurité qui
régnait sur son étymologie le sauva de cet ignoble
travestissement.
A la même époque, la guerre maritime menaçant
incessamment nos ports, la compagnie de canonniers
Bérigny fut envoyée pour renforcer la garnison du
Havre -Marat, et Tadjudant général La Morlière
nomma le citoyen La Converserie commandant des
troupes cantonnées à Fécamp.
On était dans cette période de découragement, oîi
les cruautés devenues si communes ne paraissaient
plus atroces, ^adsuetudine malorum^ utatrox^ ad-
vcrtebatur^ » , lorsqu'arriva la chute de Robespierre
et la réaction thermidorienne. Depuis long-temps les
clubistes de Fécamp avaient vu avec peine que le
peuple prenait peu de part à leurs actes , qu'il s'était
même ameuté pour empêcher un enlèvement de ta-
bleaux d'église ; et le sieur Jazé , officier municipal ,
avait été décrété d'ajournement devant le tribunal du
Havre pour avoir secondé ce mouvement populaire.
On savait que des pétitions circulaient dans la ville,
et qu'elles avaient obtenu beaucoup de signatures en
faveur des détenus.
On avait aussi connaissance qu'un habitant de la
campagne , le sieur Quesnot , voulant entrer dans la
chapelle du Bourg-Beaudouin , malgré la défense du
' Tacit., Hon. , lib. 6.
( 474 )
factionnaire , avait dit : qu'une centaine de paysans
comme lui , armés de triques ^ chasseraient au pre-
mier jour le bataillon de Beauvais.
Toutes ces démonstrations n'avaient pas été sans
donner de sérieuses inquiétudes au comité révolu-
tionnaire de Fécamp , et surtout aux étrangers qui
influençaient ses actes.
La chute.de Robespierre trouva donc la popu-
lation de cette ville préparée à un cliangement quel-
conque j et chez elle la réaction ne se fit pas attendre :
le premier mouvement de la foule fut de se porter
dans les églises , dont elle força les portes ; elle monta
jusque sur les toits et les clochers, malgré les dé-
fenses des officiers municipaux et les réquisitions
du procureur de la commune, Clouet, qui ordonnait
« de prendre des informations sur ceux qui s'étaient
permis d'ouvrir les temples. »
Les autorités furent presque toutes changées dans
la plupart des communes de France, et la Convention
établit un nouveau comité de sûreté générale, pour
faire droit aux réclamations des détenus qui gémis-
saient dans les prisons.
L'agent national du district de Montivilliers ne
tarda pas à recevoir les ordres de ce comité , et les
transmit en ces termes à la municipalité de Fécamp :
(475)
« Mort aux tyrans. — Brutus-Fillers ^ le i6 fri-
maire Tan III de la république une et indivisible.
M Citoyens!
« Je vous fais passer copie d'un arrêté du comité
de sûreté générale , qui prononce la mise en liberté
définitive de plusieurs citoyens, et ordonne que le
scellé sera levé de dessus leurs propres meubles et
effets.
« Salut et fraternité. »
Cette décision rendit la liberté à beaucoup depri- ■704*
sonniers, parmi lesquels on remarquait les citoyens
d' A vannes, Claville, la Frapinière, Dubois, Auger,
Gaspard T>evlq, Noël* et Guillaume Deschamps,
Baspray, Lacorne, et les citoyennes La Falaise , Gi-
verville , veuve Liot et leurs filles , veuves Bailleul ,
Barthelemi et Loisel. Ajoutons à cette liste le béné-
dictin Le Tellier, cet ancien curé constitutionnel de
Fécamp , qui , malgré les gages donnés par lui à la
révolution , ne fut pas plus épargné que les autres ,
étant accusé d'avoir enlevé la relique du précieux
Sang, lors du renvoi des religieux de labbaye. Samise
en liberté fut motivée sur ce que l'objet dont l'en-
lèvement lui était imputé à crime , n'était ni bien
national ni bien particulier.
La faction qui avait pris le pouvoir ne put s'en
tenir à la réparation des injustices qui avaient été
(476)
commises; il fallut qu'elle tombât aussi dans des excès
réactionnaires à Tusage des gouvernements faibles et
sans avenir. La loi du 2 1 germinal avait ordonné des
poursuites contre les terroristes, et Uii arrêté du
directoire de Montivilliers demanda rexécution de
cette mesure contre les citoyens Richard , Simon
Deneuve et Holley, membres du comité révolution-
naire de Fécamp , Devenois dit d'Hattentot , Massé ,
Pierre Deshayes fils, et Régimbart, comme ayant
participé aux horreurs commises sous la tyrannie
qui avait précédé le 9 thermidor , et ordonna , en
même temps, qu'il serait procédé à leur désarmement
dans les vingt-quatre heures.
Comme on ne pouvait rester dans le vrai, et qu'on
voulait compromettre ces hotnmes avec une certaine
classe de patriotes , on les accusait d'avoir provoqué
Tavilissenient de la représentation nationale et le
retour de la royauté.
Utile leçon pour les dévoûments irréfléchis qui
seraient tentés de se mettre à la suite des factions.
Certes , la vie politique de tous ces hommes n'est
entachée d'aucun acte sanguinaire; jamais, quand ils
étaient tout puissants , aucun habitant de la cité n'a
payé de sa vie son opposition à des principes qui
n'étaient pas les siens. Quelques-uns ont montré de
l'exaltation , il est vrai; mais, dans ce chaos où se ca-
chait la vérité , ils ont agi en hommes qui parais-
saient convaincus; d'autres, moins excusables sans
(477 )
doute y et, pour sauver leurs têtes, affichaient des sen-
timents qu'ils n'avaient pas ; il y en avait même dans
le nombre qui étaient royalistes : Dévenois ne s'en
cachait nullement , chansonnait le zèle des membres
du comité , et faisait des libelles contre la révolution.
Remarquons que tous ces hommes ont pu vivre en-
semble sans haines , sans vengeance , quand la Con-
vention elle-même donnait le funeste exemple d'en-
voyer ses membres dissidents à l'échafaud.
Le citoyen Guillaume avait été de nouveau placé
à la tête de la commune de Fécamp, et MM. Des-
portes, Massif et Tougart rentrèrent au conseil mu-
nicipal. La plupart de ces noms eurent le mérite de
rétablir la confiance et de rassurer l'opinion publique.
Durant le cours de ces événements, la démolition
des églises de Fécamp passait inaperçue , l'emplace-
ment de l'abbaye changeait d'aspect , et presque tous
ses bâtiments claustraux disparaissaient du sol ; les
citoyens Bidel et Sandret , officiers municipaux de
Fécamp , en avaient été les premiers adjudicataires.
Comme on réunissait sur le port les bois prove-
nant des biens des émigrés , pour les transporter au
Havre , où ils servaient aux constructions de la ma-
rine , les rues de Fécamp étant trop étroites , il eu
résultait de graves inconvénients pour les maisons
situées sur la place du Bail. Le conseil municipal,
considérant .qù!il n^ était pas possible d! élargir les
rues qui conduisent au port^ en fit ouvrir une nou-
velle sur le terrain des Capucins.
( 478 )
L'opinion publique se prononçant avec force pour
le rétablissement de la religion catholique , les prêtres
sortirent de leurs retraites , après avoir , eux. aussi ,
éprouvé les rigoui^uses vicissitudes de tout ce qui
tenait à l'ancienne organisation sociale.
Les ecclésiastiques y Charles-Louis Delauney , Jo-
seph Lambert et Louis Ingoult; le premier, curé de
Saint-Léonard ; le second , de Colleville , et le der-
nier, ex-capucin, curé du Bec-de-Mortagne , de-
mandèrent l'autorisation d'e&ercer à Fécamp , sur
la demande de plusieurs citoyens.
L'abbé Le Tellier était rentré à la tête de la pa-
roisse de la Trinité , et les habitants de St-Ëtienne
obtinrent la réouverture de leur église; le vénérable
abbé Blandin , ex-religieux, que nous avons vu,
jusque dans l'âge le plus avancé , donnant l'exemple
de toutes les vertus chrétiennes, obtint l'autorisation
d'exercer ses fonctions dans cette dernière paroisse.
Après tant de grandes scènes passées à Fécamp ,
il nous reste peu de chose à dire pour arriver au but
de nos efforts : le Directoire n'apporta aucune amé-
lioration au sort matériel de cette ville , et les que-
relles des partis s'envenimant de nouveau , on ne
savait si la Providence réservait un dernier châti-
ment à la patrie , en la refaisant passer par les
cruelles épreuves dont elle sortait à peine; les ima-
ginations s'effrayaient de nouveau , lorsque vint le
i8 brumaire, ou la chute de ce gouvernement, sur
les débris duquel on vit s'élever le Consulat.
(479)
Le 20 brumaire de Tan XI de la république
( 1 802) , le premier consul , allant du Havre à Dieppe ,
vint à Fëcamp , où il déjeuna.
Le clergé de la ville alla processionnellement à
sa rencontre , jusque dans les champs , suivi d'une
population immense , qui chantait un Te Deum.
Les flatteurs du nouveau pouvoir ont consigné dans
le Moniteur que les habitants de Fécamp célé-
braient l'anniversaire de la révolution du 18 bru-
maire. On dit que le premier consul fut ému au
spectacle imposant de ce peuple qui adressait ^ sous
la voûte des cieux , des prières à Dieu , pour la pros-
périté de la France et du chef de ce nouveau gou-
vernement , qui devait la rendre grande et puissante
parmi les nations.
M. Desportes était maire de Fécamp depuis dix-
huit mois , et ce fut lui qui fit les honneurs de la
ville au premier consul.
La guerre avec l'Angleterre ayant interrompu
tout commerce maritime , le port de Fécamp ser-
vait de refuge aux petits navires de l'État et aux
barques de pêche qui fréquentaient les côtes de la
Manche.
Au commencement de l'année 1800, deux de
ces derniers bateaux firent naufrage dans le quar-
tier de Fécamp : le premier , nommé \ Espérance ,
échoua près de la jetée du port ; les vingt hommes
de son équipage furent sauvés par les marins de
( 48o )
trois bâliments de guerre , placés sous les ordres du
citoyen Vallée , lieutenant de vaisseau , qui com-
mandait VÉclatante.
Le citoyen Q^éance, second maître à bord de
cette canonnière j s'étant attaché une corde autour
du corps y s'élança sur les débris du navire naufragé ,
et en retira plusieurs marins auquel le froid avait fait
perdre Fusage des sens.
Le nommé Hélouin, de Gran ville , chargé de la
comptabilité à bord de la flûte la Baleine^ périt
victime de son humanité : comme il se précipitait
pour sauver un malheureux qui se débattait contre
les flots 9 il eut la tête écrasée par la chute d'un mât
du navire naufragé.
Le second de ces bateaux , qui se nommait aussi
V Espérance , ne put sauver que cinq hommes , sur
les douze qui composaient son équipage.
Quelques années après, le corsaire V Espoir faisait
naufrage dans les mêmes parages : le sieur Cauquais ,
préposé aux douanes, sauva , au péril de sa vie , sept
individus qui faisaient partie de son équipage. Le
ministre de l'intérieur décida qu'il serait donné une
médaille à cet employé; et, le 3 avril 1808, le
maire lui en fît remise , en présence des autorités
militaires , des canonniers et des douaniers réunis
sur la place , et aux cris de vwe l Empereur !
A la même époque , les écluses de chasse de la re-
tenue tombaient en ruine, et le port se trouvait
( 48. )
encombré de galet , malgré les travaux exécutés aux
frais (lu gouvernement; les armateurs concevaient
des craintes pour la rentrée de leurs navires , et pré-
voyaient déjà l'abandon du port de Fécamp. Le maire
fît part aux habitants de cet état de choses, qui pou-
vait compromettre la prospérité de la ville , et tous
se portèrent sur le perrey, armés de pioches, et
jetèrent le galet dans le courant.
Cette mesure étant insuffisante, le Génie consentit
à ouvrir les écluses, si on lui garantissait le paie-
ment des avaries qui pourraient en résulter.
On se remit de nouveau à l'ouvrage : femmes ,
enfants, furent encouragés par la présence du maire,
et l'eau, emporta le galet comme un torrent. Ce ré-
sultat fut d'autant plus heureux, que l'on attendait
des corsaires qui pouvaient, d'un moment à l'autre,
amener de riches captures dans le port.
La restauration vint donner à toutes les villes ma-
ritimes de France un essor jusqu'alors inconnu : le
poi t de Fécamp reçut quelques réparations ; de nom-
breux navires de pêche y furent construits , et ce
nouvel état de choses n'a fait que progresser , d'an-
née en année, jusqu'à nos jours.
Le maire, M. Desportes, décédé en 1816, fut
remplacé par M. Le Métayer, et celui-ci par M. Le
Clerc , en 1 82 1 , époque du renouvellement des
officiers municipaux. Ce dernier a été , en même
temps, membre de la Chambre des députés , mais il
3i
( 48a )
n'y est resté que peu d'années, voulant exercer ex-
clusivement ses fonctions , plus modestes, de maire,
et consacrer tout son temps aux affaires de la com-
mune.
Il a été remplacé à la Chambre des députés par
M. Ludovic Vitet , membre de l'Institut et conseiller
d'État, qui , de la position élevée qu'il occupait dans
la république des lettres , s'est livré à la carrière de
l'administration et aux hautes études de l'économie
politique.
La ville de Fécamp doit à son maire et à Tinter-
vention puissante et dévouée de son député ' , des
travaux publics sans nombre , étonnants même ,
quand on songe avec quelle vitesse ils ont été exé-
cutés ; on en jugera par le détail suivant :
Trois routes départementales : la première, de
Fécamp à Bolbec , achevée ; la seconde , de Fécamp
à Valmont , en cours d'exécution ; et la troisième ,
de Fécamp à Ëtrétat, dont le travail doit commencer
immédiatement.
Un bassin construit et livré au commerce en
1837 , et les quais élargis.
Une jetée en pierre, pour remplacer celle en bois,
qui avait été rompue par les flots. Un phare à feu
fixe , sur la côte du Bourg-Baudouin.
Une estacade à l'entrée du port , une levée à
1 M. Bérigny, inspecteur général des ponts et chaussées, a aussi
contribué de tout son pouvoir à Texécution de ces travaux.
( 483 )
travers la retenue, et un canal qui préserve une
partie de la ville des inondations causées par la fonte
des neiges.
Élargissement de la rue du Vieux-Marché.
L'ouverture de la rue des Forts , qui dépend éga-
lement de la route royale , aura lieu avant la fin de
Tannée 9 ou au plus tard au printemps prochain.
L'établissement de fontaines publiques est à la
veille de s'effectuer, les fonds destinés à ces travaux
étant déposés à la caisse de service.
L'abbaye réparée et le portail latéral reconstruit
d'après les anciens plans.
Après avoir parlé des travaux exécutés aux frais
de l'État, nous devons faire mention d'une entre-
prise particulière, qui fait le plus grand honneur au
sieur Bigot, comme œuvre de génie, au-dessus de
la portée ordinaire d'un simple ouvrier.
La partie de la ville, située du coté du port ,
manquant d'eau , le sieur Bigot a eu l'ingénieuse
pensée de faire arriver sur ce point, au moyen d'un
aqueduc long de trois kilomètres ^ et creusé dans
l'intérieur de la falaise, les eaux des fontaines de
Grainval , qui se perdaient dans la mer , et de les
faire servir à l'usage des habitants de ce quartier ,
qui en étaient entièrement dépourvus.
Au lieu de huit mille habitants que Ton comptait
à Fécamp , au commencement du dernier siècle ,
il y en a maintenant neuf mille deux cents , et cette
augmentation ne paraîtra pas considérable, à raison
(484 )
du progrès de l'industrie et du grand nombre de
marins que la navigation , plus active qu'autrefois ,
a dû attirer dans le port de Fécamp.
On compte dans cette ville dix. filatures de coton ,
qui occupent cinq cents personnes : les plus consi-
dérables appartiennent à MM. Dupray et Huet, dont
les maisons de commerce sont établies à Fécamp
et à Bolbec.
Il y a en outre, dans la vallée , sept moulins à huile ,
deux moulins à tan , sept moulins à blé , et deux
scieries mécaniques.
Pour le voyageur , préoccupé de commerce et de
travaux publics, il trouvera, sans doute, que Fé-
camp a beaucoup gagné depuis le dernier siècle.
Pour l'artiste, le poète et le philosophe, au con-
traire , qui viendront dans cette ville rechercher son
abbaye, son cloître, ses forts crénelés, ses douze
églises aux flèches élancées , ses écoles , ses savants
et ses pieux cénobites, pour lui, le désenchantement
sera réel; car on ne fera jamais que quelques navires
de plus dans un port , des fabriques arrosées de
sueur d'homme, de petites maisons bien neuves,
des rues alignées aux dépens des remparts histo-
riques de la cité , puissent lui donner le prestige et
la vie qu'elle tirait des hautes études , des grands
hommes et des monuments religieux qui feront
éterneHcnient sou orgueil et sa gloire.
FJN.
NOTES FINALES.
NO I.
Celle cluirte latine , par nous découtferte aux ArchLves dépar-
tementales , ayant été publiée pendant l'impression de ce
volume , nous en donnons une traduction j qui a le mérite
d'être inédite , accessible à un plus grand nombre de
personnes , et défaire connaître l'état de la langue fran
çaise au commencement du 14°* siècle,
A TOUS les filx de saincte mère église asquieulx cest présent
cscript vendra je Raal humble abbé de Saincte Trinité de
Fescamp salut, en vrai salu de tout le monde à desservir
la grâce de la divine pitié notre Seigneur nulle chose tant
ne lui plest comme aemplir la lay et les commandemens
faire et que nous soions aussi courchies et dolens des pe«-
chies et des mésaventures de nos frer.es comme de nos
meismes ne autrement nous ne pourrions aler lassus amont
en paradis pour le pechie de la char qui tant est pesans se
grant carite de fraternité de devocion doresons de omosnes
ne nous alege le pechie et que nous entendons que est de-
vocion de oreson et omosne nous avons recheu ovec nous
une manière de gens séculiers lesquieulx len appelle Jon-
gleurs jasoit (quoique) cen que la vie dicëulx soit abandonnée
a jouer et que elle soit escoulouriable nequedent le fonde-
ment de foy qui est funde en Jehu Crist fait divers membres
aerdre (attacher) a un bon chief laquelle chose n'est pas
nouvele ne nouveaument trouvée ains fu commenchie en
temps de bonne mémoire Ricart premier duc de Normendie
3i*
( 486 )
et dura tout k temps o.segont duc Biçart et empres mons.
Willeme abbe aicellui temps défailli iceste fraarie mes par
mauvestie et par avarice qui tousiours croist et abunde et
largeche et courtoisie qui tousiours refrede et amenise
(diminue) fut delessie iceste frarie après la mort du pre-
mier froy Henry adechertes (alors) mons Henri de bon
mémoire abbe a icellui temps renouvela iceste fraarie et
1^$ rechut et coveuilli en fraternité par le consentement de
tout le . chapistre adechertes (alors) Jen Raal abbe ne vuil
pas que je nen sieusse les escrases (actions d'éclat) et les
fais de si grans gens et de si nobles mestabli frère diceulx
frères Jongeurs et leur octroyons plaine parchemierie de
tous nos bienfais qui seront fais en notre abbeie sil est
assavoir en messes en vegilles en jeunes en aumosnes en
oresons et en toutes choses plaisantes a Dieu que par carite
ardante puissent ovec nous et nous ovec eux aparestre
devant la fâche Jehu x pit en leeche (joie) en exultation o
(avec) simphognies o timbres o vicies o psalterions o oi^ues
o harpes o fieùles plaines de bonnes odours tenantes en
leux mains especiaumsent pour iceulx et pour nos frères
en tout temps et chascun jour nous celebron trois messes
Tune du Sainct Esprit que il nous commant au filx lautre de
Notre Dame quelle deprie pour nous son filx la tierche pour
les trespasses que eulx aient repos pardurable et chascune
fois que il en yara un trespasse des frères et len le nous lerra
assavoir il sera asous premièrement en chappitre et en fesmes
le servise auxi hautement comme de uns de nos frères
moignes et chascun an pour icheux frères nous faison deux
trentieulx (trente messes à célébrer) lun après Noël lautre
empres Penthecoustes ceste fraarie doit estre en ceste ma-
nière tenue que chascun an au jour de la Saint Martin en
este sasembleront les frères iongleurs et tous ceulx que
( 487 )
nous avons receus ovec nous et feron tous ensemble une
sollempnite ef; sollempnelle prochession et de chascun diceulx
len cuidra cinq deniers lesqueulx seront en tel manière de
partis que les deux pars seront a meseaux (malades, lépreux)
de Fescamp la tierche partie sera donnée as povres la
quarte partie sera, au luminaire de nostre église la quinte
partie sera a leuvre dicelle église ovec les lais dés mors et
en lobbit diceulx frères larra chascun qui pourra trois soubx
les povres deux soubx les très povres douse deniers tous
ceux qui tendront cete fraarie soient iongleurs ou che-
valliers ou autres lerront du leur a leuvre de la dite église
adechertes de cette fraarie nous establimes mestre et rec-
teur Henry de Gravenchon a tous ceulx qui ces te fraarie
tendront et garderont soit pais et joye in secula seculorum
Amen.
Henri par la grâce de Dieu roi d'Angleterre héritier et
régent du royaume de France et seigneur d'Irlande , à tous
ceux qui ces pi*ésentes lettres verront salut : comme despieca
voulant pourvoir au bien commub et gouvernement de
l'église et abbaye de Fécamp gouvernée sous notre main et
autorité , parce que l'abbé (ViceUe église ne nous a fait le
serment de féaulé et autre petit gouvernement du lieu ,
nous eussions commis et député Jehan le Cuillerier receveur
général de tous et singuliers deniers , revenus , profits , et
émoluments quelconques des terres et baronnies apparte-
nant et (ippendant à icelle Abbaye. C'est à savoir es baron-
nies de Fécamp , Vitefleu , Gardin sur Dieppe , Estoute-
vilie , Aesy , Heudreville , Argences et leurs dépendances y
lequel Cuillerier se soit de ce entremis par certain temps
( 488 )
passé et de ce n*a encore rendu aucun compte , ainsi que
tenu y est par raison et selon sa commission sur ce faire ,
mais nagaires lui ait été mis et assigné certain jour pour
rendre compte et reliqua de sa recette et mise ainsi qu'il
appartient par raison savoir faisons que nous confians es
sens preudomie et bonne diligence de nos amés maître Nicole
Caval licencyé en loys Tun des clercs de notre grand
conseil , Roger Mutel notre vicomte de l'eaue à Rouen et
Jacques d'Orléans écuyer. Tceulx avons commis et députés ,
commettons et députons par ces présentes auditeurs des
comptes dudit receveur , présents ou appelés à ce des re-
ligieux de la dite abbaye en tel nombre que voudront être
expédiés pour le bien de la chose se être y veulent lesquels
voulons être élus par le prieur et couvent dudit lieu et avons
donné pouvoir et autorité aux susdits auditeurs de ouyr ,
examiner conclure et clorre iceux comptes y de ce qui par
eux sera fait , donner et bailler lettres convenables et néces-
saires en cette matière et généralement et singulièrement
de faire besoigner et procéder en ce circonstance et dépen-
dance y comme bons et loyaux auditeurs duement établis
pour faire selon raison et le cas. Mandons à tous nos justi-
ciers , officiers et subjets que a eux obéissent et entendent
diligemment et leur prêtent conseil confort , aide et protec-
tion si besoin est et requis en sont. Donne à Rouen le i
jour de juillet , Tan de grâce mil iiii xxii et de notre règne
le io™«.
(489)
N« 3.
Noms des individus qui obtiennent des compositions sur les
arrérages qùils doivent à l'égUse^ en 1422.
PaÉVÔTÉ DE FÉGAMP.
Pierre Viard.
Pierre Fouquier.
Guillaume Roussel.
Jehan Quennas.
Robin Beusebost.
Colin Bosquet.
Joseph Phîfellote.
Guillaume Le Carpentier.
Jehan Le Bouesquc.
Jehan Le Caron , tenant hôtel
à Fécamp.
S4INT-PlEaaE-EN-POET .
Guillaume de Houdetot.
Colin Godefroy.
Guillaume LeFebvre.
Jehan TAbbé.
Thomas Robinot.
Pierre Le Blond.
Raoul Le Sesne.
Pierre De la Planche.
Jehan Martel dit Pol.
Jehan Barbe dit Vassot.
Raoul Graimbou.
Jehan Dufay.
Veulbttes.
Guieffroy Le Payeur.
Guillaume Le Mercher.
Guieffroy Joly.
Guillaume Le Villain.
Jehan Escombart.
PaivÔTÉ D Elétot.
Thomassin Durand.
Prévôté de Senneville. Robin Sigard.
Guieffroy Gomen.
Jehan Karc sme. Jehan Hébert.
( 490 )
Colin Le Sueur.
Rogier Blanquet.
Raoul GoiseL
Jehan Happcl.
Régnant Maçon.
Simon Varin.
Guillaume La Planque.
Simon Pellerin.
Colin Cavelier.
Jehan Forthomnic.
Jehan Corcenout.
Guillebcrt Soubraagc
Estiennot Engien.
Ricard Halle.
■ ■>■•
TABLE DES MATIERES.
AVANT-PROPOS.
Ëpoqiie gauloise et gallo-romaine Page 1
Fécamp sous les comtes francs et la dynastie kariowingienne. ^47
Fécamp sous les ducs de Normandie , de 915 à 1204. . . 58
Abrégé de la Légende du précieux Sang 74
Guillaume de Dijon , 1" Abbé 91
Fécamp sous le gouvernement des ducs normands y devenus
rois d'Angleterre 154
Fécamp sous la domination française , jusqu'à la reprise de
la Normandie par les Anglais , en 1419 190
Fécamp sous la domination anglaise , de 1419 à 1450. . . 252
Fécamp depuis 1450 jusqu'aux premiers troubles pour la
Religion 292
Fécamp pendant les guerres de Religion , de 1560 à 1601 . 521
Fécamp depuis ICOl jusqu'à nos jours 575
Réforme de Saînt-Maur , introduite dans le monastère de
Fécamp 590
Statistique de la ville de Fécamp , en 1751 408
Histoire littéraire du monastère de Fécamp , 401 et 429
Cardinal de La Rochefoucauld , dernier Abbé de Fécamp. . 457
Le monastère de Fécamp devient propriété nationale. . . 452
Travaux publics exécutés , de nos jours , à Fécamp . . . 482
Notes finales (Pièces justificatives) 485
FIN DE LA TABLE.
^